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AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton

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Marc Galan

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Marc Galan Membre 421 messages
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Plus avant dans la journée, Kleworegs connut le même bonheur. Sa très jeune épouse avait eu ses premières douleurs la veille, quand il était venu la saluer. Son travail se prolongeait de façon inquiétante. Toutes les femmes de son genos avaient prié Maga Mater, tout le jour, que tout se passe bien, et que sa délivrance survienne vite. Ce n'était pas l'affection qui les motivait. Loin de là. Elles n'éprouvaient, à son égard, que la solidarité féminine indispensable. C'était par elle seule qu'elles pesaient quelque peu. é ciel rouge, au plus long des ombres, la tête se présenta. L'enfant sortit, à leur grande joie, sans peine. Il vagit à les assourdir. é peine sorti, il était vif et fort.

Une des matrones le prit par une jambe et le brandit, la tête en bas, à hauteur de son visage mafflu au nez écrasé. C'était son seul héritage d'un mari guère regretté, peu enclin à la douceur et querelleur à se mettre cent duels sur les bras, surtout quand il avait partagé l'hydromel et les souvenirs de combat avec d'autres gaillards de sa trempe. Il s'en était mis un de trop.

¿ Quel beau guerrier il fera ! Son père va être heureux, lui qui désespérait d'avoir un mâle.

En entendant ce cri du c¿ur de veuve au ventre sec, elles se tournèrent vers elle, hostiles. Elles étaient toutes mères, mais n'avaient donné le jour qu'à des filles ou des mal venus qui avaient péri. Ces mots ravivaient leurs plaies encore cuisantes et mal fermées. Faute de s'en prendre à l'accouchée, qui sauvait l'honneur, elles lancèrent leur fiel contre cette cible facile.

¿ Repose-le, tu lui fais venir le sang à la tête.

¿ Ne manie pas ce pauvret ainsi, stérile ! Tu n'entends pas comme il crie... é moins que tu ne veuilles le tuer par jalousie, toi qui n'as jamais enfanté ?

En cas de malheur, elles se rappelleraient cet incident. Les nouveau-nés sont fragiles. Elle l'abandonna. Il serait mieux aux bras de sa mère. Une servante entra.

¿ Le maître arrive. Il veut voir son fils !

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Marc Galan Membre 421 messages
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Depuis la date, à la fois récente, s'il comptait les années, et quasi-antique, s'il en considérait les suites, où Kleworegs avait demandé à Punesnizdos de lui préparer des armes fiables au sein des plus rudes combats, les forgerons avaient bougé. L'ancienne forge était dans l'enceinte du village. L'ensemble des ateliers de tous les artisans du feu se trouvait maintenant sous son vent, un peu en dehors. Ils ¿uvraient tout à côté d'un ruisselet, bien utile en cas d'incendie. Ils pouvaient aussi ouvrer de nuit sans réveiller le wiks. Avant, ils s'escrimaient à la tâche en plein midi et exerçaient leur art dans un vrai brasier, l'ardeur du jour s'additionnant à celle de la forge. Ils avaient gagné au change.

Pewortor, devenu ner, se découvrait de nouvelles et nombreuses obligations. Il était passé voir les prêtres. Il se colletait avec eux pour qu'ils entérinent sans attendre son élévation. S'ils ne pouvaient plus la lui refuser, ils argumentaient pour lui faire admettre qu'elle ne touchait que lui. Son fils, s'il en avait un, en serait exclu. Ils n'avaient aucun exemple à l'appui de cette assertion. Ils ne l'avançaient qu'en désespoir de cause. é force, il y serait peut-être sensible. S'il se lassait d'insister et renonçait à l'hérédité de son nouveau statut !

Tous guettaient la moindre ébauche de parole en ce sens. Ils étaient prêts à en témoigner sous serment. Il tenait bon. Ils cédèrent. La loi commune s'appliquerait à lui. Son fils lui succéderait avec son statut, sa fonction, ses titres, ses droits. Encore cela fut-il adopté, contre de beaux taureaux, grâce au premier prêtre. Il lui fit promettre, pour prix de la fin de leur harcèlement, et de leur accord au sujet de son genos, de cesser de réclamer pour ses anciens égaux.

Il s'insurgea. Si l'on continuait à s'opposer à ses justes demandes, la qualité des armes baisserait l'an prochain. Ce ne fut qu'un ultime soubresaut. On lui avait accordé l'essentiel. Il ne persista pas dans son chantage, plus propre à toucher des guerriers. Il lui faisait horreur. Ils prirent congé. Ne restèrent devant l'autel que le forgeron, le bhlaghmen et un acolyte mineur, témoin de l'échange des fois jurées.

S'observant encore avec méfiance, ils s'exécutèrent. La cérémonie fut longue. Malgré son impatience de rejoindre son épouse en train d'accoucher, il cherchait chacun de ses mots. Il n'y fallait pas la moindre faille où les porteurs de lin se glissent, quand il devait se donner le plus large champ. Il essayait aussi de voir s'il n'y avait pas un double sens ou une équivoque dans les paroles du prêtre. Celui-ci finit par reconnaître son droit et celui de son genos à accéder à la seconde caste contre sa promesse de renoncer à toutes ses revendications concernant l'élévation de ses pareils, hors de son clan. Pewortor avait insisté là-dessus.

Les prestations de serment terminées, le prêtre fut plus aimable. S'il avait à la fin pris son parti, qu'il ne chante pas victoire. La naissance de son fils l'avait incité à une particulière indulgence. Elle lui avait fait saisir son souci et sympathiser avec lui, même s'il n'était pas persuadé de son bon droit¿ Un père pouvait bien accorder une faveur à un autre père. Il lui donna congé sur cette dernière humiliation.

Le marchandage avait pris du temps. Le soleil rougissait quand Pewortor put partir. Il s'empressa de s'esquiver et partit au galop vers le hameau des artisans. Le voyant ainsi courir, le jeune acolyte qui avait assisté à l'échange des serments se mit à rire.

¿ La bonne farce, maintenant, s'il avait une fille !

Il avait trop attendu son héritier. ¿ Tu te crois drôle ! ¿. Il le congédia d'un ton sec. Il regrettait presque d'avoir discuté son statut au fils ¿ il espérait que ce en serait un ¿ de Pewortor.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le forgeron marchait maintenant, anxieux. Le pas rapide et lourd, il semblait se hâter pieds liés. Quand le bhlaghmen l'avait convoqué, sa femme, étendue sur un tapis de paille propre, avait ses premières douleurs. Elle avait un ventre énorme, mais était forte et de large bassin. L'accouchement aurait dû avoir lieu, des vagissements l'accueillir.

Il arriva. Tout était fermé. La naissance tant espérée attendait encore. De quoi s'inquiéter. é la différence de ce qui s'était passé pour les fils du prêtre et du roi, il n'y avait autour d'elle, selon les us de ceux du métal, aucune assemblée de matrones caquetantes et, hormis l'accoucheuse, inutiles. Seule une servante, réputée connaître les herbes, l'aidait.

Il allait ouvrir sa porte. Une vieille domestique, qui lui venait de sa femme et était restée à son service, lui signifia d'arrêter. Sa jeune épouse n'avait pas encore été délivrée. C'était un garçon, mais il s'était présenté par le siège. Elle craignait pour la suite. Quel dommage pour le clan si elle n'était pas menée à bonne fin ! Le bébé était énorme, le plus gros qu'on ait jamais vu naître. Il fallait souhaiter que tout se passe bien. Il serait un forgeron exceptionnel, à travailler le métal à coups de poings comme le héros fondateur du clan.

