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Invité Caminde

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Invité Lucy Van Pelt
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Il est quatre heures du matin, fin décembre

Je t'écris maintenant juste pour savoir si tu vas mieux

New York est froid mais j'aime l'endroit où je vis

Il y a de la musique à Clinton Street durant la soirée

J'ai entendu dire que tu as construit ta petite maison au fond du désert

Tu vis pour rien maintenant, j'espère que tu conserves une sorte de souvenir

Oui, et Jane est passé avec une mèche de tes cheveux

Elle a dit que tu lui avais donnée

Cette nuit où tu avais prévu de disparaître

As-tu seulement disparu ?

La dernière fois que nous t'avons vu tu semblais tellement plus vieux

Ton fameux imperméable bleu était déchiré à l'épaule

Tu es allé à la gare pour voir chaque train

Tu étais rentré à la maison seul sans Lili Marlène.

Et tu as considéré ma femme comme un épisode de ta vie

Et quand elle est revenue, elle n'était plus la femme de personne

Eh bien, je te vois, il y a une rose entre tes dents,

Un voleur gitan maigre de plus

Bien, je vois que Jane est réveillée

Elle t'envoie ses amitiés.

Et que puis-je te dire, mon frère, mon assassin

Que puis-je vraiment te dire ?

Je crois que tu me manques, je crois que je te pardonne

Je suis heureux que tu te sois trouvé sur ma route.

Si jamais tu viens ici pour Jane ou pour moi

Eh bien, ton ennemi dort, et sa femme est libre

Oui, et merci pour la peine que tu as prise dans ses yeux

Je pensais qu'elle y était pour toujours alors je n'avais jamais tenté.

Et Jane est passé avec une mèche de tes cheveux

Elle a dit que tu la lui avais donnée

Cette nuit où tu avais prévu de disparaître.

Sincèrement, L. Cohen

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CRA Ce qu'être humain veut dire?

La Gloire, l'Yvette et la rétention

Edition : Les invités de Mediapart Pendant un an et demi, Eve Chrétien est intervenue dans un centre de rétention, pour la Cimade. Mediapart publie aujourd'hui le premier extrait d'un livre de chroniques, à paraître en septembre 2010 chez Actes Sud. L'annonce d'une reconduite à la frontière, d'un départ à l'aéroport... Témoignage de la détresse au quotidien.

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pave.jpg« Devant un évanouissement les gens crient : De l'eau ! De l'eau de Cologne ! Des gouttes d'Hofmann ! Mais pour quelqu'un qui désespère, on s'écrie : Du possible, du possible ! On ne le sauvera qu'avec du possible ! Un possible : et notre désespéré reprend le souffle, il revit, car sans possible, pour ainsi dire on ne respire pas ». Traité du désespoir, Sören KIERKEGAARD, 1849.

Monsieur N, retenu numéro 372/09 est étendu là, devant moi, dans le bureau de la Cimade du centre de rétention de Palaiseau.

Dehors, un gamin de onze ans court pour rejoindre ses copains sur le terrain de foot qui se trouve à quelques mètres en contrebas : l'entrainement commence à 17 heures et il est en retard parce qu'il n'a pas trouvé son short. Sa petite s¿ur l'avait caché sous son lit. Dehors, une mère de famille, cinq enfants en orbite, rentre d'avoir fait les courses au Lidl de Villebon. Sa petite fredonne la Marseillaise comme elle fredonnerait une comptine. La mère agacée lui dit : « Fatou, arrête de chanter ça ». Et la petite de répondre : « mais maman, c'est une nouvelle chanson que la maitresse nous a apprise ce matin... ».

Dehors, l'eau de l'Yvette gambade inlassablement dans son lit de boue.

