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Tout ce qui a été posté par Dompteur de mots
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J'attends ta réaction à mon dernier post pour la différence entre espoir et expectative. L'espoir est un mouvement naturel et permanent de la conscience, certes… Et on ne saurait conséquemment faire l'économie d'une introspection à ce sujet. Mais ce n'est pas parce que c'est un penchant inscrit en nous qu'il ne faut pas lutter contre ce penchant. Je pense aussi qu'il y a moyen de commercer avec cette partie de nous incorrigiblement avide d'espoir. Par exemple, je ne crois aucunement en une quelconque forme de vie après la mort. Aucunement. En même temps, je crois au fait que les personnes qui me sont chères et qui sont décédées m'accompagnent tous les jours. Pourtant, je sais que c'est une illusion - aussi ne la laisse-je pas avoir de conséquences néfastes sur mon existence (contrairement à ceux qui deviennent adeptes de la communication avec les esprits, ou qui espèrent tout simplement que la mort ne sera pas le terme de leur existence). Mais j'aime cette illusion. Je m'accommode alors en me disant que la trace que ces personnes ont eu sur ma vie s'est infiltrée à quelque part dans mon inconscient et que cette trace a sa propre vie, sa propre énergie en moi. Et bon, je me permets de romancer quelque peu les effets de cette énergie psychique-là. Mais je sais que c'est une romance. Quelle différence entre une fiction qui nous remplit d'émoi et l'espoir ? Nous savons que la fiction est fausse et conséquemment, nous y investissons un amour lucide. Nous pourrions appeler cette fiction lucide la fantaisie.
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Mais je reviens à ce que j'ai dit un peu plus tôt: quand écris-tu le mieux Théia ? C'est précisément lorsque tu n'es plus empêtrée dans la temporalité de ce que tu écris. De même que le pianiste se met à survoler sa partition lorsque précisément il a acquis assez de pratique pour la connaître jusqu'au bout de ses doigts et ainsi dépasser la temporalité de son acte musical. Cet au-delà de soi dont tu parles découle de la propension de l'homme pour l'abstraction. Bergson appelle cela l'esprit géométrique, parce que dans cette propension se découvre le goût de l'homme à découper le temps pour établir dans ces découpes les mécanismes des choses. À cet esprit géométrique Bergson oppose un esprit intuitif, où l'homme se laisse glisser dans la fluidité du temps, dans son écoulement naturel, dans le mouvant. Philosopher, pour Bergson, c'est précisément d'abord capter une intuition dans la mouvance dans notre esprit pour ensuite tâcher de la traduire en la géométrisant (il n'y a que l'art qui parle le langage du mouvant). Or, cet état où tu écris le mieux et où le pianiste survole sa partition, c'est celui où l'on s'abandonne dans le mouvant. Je dis "abandonner" mais en effet, c'est une lutte (ne serait-ce que pour détromper les néo-spiritualistes qui pensent que la grâce peut être quelque chose de facile). Bergson affirme que la pente naturelle de notre esprit nous pousse vers la géométrisation du temps et de l'espace et qu'il faut se faire violence pour remonter cette pente. De même que la pente naturelle de notre esprit nous pousse vers l'espoir, qui n'est autre qu'une construction géométrique que notre âme désirante insère dans la vision abstraite que nous nous faisons du monde. Comme lorsque nous prions un Dieu qui n'existe pas. Nous n'avons alors plus l'énergie de lutter pour nous élever à l'autre état, qui à mon sens est celui nous intéresse, et que tu nommes état transcendant, et que Simplicius dénomme peut-être plus justement immanent. Je ne sais pas si l'ordre qui fait que je puis légitimement penser que lorsque j'ouvrirai le réfrigérateur le beurre y sera encore, si cet ordre donc est un ordre qui nous dépasse. J'ai plutôt l'impression que cet ordre est immanent à nous, qu'il est en continuité avec nous, que nous nous y sentons bien intriqués, si bien qu'il nous devient comme une seconde nature. Alors que dans l'espoir, n'y a-t-il pas comme une rupture de cette immanence ? Lorsque nous prions un Dieu qui n'existe pas, est-ce que nous ne venons pas de sortir de cette chaîne qui nous entoure ? Est-ce qu'il ne s'agit pas là de la représentation seulement d'une confiance qui nous fait défaut ? C'est une transcendance comme tu le dis si bien: il s'agit d'une sorte de changement d'étage, de registre. C'est comme un éléphant qui soudain accourt et chamboule toutes les constructions régulières qui font le quotidien de nos vies. Je reviens à Bergson: c'est comme si, incapables de nous faire violence pour justement nous hisser jusqu'à un état intuitif, nous faisions entrer de force l'intuition, le mouvant, le vital dans l'abstraction, contrecarrant le rôle qui est normalement dévolu à l'art ou à la réflexion intuitive.
