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satinvelours

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Tout ce qui a été posté par satinvelours

  1. Il est mort fusillé le 19 août 36 par les milices franquistes. Ses œuvres furent, bien entendu, interdites par Franco jusqu’en 1953 où est paru un recueil : « « Obras completas » mais totalement édulcoré. Il a fallu attendre la mort de Franco en 75 pour que sa vie et sa mort puissent être évoquées librement. C’est complètement dingue !
  2. @Blaquière Un autre poème de García Lorca, surnommé « el ruiseñor ansaluz ». Sorpresa Muerto se quedó en la calle con un puñal en el pecho. No lo conocía nadie. ¡Cómo temblaba el farol! Madre. ¡Cómo temblaba el farolito de la calle! Era madrugada. Nadie pudo asomarse a sus ojos abiertos al duro aire. Que muerto se quedó en la calle que con un puñal en el pecho y que no lo conocía nadie.
  3. Honte Tant que la lame n’aura Pas coupé cette cervelle, Ce paquet blanc, vert et gras, A vapeur jamais nouvelle, (Ah ! Lui, devrait couper son Nez, sa lèvre, ses oreilles, Son ventre ! et faire abandon De ses jambes ! ô merveille !) Mais non ; vrai, je crois que tant Que pour sa tête la lame, Que les cailloux pour son flanc, Que pour ses boyaux la flamme, N’auront pas agi, l’enfant Gêneur, la si sotte bête, Ne doit cesser un instant De ruser et d’être traître, Comme un chat des Monts-Rocheux, D’empuantir toutes sphères ! Qu'à sa mort pourtant, ô mon Dieu ! S’élève quelque prière ! Recueil : Derniers vers Ce poème montre à quel point Rimbaud fut malheureux. Il y a dans ce poème une haine de soi désespérée.
  4. C'est ce que propose le stade esthétique, ce travail de la sensation pour en faire quelque chose, nous arracher à la tentation de la passivité. Il va donc falloir la rechercher systématiquement, la provoquer puis la mettre en forme, en un mot l'organiser. Le séducteur ne fait que cela. On comprend au travers de tout cela que l'esthète, et celui qui vit dans cette configuration esthétique, recherche au travers de la sensation, l'absolu. Recherche de l'absolu au travers de ce qui est particulier, contingent (rémanence hégélienne). L'esthète est voué à une recherche systématique et effrénée de toutes les sensations et en particulier le plaisir. Si l'esthète dévoue sa vie à la sensation, à la recherche du plaisir c'est parce qu'il est totalement désespéré. Ce stade esthétique va se construire autour de la sensation. Si nous ne dépassons pas le stade esthétique nous sommes nécessairement voués à la mort. Les grandes figures dont va se servir Kierkegaard dans « l'alternative » pour analyser en profondeur et d'une façon très précise toutes ces postures que l'on trouve chez l'esthète dans ce stade esthétique, que ce soit Don Juan ou Faust, conduiront à la mort. L'esthète est donc celui qui ne veut même plus s'accrocher à la nature. Là où le romantique faisait de la nature une déesse mère rédemptrice, consolatrice, l'esthète, lui, récuse totalement la nature. Il ne peut donc saisir l'absolu que dans l'incandescence même de son désir. C'est dans l'incandescence de ce désir qu’il va falloir pousser jusqu'à l'extrême, qu'il va pouvoir goûter le plaisir. Mais justement qu'est-ce que le plaisir pour Kierkegaard sinon l'oubli de soi. Dans le plaisir il y a une forme d'oubli, il y a une coïncidence avec soi, mais cette coïncidence se fait sur le mode d'une échappée à soi. Il y a tout l'individu symbolique que je suis qui met en mots, qui met en langage, qui se tient toujours décalé pour pouvoir juger de ce qui lui arrive. Tout ceci s'anéantit dans le plaisir, et donc dans le plaisir on peut dire qu'il y a l'oubli de soi. Ce sont des moments extatiques du plaisir que l'on trouve non seulement dans l'amour, mais aussi dans la jouissance esthétique au sens traditionnel du terme, c'est-à-dire dans la saisie du beau. La communion de la beauté au travers des œuvres d'art, et particulièrement de la musique, puisque pour Kierkegaard la musique à travers Don Juan c'est par définition et par excellence l'art susceptible de combler l'attente esthétique, nous permet d'échapper à nous-mêmes, en nous nous reposons quelques instants du désespoir qui nous ronge. Tels sont les moyens que l'esthète se donne pour briser un moment le sentiment de sa propre finitude. Dans le plaisir nous coïncidons enfin avec nous-mêmes. Dans la rhétorique libertine du XVIIIe siècle le plaisir amoureux était désigné par cette métaphore de petite mort. Le plaisir amoureux est le paradigme, mais on peut décliner les autres plaisirs. Dans tous les plaisirs intenses il y a des moments d'absence, d'oubli de soi. Nous ne nous posons plus comme sujet, nous collons complètement avec l'objet dans une adéquation parfaite pendant un moment. On retrouve le sens extase, il y a une sortie de soi, un oubli de soi qui fait du plaisir l'expérience la plus dangereuse qui soit puisque c'est à la fois un avant-goût de la mort, un avant-goût d'état limite où je ne m'appartiens plus.
  5. La guitarra Empieza el llantode la guitarra. Se rompen las copas de la madrugada. Empieza el llanto de la guitarra. Es inútil callarla. Es imposible callarla. Llora monótona como llora el agua, como llora el viento sobre la nevada. Es imposible callarla. Llora por cosas lejanas. Arena del Sur caliente que pide camelias blancas. Llora flecha sin blanco, la tarde sin mañana, y el primer pájaro muerto sobre la rama. ¡Oh, guitarra! Corazón malherido por cinco espadas. Federico Garcia Lorca
  6. Mais la sensation est la première chose à laquelle on s'accroche parce que c'est la première chose qui nous est donnée. C'est la pauvre défense que, dans notre jeunesse, nous trouvons pour nous sauver du suicide et pour nous protéger un petit peu contre le désespoir absolu.
