Le carnet de ma mère.
Voilà, elle est morte.
Hier, ma maman, notre guerrière, a rendu les armes aux soins intensifs du CHU Cœur poumon de Lille...à deux pas des bâtiments de l'association Vivre son deuil qu'elle avait contribué à créer.
A son départ, autour d'elle, il y avait moi, mon frère et ma fille, et deux aumônières de l'hôpital dont une qui l'avait connu en tant que bénévole à " choisir l'espoir " une autre association Lilloise.
Depuis une semaine nous étions chez ma mère, suspendus comme elle à son respirateur, accrochés au téléphone, comme elle à ses machines qui bipaient de tout côtés. Nous sommes passés par toutes les phases, avons cru en la vie puis perdu espoir : cru qu'elle ouvrirait les yeux à nouveau, sans séquelles, avoir peur qu'elle ouvre les yeux à nouveau...avec des séquelles, perdu espoir de retrouver notre mère comme avant, pour finir par avoir l'espoir, l'infime espoir de lui permettre de s'en aller sur la pointe des pieds, apaisée, accompagnée par les prières de Chloé, sa petite fille tant aimée.
Hier, en rentrant de l'hôpital, en larmes, j'ai rangé les affaires de ma mère. Sa trousse de toilette, ses pantoufles, sa dernière chemise de nuit. Un ou deux livres qu'elle avait emporté pour son séjour à l'hôpital qui devait être bref, quelques biscuits et une plaque de chocolat entamée.
Et puis son carnet.
Son FAMEUX carnet de téléphone, à l'ancienne, un répertoire.
Parce que ma mère, qui était pourtant pleine de modernité, a toujours eu une sainte horreur des téléphones portables. Elle n'en aurait pas eu si on ne l'y avait pas presque obligé à la mort de notre père pour sa sécurité et puis parce qu'elle était très aimé ma mère et qu'elle avait pleins, pleins d'amis qui voulaient lui téléphoner et aujourd'hui nous avons tous des téléphones portables.
Elle, elle savait se servir de deux fonctionnalités : appeler/décrocher et regarder les photos qu'on lui envoyait : c'est tout. Elle n'a jamais réussi à envoyer un SMS...jamais compris l'intérêt. Et pourtant ma mère c'était pas la moitié d'une C.... moi je vous le dit.
Après avoir beaucoup, beaucoup pleuré hier soir, avoir avoir parlé d'elle encore et encore, ce matin à l'aube, je prends conscience que je suis orpheline.
Et je tourne les pages du carnet de ma mère.
Car je sais que je vais passer ma journée à chercher à contacter celles et ceux qui voudraient être présents aux obsèques que nous allons devoir organiser. J'en ai déjà le tourni. Tant de choses à faire, tant à penser. Alors que je voudrais rester encore...auprès de ma mère.
En arrivant à la lettre F du répertoire de ma mère, je m'aperçois qu'elle y avait noté le numéro personnel de Christophe Fauré l'auteur bien connu du grand public pour son travail sur le deuil. Qu'elle connaissait bien, avec qui elle avait animé des séminaires. Parce que c'était vraiment quelqu'un ma mère : ça je peux vous l'assurer.
J'ai son adresse mail aussi dans le carnet de ma mère, elle qui n'a jamais su en envoyer un de sa vie. Je pense que je vais le prévenir qu'elle nous a quitté et qu'il y sera sensible.
Et puis, ensuite, quand tout sera terminé, les appels aux amis, les obsèques, il faudra " faire mon deuil " comme on dit aujourd'hui. Je ferai comme je peux j'ai envie d'imaginer. Je vais devoir apprivoiser son absence et l'aimer autrement. Mieux peut-être mais quelle tristesse pour moi d'avoir quand même l'impression d'être parfois passée à côté d'elle sans la comprendre vraiment. Nous étions tellement différentes et pourtant je lui doit tellement.
Elle râlait pourtant très souvent sur moi ma mère. Elle détestait me voir sur ma " petite machine" traduisez par là que c'est comme cela qu'elle nommait mon smartphone et qu'elle considérait Facebook comme une chose futile et sans intérêt.
A travers mes larmes qui décidément ne cessent de couler depuis hier, je souris, en regardant le carnet de ma mère, pleins de gribouillis, avec des noms à peine reconnaissables, écrits de l'écriture si particulière de ma mère...avec mon frère nous n'avons jamais réussi à la lire sans peine.
Je me dis : " c'est bien toi maman de nous jouer ce dernier tour de retrouver version papier, tous tes amis, parce que comme disait de toi une bénévole de l'association que tu avais créé : " j'aime ta générosité, c'est ton excroissance cardiaque, ton élégance du coeur, qui dit ta manière d'aimer la vie." Et des amis tu en avais des tonnes. Si tu étais là tu me dirais sûrement : Allez lève toi et mets toi au travail au lieu de rester sur ton téléphone. "
Et puis je pleure encore en revivant nos derniers instants d'hier. La prière " un grand amour m'attend " posée sur ton lit par une main inconnue, une personne venue te voir dans l'après-midi pour te rendre une dernière visite, un dernier hommage.
Voilà, ma mère est morte hier. Et c'est tellement triste. Thérése Lepam