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D'où l'importance de définir les termes que l'on utilise. 90 % des discussions en philo ne vont nulle part parce que les termes ne sont pas définis. Il arrive régulièrement que des intervenants échangent dans une même discussion en parlant en fait de choses complètement différentes. Je parle non seulement des concepts eux-mêmes mais aussi des termes généraux de la discussion: se situe-t-on sur un plan éthique ? Épistémologique ? Anthropologique ? Etc. Qu'est-ce que tu entends par "communication dans son vrai sens" ?
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Et bien moi je pense que l'espoir n'est qu'un reflet du "mouvement vital" dont tu parles (que j'appelais Désir quant à moi). Je re-pointe ici vers ce que j'ai écrit au début, en page 3: l'espoir est un état de celui dont l'esprit est quelque peu fatigué par la vie. Ce n'est pas pour rien que pour des esprits athées (puisque nous sommes encore scotchés à ce mot) tels que nous, l'expression la plus claire de l'espoir nous vient dans des moments d'impuissance et donc de découragement. Mais un esprit au faîte de sa puissance n'a pas besoin de passer par l'espoir: il vit seulement de sa confiance. Une confiance qui lui fait élaborer des projets, qui le pousse dans l'expectative, mais jamais dans la production de représentations secondaires d'impuissance. L'homme qui est pétri d'espoir engendre des pensées qui ne sont que des dérivés de volonté, des produits seconds, des rejets dégénérés. Lorsque toi et moi prions un dieu qui n'existe pas, c'est précisément que notre volonté est dégénérée, momentanément malade. Lorsque nous sommes au faîte de notre confiance, il n'y a pas de ces états seconds, de ces rejets représentatifs: nous courons directement au but. Ainsi, par exemple - et je suis sûr que c'est la même chose pour toi, mes plus beaux élans philosophiques me viennent de manière assez spontanée, comme si la musique des mots coulait naturellement de mon aire de Broca. J'écris au contraire des merdes (évidemment, ça ne m'arrive que très peu) lorsque je suis fatigué, lorsque j'assemble les idées de manière laborieuse, lorsqu'aussi, parallèlement, j'espère que je serai compris, j'espère que ce que j'écris sera à la hauteur, j'espère que cela sera fidèle à ce que je pense vraiment, j'espère que ce que j'écris sera cool. "À ce que je pense vraiment": comme si j'étais à côté de la plaque, précisément, à cause de quelque disposition physiologique ou psychique qui m'empêcherait de penser avec toute la puissance de mon appareil cérébral, ou peut-être juste à cause de quelque manque de sincérité, ou peut-être d'accès de pédanterie, etc. Bref, à cause d'une maladie (bénigne mais maladie quand même) momentanée de ma volonté. Ainsi, plutôt que de dire que la conscience espérante est à l'opposé de la conscience suicidaire, je dirais plutôt que l'âme qui est pétrie d'espoir marche à quelque part entre la pleine vie et le suicide. Ce qui est logique puisqu'à un moment où l'autre nous espérons tous, de même que nous ne sommes que rarement au faîte de notre vitalité. L'espoir nous est naturel parce que nous sommes des êtres fluctuants par essence. J'ai une amie qui a frappé un cul-de-sac dans sa vie et qui est devenue par la suite une "born again christian". Depuis ce moment, elle a perdu un certain éclat dans ses yeux qui me la rendait si attachante. Il m'a frappé qu'elle s'est débarrassée de tous ses disques de musique pour ne conserver que des disques de musique chrétienne franchement insipide. Exactement comme si sa propre volonté lui était devenue trop lourde et que pour se supporter elle-même, elle avait besoin d'en passer par des chemins secondaires, des détours, des représentations secondaires - un peu comme on passe par un ruisseau lorsque le torrent du fleuve nous effraie. Elle est malade de la volonté. Il y a à mes yeux un air de facticité dans tous ses gestes et ses paroles. Et son âme n'aura sans doute jamais été aussi tourné vers l'espoir. On a besoin d'espoir quand on ne sait plus. On a alors au moins besoin de se donner l'impression que l'on sait. Sait-on jamais me demanderas-tu ? Il y a savoir et savoir. On ne sait jamais vraiment au premier sens, le sens littéral, causal. Au deuxième sens par contre, le sens instinctif ou intuitif, on a souvent un savoir suffisant pour embrasser la vie.