  7. Je viens de terminer ce quiz. Mon score 87/100 Mon temps 63 secondes  
  8. La réponse de Kierkegaard est qu'il nous faut partir de ce qui est le plus particulier, le plus individuel, le plus subjectif c'est-à-dire la sensation. La sensation est tellement particulière et subjective que littéralement il y a quelque chose d'effrayant car elle nous menace de solipsisme. Comment sortir de la sensation puisque nous sommes seuls avec nous ? D'un certain point de vue c'est un avant-goût de la mort. Nous mourons seuls et la mort est l'aventure la plus solitaire qui soit, personne ne peut mourir à notre place dit Heidegger. La sensation à l'intérieur même de la vie nous offre une expérience radicalement solitaire et de fermeture et de clôture. Quand nous ressentons quelque chose nous le ressentons nous, personne ne peut le ressentir à notre place. Quand je veux communiquer une sensation que j'ai à l'autre, je suis obligé d'en passer par le langage, par la communication, mais le langage n'est pas la sensation, le langage traduit cette expérience unique qui est la sensation dans autre chose, donc, traduisant, forcément il trahit. Et s'il est une chose que nous sommes ontologiquement incapables de transmettre, de communiquer à l'autre c'est bien tout ce qui est attaché à la sphère de la sensation. La sensation nous replie un peu plus sur nous-mêmes, et nous fait découvrir comme la monade de Leibniz un petit atome libre, séparé des autres, qui avec le langage et tous les langages symboliques que l'on construit, essaye de créer des passerelles et des liens mais nous sommes toujours cette monade. Nulle surprise à ce que le premier stade au travers duquel notre existence va nous apparaître mais aussi se constituer, se donner d'une façon passive, mais se constituer avec ici la participation, l'action, la liberté, la recherche d'une forme du côté du sujet qui vit ou qui existe, ce premier stade sera un stade qui va se construire autour de la sensation et sera baptisé stade esthétique. Évidemment il ne s'agit pas ici simplement de se laisser aller à ressentir quelque chose, c'est le piège. Kierkegaard est bien conscient que la sensation nous fait courir le risque de demeurer des êtres passifs, puisque lorsque nous ressentons, nous accueillons une sensation. Elle se fait par des mécanismes physico-chimiques à l'intérieur de notre corps, mais nous l'accueillons. Si nous en restons là nous sommes dans la passivité. C'est justement parce que la sensation fait courir à tout être vivant quel qu'il soit pour peu qu'il soit sensitif, doté ou doué de sensations, ce risque de passivité, qu'il faut la mettre en forme, la travailler.
  9. Le premier à l'avoir précisément démontré c'est Socrate qui montre que bien sûr la philosophie essaye de comprendre ce que sont les choses en elles-mêmes indépendamment de ce que nous nous appellerions telle ou telle subjectivité, parce que la subjectivité est limitée et elle est marquée par des particularités qui l'emprisonnent. A la fois méfiance de la subjectivité, mais aux yeux de Kierkegaard le grand mérite, presque le génie socratique c'est d'avoir tenté de fermer une boucle, c'est-à-dire de s'être méfié de la subjectivité, d'avoir montré que l'on ne pouvait pas en rester aux limites propres, de notre propre subjectivité, qu'il fallait chercher ailleurs autre chose, qui deviendra chez Platon l'idée, cette notion d'intelligible, idée platonicienne. Mais c'est plus sensible chez Socrate que c'est Platon. Platon nous conduit à la métaphysique idéaliste. Socrate essaye de nous arracher à ce point de vue qui est trop étriqué, puisqu'il y a nos humeurs, nos tempéraments qui brident les choses, mais en même temps il y a idée que cela ne sert pas à grand chose de dépasser les limites de cette subjectivité propre, très limitée au départ, si ce que l'on découvre à l'extérieur de nous, au-delà de nous, notamment dans le dialogue, dans l'échange d'autres points de vue avec autrui qui nous ouvre d'autres possibilités d'autres perspectives, ne nous permet pas de revenir à nous pour travailler de l'intérieur ce qui était au départ nos croyances, nos certitudes, nos jugements. Si l'on employait le terme d'existentialiste on pourrait dire que Socrate pourrait d’une certaine façon être considéré comme le premier philosophe existentiel, c'est-à-dire qu'il nous donne une leçon d'existence et montre qu'il faut partir de la subjectivité, qu'on ne peut pas la mettre entre parenthèses, qu'elle n'est pas synonyme de fausseté, qu'elle n'est pas évidemment synonyme de vérité, mais qu'en tout cas l'homme ne peut pas tenir dans une vérité qui serait une vérité dans laquelle sa propre existence n'aurait plus de place. Mais la conséquence de cela c'est que cette vérité doit nécessairement s'incarner, c'est-à-dire elle doit en retour retravailler mon existence, idées chez Socrate de la justice, sa représentation du bien qui l'amènent jusqu'à la mort. Apologie de Socrate : parce qu'il est absolument convaincu de penser d'une façon juste, ceci l'amène précisément, non pas d'une façon sacrificielle offrir sa vie, mais à pouvoir travailler de l'intérieur y compris son sentiment de peur vis-à-vis de la mort de façon à être cohérent avec ses idées. Il s'agit d'apprendre à vivre. Et l'on ne peut apprendre qu'en travaillant cette subjectivité, en repoussant ses limites. Kierkegaard est le fils spirituel de cette tradition. On écarte Hegel, on parle de la subjectivité, mais il va falloir l'explorer et se livrer à un travail pour montrer que cette forme qu'elle doit avoir, elle doit se la donner. L'idée de stade de l'existence correspond à cela. A la fois l'existence est un cheminement, mais si ce chemin est continu, néanmoins il est marqué par des moments et pour conserver son dynamisme et suivre son cours dans le temps il doit nécessairement nous proposer des formes d'existence. C'est à construire ces configurations et ces formes d'existence que nous allons utiliser notre énergie vitale d'une certaine façon, et lorsque nous aurons épuisé de l'intérieur ce que telle ou telle forme, c'est-à-dire tel ou tel stade de l'existence sera susceptible de nous apporter, c'est de l'intérieur que nous aurons ce dynamisme, cette puissance, cette force, cette énergie pour dépasser ce stade et passer à un stade supérieur. Si l'on admet que l'intériorité de l'existant est sa vérité première dont il faut partir, on peut comprendre la nécessité de ce stade esthétique. En effet on peut poser la question : qu'y a-t-il de plus particulier et de plus individuel, en un mot qu'y a-t-il de plus subjectif que la sensation aisthêsis ?
  10. Les textes de Desnos sont souvent assez longs, et il me répugne à les abréger. Néanmoins (dont celui qui suit) pour quelques uns je me suis résignée à le faire. Loin de moi et semblable aux étoiles, à la mer et à tous les accessoires de la mythologie poétique, Loin de moi et cependant présente à ton insu, Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t’imagine sans cesse, Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir. Si tu savais. Loin de moi et peut-être davantage encore de m’ignorer et m’ignorer encore. Loin de moi parce que tu ne m’aimes pas sans doute ou ce qui revient au même, que j’en doute. Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés. Loin de moi parce que tu es cruelle. Si tu savais. … Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille nocturne du poète. Il met vivement le bouchon et dès lors il guette l’étoile enclose dans le verre, il guette les constellations qui naissent sur les parois, loin de moi, tu es loin de moi. Si tu savais. ... Loin de moi, Si tu savais. Si tu savais comme je t’aime et, bien que tu ne m’aimes pas, comme je suis joyeux, comme je suis robuste et fier de sortir avec ton image en tête, de sortir de l’univers. Comme je suis joyeux à en mourir. Si tu savais comme le monde m’est soumis. Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière. O toi, loin-de-moi à qui je suis soumis. Si tu savais. Toujours des monologues haletants, obsédés, à la fois familiers et oratoires, et comme dictés les yeux fermés un soir d’exceptionnelle exaltation par un homme aux prises avec les lieux communs redoutables de la liberté, de la révolte, de l’amour et de la mort. Toujours du grand style, de l'éloquence, de la rhétorique; celle d'un érotisme aigu et celle d'une sentimentalité d'adolescent, à travers lesquels toujours apparaît la même nostalgie d'un fantôme de femme jamais nommée, aussi violemment désirée qu'idéalisée.