Monsieur N est au centre de rétention depuis de longues semaines déjà. Il aura certainement été le vingt millième sans-papiers interpellé de l'année. Le vingt six millième peut-être bien. Un petit poisson dans le Pacifique. Inquiet dès le premier jour, il a demandé à me voir tous les matins. Chaque jour, il a eu besoin d'une nouvelle idée, d'un nouvel espoir pour se tenir debout. Chaque jour, devaient germer en lui de nouveaux mécanismes de défense, de nouvelles questions : « madame, si je fais appel de la décision du tribunal, je vais pouvoir sortir ? », « Je pense que je veux faire réexaminer ma situation par l'OFPRA », « madame, ça n'est pas normal que je sois ici, je suis un vrai réfugié, ma situation doit être entendue ». Bien sûr, il m'est arrivé de lui répondre que je ne pouvais pas le recevoir parce que d'autres urgences m'occupaient. « Tous les jours, ça n'est pas possible. Vous voir tous les jours, non, ça ne sera pas possible ». Dans son regard alors, toujours la même question : qu'y a-t-il de plus urgent que ma vie ? A chaque entretien il se présentait, le poing serré sur son PV d'interpellation et sur sa peur.

Ce mardi-là, la greffière, rangers aux pieds et équipement de rigueur à sa taille de guêpe, galope à travers le couloir, escalade les marches qui mènent à la zone de vie des retenus : elle vient annoncer à monsieur N que le consulat a délivré un laissez-passer sans même le rencontrer et qu'il prendra son avion dans deux jours. Elle pousse la lourde porte qui retombe aussitôt comme un marteau sur une enclume. Vite. Même la porte prévient au mieux toute fuite, tout déplacement sans autorisation, sans clé, sans escorte. La porte, symptôme sacré de notre chère sédentarité. La greffière crie : « Monsieur N ! ». Pas de réponse. « Monsieur N vous êtes où ? Oh ho ! ». Elle lui annonce la bonne nouvelle et s'en va. Il est 9h32. Monsieur N se tient apparemment debout au milieu de la cour de quelques mètres carrés, entourés de murs desquels même la laine de verre tente de s'échapper. Au-dessus de sa tête, un filet de sécurité le sécurise. Dans les angles, des caméras de sécurité le sécurisent aussi beaucoup, et sont les témoins du coup qu'il vient d'encaisser. Dans deux jours, le contribuable français y mettra de sa poche pour l'envoyer chialer ailleurs.

A 9h33, monsieur N demande à voir la Cimade. Je suis occupée. Il demande encore à 9h40, à 10h30, à 11h43. A 13 heures, il téléphone sur mon portable d'urgence.

Lorsqu'il avait fallu l'aider à rédiger sa demande d'asile, il avait eu la même fébrilité. Avec un treuil sans doute, il avait cherché au grenier de sa mémoire, tout ce que, jusqu'là, il avait voulu effacer et fuir. Ses mots sous ma main, j'en sentais physiquement la brûlure. Mère assassinée. Père assassiné. Lui, emprisonné. Son torse ébouillanté. Sa peau presque blanche sous son tee-shirt. Il avait parlé par nécessité, tentant vaillamment de dépasser le bégayement qui surgissait à chaque fois qu'il repensait à ce « avant ». Bégayement qui révélait son désir de parler plus vite que la peur du souvenir.

Dans l'après-midi, je le reçois. Recevoir est un terme qui prend ici tout son sens. Je regarde le listing du jour : 27 noms, 27 visages pris en photo par le flic de l'accueil. Sous chaque nom, un numéro. A côté du sien, je lis « Roissy : 11h30 ». Je suis calme. Je sais que monsieur N est un homme posé. Il a cette douceur ronde qui lui vient sans doute de sa mère rwandaise. Il a beau mesurer près de deux mètres et peser au moins 120 kilos, il donne le sentiment de pouvoir tenir un oiseau dans ses mains sans l'effrayer. Pas un crescendo dans son expression, chaque mot équivalent à l'autre : Bach ressuscité.