Il fronça les sourcils. De quoi se mêlait cette servante, un des rares biens amenés par son épouse. Ce pénible accouchement l'angoissait... Et comment, femme et captive, ou descendante de captifs, osait-elle évoquer leurs mythes ? Il se serait, en temps ordinaire, fâché de cette familiarité. Son enthousiasme envers le fils de sa maîtresse l'incita à l'indulgence. L'y poussa aussi la réminiscence de cette grande loi qui veut que les dieux favorisent les souhaits des compatissants et des bénins. Il la remercia... Quand même, où avait-elle appris les légendes sacrées ? ... Malgré une difficulté de dernière minute, tout se présentait bien. Il serait, à leur instar, miséricordieux. Ils aideraient sa femme et feraient sortir l'enfant au plus vite.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il allait faire nuit. L'attente se prolongeait, pénible. Il ne pouvait entrer tant qu'il n'était pas né. Il se rongeait les sangs. Pour se donner une contenance, ou faire passer le temps, il se mordilla les ongles. Il donnait des petits coups de dent secs. L'ongle de son pouce en était tout barbelé. Arrivé à l'extrémité, il prit le bout découpé entre ses incisives, se piquant la langue. Il tira dessus un grand coup, l'arrachant avec un peu de peau et de chair. Son doigt saigna. Pour arrêter la rouge liqueur qui sourdait du bout de son pouce blessé, il se le mit dans la bouche et le suça, avec un petit bruit d'aspiration.

Des cris d'enfant, à vriller les tympans, s'élevèrent soudain. Il avait fermé ses oreilles à tout autre bruit. é ce son discordant, pour lui la plus douce musique, il se précipita. En même temps, l'accoucheuse ouvrait la porte pour l'avertir de venir voir son fils. Il alla s'écraser contre le mur opposé. Il eut un réflexe de protection. Seul son coude porta contre. Sans se soucier un instant de la douleur, ni du châtiment à lui infliger, il lui demanda de lui présenter le bébé. Il était couché sur le ventre de sa mère. Elle le saisit sous les aisselles et le brandit à bout de bras.

La mère avait esquissé un geste de refus. Son bras était aussitôt retombé. épuisée par le travail et assommée par une tisane d'ergot de seigle, elle était tombée dans une torpeur morbide, à peine troublée par les hallucinations que lui procurait la décoction. Nul ne s'en inquiétait plus. Elle avait fait son devoir.

Il le prit et le leva vers le ciel, moitié pour le soupeser, moitié pour le montrer aux siens. Prévenus par la vieille servante, ils arrivaient en foule.

¿ Qu'il est lourd, il fait ses douze livres !

Tout en l'admirant et en partageant sa joie, ils sourirent. Il exagérait. Son estimation dépassait trop le poids d'un nouveau-né. Ils l'examinèrent mieux. Il était énorme. Ils se réjouirent sans réserve. Il se tourna et le leur présenta :

¿ Pour la force invincible qu'il promet, j'appellerai mon fils né en ce jour Peworis, celui du feu.

¿ Comme... comme l'ancêtre du clan ? Tu sais ce que tu fais, au moins ?

Ils étaient une main d'anciens à se récrier, choqués. Il n'était pas d'usage de donner à un enfant le nom du fondateur de sa lignée. Qui porte le nom de son premier risque d'en devenir le dernier. Pewortor, fort de son titre confirmé par cette naissance et de sa nouvelle dignité héréditaire de deuxième caste ¿ à elle seule suffisante pour faire taire les récalcitrants bien qu'il n'en désirât pas user devant ses anciens pairs ¿ gronda. Ses rares opposants se turent. Les autres l'approuvèrent.

¿ Comme l'ancêtre fait de métal, il est né plus lourd que tous les autres. Qu'il porte son nom, puisqu'il est Peworis réincarné !

Patriarche des forgerons, il en était, de par leurs traditions, le grand prêtre. Sa parole avait force de loi parmi eux. Il en fit argument d'autorité. Même les plus opposés à sa décision s'inclinèrent. Il avait le droit de nommer ainsi son fils.

¿ Qu'il ait tout le lait dont il a besoin ! J'ai eu une rude journée. Je vais dormir.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le surlendemain fut encore jour de fêtes et de cérémonies. On célébrait l'accueil des nouveau-nés et l'inhumation des armes des morts au combat, ultime hommage à ceux qui avaient péri pour le clan. é'aurait dû être pour chacun jour de réjouissances. Pour Pewortor, la polémique en ternit l'éclat.

Le moment fort de l'accueil des nouveaux fils d'Aryana était la solennité où les âmes de ces héros venaient se fondre avec les corps des trois premiers seconde caste nés au retour des raids et les féconder de leurs vertus viriles. Nul n'y redisait pour le fils de Kleworegs et celui du jeune guerrier dont l'épouse avait accouché le même jour. Pour celui du forgeron, cela passait moins bien. Son accueil serait expédié comme une tâche ennuyeuse ou répugnante. On s'en débarrasserait vite. ¿ Qui a un cul à biser le fait en courant. ¿ Rien ne résumait mieux l'état d'esprit des sacrificateurs.

Les guerriers rechignaient moins. Le fils de Pewortor était des leurs. Aucun n'en doutait. N'y avait-il pas déjà un signe de son appartenance à leur caste dans cette taille rare chez un bébé ? Ce n'était pas ce qui les persuadait le plus. L'indice manifeste de son statut leur apparaissait dans la parfaite balance entre les trois morts et les trois naissances. Flagrante était la présence, dans cet échange d'âmes, de celle d'un moins vaillant qui trouverait le réceptacle adéquat dans le corps de ce ner par raccroc.

Non, nul ne pouvait douter de ce statut, non plus que de la subtile construction de Bhagos. Aucune famille n'aurait accepté pour parrain de son fils un homme dont la longue et pénible agonie prouvait son inimitié avec Thonros. Le clan du mort n'aurait pas plus admis que l'âme de son fils erre, faute de trouver qui en voulait. Elle ne devait non plus, en aucune façon, tomber et se fondre dans l'esprit d'un troisième caste. Le fils du forgeron n'était pas un vase reluisant, mais la famille du mort, tout irritée qu'elle était, ne subirait pas la honte de savoir un des siens ne plus combattre. Pewortor n'était guère plus satisfait. Si son fils et tous ses descendants seraient considérés comme guerriers, avec un début de lignée dans sa nouvelle caste, l'humiliation n'en était pas moins patente. Ils verraient ! Il serait le meilleur de tous ceux nés cette année-là. Celui dont l'âme avait transmigré en lui avait toujours su se battre. Il valait mieux que nombre de héros célébrés et chantés, lui qu'on abaissait à cause de sa fin. Peworis lui rendrait son renom, s'il l'inspirait et lui faisait partager ses vertus guerrières comme il partageait son esprit.

Pewortor admira l'intuition merveilleuse des prêtres. Ils avaient découvert que l'âme s'envole du corps au moment de la mort comme la semence au paroxysme du plaisir. Pendant qu'une partie de cet esprit rejoignait le séjour de Thonros, une autre allait féconder les jeunes seconde caste de sa force guerrière. Comme le mariage, cette fécondation mystique n'avait lieu qu'entre gens de statut égal. Nul n'allait plus lui contester son rang. Son âme avait reçu celle de l'agonisant selon un plan fixé de toute éternité.