  11. Ce passage nécessaire à l'universel chez Hegel implique que l'on se débarrasse dans l'Histoire de tout ce qui est inessentiel. Essentiel, inessentiel qui sont des termes éminemment hégéliens, c'est comme absolu et relatif, nécessaire et contingent, cela donne chez Hegel essentiel pour absolu et nécessaire, et inessentiel pour ce qui est relatif et donc nécessairement contingent. Ce sont des termes employés par Kierkegaard. Hegel nous dit qu'on ne peut accéder à l'universel qu'en se débarrassant de l'inessentiel c'est-à-dire ce qui est particulier et contingent. Ainsi l'individu ne reçoit toute sa valeur, toute sa réalité spirituelle que dans l'État et au travers de l'État. L'État qui incarne la raison dans l'Histoire, qui est l'objectivation sous forme d'institutions de la raison. L'individu n'est qu'un moyen, une forme transitoire qui utilise l'absolu, l'universel pour se réaliser ce que Hegel appelle la ruse de la raison. Conséquemment comprenons que la subjectivité doit toujours être dépassée. En tant qu'esprit encyclopédique il y a chez Hegel un point de vue sur la religion. Hegel interprète le personnage christique d'une façon très particulière. Le Christ fils de Dieu et le christianisme représentent la dialectique fini-infini, montrent comment l'universel doit, pour se concrétiser, passer par du particulier sinon il reste un concept vide. Dieu envoie son fils connaître une vie terrestre, s'incarner dans un corps humain, accepter de mourir c'est-à-dire prendre sur lui la condition humaine et la condition humaine est par définition la mort. Dans le christianisme il y a l'idée que Dieu lui-même se met à mort, va faire l'épreuve de la mort. Cet absolu représenté par Dieu, qui serait l'équivalent dans les catégories hégéliennes de l'universel, s'incarne dans du particulier, du subjectif : le Christ qui va connaître une vie humaine, mourant sur la croix pour nous et connaissant les limites de la vie humaine et toute existence humaine, montre l'exemple. Il faut sacrifier la particularité, la singularité, la subjectivité. Kierkegaard va rejeter violemment toute la philosophie hégélienne et va postuler que l'individu est la seule réalité. « Tout homme sans exception peut et doit mettre son honneur à être un individu en quoi il trouvera certainement sa félicité ... L'individu c'est la catégorie de l'esprit, du réveil de l'esprit aussi opposé que possible à la politique (réponse à la théorie de l'État)... L'individu c'est l'esprit qui interroge du point de vue de sa particularité... L'individu c'est la catégorie chrétienne décisive ». (Concept de l'angoisse). Aux yeux de Kierkegaard Dieu nous a créé individuellement et donc c'est individuellement que nous devons répondre de nos actes sans chercher à nous fondre dans on ne sait quelle universalité. C'est de cette subjectivité, catégorie première et seule expérimentable pour nous, que nous devons partir, dans laquelle nous devons nous installer sans chercher à en sortir. « La subjectivité, l'intériorité étant la vérité, celle-ci objectivement envisagée est le paradoxe ». Phrases très importantes car il y a un maniement du paradoxe chez Kierkegaard. (Post-scriptum des miettes philosophiques. 2ème partie 2ème section chapitre 2). Seule la subjectivité existe, c'est d’elle qu'il faut partir. Elle est posée comme étant la vérité, de sorte que si seule la subjectivité représente pour Kierkegaard la vérité nous n'avons pas d'autres vérités que vérité subjective. Si nous essayons de la considérer d'un autre point de vue c'est-à-dire d'un point de vue objectif, c'est ce que veut précisément la philosophie, nous sommes nécessairement amenés à des paradoxes. Donc tout ce qui cherche à dépasser la subjectivité nous conduit à quelque chose de paradoxal.
  12. Le simple mensonge c'est quelque chose auquel nous sommes voués parce que nous pourrions par une évolution très lente aboutir à la vérité, idée que l'on trouve chez Hegel mais refusée par Sartre. Même lorsque je crois dire la vérité, que je m'emploie à la saisir, je reste malgré tout, chez Sartre, dans une forme de mensonge, certes pas une forme de mensonge moral, mais dans quelque chose qui me décale par rapport à la réalité parce qu'en définitive la vérité n'existe pas. La vérité n'est jamais que le mot que j'utilise pour nommer un rapport de soi à soi, de soi aux autres mais surtout de soi à soi. Lorsque Sartre nous dit « Nous ne coïncidons jamais avec nous-mêmes » c'est une façon abstraite de dire qu'alors nous sommes obligés de nous mentir, parce que nous sommes toujours décalés par rapport à nous-mêmes. Vouloir absolument exclure, expulser le mensonge voudrait dire que nous nous saisissions pleinement et que nous puissions absolument coïncider avec nous-mêmes. Mais si nous coïncidons totalement avec nous-mêmes nous existons sur le mode des choses, nous sommes choséifiés. Nous existons sur le mode de l'en-soi et non plus sur le mode du pour-soi. La liberté c'est la responsabilité sur le plan moral, mais sur le plan physique c’est ce qui engage la connaissance, la connaissance de soi, l'idée que quelque chose constamment nous échappe, que Sartre appelle notre transcendance. Et quand je coïncide avec moi-même, je n'existe plus. La référence hégélienne est très importante, puisque tous les philosophes existentiels sont lecteurs de Hegel. La philosophie qui les conduit à leurs propres pensées, c'est la philosophie de Hegel. « Le but de toute éducation est que l'individu cesse d'être quelque chose de purement subjectif et qu'il s'objective dans l'État ». Ambivalence de la phrase. Dans le système hégélien, si nous prenons soin de bien constituer l’Etat, le passage à la démocratie est incontournable car il ne doit pas incarner les intérêts d'une classe ou d'un groupe qui s'imposerait ensuite à la totalité des personnes, mais doit bien représenter le dépassement, l'expression de volonté qui émane des individus mais lesquels consentent à dépasser les limites de leur propre subjectivité pour s'installer du point de vue de l'intérêt général. Et l'intérêt général n'est pas forcément mon intérêt particulier. S'i l'État se constitue bien, notamment au travers des démocraties qu'il nous faut installer mais pour cela nous éduquer, chaque individu, et c'est la perspective hégélienne, doit se reconnaître dans l'État. Il doit voir dans les prérogatives de l'État, se reconnaître et retrouver dans chaque domaine des inspirations profondes. Mais on peut aussi voir dans cette phrase la disparition, la suppression de la subjectivité, l'acceptation d'être amalgamé au point de ne pas plus exister individuellement, être broyé par la machine totalitaire. Dans la théorie de l'État chez Hegel il y a, si on n'y prend pas garde, une sorte d'élimination peu à peu de l'individu. (La raison dans l'histoire. Coll 1018).