Nous parlons près d'une demi-heure. Il n'y a plus rien à faire. Toutes les voies juridiques ont été explorées. Tout a été rejeté : les appels, le recours administratif, les courriers, la demande d'asile. Le genre de situation où l'on se dit qu'avec ou sans droit, le résultat reste invariable. Son corps imposant n'entre pas dans le cadre du droit, semble-t-il. Impossible d'écarter les murs.

J'ai la lourde tâche de lui expliquer une fois encore que son recours auprès de la Cour Nationale du Droit d'Asile n'empêchera pas son expulsion. Il ne refuse pas de le comprendre : il en est incapable. Autant lui demander de condamner l'espoir. « Ca n'est pas normal d'être envoyé à la mort avant d'avoir obtenu une réponse. Vous en convenez avec moi madame, ça n'est pas correct ? ». J'en conviens de toute mon âme et cela ne sert rien d'autre que mon confort intellectuel.

Je pousse la porte d'un monde schizophrénique et me mets à lui expliquer les conséquences possibles du délit qu'il va devoir commettre, puisque sa volonté ira jusqu'à mourir plutôt que de se retrouver au Congo. Il me semble que tout intervenant en rétention, dans ces instants pénibles, prend la pleine mesure de ses convictions et de la force qu'elles lui confèrent. Je lui dis : « ils vous emmèneront sur le tarmac », « il faut attendre que les passagers entrent dans l'avion pour vous mettre à crier et à vous débattre ». Je lui dis « cela peut aussi se passer sans heurt, un simple refus verbal et la police vous ramènera au centre ». Il demande s'il sera menotté, frappé, si sa dignité sera respectée. Il demande sans demander : il ne réfléchit plus.

A mesure que je lui parle, son comportement devient étrange, il ferme les yeux et lève ses bras comme s'il s'étirait, fait craquer les os de son cou. Je ne comprends pas tout de suite ce qui lui arrive. Je l'appelle : « monsieur N, vous m'entendez ? Monsieur N ? ». Il ne répond pas. Il ne m'entend apparemment plus. Je suppose qu'il va se mettre à pleurer ou qu'il peut éventuellement se mettre en colère : je suis prête à cela. La veille encore, monsieur C s'était écroulé, surnageant à peine dans un lac de larmes brûlantes.

Soudain, tous ses membres se mettent à trembler. Des spasmes d'une violence pour moi inédite, le traversent sans qu'il ne puisse visiblement les contrôler. Il tombe de sa chaise et s'écroule sur le sol. Il se retrouve à terre et se tord dans des mouvements saccadés, il hurle entre râles et sanglots. J'ai un mouvement de recul, je sais qu'il ne me fera pas de mal, mais je vois bien que la terreur le domine bien plus que son esprit ne peut le faire, et qu'il est complètement dépassé. Ses pieds se prennent dans les fils de l'ordinateur, sa tête cogne le sol, ses bras claquent contre le mur, sa respiration est de plus en plus forte et s'accélère. J'ai même l'impression qu'elle pourrait s'arrêter tellement il semble suffoquer et épuiser tout son souffle, tous ses muscles.

Monsieur N est étendu là, devant moi, dans le bureau de la Cimade du centre de rétention de Palaiseau. Le policier qui l'a accompagné dans le bureau et qui attend derrière la porte, entre et me demande ce qu'il se passe. A voir son visage épouvanté, je comprends l'ampleur de la situation. Il se rue sur mon téléphone interne, appelle la brigade à l'aide. Il appelle le greffe, le chef de centre adjoint. S'il pouvait, il appellerait sa propre mère. Très vite, le bureau est envahi comme jamais. Monsieur N est au sol, toujours secoué de spasmes, des cris insensés s'échappant des profondeurs de son histoire plus que de sa gorge, quatre policiers sont autour de lui. La greffière appelle immédiatement les pompiers.