Il était avec ses anciens compagnons. Ils avaient pris sa renonciation à revendiquer pour eux de nouveaux avantages (¿ éa, c'est un coup des prêtres ! ¿) sans trop d'acrimonie. Sa promotion suffisait à les flatter. Certains cependant se plaignaient de son égoïsme. Egnibhertor les tança. Quand avaient-ils protesté contre leur statut ou osé exiger leur ascension ? Ils seraient, sans lui, pauvres et méprisés.

Ils grognèrent. Des reproches justifiés, s'ils font réfléchir, aigrissent trop souvent contre ceux qui ont raison. Il devait soigner les blessures d'amour-propre. Il les rassura. Leur patriarche n'avait pas renoncé à ses objectifs. Il préparait un plan afin de faire accéder un jour chaque forgeron respectueux de son autorité au statut de guerrier. Il avait déjà résolu des cas plus complexes. Cela ne lui causerait pas grand peine.

Il fit un signe de tête pour l'approuver. Il sortit. Il avait envie de retourner voir son fils.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Les tensions se calmèrent. Ils surenchérirent sur leur indifférence à l'égard du statut évoqué. C'était un hochet dont ils se passaient. Qu'était-ce, naître combattant ? Il valait mieux être courageux et savoir se battre. Grand bien fasse à Pewortor s'il s'en trouvait heureux... Bon, si on le leur proposait, ils n'iraient pas jusqu'à refuser, mais enfin... Il faudrait que ce soit dans de meilleures conditions. Il n'avait pas de quoi être fier. Beau père spirituel que recevait son fils pour le guider ! Un homme à la semence guerrière rancie, affaiblie, malsaine. Sa longue agonie et sa mort dans un chariot plutôt qu'au combat le prouvaient.

Récriminations ¿ même si elles s'étaient vite calmées dans l'espoir qu'il y répondrait ¿ des siens ; difficultés élevées par les prêtres ; tentatives d'obstruction des neres les plus en vue ; dédain de ses nouveaux pairs : Tout sarabandait, effréné, entêtant, sous son crâne. Cette polémique autour de son nouveau rang lui pesait. Il se rendit à la cérémonie, qui unirait son genos et celui du parrain de son fils, hargne et fiel au c¿ur.

L'humeur de l'autre n'était pas plus réjouie. Certains, honteux de ce qu'un guerrier aussi noble que leur fils féconde celui d'un genos si humble, y voyaient injustice. Les autres, l'estimant méritée, éprouvaient une honte égale à y compter un pleutre juste bon à se fondre dans un faux seconde caste... Pas un ne se sentait fier. Derrière les politesses, leurs mines longues comme un jour de jeûne parlaient... hurlaient. Il n'était pas moins humilié. L'ambiance était glaciale. Tous supportèrent cependant sans le moindre mot blessant les longues formalités d'échange de sang et de serments de soutien et aide mutuels. Il en eût fallu peu pour qu'il fît un esclandre. Son genos, qu'il était à lui tout seul, s'irritait que les autres neres aient sous-estimé Peworis et décidé qu'il avait hérité de l'âme du mésestimé. S'il avait jugé en forgeron, il n'eût pas été fâché. Celui qui ensemençait l'âme de son fils lui semblait le meilleur. Il se mettait dans la peau de sa nouvelle fonction, plus sensible au panache qu'à l'efficacité. On l'injuriait. De bon armurier qu'il serait né, son fils était devenu mauvais guerrier. En valait-il la peine d'avoir renoncé à ce qui faisait l'essence de sa vie ?

Il regrettait son serment. Il en avait pesé avec soin tous les termes. Il avait même trouvé une échappatoire passée inaperçue des prêtres. Pourtant l'envie de le briser, tout favorable qu'il lui soit, montait en lui par bouffées. Qu'il soit humilié, passe encore. Mais son fils, ner dès qu'il avait ouvert les yeux, devait être traité à l'égal de ses pairs... C'était insupportable qu'on le déprécie ainsi. Devant cet autel, il commença, entre les répons, à réfléchir aux moyens de ne pas plus respecter cette promesse qu'on ne le respectait. C'était encore, alors, plus un jeu qu'autre chose, un projet caressé plus qu'un plan approfondi. La mesquinerie d'un clan ulcéré n'était pas un motif de sacrilège et parjure.

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Marc Galan Membre 421 messages
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é peine la cérémonie terminée, il sortit de la pièce où trônait l'autel du genos qui venait de s'unir au sien. Il but à leur pot d'hydromel et prit le premier prétexte venu pour les quitter. Il marchait, d'un pas pesant de mange-miel. Le poids des idées qu'il remuait lui écrasait les épaules. Il s'assit, pour les ordonner et y réfléchir, sur la première borne venue.

Petites touches par petites touches, la possibilité d'en prendre à son aise avec son serment se dessinait. Eût-on respecté son fils à l'égal des autres bébés de sa caste, en tirant au sort le mort qui viendrait l'inspirer, il n'aurait eu aucune révolte. Trop heureux, il eût même admis que le sort, aidé, désignât celui qu'on lui avait imposé... Imposé, c'était le mot. Comme s'il était moins égal que ceux de son statut ! Il y avait là un premier manquement. Il n'était pas suffisant. Les jumeaux du serment et de la punition du parjure le châtieraient s'il en prenait prétexte pour se renier. Il était la première pièce d'un puzzle dont il craignait et espérait à la fois qu'il serait vite construit. Déjà venaient s'agréger autour d'elle des attitudes, des demi-mots, des tracasseries, tous signes d'une égalité au rabais, concédée plus que reconnue. Il en ferait le compte. Si, en ce jour, le vase débordait, ce serait un signe. Les dieux n'étaient pas hostiles à ses vues. Ils le déliaient de son serment. Il n'y a ni parjure, ni châtiment divin à le rompre si l'autre partie ne le tient pas. Et le bhlaghmen s'était engagé, au nom de tous les neres, à ce que son ancienne caste soit aussi oubliée que la faute de Medhwedmartor, la sentinelle endormie.

C'était décidé. Il ne se plaindrait pas de l'attitude de ceux qui voulaient l'humilier. Ce serait un prix bien doux pour sa liberté retrouvée. S'ils pouvaient briser les barrières qu'ils avaient juré de respecter ! Il ne pourrait pas ¿ ce serait au-dessus de ses forces ¿ cesser de réclamer ce à quoi il aspirait pour les siens depuis des années. Cette prétention était sa vie. Son serment était une mutilation, un renoncement. Il était comme les poissons sortis de l'eau qui se débattent et suffoquent. Aussi stupide qu'eux, il s'était laissé prendre à l'appât fiché au bout de l'hameçon. Il avait renoncé au fleuve de ses ambitions pour tomber sur la terre sèche de la solitude et du mépris. Pourvu qu'ils lui donnent l'occasion de le révoquer ! Il retournerait à son ancienne exigence. Si elle aboutissait, elle le grandirait au-dessus de tous, neres y compris. Ce mépris s'avérerait une bénédiction. Il lui permettrait, sans s'attirer le courroux des dieux qui assèchent la semence des parjures, d'accéder ou d'amener ses fils aux plus hauts sommets. Qu'ils lui manquent encore une seule fois !¿

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Marc Galan Membre 421 messages
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Comment agir avec ses anciens pairs ? Il aurait fort à faire pour les hisser aussi haut qu'il le souhaitait. En avaient-ils la volonté ? Les forgerons d'ici étaient des privilégiés, une exception. Il en avait interrogé nombre d'autres. Dans certains clans, en particulier ceux du levant, sa revendication n'eût pas même été examinée. Au mieux, on l'aurait regardée avec mépris ou commisération, comme celle d'un enfant réclamant la Brillante ou d'un vieillard ivre défiant les héros. On l'aurait repoussée d'un haussement d'épaules ou d'un rire à fendre les pierres. Au pire, un guerrier levé du mauvais pied aurait tenté de lui passer sa lame à travers le corps pour le châtier de son insolence. Peut-être, même, l'aurait-on accusé de sacrilège et pendu. Son âme infecte ne s'évaderait pas par sa bouche et n'irait pas polluer l'au-delà, pas plus que sa part destinée à pénétrer l'âme d'un mortel ne trouverait cible à souiller de ses infamies pour propager le mal de par le monde.