  13. Bonjour Saxo Pour te répondre, je reproduis un petit passage de Sartre L’être et le néant- ed. Tel page 82. « Souvent [la mauvaise foi] on l’assimile au mensonge. On dit indifféremment d’une personne qu’elle fait preuve de mauvaise foi ou qu’elle se ment à elle-même. Nous accepterons volontiers que la mauvaise foi soit mensonge à soi, à condition de distinguer immédiatement le mensonge à soi du mensonge tout court. Le mensonge est une attitude négative, on en conviendra. Mais cette négation ne porte pas sur la conscience elle-même, elle ne vise que le transcendant. L’essence du mensonge implique, en effet, que le menteur soit complètement au fait de la vérité qu’il déguise. On ne ment pas sur ce qu’on ignore, on ne ment pas lorsqu’on répand une erreur dont on est soi-même dupe, on ne ment pas lorsqu’on se trompe ». La mauvaise foi est donc une attitude existentielle qui a la structure du mensonge ; cependant « ce qui change tout [ce qui sous-entend : par rapport au mensonge], c’est que dans la mauvaise foi, c’est à moi-même que je masque la vérité. Ainsi la dualité du trompeur et du trompé n’existe pas ici ». La mauvaise foi est donc mensonge à soi, qui suppose l’unité d’une conscience.
  14. satinvelours

    Mes choix

    Je mets un nom sur le personnage accompagné d’un chien. Cet univers lui ressemble, il y évoluerait aisément.
  15. Depuis le christianisme nous avons un point de vue moral sur le mensonge. Le mensonge chez les Grecs c'est un accident du vrai. Le vrai je puis m'en écarter et donc manipuler le non-vrai c'est-à-dire au fond le mensonge. Mais le mensonge prend toute sa profondeur dans, et au travers du christianisme. C'est une conséquence directe du péché originel. Entre la tradition grecque païenne qui reconnaît l'accidentalité et sortir du vrai, et la pratique du mensonge comme effet de notre nature par le christianisme nous avons d'abord une approche morale du mensonge. Ici il y a à l'intérieur de la philosophie un déplacement intéressant. Nous n'avons pas une perspective qui est d'emblée morale, ce qui ne veut pas dire que les perspectives morales sont écartées ou niées, mais cela veut dire qu'ici on peut parler, et on parlera du mensonge dans d'autres perspectives que des perspectives strictement morales. Il y a l'idée chez Hegel que le mensonge c'est l'indice que je ne suis pas encore suffisamment arraché à l'immédiateté de l'existence, aux limites propres de ma propre subjectivité, je ne suis pas assez enrichi de contradictions, de déterminations contradictoires pour m'élever dans la liberté. Nous n'en finissons pas d'apprendre à être libres. Lorsque nous mourrons, même a un âge très avancé, certes nous aurons cheminé, mais pourrons-nous nous prévaloir de nous être vraiment affranchis ? Doutes profonds à ce sujet. Le cheminement est tellement long et difficile que Hegel choisit une autre échelle, c'est-à-dire au fond la liberté s'accomplit dans l'Histoire. La perspective est que lorsque nous mentons, lorsque nous ne sommes pas des êtres authentiques ce n'est pas seulement parce que nous sommes des êtres de péchés, mais simplement parce que nous n'avons pas encore reçu suffisamment de choses pour nous avancer plus avant dans la liberté. N'étant pas suffisamment libres intérieurement nous ne pouvons pas manipuler la vérité d'une certaine façon. Le mensonge ici est toujours le signe de notre propre faiblesse, mais pas sur le plan moral, sur le plan de la saisie de la vérité qui a sur le plan éthique, moral, politique, des conséquences immédiates puisque l'un est l'autre. Comme Platon nous l'avait appris dans sa philosophie idéaliste le bien n'est pas autre chose que le vrai. Sartre dira aussi que le mensonge a un sens philosophique, ne pas l'enfermer uniquement dans la sphère de la moralité parce qu'on en rate presque la valeur, la richesse, dans le sens où le mensonge est toujours signe de quelque chose. Nous ne pouvons affronter la vérité donc nous mentons et la force du mensonge est toujours illusoire. Nous régnons pendant un certain moment sur celui que l'on dupe, mais fondamentalement c'est nous que nous dupons, puisque nous sommes défaillants par rapport à la vérité, et cela nous ne voulons pas le reconnaître, d'où la situation de mauvaise foi chez Sartre.
  16. L'individu n'est jamais reconnu en tant que tel, il n'est là et mis à disposition, dans la philosophie hégélienne, que comme apportant son tribut à quelque chose qui va l'absorber complètement et le dépasser, mouvement dialectique au sein de l'émergence de cette conscience absolue qui intéresse Hegel. Donc négation et disparition de l'individu qui est absorbé dans l'universel. L'individu n'est donc pris en compte que tant qu'il est porteur d'universalité, et l'universalité de son côté ne peut s'incarner sinon cela resterait un concept totalement abstrait. Comment le concept va pénétrer la réalité, ne pas rester une enveloppe vide ? Le concept va trouver son point de jonction dans la réalité au travers de l'individu qui est une cheville qui va river l'idée abstraite d'universel à la concrétude de réalité. L'individu est un vecteur, c'est quelque chose qui n'a aucune nécessité en soi, la nécessité lui est extérieure, d'où la contingence, pour Hegel, de l'individu. Tout ceci s'incarne dans la grande philosophie politique de Hegel, notamment au travers de la théorie de l'État. (Hegel : Système du Droit-parag. 258). Hegel montre combien la constitution du Droit est une partie importante dans la concrétisation et le développement de l'universel, c'est-à-dire que le Droit par son ambition générale puisque par définition il statue, légifère et en même temps prescrit des choses qui sont nécessairement des choses générales. La loi ne prend pas en considération la particularité de ma situation et ne peut statuer que sur des cadres tout à fait généraux. Le Droit constitue un instrument qui nous arrache à l'individualité et participe de ce mouvement où l'individuel se transcende dans l'universalité. « C'est seulement dans l'État que l'homme a une existence conforme à la raison ». C'est seulement au niveau de l'État que l'individu s'élève au-dessus de sa condition singulière et subjective pour embrasser un point de vue général qui gagne en objectivité. L'État matérialise le passage de la singularité à l'universalité. Aux yeux de Hegel les peuples dont l'histoire les conduit à l'élaboration d'un état figurent un peu le moteur de l'Histoire. Il montre que le mouvement général de l'existence humaine c'est d'aller du singulier vers l'universel, conscience absolue, savoir absolu. L'État est une concrétisation très importante. L'État, toujours pour Hegel, figure l'osmose : vérité-liberté. L'État non seulement révèle que la vérité, concept qui intéresse les sciences abstraites, les sciences, la philosophie, cette vérité a un autre nom quand elle se concrétise dans la vie et cet autre nom c'est le nom de liberté. La liberté c'est le vrai en acte. Au fond on sent bien que quand nous recherchons notre liberté, nous recherchons et manifestons notre vérité profonde, que nous acceptons parfois de mourir pour la liberté parce que c'est là que nous saisissons notre vérité. Ne pas mourir pour la liberté dans certaines conditions et notamment dans certaines conditions historiques reviendrait à accepter de vivre dans le mensonge. D'où chez certains philosophes existentialistes un très grand intérêt pour le mensonge et la mauvaise foi.
