Vieux papiers.

Quelle sensation étrange que de tenir entre ses mains, soigneusement empaqueté et ficelé, un objet ayant appartenu à un mort! ¿ Ainsi me le disais-je tantôt, ces derniers jours ou tout à l'heure, en exhumant de fonds de tiroirs et d'envers de bibliothèques des liasses et des liasses de documents. Tout était hétéroclite. Je découvris quelques mots griffonnés sur des feuilles parfois jaunies ; des mots écrits en vitesse, des mots qui auraient dus être jetés. écriture. Deux lignes d'un aïeul, six lignes d'un grand-père mort trop tôt ; patiemment, j'examinai la forme des lettres. L'écriture est-elle toujours signifiante? ¿ En tout cas, celle de S. l'est : les o et les r sont si bien tracés qu'il est clair qu'il s'agit d'une institutrice de maternelle ¿ Des lettres qui formaient quelque chose comme :

L'histoire d'un individu est-elle réductible à l'histoire qui se trace sur quelques diplômes perdus au fond d'une chemise bleue (ou grise : ils n'étaient évidemment pas classés ensembles), quelques plats de chemises sur lesquels se tenaient les conversations écrites lors des longs cours d'université, et les relevés bancaires qui refléchissent la situation de plusieurs époques? Parfois, je me dis que c'est plus le cas que l'on ne pourrait le penser. ¿ Mais peut-être ce qui est le plus mort dans tout cela, c'est l'ancien soi ; lorsque l'on retrouve des vieux écrits qui nous font honte ¿ sang et stupre ¿ d'autres qui jettent un regard étonnant sur des aspects ayant toujours été présents ¿ comme ce petit poème de fleurs sombres... ; cependant même, de plus récentes ébauches semblent désormais surannées. Et avec de larges quantités de papiers, de cartons, de brochures, le tout grisonnant comme vieillissent les anciennes passions, paf, enfournées, allez, à la corbeille! ... Tremblez, mots adolescents d'un poème pris parmi d'autres, quelque part sur Terre, en 1999!

D'une certaine manière, bénie soit cette époque sans skyblogs. Ainsi je peux faire le choix des choses immondes que je vous montre ici, et non pas me retrouver a posteriori avec un listing imprimé des moins avouables, agité sous mon nez par quelque patron d'entreprise indiscret ¿ ou ex. Il y a en effet de vieux vers féministes, un peu acerbes (une allusion au KKK). Des citations diverses. Des pages imprimées, aussi, qu'il faudrait brûler plutôt que jeter. Bref. Plus je jette, plus je jette des parties de moi. ¿ C'est extrêmement positif. Memorablia. I collect. I reject.

Plus je jette, plus j'ai l'impression de renaître.

Faites le tri chez vous.

Là je sais que je n'ai rien qui traîne ici, tout est chez mes parents.

Mais quand j'y habitait encore, je fouinais souvent dans les papiers et les photos quand j'étais toute seule.

Dans un album j'avais trouvé un poème écrit par mon père pour ma mère. J'en garde un précieux souvenir, c'est une vraie trace de son passage, il à toucher ce papier, y à coucher des mots, des sentiments...

J'aurais aimer le prendre mais je ne l'ai pas fait, c'est un souvenir aussi pour ma mère, je ne pouvais pas faire ça.

Je suis dev'nue la bonne - Thomas Fersen

Je fais ce tri à chaque déménagement, à chaque printemps aussi. Vu que durant les six dernières années, j'ai déménagé sept fois, je suis à jour. Les lettres qui ont survécu à ces raffles sont celles qui me font encore quelque chose - et qui sont encore à tout moment susceptibles de provoquer des pleurs, notamment. Les autres n'ont pas été jetées, elles dorment dans un coin, ce qui me permet de les oublier facilement. Parfois je les retrouve, elles me font sourire - et tout particulièrement la toute première lettre d'amour que j'aie reçue, écrite sur du tissu, bourrée de majuscules et de fautes d'orthographe, comportant aussi la partition d'une pièce pour clavecin composée pour l'occasion. Rien que d'y penser...

Au fur et à mesure, les lettres de la première catégorie passent dans la seconde... Tant qu'elles dérangent, elles peuvent se promener librement dans des endroits où je suis susceptible de les croiser souvent, comme de petits animaux de compagnie. Mon désordre leur assure la mobilité nécessaire pour que ça soit efficace, et de temps en temps, je les relis, de manière tout à fait aléatoire. Quand elles auront cessé de picoter, je les rangerai, pour ne les redécouvrir avec amusement qu'après, dans bien longtemps.

Je suis contente ; à part cette lettre de tissu, je ne sais plus du tout ce qu'il y a de caché, là-bas. De plus, je crois qu'un paquet peut être transféré de la catégorie 1 à la catégorie 2. Ouvre ta gueule, boîte aux secrets, je vais te nourrir dans très peu de temps ! Jusqu'à ce qu'un jour, chaque lettre aille directement se loger dans ce tombeau d'indifférence et qu'il n'en reste plus, aucune, dans mon lieu de vie.

Ma famille n'écrivait pas.

Même pas des cartes postales.

Seulement leurs tickets de tiercé et points de belotes.

Et quand ils lisaient c'était Paris Turf ou Télé Poche.

Je ne risque pas de trouver quoi que ce soit.

Tout cela touche à sa fin. Parmi les highlights de l'archéologie in papyro, la lettre accompagnant la déclaration d'impôts 2009, écrite par un Eric W¿rth sémillant et encore presque pur, dans un style d'école (ἄνθρωπος ζῷον πολιτικόν), les inévitables photographies dont plusieurs personnes sur terre auraient souhaité la disparition ¿ et pas forcément celles auxquelles l'on s'attendait tout d'abord.

Il y a des documents que l'on peut jeter. D'autres doivent être déchirés en fines lamelles, et mêlés : leur reconstruction est théoriquement possible, la DCRI l'a déjà fait (oh, et Dieu sait ce que l'on peut trouver dans les poubelles de diverses entreprises... une mine d'or pas si éloignée du social engineering parfois). D'autres encore doivent disparaître en fondant. Si l'on n'a pas d'allumette à disposition, il y a différentes façon de faire du papier mâché avec quelques produits permettant de détacher l'encre. ¿ Trucidez-vous le papier?

L'habitude de plus en plus convulsive à écrire me promet des redécouvertes intéressantes lorsque, dans dix ans, j'aurai à refaire ce tri, quelque part à côté des hortensias.