Cause ou conséquence de cette attitude, ils en étaient restés, comme aux premiers temps, au cuivre pur. Seuls les plus hardis osaient un mauvais bronze. Tous étaient bafoués, sans réclamer ni espérer un sort meilleur. Peut-être fallait-il avoir déjà un peu changé pour vouloir changer le destin des siens et des autres.

Ici, ils avaient osé. Ils avaient ouvré des armes belles et puissantes. Cela changeait tout. On les honorait, quoique avec réticence. En choisissant d'entériner le nouveau statut de Pewortor, fruit de son action d'éclat, on avait fêté leur plus haute famille sans rien accorder à leur groupe. On leur avait donné, en le favorisant, l'impression de les tenir en estime. Cet honneur n'était qu'un chemin de traverse. Il avait bénéficié de cette élévation pour un haut fait qui avait révélé son appartenance probable à la caste combattante et en acceptant le passage d'une moindre âme guerrière dans le corps de son fils. L'honneur était à peine pour lui, pas du tout pour eux.

Par cette subtile distinction, les neres avaient sauvé la face. La concomitance entre la fin du guerrier mort de ses blessures et l'arrivée d'un enfant parvenu à ce titre non par naissance, mais par faveur, pour en recevoir l'âme quand nul bien né n'en aurait voulu, le prouvait. L'accession du forgeron et de son fils à la deuxième caste résultait de la volonté des dieux. Il était vain de s'y opposer, même s'il n'était pas interdit de s'en offusquer et de montrer au nouveau ner qu'il devait rester humble et ne pas se croire leur égal. Dans de telles circonstances, cette promotion, partout ailleurs monstruosité, était reléguée à l'état de simple petit scandale comme il y en a deux ou trois par an dans tout village.

Restaient les forgerons. Ils pouvaient eux aussi se satisfaire de l'ascension d'un des leurs. Toutes leurs criailleries et leurs récriminations, fruits de la jalousie, ne les empêchaient pas de la considérer comme une victoire. Après avoir bien polémiqué avec lui, plus encore avec Egnibhertor, ils s'en réjouissaient. Oublieux de leur envieux mépris envers sa promotion au rabais, ils s'accrochaient à l'espoir du même destin. Ils reprenaient à leur compte ses prétentions à une haute origine. L'accueil de Peworis parmi les guerriers prouvait l'exactitude des récits de son père sur leurs ancêtres et sur la noblesse de leur souche.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il leur avait souvent conté, quand ils doutaient, leur histoire et leurs légendes, surtout celle du premier d'entre eux. Il les avait rabâchées cent fois. Il y a des générations vivait un guerrier à la force surhumaine. Son nom était Peworis, et il était le plus lourd des hommes, car dans ses veines coulait le cuivre fondu. Tous en étaient jaloux. Ils cherchaient à le perdre. Après bien des tentatives infructueuses, au cours d'une nuit où leurs artifices d'envieux l'avaient plongé dans un sommeil profond et torpide, cent guerriers vinrent lui couper les tendons et lui briser les os. Ils parvinrent à leurs fins, malgré sa défense héroïque, au prix de leur vie. Resté avec ses ennemis tombés tout autour de lui et laissé, lui aussi, pour mort, il n'aurait pas tardé à les rejoindre au pays de Thonros pour avoir ces félons comme serviteurs. Une étrangère qui passait remarqua qu'il bougeait ou respirait encore. Elle connaissait nombre de remèdes. Elle le soigna. Il se rétablit. Il put enfin, avec son aide, se déplacer. Elle l'emmena et le présenta à sa tribu. Ils lui enseignèrent les secrets du métal. Jusque là, toutes les armes en dehors des leurs étaient de pierre ou de bois durci. Il avait appris tous ces mystères et était un jour revenu dans sa tribu, claudiquant et accompagné de nombreux enfants boiteux comme lui. Chacun se rappellerait ainsi pendant des générations, jusqu'à l'extinction des clans de ses ennemis, leur vilenie. Ils s'étaient dispersés et installés dans les villages, forgeant pour les leurs, rois, prêtres, guerriers et paysans, bijoux, armes et outils.

Tel n'était pas l'avis des neres. Pour eux, et il se retenait pour ne pas bondir chaque fois, ils n'étaient que les fils d'une tribu vaincue aux temps anciens où le peuple ne comptait que des prêtres et des guerriers. En cette époque où l'on hésitait entre réduire ces tribus à la servitude et les intégrer à la caste productrice naissante, ils s'étaient, grâce à leur art, élevés à la troisième fonction. Certains clans leur avaient permis de parvenir à un niveau matériel égal à celui de riches guerriers ou de prêtres recherchés pour leurs offrandes agréables aux dieux, mais ils restaient dans leur moindre caste. Le guerrier le plus pauvre et le plus couard eût rougi à l'idée de s'unir à l'une de leurs filles, même si la loi l'avait permis... Tant pis pour eux ! Elles étaient souvent robustes et belles.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Ils avaient accepté son élévation sans changer d'opinion à leur encontre. Allaient-ils, au moins, modifier leur attitude envers lui ? Il cherchait autre chose. Il n'aurait pas gagné tant que l'élite ne considérerait pas les armuriers comme les siens, et n'abandonnerait pas ses fausses légendes sur leurs origines¿ Si Peworis en était l'artisan ! Peworis, comme le premier héros, et comme lui exposé à la jalousie, aux bas complots, et cependant victorieux, un jour, après avoir frôlé la mort.

Un instant, il fut dégrisé. Il avait été bien léger d'avoir donné ce nom à son fils. Si les dieux lui avaient envoyé là une révélation, il lui avait promis une existence pleine d'embûches et de périls. Il devait, pour prix de cet avenir terrible et fascinant, en faire le guerrier le plus fort, non par esprit de revanche, par besoin. Comment, sinon, échapper aux pièges de ses ennemis, et les vaincre !

Il eut un soudain frisson... les ennemis... Il les trouverait au sein de son peuple, parmi les siens. Il devait rejeter tous ces cauchemars. Il en ferait le plus vaillant guerrier, comme son éponyme, mais seule la nécessité absolue le lui ferait conter sa légende. Les dieux savent ce qu'elle déclencherait.

Lui cacherait-il aussi ses origines ? Non, il saurait qui il était, et la gloire des forgerons ! Les prochains neres. Tôt ou tard, on les y intégrerait. Sans eux, Aryana n'avait que les prières de ses prêtres, les muscles de ses guerriers et la domestication des chevaux, qui donnaient la mobilité et la possibilité de courir sus à des ennemis rôdant à ses frontières toujours mouvantes face à leur pression continue. Les éleveurs avaient beau louer le dieu de la guerre Thonros swekwos, aux bons chevaux, les guerriers chanter leurs péans à Thonros awgos, à la grande force, il n'était un dieu vainqueur que pour être Thonros swedhegos, aux bonnes armes.

... Et, qu'on le veuille ou non, il faudrait en tenir compte.