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C'est ce que je pense aussi. C'est fort simple: Spinoza réfléchit comme un éthicien, et non comme un psychologue. L'Éthique établit un idéal de vie, mais ce n'est certainement pas une étude de moeurs. De même, on peut dire qu'un homme qui ne prend pas le temps de se questionner sur le sens de sa vie traduit un certain aveuglement intérieur, mais quand on considère qu'il y a des hommes qui ne font que lutter pour survivre, alors cette idée devient quelque peu relative. Dans certains cas, c'est un "mieux que rien" en quelque sorte.
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Intelligence animale et humaine
Dompteur de mots a répondu à un(e) sujet de Savonarol dans Philosophie
L'espèce humaine évolue toujours. Nous grandissons par exemple. Nos aïeux étaient bien plus petits. Sans compter que l'eugénisme est devenu une pratique banale. On la pratique couramment en ce qui concerne les fœtus atteints du syndrome de Down par exemple. -
Une femme insatisfaite ! :wub: Quoi de plus doux qu'une occasion de satisfaire une femme ? *** Et bien c'est une lutte pour essayer de ne pas flancher, pour ne pas me laisser envahir par l'anxiété et la tristesse. Quelle forme prend-t-elle exactement en termes de pensées ? Je vais probablement ressasser tous les scénarios médicaux possibles, tenter de trouver, plus ou moins obsessionnellement, des indices de ce que pourrait être le verdict final dans les données qui sont à disposition. Je vais penser sans doute aussi aux conséquences possibles des divers scénarios. Mais à vrai dire, j'irais surtout me connecter sur ma conjointe, puisque qu'après tout c'est elle qui est dans l’œil de la tempête. À rester immobile, j'enchaînerais les pensées obsessionnelle quant au rendu du verdict. Mon réflexe de survie serait donc de me projeter dans l'action. De communiquer mon amour à ma conjointe, qu'elle ne se sente surtout pas seule dans cette épreuve. Parler à mes proches, former un cercle de solidarité. Me creuser la tête pour trouver des manières d'égayer la situation. Trouver des blagues qui la feront rire. Etc. Mon désir me porterait naturellement à vouloir que le verdict soit favorable, mais mon tempérament (et ma philosophie) ne me porte sincèrement pas à élaborer ce vouloir par l'imagination. Ici, je partage la perplexité de notre ami Déjà: qu'est-ce que tu attends Théia ? Que l'on te dise que nous prierions dans ces moments-là ? *** À force de réfléchir à ma façon de réagir à ce type de situation, il me vient un souvenir. Tu voulais quelque chose d'intime ? Voici quelque chose d'intime. Parfois, lorsque je suis dans une situation défavorable, et quelque peu pressé par le temps, donc sans vraiment de ressources pour agir de manière constructive, il me vient spontanément le sentiment de l'espérance: je me sens porté, l'espace d'une fraction de seconde, à implorer quelque force transcendante. Or, il me vient aussitôt, de manière purement instinctive - je veux dire que cela n'est pas le fruit de quelque résolution rationaliste, d'ironiser l'apparition de ce sentiment en me disant par exemple, à la manière d'un religieux: "Faites que ça fonctionne !" (la phrase en question étant tournée selon chaque situation). Et alors je me trouve très drôle. J'éprouve une satisfaction de posséder ce type de recul, car cela me permet de sortir de moi-même pendant un instant, de moins me perdre dans l'anxiété. Mais je sens d'ici vrombir les délicats lobes de ton cerveau Théia, alors que tu te demandes s'il n'y a pas malgré tout, au travers de cette ironisation, quelque chose de vrai ? Et bien oui, il y a là-dedans quelque chose de vrai. Et ce quelque chose de vrai c'est l'émergence d'un niveau de pensée supérieur, où l'on se hisse à la dimension "tectonique" des événements. C'est cela qui semble poindre en nous dans ces moments-là: le rapetissement des contingences individuelles au profit d'un plongeon dans les grands mouvements du destin (je n'utilise pas ce mot dans son sens déterministe, mais plutôt pour désigner justement cette conscience de la tectonicité des choses). C'est quelque chose ma foi qui peut être étourdissant. Il faut être disposé à recevoir des