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Le trafic de momies : pour le spectacle et pour la science

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sovenka

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Membre, Oiseau de nuit, pays Union européenne, 43ans Posté(e)
sovenka Membre 8 571 messages
43ans‚ Oiseau de nuit, pays Union européenne,
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Étant donné leur abondance et l’attrait paradoxal qu’elles exercent, les momies deviennent au XIXe siècle l’un des souvenirs préférés que les voyageurs rapportent chez eux, avant que les chercheurs ne découvrent la richesse des informations que l’on peut tirer de leur étude.

Or, avant de devenir un objet pour les collectionneurs, les momies ont été pendant de nombreux siècles un médicament indispensable, présent dans toutes les officines européennes dignes de ce nom. Tout a commencé lorsque, dans leurs traités, les médecins grecs Dioscoride et Galien ont recommandé l’usage d’un produit quasi miraculeux, qui servait à soigner une grande variété d’affections.

Des abcès aux éruptions cutanées, en passant par les fractures, les crises d’épilepsie ou les vertiges, la mumia – le nom que les Perses donnaient au produit que l’on connaît aujourd’hui sous celui de « bitume » – guérissait tout. Étant donné la forte demande, les affleurements naturels de mumia ont fini par se tarir au fil des siècles. Aussi, peu désireux de laisser mourir le commerce d’un produit qui leur procurait de tels bénéfices – les prix atteints par la mumia étaient très élevés –, les marchands orientaux se sont lancés avec frénésie à la recherche d’autres sources de matière première.

Et ils l’ont trouvée dans les corps embaumés qui, pendant 3 000 ans, avaient été produits sur les rives du Nil. Quand ils séchaient, les résines, les huiles et les produits aromatiques dont on recouvrait, voire inondait, les cadavres lors de la momification avaient non seulement la même consistance et la même couleur que la mumia d’origine, mais une odeur plus parfumée et plus agréable encore. C’est ainsi que ce que les anciens Égyptiens appelaient sah a fini par recevoir le nom d’un exotique médicament originaire de Perse.

Il n’était pas toujours facile d’obtenir une momie, de sorte que les marchands orientaux les moins scrupuleux ont décidé de fabriquer leurs propres « momies », ce qui a provoqué une baisse de qualité qu’ont perçue les apothicaires occidentaux. Une distinction a alors été faite entre la mumia primaire, la mumia vera (ou secondaire) et la fausse mumia. Le problème est que, comme l’a dénoncé Guy de La Fontaine en 1564 après son voyage à Alexandrie pour se procurer le produit, les mumias n’étaient, dans de nombreux cas, que des cadavres modernes traités pour leur donner l’aspect de momies antiques.

Un moine dominicain espagnol -Luis de Urreta- offre, dans son Histoire des royaumes d’Éthiopie (1610), une description détaillée du procédé de fabrication qui consistait à purger de nombreuses fois un Maure captif, puis à lui couper la tête dans son sommeil. Il était ensuite pendu par les pieds, et on le laissait se vider de son sang en lui donnant des coups de poignard. Lorsque le corps était exsangue, on emplissait ses blessures et ses orifices d’un mélange d’épices. Après quoi on décrochait le corps, on l’enveloppait dans du foin et on l’enterrait pendant 15 jours. Puis il était exhumé et exposé au soleil durant toute une journée. De cette façon, la chair était transformée en un baume meilleur que celui des momies antiques, car – aux dires de l’ecclésiastique – elle était plus propre et avait plus d’effet.

Cependant, tout le monde ne chante pas l’excellence de la mumia comme médicament. Dès 1582, le médecin Ambroise Paré écrit dans son Discours de la momie et de la licorne : « Le fait est tel de cette méchante drogue que non seulement elle ne profite de rien aux malades, comme j’en ai plusieurs fois eu l’expérience par ceux auxquels on en avait fait prendre, aussi leur cause grande douleur à l’estomac, avec puanteur de bouche, grand vomissement, qui est plutôt cause d’émouvoir le sang, et le faire sortir davantage hors des vaisseaux, que de l’arrêter. » À ce courant opposé au supposé médicament se sont ajoutées les premières lueurs de curiosité pour les momies en tant qu’objets.

Il est plus difficile de savoir à quel moment a commencé la manie de rapporter en Europe des momies en souvenir. Sans doute un Grec ou un Romain de passage en Égypte est-il revenu chez lui avec une momie de faucon ou de quelque animal embaumé. Or, jusqu’au XIXe siècle, il semble que ce type d’intérêt pour les momies ait beaucoup diminué en raison de la malchance qu’elles paraissaient provoquer. Dans leur désir de contrôler le commerce, les autorités ottomanes ont imposé des lois qui empêchaient l’exportation des précieuses mumias, mais il y avait toujours un petit malin prêt à tenter sa chance.

Au XVIe siècle, Jean Bodin raconte l’histoire d’Octavio Fagnola, chrétien converti à l’islam, qui a pillé un grand nombre de tombes semble-t-il à Gizeh, jusqu’à ce qu’il trouve un cadavre sans viscères, enveloppé dans une peau de bœuf et avec un scarabée de cœur – une amulette qui avait pour fonction de protéger le cœur du défunt. Sans trop de problèmes, il embarque la momie sur un navire à destination de l’Italie. Mais à mi-chemin des vents violents obligent le capitaine a affaler les voiles et à se débarrasser d’une partie des marchandises. Effrayé par le risque imminent d’un naufrage, Fagnola profite de l’obscurité de la nuit pour se débarrasser du corps du délit – expression des plus justes dans ce cas. Car, comme le commente l’Italien, tout le monde sait que « les cadavres des Égyptiens provoquent toujours des tempêtes ». Peut-être s’agit-il d’une idée entretenue par les Égyptiens eux-mêmes dans l’intention que la peur limite la contrebande de momies. 