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Il commençait à avoir faim. Déjà midi passé ? Le soleil s'accordait avec son ventre. Il n'avait que le temps d'emmener son fils à la cérémonie qui ferait de lui un guerrier. Se mettre en retard en pareille occasion ! Les neres en auraient fait des gorges chaudes. Il le prit dans ses bras et courut se présenter devant les autels. Les deux autres étaient déjà là avec leurs nouveau-nés, mais le bhlaghmen se faisait désirer. Son fils devait être accueilli lui aussi au sein du clan. Tant que ce ne serait fait, les seconde caste attendraient.

Il regarda la foule. Elle n'était pas recueillie comme il convient quand s'approche l'aile du sacré. Chaque membre de l'expédition était, à tout instant, sollicité par l'un ou l'autre de ses voisins. Pressé de questions, il n'avait la paix qu'en lui chuchotant de nouveaux détails sur le raid et les dépouilles magnifiques. Ils avaient beau le décrire comme leur plus fructueux, le butin comme leur plus riche, tout paraissait fade auprès des exploits que leur avait attribués Nerswekwos. Aussi éloquents qu'ils étaient pour raconter l'attaque des Muets pillards de caravanes somptueuses et décrire leur ample moisson de trésors, leurs relations tombaient à plat après ses récits épiques. Aussi longtemps que le premier prêtre se fit désirer, il n'y eut à ces conversations et chuchotis aucune accalmie.

Enfin il arriva. Ses acolytes le suivaient à trois pas. Ils entouraient un jeune taureau. Ils en sacrifieraient pour sceller les serments de ce jour. La bruissante rumeur courant par l'assemblée s'apaisa et mourut.

Les forgerons étaient là eux aussi. Pewortor tourna son regard vers eux. C'était nouveau. Quel sens y donner ? Hommage aux armuriers, rappel peu discret de ses origines ? Plutôt ceci, mais autant leur laisser le bénéfice du doute. C'était plus pour se rassurer que bâti sur de solides piliers... et mieux valait choisir la solution la plus flatteuse. Il serait sinon comme un palet sur la glace. Poussé par une force insidieuse, il glisserait sans recours vers le parjure. S'il s'en rendait coupable, nul ne devrait lui contester qu'il avait tenté de résister à l'attraction de cette pente fatale. Les dieux sont indulgents aux scrupuleux.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il regarda le bhlaghmen. Il avait confié son fils à son premier acolyte, en retrait, et psalmodiait ses invocations. Il dédiait la bête de sacrifice aux âmes des morts. Qu'elles viennent conforter de leur courage ceux qui tenteraient un jour de les égaler ou de les surpasser au combat !

Comme pour appuyer ses paroles, le bovin, après le nom de chaque dieu ou homme, meuglait. Il tressaillit. Le meuglement qui avait suivi celui de son fils n'avait pas la même tonalité, sinistre. La victime, appartenant déjà au monde divin, voyait plus loin que les mortels. Elle le saluait en héros quand ils restaient aveugles à sa gloire future.

Les invocations avaient pris fin. Le bhlaghmen avait pris et levait au-dessus de sa tête la masse consacrée. Le sacrifice du taurillon, dont le corps brûlerait en l'honneur des dieux et des morts, était proche. Pewortor jeta un coup d'¿il vers ses anciens frères. Ils arboraient une identique moue. Le prêtre pourrait utiliser le glaive de bronze à la pointe acérée ! L'enfonçant d'un coup sec et précis entre les épaules, il couperait les artères irriguant la tête des victimes. Fallait-il qu'il haïsse le métal pour préférer les abattre avec cet énorme bloc de pierre symbole du marteau de Thonros. Le dieu n'hésiterait pas, plutôt que de l'asséner sur le crâne de ses ennemis, à les frapper de l'airain étincelant. Il sourit derrière son dos. C'était très gratifiant d'assommer le bovin que sa domestication avait rendu minuscule, bien que toujours puissant, avec la masse. Que ferait-il, en main son arme dérisoire, face à l'urus, le gibier noble par excellence, qui se forçait à l'épieu ? Il ferait beau voir qu'il se laissât tuer avec la même passivité.

Le sacrificateur frappa. Sous le coup, qui retentit dans le silence, le taureau s'affaissa sur les genoux, puis roula sur le flanc. Avec sa lame d'obsidienne, prise à des Muets pilleurs de caravanes troquant avec les pays du midi lointain, il l'ouvrit de la gorge au pubis. Il en extirpa le foie et le mit à brûler sur le plus grand autel. C'était la part des dieux célestes. Il en retira ensuite le c¿ur. Il se carboniserait sur l'autel de Thonros. Pour finir, il coupa les testicules. Les jumeaux de la fécondité en feraient leurs délices. L'animal serait ensuite découpé et distribué, en communion, à tout le clan. Même les morts, à qui il avait été immolé, en auraient leur part, enterrée dans leurs tombes avec des pots du plus fin hydromel.

Ce rite terminé, les guerriers contèrent l'affaire du sacrifice chez les Loutres. Ils se gaussaient sans retenue. Dire qu'ils avaient craché dans leur bière ! Ils auraient dû y pisser. Les rires fusèrent, pour redoubler quand un des plus facétieux du clan se mit à réciter, en prenant les poses des diseurs qui vont de tribu en tribu chanter les grandes épopées, la satire qu'ils avaient finie à l'insu des première caste. Cette pause n'allait pas s'éterniser. Le prêtre réclama le silence. Il restait à accomplir les rites d'introduction des nouveau-nés dans la caste et la tribu qui seraient leurs pour l'éternité. Le clan aurait alors trois nouveaux guerriers en qui vivraient ses récents morts au combat. Ce serait le signal de la grande ripaille. Le calme se fit enfin. Les cérémonies allaient commencer.

Faisant se refléter le soleil sur les arêtes de sa lame, il contemplait son poignard. Il caressa, avant de la remettre au fourreau, la coupante feuille lancéolée qui arracherait la vie de son ennemi. Le tranchant en était bien affûté, la pointe aiguë, prêts à tailler et à pénétrer.

Il embrassa son arme. Elle était de pierre. Une bonne chose. Cela convient mieux aux sacrifices.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le prêtre en second, le plus âgé des aides du bhlaghmen, avait mis tout son zèle à accueillir son fils au sein du clan, dans un rituel d'une longueur inusitée en raison du rang de son père ; le bhlaghmen, ensuite, avait dit son grand plaisir et sa vive satisfaction à accueillir les fils de son roi et de l'autre guerrier à la longue lignée ; le prêtre le moins élevé du wiks fit sur le front, le c¿ur et le sexe du fils du forgeron les signes rituels en montrant un notoire dégoût. Il n'avait pas digéré que Peworis soit un guerrier. Que leur clan avait-il fait aux dieux pour qu'ils aient fait désigner, par la bouche d'un envoyé du conseil royal, leur forgeron comme ner ? Hélas, ils l'avaient voulu, et puisqu'ils avaient permis qu'un producteur soit élevé au-dessus de son statut, il ne pouvait refuser de l'oindre. C'était du bout des doigts... Rien ne l'obligeait à le faire de bon c¿ur. Son sentiment était partagé par ses pairs. Il en fit un copieux étalage. (¿ Vous me faites faire un sale boulot. Ne récriminez pas si je le fais salement. ¿)

Pewortor fulminait. Le bhlaghmen avait, sitôt reçu le deuxième guerrier, abandonné l'autel de l'accueil et s'était fait remplacer. Le comportement de ce néophyte peu éveillé et morne exacerba son déplaisir. Il continuait à prendre tous les neres à témoin de son malheur. Avoir écopé d'une corvée si indigne de son rang ! (¿ Oui, je suis encore un gamin, mais ça ne justifie pas une telle disgrâce ¿). Au milieu de tous les guerriers souriant en complicité tacite, il repassait dans sa tête tous les détails de sa conduite et l'attitude de ses nouveaux égaux. Il n'était pas du tout honoré de la réception faite à son fils. Il en fut cependant bien moins contrit qu'ils ne l'espéraient. Ils lui avaient manqué une fois de trop. Leur parjure était patent. Les dieux ne lui tiendraient pas rigueur de ne pas respecter sa part du serment.