Je ne sais pas quoi faire de moi-même. Je ne veux pas assister à cela. Je ne veux pas le regarder à terre, tordu comme une chenille, nu comme un ver, nu dans sa dignité. Je ne veux pas non plus le laisser seul avec eux. Ma présence empêchera leur débordement éventuel. Alors je reste là, adossée au mur, coincée entre ma chaise et le brigadier chef. De temps en temps, j'essaye de lui parler, je m'approche de lui, je pose ma main sur son épaule, je lui frotte le dos... « Monsieur N, c'est Eve, vous m'entendez ? ». C'est inutile. J'essaye de penser à ce qui doit me protéger, parce que je suis en train de glisser sur une pente dangereuse, je me demande ce que j'ai dit et qui a pu déclencher sa crise, comme si j'en étais responsable. Mais je dois me retirer, c'est à ceux qui l'enferment d'assumer.

Les pompiers arrivent en quelques minutes à peine. Ils ont l'habitude de venir au centre de rétention. Ils connaissent les lieux. Ils sont trois. Une femme et deux hommes. La femme dit n'avoir jamais vu ça de sa vie, elle réfléchit et passe en revue ses cours de secourisme : « ce n'est pas de l'épilepsie, ce n'est pas de l'asthme... ». Certes non. C'est de la terreur. C'est ce qui se produit quand on inflige à un Homme une chose qu'il ne peut humainement pas porter, même en mobilisant tout ce qui fait de lui un Homme.

Je sors du bureau. Je suis en mouvement permanent. Je marche de long en large dans le couloir qui longe mon bureau. Ma seule fonction est d'être là, mes yeux et mes oreilles en parfait éveil. L'un des pompiers prend le téléphone et décide d'appeler le médecin de garde. Le standard de l'hôpital le met en attente. Soucieux de ne pas délaisser ses collègues qui essayent tant bien que mal de maitriser monsieur N, il branche le haut-parleur du téléphone pour libérer ses mains et pose le combiné sur le bureau. A lieu alors l'instant le plus démesuré, le plus inhumain qu'il m'ait été donné de vivre au centre de rétention depuis mon arrivée : le haut-parleur crache une musique d'attente. Pendant que quatre policiers et trois pompiers sont penchés sur monsieur N qui hurle à la mort, les yeux révulsés, les tempes trempées de sueurs, les membres écartelés par une apparente douleur, résonne dans le bureau et le couloir... la petite musique de nuit de Mozart.

Je suis assise sur la chaise qui se trouve à la sortie du bureau, réservée habituellement au policier qui attend les retenus qui sont en entretien avec moi. Les jambes croisées, la main sur ma bouche, les yeux incapables de fixer quoi que ce soit. Mille choses me traversent l'esprit. La crise de monsieur N dure depuis déjà quinze minutes. Quinze gigantesques minutes. Ma pensée se dilue dans l'atmosphère : retiens bien tout ce qui se passe pour en témoigner dans le détail. Pour en témoigner jusqu'à ce que la sidération se répande et que les foules se lèvent. Je me dis que l'administration m'a volé Mozart pour toujours et que je ne pourrais jamais plus écouter cette foutue musique sans entendre les hurlements déchirants de monsieur N.

A côté de moi, l'un des policiers se tient debout, le teint rouge et bouillonnant de remise en question. Il a le visage qu'ont les gens aux enterrements, ou à l'église pendant la sainte scène. Oui, cela me rappelle la mine recueillie et incompréhensible qu'avaient les adultes que je voyais, petite, se tenir en cercle autour de l'autel pour manger gravement ce morceau de pain qui, au fond, n'était rien d'autre qu'un simple morceau de pain. Il doit sans doute se dire que son métier de flic n'est pas marrant tous les jours mais qu'il faut bien en passer par là. Je me demande quelle est la raison - la raison sérieuse et valable - qui fait qu'il faille en passer par là. Le bon sens est un fantôme ici. Mais que pouvons-nous attendre de lui ? Qu'il ouvre les portes du centre et laisse filer monsieur N ? Allons, allons... aucune décision ne lui appartient, c'est ce qui le protège. Les pompiers sont toujours en train d'essayer de calmer monsieur N. L'un d'eux me demande son prénom. Peut-être, me dit-il, qu'il a besoin de familiarité.

