Les avidiens

L'espèce dont je vous parle est l'Avidien. Il ne s'agit pas d'un organisme biologique, mais informatique, dont l'habitat est un logiciel appelé Avida.

Son génome se résume à quelques lignes de code qui lui sont propres.

A défaut de leur faire obtenir l'énergie nécessaire par la lumière ou de la nourriture, on récompensera les organismes capables d'accomplir une opération mathématique par une augmentation du processeur de l'organisme permettant ainsi à celui-ci de calculer plus vite et donc d'obtenir de plus en plus d'énergies lui permettant de se multiplier.

Chaque génération se voit offrir aléatoirement des mutations pouvant être aussi bien bénéfique que mortel pour l'organisme. Il est question de suivre la théorie de Darwin au plus proche mais avec un atout de taille: la possibilité de faire générer des centaines de générations en quelques minutes.

Tout commença par une population d'organismes identiques tous "vierge", incapables de résoudre la moindre opération.

Mais au fil des générations (à travers les mutations aléatoires), un organisme s'est avéré capable de lire un chiffre, un autre de le répliquer à l'identique ou encore de le stocker dans sa mémoire.

Ces générations ayant vu du coup leur processeur augmenter de par leur supériorité évidente aux autres ont pu se reproduire et supplanter la plupart des organismes inadaptés.

Quelques mois passèrent et les Avidiens devinrent des génies du calcul. Additions, multiplications, divisions... Plus rien n'avait de secret pour eux.

La colonie d'organisme au sein du logiciel Avida:

Cette série d'images montre l'évolution d'une colonie d'organismes digitaux au sein du logiciel Avida. Chaque couleur représente une variété d'organisme possédant un génome donné. Au début de l'expérience, la population n'est constituée que de quelques individus quasi identiques. Mais générations après génération, les avidiens se reproduisent, subissent des mutations, et évoluent. Résultat: en quelques heures, la boîte de pétri artificielle compte plusieurs milliers d'habitants dotés d'aptitudes différentes.

Ce fut l'occasion pour Chris Adami et Charles Ofria, pères spirituels du logiciel Avida, de faire un pied de nez à travers le magazine Nature en 2003 aux défenseurs de la théorie de "Intelligent Design". Prouvant à travers leurs expériences que des caractéristiques complexes sont bâties sur des fonctions anciennes beaucoup plus simples.

Les années passent, les Avidiens ont acquis la capacité de communiquer entre eux (sans aucune intervention extérieure), d'échanger des informations et de coopérer.

Un test en parallèle fut aussi fait pour voir la réaction des Avidiens s'il leur était donné de percevoir les liens de parenté qu'ils partageaient avec leur entourage. Les résultats furent sans appel, l'aspect familial acquit une importance primordiale et il fut observé des comportements tels que l'altruisme et le sacrifice individuel pour la survie de la cellule familiale.

L'évolution de cette espèce prenait de plus en plus d'ampleur. Mais jusqu'à quel point ?

Pourrait-elle devenir incontrôlable ? C'est sur ces questions que l'expérience suivante s'effectua.

Pour cette expérience, il fut décidé de stopper l'évolution des Avidiens. Pour cela, une manipulation était effectuée : dès qu'un organisme subissait une mutation, il était soumis à un test pour savoir si cette dernière était bénéfique. Si cela était le cas, l'organisme était tué. Un génocide qui aurait du avoir raison de l'espèce toute entière.

Mais c'était sans compter sur le potentiel d'adaptation des Avidiens qui apprirent rapidement à tromper la vigilance des chercheurs : dès qu'un organisme se rendait compte qu'il était soumis à un test, il cessait immédiatement d'effectuer des calculs. En clair, il faisait le mort.

Résultat, celui-ci n'était pas tué et pouvait ultérieurement continuer son calcul et évoluer en toute quiétude.

C'est là que la question éthique peut se poser. Quel risque peut-on prendre en parallèle à tout ce que ces découvertes pourront nous apporter ? Bien que le lieu d'expérimentation est sûr à 100 % (un pc sans réseau ne peux rien propager), le facteur humain, lui, est bien trop faible pour garantir qu'un jour de tels micro organismes ne se propagent pas sur les réseaux pour le meilleur et pour le pire.