Trop heureux d'être délié des chaînes sacrées qu'il s'était forgées, il remercia le prêtre insolent, qui en bégaya. Il faillit éclater de rire. Il n'avait jamais vu un museau aussi ébahi et stupéfait. S'ils en avaient été tentés un instant, les autres neres renoncèrent à mettre ce merci sur le compte d'une servilité innée. Son expression de joie n'avait rien de bas. Il pensait à ce serment, qu'il romprait à la première occasion qui se présenterait (et sinon, il irait la chercher). Son visage reflétait la force de sa volonté. Son voisin le regarda. Ceux des forges ont commerce avec les funestes dieux chthoniens. Il frissonna. Non, il ne devait pas y penser. C'était fête et liesse aujourd'hui. Il fuit vers un groupe de manieurs d'armes commençant déjà à se gorger d'hydromel.

Quelques pas derrière, Pewortor le suivit. Il allait lui aussi, toute honte bue, se goberger. La répugnance des autres neres n'y pouvait plus rien. L'essentiel était fait. Un forgeron pouvait être guerrier, être reconnu de naissance guerrière, vivre et se marier (même si l'on réservait à son fils un laideron ou la fille d'un poltron) dans leur classe. L'exception deviendrait bientôt la règle, en dépit des réticences et des combats d'arrière-garde... Un jour, son fils assurerait la nouvelle fortune des armuriers... Au prix de quels dangers ? Il ne devait y penser. L'hydromel l'attendait. Il noierait cette angoisse.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Après la cérémonie, une grande fête eut lieu. Autour des tombes où on avait enterré les cuirasses des héros, un banquet avait commencé. En festoyant sur cette terre sacrée où reposaient plusieurs générations de guerriers, on y associait le clan tout entier, morts et vivants. Et autant pour impressionner ses voisins que pour permettre à ses ancêtres de se réjouir de sa bravoure et de constater que leur fils était digne de leur sang, le moindre de l'expédition y allait, à pleine voix, de son récit. é la différence de l'après-midi, ils pouvaient les clamer. Ils ne s'en privaient guère. é chaque instant, l'un d'eux, pris d'une soudaine et irrépressible impulsion, levait la corne ou le cruchon d'hydromel ou de cervoise, liqueur ambrée et mousseuse des paysans.

é force de rasades et de lampées, ces liqueurs leur tournaient la tête. é partir d'un nombre variable, mais toujours élevé, de gorgées, ils ne contenaient plus leur envie de faire étalage de leurs exploits et d'en conter tous les détails. C'était à qui aurait accompli les prouesses les plus hautes, massacré le plus d'ennemis. L'un prétendait en avoir tué dix, il s'en trouvait tout de suite un autre, à côté ou autour d'un feu proche, pour surenchérir. é force de les entendre se renvoyer la balle en récits épiques, on aurait pu croire, à la fin de la soirée et du festin, qu'ils avaient à eux seuls débarrassé la Terre de tous ses Muets, devenus, par la magie du verbe, plus nombreux que les étoiles. Si les captifs, en cette occasion, avaient été admis à les servir et avaient pu les comprendre, ils ne se seraient pas reconnus, fils d'un ensemble disparate de clans ou de petites bandes au faible effectif, vivant d'élevage bon an, de rapines plus ou moins fructueuses mal an, dans cette multitude de loups furieux gorge déployée pour tout engloutir. Ils s'en seraient peut-être réjouis. Un peuple n'est pas vaincu quand ses ennemis en gardent un tel souvenir.

De corne en cruche, d'exploits mémorables en prouesses inimitables, la nuit était tombée, profonde. L'heure était venue de se séparer et de prendre congé jusqu'au matin. En dépit des rixes où ils s'étaient affrontés, des défis qu'ils s'étaient lancés, de l'ivresse qui serrait leur tête dans son étau, ils s'unirent dans l'invocation à Dyeus Pater, ciel diurne père, afin qu'il renaisse et revienne chasser les ténèbres qui obscurcissaient la terre :

¿ Dyeou, pater nosom...

Ciel du jour, notre père au nom béni

Reviens-nous demain comme tu étais là hier

Féconde les récoltes

Donne-nous la nourriture du jour à venir

Que ton nom soit sanctifié ! é toi qui favorises tes fidèles et leurs sacrifices.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Même les plus ivres, qui avaient hoqueté entre chaque mot lors de leurs récits, la psalmodièrent sans la moindre erreur ni hésitation. L'eussent-ils été dix fois plus qu'ils n'en eussent pas manqué un mot. Elle avait prouvé son efficacité. Nul n'aurait songé à en changer une parole, non plus qu'à oublier de se la réciter avant de tomber dans le sommeil. Ceux d'Aryana avaient, depuis que le monde était monde, prié avec une piété et une ferveur suffisante. Le jour avait toujours, aussi loin qu'allait la mémoire, répondu à la supplique de ses adorateurs. Il n'avait jamais manqué de déchirer l'obscurité pour réapparaître aux yeux de ses suppliants.

Les prêtres, qui dirigeaient cette prière nocturne, appréciaient leur piété. L'alternance du jour et de la nuit serait assurée. Mais avant que l'on ne connaisse cette invocation et que le peuple ne se soit répandu sur la terre, ce n'avait pas toujours été le cas. Dans les âges très anciens, il était arrivé que Dyeus voilât longtemps sa face, tandis que le froid, frère juré des plus noires ténèbres, venait glacer corps et âmes. Ces temps, grâce à la multitude des fils et servants du dieu jour, étaient révolus, et le resteraient tant qu'ils suivraient la voie droite. Mais malheur à eux s'ils laissaient croître et prospérer en leur sein blasphème et impiété. Des voyageurs, venus de plus loin qu'on ne peut concevoir, leur avaient conté qu'ils avaient ouï dire qu'Akmon, le firmament, était venu défier Dyeus en plein jour et l'avait tenu en échec un moment. Ils avaient rameuté toutes leurs ouailles pour qu'ils le redisent et, à l'entendre, tous avaient frémi. Le cataclysme avait beau avoir frappé des terres où Dyeus n'était point adoré, il préfigurait ce qui pourrait arriver, même en Aryana, si la loi divine était insultée. Alors, Aryana n'existerait plus, ceux du nord se défieraient de ceux du midi, les tribus se combattraient ou se refuseraient leur alliance, chaque clan, persuadé de sa piété et de la forfaiture des autres, s'en éloignerait... Pour combien de générations, pour quelles guerres fratricides ? Il n'y fallait pas penser et prier, très fort, et respecter l'ordre divin.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Cette nuit, la prière s'élevait, bien haut, vers la voûte où chaque lueur était une brèche minuscule forée par le dieu jour. Chacun savait que la force de ses mots, s'ajoutant à l'effort divin, la fendillerait, la rongerait, la dissoudrait. C'était cette aide infime des hommes qui, combinée à la vigueur du dieu clair, brisait ou érodait la pierre noire, semblable à une dalle de tombeau, qui enfermait sa puissance. Il les avait désignés pour l'appuyer dans cette tâche toujours renouvelée. C'était leur honneur et leur fardeau. Qu'ils en soient indignes et laissent la nuit envahir le domaine de leur père Dyeus, ils ne mériteraient plus d'être un seul peuple à son service. Ils devraient alors régner sur toute la terre, chacun de leur côté, pour redevenir ses fils... Ce serait leur nouvelle mission, qui leur permettrait de pouvoir un jour, après la faute, se dire à nouveau enfants du jour.