La Gloire. Il s'appelle La Gloire, lui réponds-je. Je crois bien que cela provoque un léger rire chez les policiers. Tout léger. Juste une petite bouffée d'air expectorée sans penser à mal. Convenons qu'aucun auteur n'aurait inventé de nom plus à propos.

Dehors, le gamin tire au but et marque. Ses copains se jettent sur lui et le congratulent. Dehors, une vieille dame promène son chien, qui pisse généreusement sur les grilles du centre de rétention. « Allez viens, Fifi, on rentre à la maison. Fifi ! Au pied ! Viens ici, tu vas nous faire avoir des ennuis ! ».

Dedans, sur un fond de Mozart, la greffière lance calmement : « La Gloire, vous m'entendez, La Gloire ? C'est pas la peine de faire ce cinéma, vous le prendrez de toute façon, votre avion ! Allez, allez, calmez-vous La Gloire, c'est pas comme ça que vous y arriverez ». Il est toujours à terre, roué de coups par l'invisible main de la peur. Elle attrape une bouteille d'eau, mouille sa main et passe le dos de ses doigts sur la joue du comédien. Son geste est presque tendre. Je ne sais plus où je suis : entre son geste et ses paroles, il y a pourtant des mondes, des gouffres et des tranchées, mais elle semble n'en pas faire grand cas. Son geste s'apparente à du cubisme ou de la pataphysique. On dirait une insulte. Je voudrais qu'elle ne le touche pas comme ça.

Au bout d'une demi-heure d'horreur, une accalmie du rythme cardiaque de monsieur N permet aux pompiers de le faire lever et de le porter jusqu'au camion qui l'amènera à l'hôpital d'Orsay. Trente minutes. Un demi-cercle de silence. Il parvient à se tenir debout et marche aussi lentement qu'un homme qui sortirait des décombres de sa maison écroulée après un tremblement de terre. Quatre hommes en bleu le soutiennent par la taille, les coudes, les épaules. Impossible de dire s'il respire ou s'il crie : son souffle puissant ouvrirait les portes du centre si le policier ne le faisait pas en passant devant l'étrange cortège. « Attendez, je vous ouvre. Allez-y, passez... allez-y, c'est bon, je tiens la porte ».

La greffière vient vers moi : « ça va ? ». Je hausse les épaules et lui fais une grimace universelle signifiant : qu'est-ce que je peux vous répondre là, hein ? Vous voulez que je vous réponde quoi ? Je trouve moyennement opportun qu'elle s'adresse à moi, mais ma relation avec les policiers du centre est pour ainsi dire l'un de mes outils de travail : je ne peux la mettre en jeu. Elle a envie de papoter et me dit : « c'est du cinéma de toute façon, vous savez, j'ai l'habitude... ». Je la coupe tout net en allant attraper les clés du sas de sécurité pour sortir à l'air libre. En longeant le couloir, je me dis que cinéma ou pas, la situation est exactement la même. Dans un cas comme dans l'autre, cet homme est à terre sans plus aucune dignité. Je ne veux même pas réfléchir à cela, je ne vois aucune raison d'y penser. J'ouvre les portes une à une et me trouve nez à nez avec le chef de centre adjoint.

Il a déjà quitté son uniforme, il est 18 heures. Petit fonctionnaire. Il est en jean et a l'air un peu agacé, un peu fatigué, mais montre tout de même qu'il est bien désolé par une grimace puante. Inconscience quasi protocolaire. Pour détendre l'atmosphère, il se lance : « alors Eve, qu'est-ce que vous lui avez dit pour qu'il se retrouve dans cet état-là ? Hahahah, je blague, hein... ne vous inquiétez pas ». La greffière nous rejoint. Ils se mettent à commenter l'évènement. Le chef adjoint demande : « qui c'est qui lui a dit qu'il avait un vol ? Pffff... ». La problématique principale reste celle-ci : une escorte de police pour emmener monsieur N à l'hôpital, représente des effectifs en moins pour les déplacements des autres retenus de cette nuit au lendemain matin, or... le lendemain doivent avoir lieu des embarquements, des déplacements au consulats, au tribunal de grande instance. Il faut bien trouver une solution pour que la machine tourne.