choses-là. Je me souviens concrètement en avoir fait l'expérience lors de l'enterrement de ma grand-mère. On se sent devenir plus grand que soi. Ça a été mon plus bel enterrement. Freud appelait cela le sentiment "océanique" des choses, et il en faisait d'ailleurs précisément l'origine de la religion. Mais il le réduisait aussi à son éternel schéma familialiste en affirmant que ce sentiment dérivait du désir du père (i.e. du désir de bénéficier de la protection du père), soutenu au-delà de l'enfance par la peur du destin (d'où le "Père" chrétien). Ce qui nous indique que Freud ne s'est intéressé qu'à la partie négative de ce sentiment, c'est-à-dire celle qui est consommée en représentations régressives. Pour ce qui l'intéresse, Freud a sans doute raison. Seulement, cela n'épuise pas le sujet, et ce qui l'intéresse n'est pas la totalité de la chose. Il y a bien une partie positive à ce sentiment, pour autant qu'il fasse l'objet d'une acceptation tragique. Nietzsche développe beaucoup dans son oeuvre sur cet aspect du tragique et, pour rejoindre ce que j'ai dis plus tôt quant au passage à une conscience de la tectonicité des choses, il parle du "frisson d'effroi qui saisit l'homme lorsqu'il s'aperçoit soudain que les phénomènes l'égarent et que le principe de causalité semble mis en défaut", et il fait référence au "délicieux ravissement qui l'éclatement du principe d'individuation fait monter du tréfonds de l'homme", un ravissement qui consiste précisément en l'ivresse dionysiaque. Je fais très littéraire avec ce dernier paragraphe mais je demande à ce que l'on me croit sur parole: je suis parti de considérations très intimes et très intuitives liées à ma propre expérience. Ce n'est qu'après que me sont venues ces références, qui me permettent d'expliciter mon propos et de tracer des liens vers des terres déjà cultivées de la pensée, car c'est une matière difficile que nous tenons entre nos mains, et nous ne serons pas trop à y réfléchir si nous invitons quelques grands philosophes à notre table. Bref, lorsque le "Faites que cela fonctionne!" tombe en miettes, brisé par le rire venu du fond de ma conscience, c'est le rêve que je me refuse. Car je ne vois que trop bien que cela m'est un réflexe naturel, indécrottablement ancré sous des couches et des couches d'inconscient collectif. Un réflexe naturel qui me porte vers ma nature la plus basse. Il m'importe putôt d'embrasser la réalité, même sous ses plus durs aspects, même dans ce qu'elle a de cruel. Car même ces aspects-là, il y a quelque chose de sombre en moi - peut-être ce génie malin - qui les aime. Que l'on ne m'interprète pas mal: je suis un homme fort sensible, sinon hypersensible. La violence du monde me dégoûte. Mon amour pour les personnes qui me sont chères est brûlant. Mais je me reconnais aussi une nature archaïque, infra-humaine, peut-être même infra-animale, avide de vie, avide de vouloir, avide de désirer, avide de saisir la vie malgré toute sa sordidité, et d'ailleurs, je me sais partie prenante de cette sordidité. Sur ces mots d'espoir, bonne soirée à tous ! :D
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Ah ! Les jongleries/cabrioles conceptuelles/abstraites de Déjà-utilisé ! :p
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Il ne faut pas réduire notre vie psychique à une série d’influx binaires semblables à ceux qui animent les ordinateurs. On parle des désirs en tant qu’ils sont individués selon les conditions du réel, mais il y a aussi le Désir, celui qui traîne en nous sous une forme beaucoup plus élémentaire et qui rassemble tous ces désirs individués en un tout organique. « Il suffit de désirer pour agir » : cela est vrai mais revanche, on ne commande pas le désir en un claquement de doigt. Parfois, un homme ne sait plus désirer, cela parce que le tout organique de son Désir s’est détraqué, comme dans ces tumultes que l’on appelle « dépressions nerveuses ». Un homme en dépression nerveuse, s’il a de la difficulté à accoucher de désirs individués, n’en ressent pas moins l’appel de son Désir. C’est-à-dire qu’il se sent appelé vers le monde, et c’est justement ce qui rend sa condition insupportable : il ne sait plus comment répondre à cet appel, il