Kleworegs y pensait, serrant son glaive. Il trouvait dans cette malédiction un espoir. C'était comme la punition du guerrier qui retrouve par son courage le statut qu'il a perdu, et dont la gloire, trempée au feu de l'épreuve, resplendit après la honte. Et si ¿ non, ce n'était pas un blasphème ¿ les héros chantés dans les hymnes ancestraux avaient été eux aussi les fils d'un antique châtiment. Le sort qui attendait Aryana impie ressemblait fort à celui qui continuait à frapper les terres foraines, celui du monde aux temps immémoriaux où le vice et la vilenie le régissaient, où le chaos semait le trouble et mêlait tout en un magma informe. Tel serait Aryana si elle péchait... Et comme ces dieux et ces héros avaient remis l'ordre sur terre et chassé les forces mauvaises, des guerriers se lèveraient pour laver sa honte et devenir, aux yeux de leurs descendants, aussi grands que ceux jusqu'où ils avaient voulu se hausser. Le monde serait, comme dans les temps de la création, semblable au sortir d'une jarre renversée, jusqu'à ce que dieux et héros naissent de son sol et établissent un monde meilleur, dont elle était le fleuron.

Ces temps de confusion avaient été une pépinière d'êtres au-dessus des hommes par le courage et la force. Il s'en savait pourvu à l'envi. Il ne souhaitait pour rien au monde la fin d'Aryana, mais plus que tout, maintenant qu'il avait un fils, devenir un de ces héros que tout roi revendique pour ancêtre. Au contraire de ceux-ci, qui avaient reconstruit sur des décombres, il bâtirait sa gloire en grandissant la gloire de sa nation. Il serait le premier à faire l'objet d'une vraie épopée de son vivant. Quel honneur pour sa lignée quand les siens diraient à ceux qui écouteraient les diseurs sacrés : ¿ Nous connaissons cet homme ! Il est notre roi ! ¿

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Marc Galan Membre 421 messages
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Et il y avait ce mot du patrouilleur sur un ¿ signe annoncé ¿, sa réaction quand il avait vu la pièce majeure du butin. Il était normal qu'au vu de sa beauté, il ait tenu à avertir ses mandants au cas où ils voudraient troquer ce joyau contre un troupeau de beaux coursiers. Mais il avait à ce point pressé son messager... Et pourquoi cet honneur inouï conféré au forgeron, rien que pour s'en être emparé ? S'il lui avait parlé un peu de son raid, il aurait été plus disert. Il avait sa fierté. Il attendrait l'ouverture du grand troc pour l'interroger, à moins que l'homme de Kerdarya ne se décide à parler avant. Sans son usage de partir au combat à peine terminés les tournois, il en aurait su plus long par les prêtres allant de village en village... Pas de regrets ! Son clan vivait de butin, non d'anecdotes et de nouvelles.

Le voisin de Pewortor, qui avait fui ¿ oui, c'est le mot ¿ mal à l'aise devant sa joie étrange pensait lui aussi, en priant, à ces malheurs des temps anciens où luttaient dieux et démons. Si, soudain, le hideux prodige de la nuit surgissant en plein jour, comme il lui était arrivé de le craindre certains jours d'orage, survenait à nouveau ? Les hymnes disent que toute chose se répète. Le chef forgeron ou sa lignée, commandant à la nuit, reviendrait à la tête de cent mille démons. ¿ Quand l'ordre du monde sera brisé... ¿ ... Ce parvenu et son fils brisaient cet ordre, comme l'irruption de la ténèbre en plein midi. L'ancien chaos et la lutte des démons acharnés contre les dieux lui avaient donné naissance. Si le démon qui possédait son corps s'élevait contre les neres, quel monde naîtrait ?

Le prêtre avait fini son oraison. Il donna congé à tous et resta seul dans la nuit. Pourquoi chez tous ceux qui l'avaient entouré pour la prière cette palpable tension ? Il se réjouit de la ferveur angoissée avec laquelle ils avaient imploré le ciel. Toutes les générations avant eux avaient prié ainsi. Le malheur que leurs invocations révoquaient n'était jamais survenu. Il fallait penser à celle qui viendrait, à celle qui la suivrait, à toutes les autres... et avoir envers elles la même sollicitude que les premières leur avaient montrée. C'était ces actes de dévotion qui lui faisaient barrage. Ils constituaient un obstacle et un repoussoir à cette abomination qui en entraînerait bien d'autres.

Il tomba à genoux. Il ferma les yeux. Il eut, sous ses paupières, la vision de ce moment maudit. Il vit arriver le jour où Akmon supplantait, ne serait-ce qu'un instant, Dyeus ; le jour où, comme disent les prophéties, l'astre couleur de nuit, au plus fort de la brillance du soleil, le dévorait et le recrachait. Sa lignée ne le verrait pas, et il viendrait pourtant bientôt. Bientôt... Que veut dire bientôt au regard des dieux, pour qui un jour est plus court que le vol d'une flèche ou plus long que la vie d'un vieillard chargé d'ans, à leur gré ? Qu'importe, la simple perspective entrevue suffisait à geler son c¿ur.

Sa lignée serait-elle plus malheureuse de disparaître, où d'assister à la fin d'Aryana évoquée par la prophétie ? Il demanderait à ses ouailles de prier Dyeus, encore, toujours. Tant qu'un des siens l'implorait, un même jour continuait. Oui, il fallait prier. Cela retarderait à jamais le bientôt.

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Il partit dormir, ou prier, à son tour. Dans le wiks, nul bruit. Au contraire de la nuit de la fête des moissons chez les Loutres, celle-ci était d'un calme de tombeau. Assommés par la riche nourriture et les boissons fortes, tous étaient rentrés dans leurs maisons ou celles de leurs hôtes pour y dormir tout leur saoul.

Le soleil était déjà levé, et haut. Les premiers héros du banquet de la veille se réveillèrent. La fête et les réjouissances étaient une belle chose, mais ils devaient préparer les prochaines. Ils prendraient toutes dispositions pour recevoir leurs voisins. Alléchés par les envoyés de Kleworegs éloquents à vanter le beau butin, la large troupe des captifs et l'immense cheptel de bovins et de coursiers rivalisant avec le vent, ils viendraient tous admirer ces biens exposés à leur convoitise et prêts à être échangés. La plupart n'auraient guère les moyens de troquer, mais s'extasier devant un beau butin était agréable, même si on devait s'en contenter. De retour chez eux, le spectacle des richesses exposées ferait le sujet de toutes les conversations des visiteurs fiers et heureux d'avoir contemplé ces preuves tangibles de l'accroissement de leur puissance. Ils feraient partager la vision des splendeurs inouïes et des plantureux troupeaux dont ils auraient encore les yeux chargés.

En raison de l'affluence supposée (On était allé, sur la foi des récits de Nerswekwos, rameuter très loin des troqueurs éventuels.), Kleworegs avait fixé le début des échanges au premier jour de Thonros suivant la prochaine pleine lune... le temps de construire un camp d'accueil pour ceux qui viendraient. Il les espérait nombreux, puissants et riches. Même s'ils vivaient dans des villages si éloignés qu'ils entendraient peut-être parler de lui pour la première fois, ils devaient venir, et repartir comblés. Il attendait. C'était pour sa gloire

Ils arrivaient. Le peu qu'ils devinaient suffisait à les ébahir et leur faire pousser des cris admiratifs. Il s'en réjouit. Que serait-ce, à l'ostension de tout le butin !