  17. Kierkegaard est contemporain du romantisme, des mouvements romantiques qui se propagent partout en Europe. Le romantisme a considérablement développé d'une part une réaction au grand rationalisme qu'impose la révolution française, d'autre part une réaction aux aspirations universalistes que donnera Hegel et qui découle aussi de la révolution française. La déclaration des droits de l’homme est un texte dans lequel on voit cette aspiration à l'universel. C'est au travers de telle ou telle nation que l'homme doit être promu, protégé, défendu. Or les romantiques, et déjà les préromantiques, ont eu l'intuition tout à fait extraordinaire de pressentir un oubli puis un mépris de la sphère individuelle, de tout ce qui renvoie à l'individu et plus particulièrement ce qui renvoie au domaine de la sensation. La solitude du héros incompris de tous, thème si prisé par les romantiques, naufragé d'une époque, va donc trouver refuge dans une nature de nouveau valorisée. Il n'a pour seule solution que ce repli, cette solitude parce qu'il est enfermé, forme de solipsisme, dans le blockhaus de ses sensations. Il sait que toute la vie démarre dans ce que l'on appelle la sensation mais comme cette sensation est totalement subjective il ne peut jamais être assuré de pouvoir la communiquer, la dire, être compris. D'où le surinvestissement et en même temps le désinvestissement qui en fait une tension très intéressante pour Kierkegaard. Surinvestissement du domaine amoureux où c'est la sphère amoureuse qui par définition nous place dans cette nécessité d'attendre de l'autre tout, et donc de mourir de l'autre, et en même temps de s'apercevoir que l'autre n'a pas cette puissance, que par ailleurs il n'a que la puissance que je veux bien lui conférer. Ce surinvestissement ne peut aboutir qu'à la pire des déceptions, c'est-à-dire l'autre n'est jamais ce que je pensais qu'il était et donc nous retombons évidemment dans l'idée que nous sommes seuls. Dans toute la littérature romantique la souffrance devient la seule chose qui atteste que je sois un être vivant. C'est pour cela que le romantique chérit sa souffrance. Tous les romantiques se replient sur leurs propres souffrances. La souffrance est ce qui vient en lieu et place d'une idéalisation en terme psychanalytique, surinvestissement de l'amour idéalisé avec les attentes, les projets que forcément cet amour installe en nous. Le romantique ne fait plus qu’aimer son incompréhension, sa souffrance même et refuse absolument que l'on mette un terme à celle-ci. Lui pourra se suicider, la tentation suicidaire est aussi un des termes romantique. Il refuse que l'on mette un terme à sa souffrance, c'est-à-dire toute solution rationnelle est refusée. Donc souffrance, ennuis de la vie, idée que tout s’effondre, réellement on ne peut pas croire à ce monde tout n’est que trahison. (Anthologie- Le romantisme -Puf coll.sup). Haine de Kierkegaard contre Hegel car la notion de système lui semble contradictoire avec la vie. Il faut revenir à cela pour bien faire apparaître la nécessité pour Kierkegaard de dégager ce qu'il appelle quelque chose d'esthétique. Haine de Kierkegaard contre la grande philosophie spéculative laquelle vide l'existence de tout contenu en la faisant rentrer dans un système. Le système tue par sa totalisation l'existence, tue le mouvement même de la vie. Dans le système hégélien on assiste à la disparition de l'individualité ou de l'individu, c'est-à-dire que le système par son mouvement de totalisation et sa dialectique fini-infini se sert des individus et finit par les absorber. Nier l'individualité de tout individu pour ne retirer de chaque individualité que ce qui peut servir à l'émergence de l'universalité.
  18. Soit je suis platonicien et ce qui m'intéresse c'est de comprendre le beau en soi, mais pour comprendre le beau en soi à la limite ai-je besoin de passer par des œuvres belles, je peux faire uniquement de la spéculation. Si je veux à la fois ne pas rester dans la sphère limitée de ma subjectivité et me contenter de me dire c'est beau, sous-entendu je ne peux pas en rendre compte, on est là dans la sensation purement subjective. De l'autre côté si j'ai bien conscience que se mouvoir dans la pure métaphysique c'est-à-dire définir ce qui est beau en soi, ce que veut faire Platon, me conduit à ce paradoxe qui est que je peux parler du beau sans jamais rencontrer le beau. Nous sommes dans une très grande difficulté. La seule voie possible sera à la voie kantienne qui ouvre les grandes réflexions esthétiques. Si je veux prendre en considération les œuvres et savoir ce qu'est le beau quand j'ai l'impression que telle œuvre que je vois, que j'entends est belle il me faut revenir à la sensation, ne pas faire l'impasse. Telle est la difficulté. De la même façon que Kant montrera que la métaphysique ne saurait être une science véritable, de la même façon on ne peut fonder le beau. Le beau se manifeste au travers de choses belles qui sont dites belles parce qu'elles produisent un certain type de sensations et d'émotions en moi. Ce n'est pas du beau qu'il faut parler d'abord mais du goût. On ne peut normer le beau, sauf d'une façon sociologique. Sur le plan conceptuel ce n'est pas possible. La seule chose que l'on va normer c'est le goût, c'est le jugement de goût. Car c'est bien ce jugement là qui dit que telle chose est belle ou qu'elle ne l'est pas. Kierkegaard emprunte ce terme car le stade esthétique est un stade ou par définition nous allons nous laisser guider pas totalement passivement, mais nous allons organiser notre existence autour de la sensation, de nos sensations, qui est, chronologiquement parlant, la première chose, la première expérience qu'en tant que vivant j'ai. Ce terme n'est pas inventé par Kierkegaard. Ce terme est travaillé aussi bien par la philosophie que par la littérature. Le stade esthétique est un retour à la sensation, réaction à l'hégélianisme. On tire un trait sur l'abstraction, on part de ce qu'il y a de plus concret c'est-à-dire justement la subjectivité, la subjectivité sensible, donc la sensation ainsi ce que l'on pourrait appeler son empreinte psychique : l'émotion. Le sentiment, empreinte psychique de la sensation ne peut se comprendre qu'à travers une double référence qui constitue l’héritage kierkegardien. Double référence : philosophique et littéraire.