ne sait plus comment le concrétiser. Il lui faut donc des moyens de remettre de l’ordre dans son fouillis intérieur ; il lui faut tuteurer les pousses chétives, arracher les mauvaises herbes, sarcler la terre de son esprit. Et l’un des moyens de le faire, c’est précisément par l’espoir. L’espoir ne fait pas agir, c’est vrai, d’un point de vue moteur. Mais en revanche, il permet chez certains êtres de se donner une ordonnance intérieure telle qu’ils puissent parvenir à faire s’individuer leurs désirs. Est-ce que ce n’est pas le cas de la plupart des chrétiens – en particulier ces ex-prisonniers ou autres nihilistes convertis qui s’accrochent à cette lumière et qui parviennent enfin à tenir à un bout de vie concrète et constructive, plutôt que de dériver dans leur spirale autodestructrice ? S’agit-il de la meilleure façon de vivre ? À mon avis non, et j’ai déjà développé mon idée là-dessus en page 3 du présent topic. Mon point est qu’il serait illusoire de penser que l’espoir n’est qu’un déchet imaginaire de l’esprit, et qu’il faut reconnaître qu’il a une fonction précise et naturelle dans l’économie globale du Désir. Seulement, d’un point de vue éthique, il convient d’en montrer les limites et de montrer en quoi il peut être dépassé.
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C'est le seul inconvénient de la philosophie: on ne peut pas y excommunier les infidèles !
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Mais il faut faire attention avec le vocabulaire nietzschéen. Il n'affirme pas par exemple que les conditions de la vérité scientifique n'existent pas, ou même que les conditions de la vérité logique n'existent pas. Il faut que cela soit clair. Ce qu'il affirme, c'est que le philosophe doit pouvoir se permettre de remettre en cause la valeur de la vérité, ou de la volonté de vérité qui animent ceux qui la cherchent. Ainsi glisse-t-il d'un centre de gravitation logique vers un centre de gravitation physiologique. Avec lui, la question n'est plus de savoir ce qui est vrai, mais plutôt de savoir ce qui fait fleurir la vie. À ce titre, il pose la question: est-ce que l'erreur et l'illusion peuvent parfois être nécessaires à la vie ? Pour comprendre le point de vue Nietzsche, il est utile d'avoir lu Schopenhauer, qui fut pendant un moment son idole, son maître à penser. Schopenhauer est un observateur absolument cynique et pessimiste de la vie humaine, mais aussi parfaitement rationnel et logique, parfaitement en phase avec la science. Pour lui, nous ne sommes que des machines biologiques asservies au "génie de l'espèce" (c'est ainsi qu'il appelle la force qui fait évoluer les espèces), condamnés à servir la reproduction de l'espèce, et à errer entre la souffrance et l'ennui. L'amour est par exemple pour Schopenhauer une illusion biologique. Toutes ces observations conduisent Schopenhauer à adopter une philosophie du renoncement contemplatif. Il s'agit, par la contemplation, de faire s'éteindre la volonté de vie qui se trouve en nous - cela ressemble en fait au bouddhisme. Mais bref, Nietzsche se révolte contre Schopenhauer et finit par rejeter sa philosophie mortifère. Mais seulement voilà: la philosophie de son maître est trop solide pour être critiquée du point de vue logique, par la simple argumentation; il lui faudra plus de subtilité. Cette subtilité consiste à dire quelque chose comme ceci: "d'accord, la vérité est que le monde est absurde, que l'amour est une illusion biologique, mais qu'importe donc la vérité ? Ce qui importe, c'est de dire oui à la vie. Vos arguments sont inattaquables M. Schopenhauer mais en même temps, vous avez tort sur toute la ligne, car vous avez perdu de vue le coeur de la philosophie qui est la recherche de la bonne vie, de la vie qui vaut la peine d'être vécue. Mais vous n'êtes pas le seul responsable: si nous en sommes arrivés là, c'est peut-être que tous, collègues philosophes depuis l'Antiquité grecque, nous nous sommes peut-être laissés aveugler par notre recherche de la vérité, jusqu'à en oublier que c'est la vie qui compte avant la vérité. Il convient donc de procéder à une remise en question radicale de tout ce qui constitue la raison philosophique en ce XIXe siècle."