Une superstition qui remonte peut-être à la fin du XVIe siècle, quand les Ottomans convoitaient le contrôle de la Méditerranée: la tension augmente jusqu’en 1571, lorsque la Sainte Ligue l’affronte lors de la bataille de Lépante. La victoire chrétienne est complète, et bientôt, parmi les ports de Méditerranée, court la rumeur que les Turcs avaient embarqué une momie sur l’un de leurs navires afin d’attirer la bonne fortune. Comme ils ont perdu le combat, les chrétiens s’imaginèrent dès lors qu’embarquer une momie était un signe certain de désastre maritime, et partout ont commencé à naître des histoires corroborant cette légende.

 

Une veuve égyptienne pleure son mari momifié dans cette œuvre de 1872 de Lawrence Alma-Tadema. Malgré ...

Une veuve égyptienne pleure son mari momifié dans cette œuvre de 1872 de Lawrence Alma-Tadema.

Malgré sa connaissance des origines du "brun momie", on ne sait pas si l'artiste a utilisé le pigment dans cette peinture.

La première « analyse » d’une momie a lieu en 1698, lorsque Benoît de Maillet, consul de France au Caire, en débarrasse une de ses bandelettes et prend note de quelques-uns des objets apparus. Mais la première étude sérieuse d’une momie est réalisée par un apothicaire allemand du nom de Christian Hertzog, qui en démaillote une en 1718 et prend des notes de tout le processus, qu’il publiera plus tard. Son exemple sera suivi à Londres en 1792 par son compatriote Johann Friedrich Blumenbach. Mais ce n’est qu’au XIXe siècle que l’intérêt pour les momies se met à croître à tous les niveaux de la société. En 1825, le docteur Augustus Bozzi Granville publie le résultat de son étude d’une momie.

En 1828, l’historien William Osburn en analyse une autre avec l’aide d’une équipe de chimistes et d’anatomistes. Tous deux suivent la voie ouverte par Giovanni Battista Belzoni : en complément de son exposition des bas-reliefs de la tombe de Séthi Ier, qu’il a découverte en 1817, Belzoni a démailloté en 1821 une momie devant un groupe de médecins, opération pour laquelle il a reçu l’aide de son ami chirurgien, Thomas Pettigrew. C’est ce dernier qui, peu après, en fera un spectacle public.

La fascination morbide des Européens pour les momies égyptiennes a incité de nombreux visiteurs à en ...

La fascination morbide des Européens pour les momies égyptiennes a incité de nombreux visiteurs à en rapporter une en souvenir. L’aristocrate Ferdinand de Géramb écrivait en 1833 : « Je suis persuadé qu’au retour de l’Égypte, on ne saurait décemment se présenter en Europe sans avoir dans une main un crocodile, dans l’autre une momie. »  Vendeur de momies. Photographie prise vers 1877.

Pettigrew – à qui l’on a fini par donner le surnom de « Mummy » Pettigrew – a assisté à l’ouverture de trois momies avec Belzoni, mais sa première tentative en solo a lieu en privé avec une momie qu’il a obtenue dans une vente aux enchères. Étant ainsi devenu expert – ce à quoi ont sans doute contribué ses connaissances en anatomie –, il décide d’organiser une série de conférences sur le sujet. Le plat de résistance de ces interventions est servi au dessert sous la forme du démaillotement d’une momie dont, comme on voit, il n’était pas difficile d’obtenir des exemplaires. En 1833, il donne au total une douzaine de conférences aux Londoniens qui, depuis les fauteuils d’orchestre, mi-dégoûtés mi-charmés, voient apparaître le visage sec d’un Égyptien millénaire.

Par chance, comme il est avant tout un scientifique, Pettigrew prend des notes détaillées sur les momies démaillotées, et grâce à son remarquable fonds documentaire il publie un an après ses conférences le premier traité scientifique sur le sujet, Histoire des momies égyptiennes avec un rapport sur le culte et l’embaumement d’animaux sacrés, contenant aussi des annotations sur les cérémonies funéraires de diverses nations et des observations sur les momies des îles Canaries, des anciens Péruviens, etc. Pettigrew voulait créer une science des momies, et son exemple a fait des émules : la même année, John Davison démaillote deux momies à la Royal Institution, puis publie un rapport détaillé, ce qui devient indispensable.

La flamme a pris et, après le succès de Pettigrew, démailloter une momie devient le spectacle favori de nombreuses fêtes dans la haute société de Londres. On imprime même des cartes d’invitation pour l’événement...

Au XXe siècle l’étude des momies arrive à un tournant. La voie est enfin ouverte pour que celles-ci soient considérées comme d’importantes sources d’informations historiques. Avec lenteur, cependant, puisqu’en 1900 un bras momifié trouvé dans la tombe du pharaon Djer est jeté à la poubelle après avoir été photographié.

SOURCE: https://www.nationalgeographic.fr/histoire/archeologie-antiquite-ehyptienne-trafic-de-momies-pour-spectacle-et-pour-science

 

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