  19. Il y a volonté de repérer ces éléments de les distinguer pour ce qu'ils sont et il nous appartient de nous structurer autour de noyaux qui essayent de rassembler d'abord les éléments esthétiques, ensuite l'élément éthique et en terminer avec l'élément religieux. Cela ne veut pas dire que dans l'esthétique il n'y a pas déjà de l'éthique, du spirituel, du religieux. Cela veut dire que là cet élément ne sera pas majoritaire et qu'il va nous permettre une conduite, un type d'existence particulier. Mais c'est en vivant ce type d'expérience particulier qu'au bout d'un certain moment j'en serai peut-être lassé, parce que moi-même, de par mes expériences, j'en sentirai la finitude, j'en sentirai les limites. Et c'est là que l'on trouve le dynamique, non pas la personne dynamique, mais la personne qui est mue par un mouvement propre intérieur. L'idée de Kierkegaard c'est qu'un homme normalement constitué au bout d'un certain moment finit par éprouver comme étant limité, fini, ce qui au début de ce moment de sa vie lui apparaissait au contraire comme infini, plein de promesses. C'est en vivant l'existence que nous-mêmes, parce que nous sommes habités par ce mouvement, au sens grec neutre, nous habiterons les trois stades. Travaillant la notion d'esthétique Kierkegaard va s'intéresser à deux mythes : Don Juan et Faust. Faust ayant lu tous les livres a fait le tour de l'intellectualité. Il sait que la connaissance ne peut pas nous apporter le bonheur. Et même si l'on va jusqu'au bout de la connaissance il y a toujours quelque chose qui est insatisfait. Ayant découvert que même l'esprit ne nous arrache pas à notre finitude Faust revient à la chair. Ayant lu tous les livres, il vend son âme au diable et retourne à ce mode d'existence esthétique. C'est le parcours inverse de Don Juan. Le stade esthétique (Aisthêsis) D'une façon générale aisthêsis en grec est un terme qui signifie la sensation. Le terme esthétique est créé par Baumgarten au XVIIIe siècle pour désigner ce domaine de la réflexion qui va appartenir à la philosophie et qui va s'intéresser à la sphère de la sensation car nous sommes tous des êtres qui ressentons les choses, éprouvons des sensations. Or l'esthétique au sens premier du terme c'est non seulement l'étude de la sensation, mais surtout c'est le domaine qui va essayer de construire une science de la sensation. L'esthétique est toute la réflexion qui essaye de normer les sensations, et de voir comment les sensations dans leur spécificité peuvent participer à la construction du vrai. Le problème majeur de la sensation philosophique c'est qu'elle est radicalement subjective. On sent tout de suite l'impasse, l'aporie qui guette la construction d'une esthétique, c'est ce paradoxe qu'il y a à tenter, à chercher, à vouloir construire une science de l'individuel. Comme Aristote le disait déjà « il n'y a de science que du général », on ne peut pas construire de choses individuelles. Toute l'esthétique, à commencer par l'esthétique Kantienne, ne va pouvoir se construire qu'en prenant acte de l'existence de ce paradoxe.
  20. De la même façon aucune existence ne saurait prétendre à être ordonnée. Il y a, souligne Kierkegaard, dans notre tradition philosophique un fantasme qui est celui de l'ordre : rationalisme cartésien, philosophie leibnizienne, Hegel. L'ordre est rassurant. Cet acharnement à trouver de l'ordre, à exiger que l'existence obéisse à un ordre, s'accommode de cette quête du sens. Or il n'y a pas d'ordre. Tout ordre que l'on peut trouver à son existence, à celle des autres est une construction artificielle rétroactive, c’est-à-dire c'est toujours dans l'après coup, en nous retournant sur ce qui n'est plus que nous arrivons à conférer un ordre à ce qui, précisément, ne se préoccupait pas d'en avoir. Exemple : l'importance de la vie monastique. Si l’on veut aimer Dieu, on ne peut le faire qu'en se retirant de la vie et en créant une vie parfaitement artificielle. On pourrait voir dans la vie monastique un essai pour imposer à l'existence une règle que, pour elle-même, elle est incapable de donner. L'abstraction supprime et résout toutes les contradictions. Kierkegaard conclut donc que penser l'existence s'avère impossible parce que, dit-il, « c'est essentiellement la supprimer, comme on supprime une contradiction ». L'existence est à vivre, elle est à mettre en acte, à mettre en œuvre, non pas d'une façon générale mais pour chaque existant. Mais cette mise en existence, cette mise en acte passe par des moments, des configurations qui exigent une mise en forme correspondant à des modes d'exister dont chacun de ces modes d'exister constituera ce que Kierkegaard appellera stades. Est-ce que l'on ne retombe pas ici dans la même position que Hegel ? Non. Ces stades ne sont pas des constructions théoriques qui découlent du travail strictement conceptuel mais on doit les comprendre comme la tentative de se servir, de se faire cristalliser des éléments qui figurent dans toute existence, qui seront d'un côté la sensualité, de l'autre côté cet élan, la métaphysique, élan vers l'absolu et pour certains la rencontre avec Dieu. Tous ces éléments figurent dans n'importe quelle existence. L'idée de stade ne provient pas d'une formalisation artificielle de quelque chose qui se servirait uniquement d'un travail conceptuel et illustrerait cela en se retournant de temps en temps vers la vie, non. Ceci est contournable, ces éléments nous les rencontrerons à des degrés divers et sous différentes formes, il va falloir apprendre à s'en servir. L'idée est que plutôt que de laisser ces éléments, qui de toute façon existent, travailler, se saisir de nous et nous conduire dans des directions que nous ne pouvons plus choisir, il va falloir apprendre à s'en servir c'est-à-dire les intégrer dans des ensembles, s'en servir comme dans un moteur et en prélever l'événement dynamique. Car c'est à vivre jusqu'au bout ce que chacun de ces éléments pourra nous faire vivre que, très naturellement et sans se faire violence, nous serons portés à dépasser cela. Le dépassement des phases se fera par l'investigation de la sphère esthétique, et mus naturellement par un mouvement nous serons portés à aller voir autre chose, ailleurs, d'une autre façon. Dynamisme = sens neutre, idée de mouvement. C'est une volonté de la part de Kierkegaard de dire que si nous laissons les choses évoluer "naturellement" en nous, nous allons subir des influences qui nous viennent du monde extérieur puisque nous ne vivons pas tout seuls, nous n'allons pas savoir diriger ces éléments mis en rapport les uns avec les autres, et si nous n'arrivons pas à les diriger nous en ferons les frais, c'est-à-dire que les autres disposeront de nous, nous ne serons pas maîtres de notre existence. Il y a volonté de repérer ces éléments de les distinguer pour ce qu'ils sont et il nous appartient de nous structurer autour de noyaux qui essayent de rassembler d'abord les éléments esthétiques, ensuite l'élément éthique et en terminer avec l'élément religieux.