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Gnah ! À ne pas interpréter de manière complaisante ! :)
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Exact. Il ne faut pas romancer outre mesure les grandes explorations de cette époque. Colomb connaissait sans aucun doute les thèses de Galilée quant à la rotondité de la terre et en bon navigateur, il a dû étudier longuement les cartes pour établir que la traversée de l'Atlantique le mènerait probablement aux Indes. Sans compter qu'il y avait des motifs financiers à ce voyage. Bref, on ne parle pas d'un illuminé qui aurait été appelé par Dieu à traverser l'océan, mais d'un navigateur courageux et intelligent. Son voyage repose sur une expectative - hardie, sans doute, mais une expectative quand même. *** Il me vient soudainement un exemple frappant d'espoir, souvenir de jeunesse issu du film Indiana Jones et la dernière croisade. Vers la fin du film, le héros est confronté à la traversée d'un abîme, malgré l'absence apparente de chemin pour parvenir de l'autre côté. Il doit donc faire acte de foi et se résoudre à mettre les pieds dans le vide. Le film montre par la suite qu'il y avait bien un chemin, mais que de par sa structure, il se confondait parfaitement avec la paroi rocheuse de l'abîme, ce qui fait qu'il ne pouvait être aperçu. Est-ce que cette image résume ultimement notre condition ? Au bout du compte, ne faisons-nous qu'avancer dans le vide, en espérant que le monde ne s'écroulera pas sous nos pieds ? Je pense que plusieurs ici seraient très enclins à répondre oui, et je pense qu'il y a quelque chose d'assez romantique dans cette idée. De romantique et de maladif. Combien ne faut-il pas avoir perdu confiance en ses moyens pour penser que nous avançons aveuglément ? Nous sommes des êtres fragiles, oui, mais nous ne sommes pas désarmés pour autant, et nos yeux ont une vue limitée, certes, mais au moins nous pouvons voir.
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Intelligence animale et humaine
Dompteur de mots a répondu à un(e) sujet de Savonarol dans Philosophie
Ce n'est pas parce que nous changeons radicalement les conditions d'application de la sélection naturelle que celle-ci n'existe plus. Il y a certainement au sein de la civilisation des caractères par lesquels les individus sont favorisés à se reproduire et inversement. -
C’est un exemple intéressant Théia. Citons un sympathique philosophe pour l’occasion : J’appelle donc « expectative » une attente lucide et réaliste devant des conditions qui ultimement nous échappent. J’appelle en revanche « espoir » tout ce que l’homme insère et trafique dans l’intervalle afin de se rendre cette attente plus supportable. Il est intéressant de noter l’usage du conditionnel que certains font dans ce type de situation. Par exemple, j’aurais moi-même tendance à dire, à propos d’un mal de tête par exemple, que je souhaiterais qu’il cesse. On peut lire dans ce trait tout à fait spontané une manière de marquer le fait que l’on est conscient de sa tendance tout à fait humaine et inévitable à espérer, et que l’on est surtout conscient de sa vanité. De même je dirais sans doute à ma compagne « j’aimerais que tu ne sois pas malade ». Mais je ne perdrais pas mon temps à cette posture risquée et intempérante, et je mettrais toute mon énergie à ce que sa nouvelle vie de malade soit la plus digne – ce qui implique qu’elle soit sans complaisance selon moi – et la plus belle possible. Prendre son souffle et puis vivre – c’est-à-dire laisser parler le désir de vivre en soi, ce qui n’est pas la même chose qu’espérer.