Dans le silence de mon âme, je leur suggère de s'en référer au travail de ce cher Eichmann, administrateur des transports de son état, qui leur aurait trouvé un moyen efficace pour optimiser la cadence. Ces flics ont révoqué leur conscience depuis des années déjà et comme dirait je ne sais qui, je me demande bien quel diable ils iront prier pour qu'aucun des retenus ne se venge un jour. La solution est finalement trouvée : pas plus tard que tout de suite, la greffière doit aller téléphoner au commissariat mitoyen pour demander des renforts. Du rabiot de flics. Joie.

Je retourne dans mon bureau, sonnée par la démesure de l'assaut. Clés, portes, sas, caméras, couloir. Je me tiens debout au milieu de ce qui ressemble à un champ de bataille. Les chaises sont retournées, les fils électriques de l'ordinateur sont arrachés. En allant remettre les chaises debout, je glisse sur la sueur de monsieur N. J'attrape ma veste, la jette sur mon épaule et m'extrais de cet entrepôt bien gardé.

Dehors le soleil rayonne d'une navrante indifférence. Je croise un gamin qui rentre de son entrainement de foot. Sa mère est venue le chercher. « C'était bien ? T'as marqué des buts ? ». Je presse le pas vers la boulangerie, malgré l'heure, il restera sûrement du pain.

La nuit, génie de l'enfouissement, tente courageusement de ranger les images du jour dans quelques soubassements de mon cerveau. Un cri dans le placard de mon enfance, celui de la buanderie où ma mère rangeait les vieux morceaux de tissus peut-être. Les regards indéchiffrables des policiers dans un beau paysage, Mombassa 2003 en famille, au milieu des couleurs du marché, ils passeront sans doute inaperçus. La nuit range, le silence prépare ; jusqu'à tant que l'on puisse parler.

Le lendemain, le jour est encore jeune quand je m'enquiers de la santé de monsieur N auprès du greffe. On m'informe qu'il n'a passé qu'une heure à l'hôpital et a été ramené au centre aussitôt. Le médecin de l'hôpital d'Orsay lui a généreusement fourni un doliprane et lui a rédigé un certificat médical sur lequel trônaient ces mots indéfinis : « choc émotionnel ». De l'acide sulfurique.

EPILOGUE

Comme prévu, le surlendemain, monsieur N, retenu numéro 372/09, a été emmené à l'aéroport, a refusé d'embarqué. Il a été ramené au centre de rétention. Quelques jours plus tard, il a à nouveau été amené à l'aéroport, mais cette fois, les policiers ne l'ont pas informé à l'avance de leur projet. A 7 heures du matin, ils sont entrés dans sa chambre : « prépare tes affaires, tu pars à l'aéroport ». A 7h25, il a laissé un message sur le répondeur du portable d'urgence de la Cimade : « Bonjour madame, c'est N La Gloire. Je voulais vous informer du fait qu'à ma grande surprise, et bien que mon dossier soit en cours d'examen à la Cour Nationale du Droit d'Asile, les agents de polices du centre sont en train de m'amener à l'aéroport...C'est la raison pour laquelle je vous appelle à l'aide. Merci de me rappeler». Avec un peu plus de temps, il aurait ajouté, « salutations respectueuses ».

Il a à nouveau refusé d'embarquer. Avec son corps et de tout son être. Chaque refus donne un effet, disait le poète. Les passagers de l'avion, choqués de ses cris et de sa situation ont refusé de s'asseoir sur leurs sièges, ont fait une quête et lui ont remis la somme de 1400 euros en signe de soutien. Ainsi, c'est les poches remplies de billets qu'il a été déféré à Bobigny, où le juge a décidé de ne pas l'envoyer en prison mais lui a donné une peine d'interdiction du territoire français d'une durée d'un an. La loi l'a fait devenir ce qu'il n'est pas : un délinquant, un condamné. Un interdit.