  21. Il y a distorsion entre la pensée spéculative philosophique, la pensée qui nous emprisonne dans les règles idéalistes et de l'autre côté la vie, plus exactement l'existence. C'est toute la philosophie idéaliste depuis Platon qui est là attaquée, c'est la branche la plus puissante de notre tradition, celle qui porte toute la métaphysique donc une grande partie de la philosophie. La pensée abstraite nous éloigne, nous coupe même de la vie réelle, de l'existence, de sorte que plus on s'ingénie à construire une pensée spéculative (Hegel) plus on porte loin la spéculation, plus on se coupe de l'existence. Non seulement le recours à l'abstraction, la spéculation qui vident l'existence de sa substance, mais également la mise en système. Cette philosophie spéculative ne résiste pas au système, au désir de réduire la vie à une totalité que l'on peut penser sous forme systématique. Or, par définition, Kierkegaard part d'un postulat qui est qu'aucune existence ne saurait être totalisable. C'est une idée qui traversera l'ensemble des philosophies existentielles. Elle sera reprise par Sartre. Toute la théorie sartrienne de la liberté présuppose cela. Si nous sommes libres, alors il est impossible d'enfermer notre existence dans un quelconque système, car système implique notion de totalité. Aucune existence n'est totalisable.
  22. Le propos de Kierkegaard est de dire attention à l’abstraction, c’est-à-dire la conceptualisation, la mise en concept de ce qui au départ n'est qu'une impression positive, sensations, sentiments. Exister c'est d'abord ressentir des choses physiquement, émotionnellement. Ensuite il y a ce passage que Kierkegaard appelle l'abstraction, la mise en concept. Donc attention parce que cette mise en concept, cette conceptualisation, cette théorisation ont pour effet d'anéantir littéralement l'existence, de la tuer. Parce que concept, théorie, vident l'existence de sa substance véritable et le premier exemple c'est le temps. Lorsque nous essayons de quitter le sol de la subjectivité, et nous sommes avant tout des sujets qui avons un rapport nécessairement subjectif au monde, aux choses, aux autres, à nous-mêmes, nous sommes obligés de faire comme si nous n'étions pas constamment aux prises avec le temps. Nous sommes obligés de nier ce qui pourtant constitue l'essentiel de notre substance c'est-à-dire justement le temps. Pourquoi ? Parce que le concept nous contraint à penser sous la catégorie de l'éternité. Le concept nous contraint à parler de tout à commencer par notre existence dans une catégorie totalement déplacée puisqu'il s'agit d'une catégorie de l'éternité, en tout cas de ce qui échappe au temps, une catégorie intemporelle, alors que tout en nous est pétri de temps et plus particulièrement ce qu'il faudra appeler, au sens bergsonien, la durée, ce temps intérieur, ce temps subjectif qu'à partir de Bergson on préfère appeler, en philosophie, la durée. L'abstraction de ce point de vue là ignore ce qui fait toute la singularité de l'existence à savoir cette tension, dont personne ne peut sortir, entre finitude, fini. Nous sommes sous de multiples rapports et pour des causes diverses des êtres finis. Nous avons un corps, qui nous enferme dans la finitude de la matière, qui a des limites physiques, spatiales donc. Nous sommes assujettis à l'irréversibilité du temps, là aussi s'indique notre finitude. Et cet être fini, qui de toute part éprouve à chaque instant sa finitude, néanmoins par une partie de sa conscience ne cesse de chercher des voies, des traverses pour sortir, briser cette finitude, tout cet élan métaphysique qui nous porte vers des absolus, le beau, la liberté, l'immortalité de l'âme, Dieu ou le divin. Le vocabulaire de l'abstraction ne permet pas de rendre compte de cela, il fait de nous des êtres mutilés qui n'avons plus comme recours que de choisir entre l'un et l'autre terme, soit le fini ou la voix de la finitude c'est l'ordre du corps, Pascal, soit nier cela et se mutiler pour évoluer dans l'atmosphère raréfiée, éthérée de la métaphysique, de la théologie. L'existence n'est pas cela dit Kierkegaard. L'existence il faut d'abord la comprendre comme une sorte de tension dont il appartiendra à chacun de prendre cette tension et de décider par quel moyen on va la vivre, l'assumer et surtout quelle forme il faudra lui donner. Nous ne sommes pas dépourvus de libre arbitre, il conviendra de décider de la forme que nous allons lui imposer pour la vivre dans un cadre et peut-être nous apercevoir qu'elle peut produire des choses fécondes et non pas l'écartèlement qui n'est que douleur, souffrance. Cela dit même si on arrive à s'accrocher à la pire douleur cela sera pour s’ouvrir à l'expérience fondamentale de l'angoisse. Il y a différentes formes d'angoisse pour Kierkegaard. Il y a des formes appauvrissantes, stérilisantes de l'angoisse. Mais il essaiera de donner une forme à l’angoisse, de rendre à l'angoisse une positivité, voire une fécondité. Anthologie- Kierkegaard- Existence- PUF coll. sup.
  23. Que reproche Kierkegaard à Hegel ? Tout d'abord il refuse le qualificatif de philosophe. Pourquoi se défend-t-il d'être assimilé à un philosophe ? Et pourquoi refuse-t-il toute empreinte hégélienne ? Premier motif de son rejet c'est l'utilisation systématique abusive, selon lui, et particulièrement par Hegel de ce qu'il appelle l'abstraction. La philosophie est soit une idéologie déguisée, soit elle utilise depuis Platon jusqu'à Hegel une abstraction qui peu à peu va vider, va récuser la vie, va empêcher l'homme de se servir de ses capacités à réfléchir, de faire de la philosophie pour construire, pour passer de la vie à l'existence c'est-à-dire construire son existence. Il y a pour Kierkegaard un excès, un défaut de théorisation dont souffre la philosophie. Et quand on fait de la philosophie on passe à côté de l'existence. Hegel lui semble l'emblème le plus parfait de ce travers. « La langue de l'abstraction ne mentionne à vrai dire jamais ce qui constitue la difficulté de l'existence et de l'existant, et elle en donne encore moins l'explication » (Post Scriptum aux miettes philosophiques- deuxième partie- deuxième section- chapitre 13). La philosophie est comptable depuis Platon d'une machine infernale construite avec toutes les légitimations a posteriori. La philosophie essaye de comprendre les choses, le monde, en bâtissant des concepts. La philosophie essaye de nous arracher de la sphère du subjectif, de l'individuel, de la particularité pour nous élever, « auf heben », terme central dans le vocabulaire hégélien qui exprime à lui tout seul comment Hegel construit la dialectique. Dans « auf heben » il y a l'idée de conserver tout en dépassant. On conserve l'essentiel de deux choses contradictoires et en mettant en contact l'essentiel de la contradiction on fait produire une troisième chose qui permet un dépassement. On dépasse la contradiction pour en produire une autre à un autre niveau. En effet comme le dit Hegel, le propre de la philosophie depuis Platon c'est de nous arracher de la sphère individuelle du subjectif, du particulier pour nous élever progressivement vers le général, puis l'universel au moyen du concept en forgeant une langue qui est la langue philosophique. D'ailleurs l'une des difficultés propres à cette matière c'est de circuler dans cette langue sans forcément se servir de l'acceptation des termes. Ce faisant, forgeant cette langue qui lui est nécessaire la philosophie va travailler le réel, revenir à l'existence au moyen de ces concepts, au travers de ces termes qu'elle forge et qui vont déformer, aux yeux de Kierkegaard, dévoyer l'existence. Remarque importante qui nous montre que jamais la langue ne doit être négligée. La langue doit toujours être prise comme un instrument avec des effets redoutables. La langue, tout le temps nous traverse, nous dépasse et produit à notre insu des effets que nous ne pouvons pas prévoir et que nous ne pouvons qu'analyser.