Source originale: Le monde de l'intelligence n*13

Ils vous plaisent pas mes avidiens ?

Si, c'est très intéressant même; le projet Avida date d'il y a un certain temps, je me souviens en avoir entendu parler à une époque oùs les ordinateurs étaient loin d'être ce qu'ils sont aujourd'hui, et je ne me souvenais pas du nom ni ne savais si les expériences continueraient. ¿ Youpi, c'est le cas.

Le site du laboratoire à Michigan:

http://devolab.msu.edu/

Un article intéressant reprenant grosso modo ce que tu as dis, en plus extensif:

là-bas (en anglais)

Dans les bases de données scientifiques, un article exposant l'intérêt d'Avida est sorti en 2004:

Ofria & Wilke, 2004. (en anglais, détails pas accessibles au public malheureusement)

Et certains auteurs se sont amusés à effectivement tester des caractéristiques de l'évolution, comme par exemple celui-ci, sur la robustesse (la capacité d'un organisme à résister à des pressions de sélection, c'est-à-dire à tolérer un certain taux de mutations sans gros dommage pour lui) ¿ qui, de manière intéressante, donne des résultats allant dans le même sens que pour la vie ¿biologique¿.

Elena & Sanjuán, 2008. (en anglais, téléchargeable là-bas)

D'après ce que j'en comprends, dans un monde virtuel composé de mémoire (qui représente l'aspect physique de ce monde ou de cette boîte de Petri in silico), évoluent des organismes constitués d'une bandelette de langage-machine (stockée dans le monde physique) et ayant accès à un espace de mémoire RAM personnelle (une sorte de monde des idées ; contrairement au monde physique, les autres organismes n'y ont pas accès) ¿ ce qui correspond à une vision littéralement matérialiste du monde (Matérialisme : la réalité est constituée par la matière, et c'est la matière qui secrète la pensée / Idéalisme : la réalité est constituée par la pensée, et c'est la pensée qui secrète la matière). ¿ Il sera possible de tester une vision idéaliste du monde, ce qui est quelque chose de passionnant en soi. Mais également ¿ et c'est apparemment une des directions de recherche ¿ d'enlever cette barrière et d'instaurer une forme possible de communication entre les espaces mémoires personnels des organismes digitaux ; cela permettra d'étudier l'aspect social d'organismes simples (type Myxococcus pour reprendre l'article de Carl Zimmer).

Autre apport, à l'exobiologie ; quoique je prendrais peut-être des pincettes avec cela, en quelque sorte comparer les points communs entre la vie biologique et cette "vie" digitale pourrait nous éclairer sur le concept de la "vie" ¿ mais étant donné que ce concept est déjà extrêmement variable d'une part (et que ces variations sont plus philosophiques qu'autre chose, d'une façon que l'on ne puisse pas réellement trancher), et que d'autre part cette "vie" digitale a avant tout été pensée pour être une sorte de reflet de la stratégie de la vie biologique (¿Croissez et multipliez¿, Gen 1:22, etc.), je ne suis pas certain que cela nous avance tant. Pour l'instant.

Le fait que des opérations complexes soient obtenues par l'ordonnement d'instructions évoluées au hasard donne d'ailleurs un coup aux théories créationnistes et à l'intelligent design, dont certains tenants s'amusent alors à disséquer le programme Avida pour exposer ce qui pourrait y entraîner des biais ¿ ce qui, au final, comme le dit l'article de Carl Zimmer, leur fournit en fait une énorme équipe de bêta-testeurs malveillants et non-payés... Joli.

éa a un rapport avec les automates cellulaires?

étant l'auteur de cet article que j'ai écrit il y a plus de 1 an, je suis étonné de le voir ici et que la source de publication ne soit pas citée (www.parano.be en l'occurrence) ainsi que l'absence d'images accompagnent une partie du texte pour faciliter la compréhension de l'ensemble.

Mais tout savoir est fait pour être partagé. Pour un complément d'informations il y a le site officiel en anglais :

http://devolab.msu.edu/

Un logiciel est même disponible, avidia. Mais l'ayant découvert, je ne l'ai pas encore testé.

Merci Criterium pour ce complément d'informations, je n'avais pas lu les répliques avant de répondre.