Quelques heures plus tard, il téléphonait pour s'informer des possibles suites à donner à son affaire. « En urgence, madame, vraiment j'ai besoin de vous, là... ». Cependant que l'eau de l'Yvette continuait de gambader inlassablement dans son lit de boue.

Edit: pourquoi ai-je envie de hurler?

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Invité Caminde
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Hello Lucy! :blush:

Ca va?

Merci pour ce que tu postes.

Bon dimanche à toi.

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  • 3 semaines après...
Invité Lucy Van Pelt
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Invité Lucy Van Pelt
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Allô Caminde! :blush:

Vous pouvez me bâillonner, m'enfermer

je crache sur votre argent en chien de fusil

sur vos polices et vos lois d'exception

je vous réponds non

je vous réponds, je recommence

je vous garroche mes volées de copeaux de haine

de désirs homicides

je vous magane, je vous use, je vous rends fous

je vous fais honte

vous ne m'aurez pas vous devrez m'abattre

avec ma tête de tocson, de n¿ud de bois, de souche

ma tête de semailles nouvelles

j'ai endurance, j'ai couenne et peu de barbiche

mon grand sexe claque

je me désinvestis de vous, je vous échappe

les sommeils bougent, ma poitrine résonne

j'ai retrouvé l'avenir

La Batèche Séquences

(Gaston Miron)

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Invité Caminde
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Helo Lucy! :blush:

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  • 3 mois après...
Invité Caminde
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La beauté du monde - Héctor Tizon

Un jeune apiculteur épouse une adolescente espiègle, bien qu'étrangement inquiète parfois.

Très vite la joie délaisse le foyer conjugal. Laura est traversée par d'autres désirs.

Les routes se séparent.

S'ensuivent pour lui vingt ans d'errance pendant lesquels il se livre à la beauté du monde, à la solitude et au silence.

Rien ni personne n'arrive jamais à le retenir...

C'est une véritable anti-odyssée qui nous est ici racontée.

Nul exploit homérique sur cette terre argentine aride, désertée par les dieux.

Cet Ulysse-là est aux prises avec les vicissitudes de l'existence.

Au terme du voyage, un homme sans nom rentre chez lui presque par hasard, dépouillé de toute passion.

Puisqu'il n'a plus rien à perdre, il s'est enfin trouvé.

Avec un style épuré, un ton retenu, une écriture qui bat au rythme de l'infiniment petit, Héctor Tizon est la voix des anonymes de sa terre natale comme celle de tous les hommes humbles pour qui simplement vivre est en soi la plus belle et la plus éprouvante des aventures.

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"La vie peut être simple si on la vit bien"

Actes Sud nous livre une fois de plus un bien joli livre, la couverture a attiré mon attention, la quatrième de couverture ouvert mon appétit, je suis repartie avec l'euphorie de me plonger dans ce bain d'évasion silencieuse.

Parler de ce livre me semble mission impossible, tant le résumé se suffit à lui-même, et mon habitude n'est pas de refaire une quatrième de couverture plus détaillée, quel intérêt pour le lecteur.

Par contre, je peux vous souffler que j'ai succombé au style particulier de cet auteur que je viens de découvrir, le roman se déroule comme une chanson en trois parties, parsemée de sagesse, de poésie et d'errance. Ce jeune apiculteur est un personnage atypique , il a trouvé sa fleur, butiné son nectar, mais la belle s'est envolée pétales au vent avec un gitan, laissant l'apiculteur vide et blessé à jamais : l'auteur nous peint les chemins de la douleur, l'abandon, l'oubli, l'errance, où la nature comme apaisement fusionne avec des pensées simples mais si évocatrices et chargées de réflexion.