  24. A la fin de sa vie la célébrité de Kierkegaard est acquise, en tout cas au Danemark, mais elle est assombrie par des polémiques violentes qu'il créé lui-même. Il est agressif, ironique. Il va porter des attaques très sévères sur certains prélats qui lui vaudront des ennuis avec la justice. Son dernier texte s'intitule « L'école du christianisme » texte polémique où il attaque un théologien hégélien et un évêque. Durant toute sa vie il revient sur deux événements. Mais il en parle tout le temps en nous dérobant la vérité, ultime duplicité. - Rupture avec Régine Olsen dont on comprend que c'est une femme qu'il a réellement aimé toute sa vie mais il s'est tenu à une certaine posture. - Événement religieux : cette révélation de ce que peut-être l'amour de Dieu lorsque l'on sort du carcan de la faute, de la culpabilité, du péché. Mais en en parlant il referme de plus en plus le mystère sur ces deux événements. En mai 1855, il fonde le journal "L'Instant" comme moyen de répondre aux polémiques. Mais en octobre il s'effondre dans la rue, paralysé, il meurt le 11 novembre 1855 à 42 ans. Mourant il refuse les ultimes sacrements. C'est le dernier acte de quelqu'un qui est revenu à la religiosité la plus sincère, la plus profonde. On peut penser que ce refus des ultimes sacrements est le dernier geste d'un homme qui est de signifier justement qu'il ne reconnaît pas aux hommes, et particulièrement pas à ceux-ci, la possibilité de se substituer à Dieu et de le pardonner de ses péchés. Il n'en répondra que devant Dieu. C'est une des interprétations qui semble la plus crédible. Quel est le sens de l'existentialisme chez un penseur tel que Kierkegaard ? Qu'est-ce que Kierkegaard entend refuser avant de dégager de sa propre position ? Il fait des études de philosophie mais d'une façon plutôt autodidacte. Il fréquente d'une manière capricieuse l'université. Ce que lui apprennent ses maîtres cela ne le marque pas. En revanche c'est un lecteur d'une façon intuitive plutôt qu'universitaire dans le sens classique du terme. A l'université il découvre que toute la philosophie est occupée par l'hégélianisme. Sur le plan philosophique il faudra comprendre la notion d'existence pour Kierkegaard comme une immense réaction à ce que la philosophie va porter à cette jeunesse, à savoir quelque chose de strictement spéculatif, quelque chose d'abstrait. Il a très vite l'intuition que cela ne sert pas à grand chose et même cela peut conduire à rater sa vie, passer à côté de ce qui doit normalement constituer les seules grandes occupations humaines. L'entrée en philosophie de Kierkegaard est commandée, au départ, par une réaction contre l'hégélianisme régnant dans toute l'Europe.
  25. Cette débauche a été intense puisqu'il a contracté des dettes que le père a dû payer pendant longtemps. Au travers de l'exemple de son père, Kierkegaard va comprendre très tôt que la religion n'apaise pas les tourments profonds de l'âme. Cette découverte dit-il dans son journal 1847-1848 fut pour lui comme un tremblement de terre. C'est cette prise de conscience qui va le détourner de la religion telle que la pratique le père et telle que l'institution religieuse tente de l'imposer. Il va se réfugier, posture, dans ce qu'il appelle l'intelligence, seule arme qui pourra lui apporter du réconfort. Ce refuge pendant quelques années dans l'intelligence pure et ses capacités va lui faire découvrir le concept d'ironie. Il va reprendre à Socrate la notion d'ironie et devenir un dandy cynique. C'est sa période esthétique où il rejette tout. Il interrompt ses études théologiques, mais il s'aperçoit que toute vie esthétique, posture, est désespoir. L'esthétisme n'est qu'une grimace retenue du désespoir le plus irrémédiable. L'esthète n'a que ses traits et son ironie pour se défendre de son angoisse. Il découvre très vite que la séduction est un leurre qui ne peut que déboucher sur la mort. C'est ce que lui révèle la lecture de Don Juan. Toute séduction est séduction d'elle-même, l'autre n'étant qu'un objet transitionnel, un moyen jamais une fin en soi. Pour Kierkegaard la femme existe toujours pour autre chose, elle n'a pas sa finalité en soi. Dans la séduction c'est moi que je cherche à perdre, côté du séducteur, quand je séduis l'autre. A peine l'autre est-il conquis, à ma merci, à ma portée qu'irrésistiblement je m'en éloigne et je n'ai qu'une envie c'est d'abandonner l'objet devenu ainsi objet inutile, objet encombrant. Conduite donjuanesque qui est évidemment, parce que le mythe est moral, sanctionnée par la mort. Toute séduction est mortelle. La séduction est la scénographie de notre désir et que, comme le dit Hegel, « tout désir poursuit sa propre mort ». Tout désir tant à être d'abord, mais ce n'est qu'une illusion, désir de quelque chose. A peine ai-je la chose que mon désir est supprimé par le contentement que me procure la chose, ce qui permet à Hegel de dire que, si on pense un peu d'une façon dialectique, tout désir implicitement poursuit sa propre mort. C'est très exactement le cas de Don Juan. C'est bien parce que Don Juan est mû par le désir compris profondément dans ce sens là, qu'il accepte la rencontre avec le Commandeur, et va défier la mort et lui donner une ultime illusion que le désir est plus fort que la mort. Kierkegaard parle surtout du mythe du Don Juan de Mozart. C'est cette expérience d'une autre forme de désespoir, aussi grande que la première, qui va arracher Kierkegaard à cette vie dissolue et le ramener à une vie en apparence plus tranquille. Mais en réalité il est toujours aussi tourmenté intérieurement. Il reprend ses études de théologie fait une thèse, se rapproche de son vieux père qui meurt en 1838. C'est une époque très tumultueuse où il rencontre Régine Olsen qu'il va séduire, se fiancer et néanmoins après avoir séduit d'une façon programmatique cette jeune fille va l'abandonner et rompre ses fiançailles. Cela va lui valoir de très grandes et violentes critiques parce que personne ne comprend. A ce moment il écrit « Le journal du séducteur » et va élaborer les concepts centraux dans son œuvre des stades de l'existence, particulièrement les deux premiers : esthétique et éthique ; commence l'usage des pseudonymes qu'il utilisera jusqu'à la fin de sa vie et, pouvant vivre de ses rentes, se consacre à une tâche d'écriture. Son travail sur l'angoisse qu'il appelle la maladie mortelle va relâcher l'étau du désespoir et il va être touché par la lumière de la foi. Journal août 1847 « Père céleste ne sois pas avec nos péchés contre nous, mais avec nous contre nos péchés». Désormais Kierkegaard se sent sauvé de sa morbidité, de sa mélancolie, les idées suicidaires disparaissent. Mais une forme de tristesse profonde l'habitera jusqu'à sa mort.
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