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Les artistes - j'ai en tête certains cinéastes - se battent parfois pour nous faire comprendre que leur oeuvre ne se réduit pas à une interprétation quelconque, que le fait de mettre en mots et en concepts ce que nous en pensons à leur sujet constitue quelque chose qui est extérieur à ce qui compte vraiment, soit l'expérience vivante de l'oeuvre. Je pense que l'idéal de Nietzsche pouvait se rapprocher de cela. Qu'il voulait que sa fréquentation soit avant tout une expérience. Ou peut-être que c'est moi qui aime à voir la philosophie de cette manière, je ne sais plus. En tout cas, dans ces conditions, la question de la vérité ne se pose plus. La trace de l'oeuvre sur soi ne se mesure plus par le distillation rationnelle d'une vérité, mais plutôt par son impression organique sur notre physionomie et sur notre esprit, comme le fait une oeuvre d'art ou un paysage par exemple. Nous ne jaugeons pas la vérité d'un paysage: nous n'avons qu'à le contempler et notre être l'assimile naturellement. Même chose pour une oeuvre d'art: nous n'en cherchons pas la vérité, nous ne faisons que la digérer naturellement. Évidemment, nos digestions successives peuvent finir par révéler des motifs qui en explicitent la substance et la direction. Ce sont ces motifs que nous finissons par appeler "vérité". Mais en les qualifiant de la sorte, et en en faisant une norme qui précède nos digestions, nous contribuons à corrompre le cours de notre système digestif (je crois que j'ai inconsciemment trahi le fait que je suis en train de manger !).
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Une suite d'expectatives déçues peuvent mener un individu au désespoir, c'est-à-dire à la croyance qu'il est destiné à échouer dans ses entreprises et donc que le monde lui est fondamentalement hostile, ou du moins défavorable. De même qu'une suite d'expectatives souriantes peuvent inflatuer la confiance d'un homme et faire naître en lui l'espoir, c'est-à-dire l'idée que son existence puisse être bénie par quelque force charitable. L'espoir comme le désespoir peuvent alors être vus comme des déviances conceptuelles d'un surplus de vitalité ou d'une absence de vitalité. Curieusement, on a coutume de donner à l'espoir une inflexion qui se rapporte beaucoup mieux au désespoir, lorsque l'on dit que certains individus se réfugient dans des croyances irrationnelles pour alléger leur fardeau - par exemple pour le chrétien qui se réfugie dans l'espoir de l'au-delà afin d'alléger le fardeau de l'idée de sa propre mort. On insiste alors sur l'impuissance d'un tel individu comme motif de sa croyance. Mais est-ce que la réalité ne se rapprocherait pas plutôt du schéma que j'ai décrit plus haut ? À savoir que la confiance d'une telle personne se trouve inflatuée par ses expectatives souriantes et que par conséquent elle s'estime capable de surmonter la mort ? Les chrétiens dont je parle (parce qu'il s'agit d'une catégorie particulièrement naïve à laquelle on ne saurait réduire l'ensemble de la chrétienté) se trouvent par exemple galvanisés par leur appartenance à l'Église; ils en tirent un surplus de vitalité - mais une vitalité anarchique, une vitalité qui ne s'écoule pas par des canaux lui assurant la continuité, mais qui jaillit plutôt en éclats éphémères, comme la vitalité que nous insuffle les drogues.
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--> Sisyphe lorsqu'il pousse son rocher dans une pleine dignité.
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Je pense tout simplement que tu n'as pas encore trouvé ta zone de confort. La société nous donne une image précise de ce que "doit" être l'intellectualité; elle nous donne des modèles à imiter, des attitudes à adopter. Il est possible que ces normes te soient trop étouffante. Nietzsche disait qu'il faisait tout pour ne pas se faire comprendre, et je pense que c'est parce que pour lui, le cœur de l'intellectualité ne résidait pas dans son caractère thétique (dans le fait de poser des thèses) mais bien dans la mouvance secrète et "physiologique" que peuvent produire les idées sur les individus. Je me sens un peu comme ça: il y a une dimension ludique qui m'est indissociable de l'intellectualité. Non pas parce que j'en ferais un simple divertissement, ou une simple badinerie - je parle plutôt de jeu au sens spirituel du terme: le fait de créer un espace hors de la réalité, par le truchement duquel peuvent être mis en exergue des aspects cachés de l'existence. Le religieux ne fonctionne pas autrement: il crée un jeu par le rite, dans lequel l'individu s'abandonne. De même que l'art: une peinture, c'est un trou dans la réalité dans lequel on s'engouffre, comme Alice qui passe de l'autre côté de son miroir, et dans lequel on peut apercevoir l'envers des choses. Ainsi va la philosophie, selon ma vision. Il s'agit précisément de reconstituer les conditions du sacré. Pour toutes ces raisons, j'accorde une place essentielle au style de l'écriture. On a traditionnellement tendance à séparer le fond de la forme et à affirmer que seul le fond compte mais pour moi, ces deux éléments sont inséparables, et la forme est aussi essentielle que le fond. Il faut que les yeux glissent sur les mots, et qu'ils s'abandonnent à la dimension sacrée de la réflexion comme on se laisse glisser sur une cascade. Et non pas qu'ils soient constamment ramenés au strict cours des choses par la voie cahoteuse d'un phrasé saccadé et d'idées liées par le moyen d'une logique grossière. Parler du corps et à partir du corps n'est pas donné à tout le monde. En ce sens, tu as raison d'affirmer que l'intellectualité est dans bien des cas une trahison. La plupart ici parlent de ce qu'ils ont lu, ou alors de ce qu'ils croient être ou de ce qu'ils aimeraient être. Peu parlent d'eux-mêmes. Traduire l'universalité de ce qui nous constitue intimement: voilà en quoi réside le talent philosophique. Or, peu de gens peuvent supporter l'écartèlement entre l'intime et l'universel que doit supporter la pensée afin de pouvoir écrire quelque chose de valeur. Peu sentent la physiologie des mots.