On pourrait croire que la nature fait la part belle au livre, justement je fus étonnée de ne pas être immergée dans un bain de verdure. La beauté du monde se confond, se mêle avec la passion, la douleur, la recherche de soi¿ difficile de vous exprimer à vrai dire, tellement c'est orchestré avec brio.

Je vous donne quelques extraits qui peut ¿ être vous aideront plus à saisir cette impression fusionnelle de l'être qui se contente de vivre et ne recherche rien d'autre au final que de poursuivre son chemin : "il pensa que toute existence individuelle est peut-être illusoire, que la mort et la vie de l'individu ne signifient rien, que n'existe que le grand courant qui s'écoule ¿"

" ses yeux errèrent dans l'espace, vers le bout du chemin et l'ombre noire du bois. Et il perçut la musique du cosmos, l'harmonie merveilleuse et terrible de tout."

A lire des phrases de ce genre, on comprend que l'être n'est qu'une particule vivante qui fait son chemin, comme tout corps vivant, une longue marche parsemée d'embûches, de bonheur et de malheur : " son dernier voyage fut un long détour ; la vie d'un homme entre le moment où il naît et sa fin n'est qu'un long détour."

Malgré le chagrin, la douleur, et la déception, l'auteur nous peint toujours ces blessures avec une extrême douceur en juxtaposant encore et toujours les plaies humaines aux éléments de la nature, là il compare la pluie aux larmes, on ne peut combattre la pluie rien ne sert à la maudire, il faut la laisser tomber comme rien ne sert de s'acharner sur le destin tragique, il faut laisser aller sa peine. Evacuer sa douleur pour ressentir ensuite une libération.

pg 131 :"il avait commencé à pleuvoir. Mais la pluie n'était pas triste, les gouttes de pluie qui tombaient sur le toit ressemblaient plutôt aux larmes de celui qui est de retour, comme un sanglot paisible et doux, comme une résignation bienfaisante. "

Au fil du livre pourtant l'auteur nous fait prendre conscience de cette beauté du monde, à qui sait ouvrir les yeux, je note cela suite au poème posté dimanche de White Kenneth " la beauté est partout"

Page 121 : "La beauté du monde par un jour comme aujourd'hui, par exemple, est un miracle : la beauté est toujours un miracle. Tout était silencieux, toutefois ce silence n'était pas une simple absence de bruits, mais quelque chose d'infiniment plus réel qu'eux. Il y a dans la beauté du monde un silence qui est comme inouï et étrange, il nous fait oublier le sort, le malheur et le destin personnel."

Après avoir lu de tels propos, je succombe totalement : la beauté se trouvent aussi dans les mots, tout autant que dans la communion avec la nature savoir se fondre en elle et apprécier l'apaisement qu'elle nous offre, voilà le point qui résume le mieux l'idée majeure du roman. Se contenter de vivre avec ce que la vie nous donne chaque jour, dans le silence de la beauté du monde.

Et puis il y a ces descriptions poétiques qui m'enchantent tel un écho lointain qui me résonne éveillant des souvenirs ou une étrange envie de devenir ce chant silencieux d'une source : Page 43 " Quelque chose en lui, qui ne fut pas dit à ce moment-là, lui rappela d'autres moments perdus de son enfance, non loin de là, mais dans un autre village anonyme et poussiéreux, au bord du fleuve, dont le lit grossissait l'été grâce aux apports silencieux et cachés de ruisseaux et de pentes et qui, tout à coup, resplendissait devant lui, baigné par la lumière moribonde du jour, suspendu pour toujours dans un sortilège de silence et coulant éternellement, étrange et obscur comme le temps."

Des phrases qui supposent le règne d'une vie apaisée dans la satisfaction d'avoir là son bonheur simple et pur par ce simple regard de l'être aimé : page 42 "Il avait presque les larmes aux yeux. Si le jeune vendeur de miel avait dit de belles phrases, elles n'étaient rien comparées à ce qu'elles disaient en se contentant d'exister."

Ouvrez vos yeux sur la beauté : un jour sur terre¿

Modifié par Caminde
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