Il s'était bel et bien fourvoyé, ou on l'avait mal informé sur la direction prise par sa cible en quittant les Loutres. Personne parmi les gens si hospitaliers du village où il venait d'arriver ne connaissait le clan du Cheval ailé. Il devrait chercher plus loin au septentrion. Dans un village à trois jours de marche, ils se tenaient, à ce qu'il se disait, au courant de tout. S'ils savaient quelque chose, c'est là qu'il l'apprendrait. En signe de bonne volonté, ils troquèrent ses jambons et sa viande mal fumés, qu'ils récupéreraient ou mangeraient avant qu'ils ne se corrompent, contre des provisions qui se conservent. Elles lui permettraient d'entreprendre un long voyage. Il y fut sensible. Il les remercia, au c¿ur un vague fond d'amertume. Tous ces dons ¿ il avait reçu plus qu'il n'avait offert ¿ prouvaient leur scepticisme : Sa quête serait longue.

Longue ou non, il la mènerait à bonne fin. Il ne s'inquiéta pas. Le jour de sa vengeance arriverait. Sa cause était juste. Les dieux ralentiraient le temps au besoin.

Il repartit en mâchonnant un bout de lard. Sans enthousiasme. Il ne passait pas.

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LE RAID

Le camp et les enclos élevés pour les hôtes avaient été construits en voyant très large, trop même aux yeux des anciens. Habitués à cent jours de pauvreté pour un d'opulence, ils multipliaient les avis de faire plus petit. S'ils n'étaient pleins à déborder, leur clan perdrait la face. On dauberait sur sa gloriole... Voilà ce qui arrive, quand on veut péter plus haut que son cul !

Il avait ignoré ces craintes, même s'il s'en était agacé à l'extrême. Il avait, tant elles se révélaient vaines, tout lieu de s'en réjouir. Oh, on récriminait encore¿ dans le sens opposé. Ces rares déçus, hôtes tardifs logeant à la belle étoile, le taxaient de mesquinerie et d'incapacité à penser grand. Bravo à ses messagers ! Ils avaient parlé comme il fallait du raid et de son butin. Jamais son renom n'avait autant grimpé.

Comme chaque fois qu'un village se distinguait, on s'y pressait pour en admirer les héros et leurs prises. L'immense camp paraissait, en cette avant-veille du jour de présentation solennelle du butin et du troc, d'une ridicule exiguïté. Quelle affluence, et tous n'étaient pas encore là ! Le village et ses alentours étaient eux aussi pleins de cette foule impatiente, jouant des coudes, se bousculant, piétinant les champs, parfois. Dieux jumeaux de la nature merci, ils étaient moissonnés, et pas encore ensemencés. Les paysans se plaignaient néanmoins de l'honneur que faisaient tous ces hôtes abusifs avides d'admirer les résultats du raid déjà légendaire... Il resterait dans les mémoires.

Certains affectaient un air blasé. Mais ils scrutaient, quand ils se croyaient hors de vue, toutes les merveilles exposées. Cette curiosité n'était pas feinte. Leur intérêt croissait à leur vue. Beaucoup posaient des questions d'un air de fausse innocence, dans l'espoir d'en savoir plus sur ces trésors ramenés de chez les Muets. Ils étaient des acheteurs potentiels. Leur désir ne s'éteindrait qu'assouvi. Les trocs s'annonçaient fructueux.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le butin, bien propre à les exciter, avait déjà été réparti. Des prêtres, qui avaient reçu la quantité forfaitaire habituelle, définie l'année où Kleworegs était devenu roi (Ils auraient dû interroger les dieux. Au lieu d'un nombre fixe de bovins et de pièces de tissu, ils en eussent demandé une part comme ces trop rusés forgerons !), au plus jeune guerrier, chacun avait son dû. Ceux qui, comme les jeunes gardes aux bons réflexes ou les guerriers les plus vaillants, étaient sortis du lot, avaient reçu des parts plus belles. C'était la loi, c'était juste, et nul ne le critiquait. Malgré ce partage, il restait encore réuni en un seul lieu, bien gardé. L'on s'était contenté de marquer ce qui revenait à chacun.

Personne ne se plaignait de n'en pas encore jouir. L'échanger, le garder, la décision était sienne. Cette exposition, au moment du troc ou de l'échange éventuel, permettait, par l'accumulation en un seul lieu de biens pris de vive force à l'ennemi, établissant et soutenant le renom de qui s'en était emparé, d'obtenir les meilleures conditions. Au vu de la splendeur de ce qu'apercevaient ou devinaient les visiteurs, et de leurs réactions, ce but serait atteint. Déjà, quelques rois, et non des moindres, à l'influence reconnue loin, se promettaient de parler de cette année comme de celle du raid de Kleworegs. Jamais aussi petite troupe n'avait amassé autant au combat. Ce butin n'aurait pas fait honte à une armée de cinq à six cents hommes. Même un rassemblement d'une main de clans s'en serait contenté. Que ferait un tel chef menant autant de guerriers ? Certains se le demandaient.

Il tendait l'oreille, à droite et à gauche. é entendre toutes ces louanges, toutes ces suppositions, le bien qu'on disait de lui et de ses exploits, il se gonflait d'orgueil. Bientôt, de fil en aiguille, tout le regyom adopterait pour sienne cette dénomination. Quelle gloire pour lui, son genos, son wiks ! La fortune des grandes familles, pépinière des rois des rois, avait toujours débuté ainsi, à la suite d'un raid célébré où d'un acte dont le bruit s'était répandu partout. Au pire, il laisserait à son fils un nom glorieux et un avenir brillant. Il pouvait faire mieux. Espérer pour lui, non pour sa lignée... Il n'est de limite à l'ascension d'un guerrier courageux et de grand renom.

Il s'en réjouissait. Ils n'avaient pourtant encore vu qu'une partie du butin. Ils n'en connaissaient le reste, à commencer par le fameux Joyau, que par ouï-dire. Nerswekwos n'en avait rien vu, ou si peu, et n'en avait rien su décrire, si ce n'est l'indicible splendeur. Tous ses visiteurs, du plus noble au plus humble, restaient frustrés et insatisfaits. Leur admiration et leur joie stupéfaite devant ce qu'il leur avait laissé admirer n'arrivaient pas à le cacher. Il leur manquait, pour que leur bonheur soit entier, deux choses : un récit complet du raid de la bouche même de son chef, et la vision de la gemme dont tous les admirateurs extasiés vantaient la beauté et l'unicité. Il les avait bien fait mijoter. Il était temps, en cette avant-veille du jour de Thonros, ouverture officielle du troc, de leur apprendre le déroulement de sa dernière saison, avec, en bouquet final, la prise du joyau.

Il partit à la recherche de son crieur, le même depuis l'année de son avènement. S'il avait bien vieilli, sa voix était restée aussi claire et sonore. Il lui donna ses instructions. Il s'en fut, proclamant par tout le wiks et le camp que son roi les conviait tous à venir banqueter le lendemain au plus haut du soleil. Après, il conterait, pour leur plaisir, les tribulations et les prouesses qui lui avaient valu, signe d'alliance et d'affection des dieux, ce joyau qu'ils pourraient tous contempler dès l'aube du jour de Thonros. Des acclamations saluèrent ses paroles.

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