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Intelligence animale et humaine
Dompteur de mots a répondu à un(e) sujet de Savonarol dans Philosophie
J'ai déjà fait en page 6 la critique de ce type de relativisme gélatineux: -
Les démagogues nous touchent aussi, la propagande nous touche, la publicité nous touche. Tout le problème de l'éducation se trouve dans ce nœud: celui qui consiste à donner le goût à l'individu de se prendre en main lui-même, à s'auto-élever. Toute éducation qui n'y parvient pas est au fond un échec.
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Se shooter à l'héroïne aussi ça fait plaisir. Ce n'est donc pas suffisant pour entériner un jugement. Il faut se méfier des jugements qui nous font plaisir. Ils sont susceptibles au fond de nous rassurer dans notre ignorance, ou notre indolence, ou nos préjugés, ou nos clichés. Le meilleur jugement philosophique est un jugement qui nous fait violence en nous forçant à réfléchir, mais par lequel nous pouvons accéder à la joie d'avoir réfléchi - la joie n'étant pas la même chose que le plaisir. J'espère donc t'avoir déplu avec cette courte réflexion.
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Je t'arrête là: tu as déjà échoué à ton explication. C'est bel et bien n'importe quoi. Cela dit, tu peux continuer de te maquiller avec des jugements à l'emporte-pièce: ça te fait un beau visage. Pourquoi ?
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D'accord, mais comment concrètement oeuvre-t-on à gagner en conscience ? Qu'est-ce que tu mets sous ce terme générique ? En fait, je devine que lorsque tu parles de "conscience", tu entends probablement le "sens éthique" (ou tu ne t'en es pas rendu compte toi-même, étant trop attaché à la terminologie psychanalytique). C'est vrai que l'un des problèmes de la modernité - c'est presqu'un cliché de le dire, est que le progrès scientifique, technique et technologique a dépassé la capacité d'absorption éthique de l'homme: il a mis l'accent sur les moyens, plutôt que sur le but. Mais si l'on veut induire un développement du sens éthique, cela passe nécessairement par la transmission de savoirs: celui des sciences humaines, celui de l'art, mais aussi peut-être un savoir rituel - celui par exemple qu'a échappé la religion dans son effondrement. Cela dit, il importe d'y voir une conception radicalement différente du savoir. Nous sommes habitués à concevoir le savoir sous l'angle de la technique, une conception qui réduit l'existence humaine à sa nature mécanique. Parce que c'est ainsi que nous vivons: comme des mécaniciens affectés à notre propre entretien. Au nom de quoi ? Une vague idée de performance dont personne ne sait à quoi elle rime (encore un cliché). Le savoir qui mène à un développement du sens éthique est un savoir qui se vit - un bon exemple étant celui de ta discipline fétiche. Encore que vivre, cela s'apprend par d'autres savoir. Vivre une oeuvre d'art par exemple: quelle somme de savoir ne faut-il pas pour vivre un grand morceau de littérature ? Ou même une grande musique ? L'enfant est tiré vers le monde des hommes, et non l'inverse. C'est l'adulte qui le tire dans la danse humaine. Il lui montre les pas. L'enfant l'imite. Qu'est-ce qui fait la différence entre un enfant qui ne fait qu'imiter un jeu de pas et un enfant qui s'abandonne dans l'extase de la danse et dans la communion avec ses partenaires ? C'est peut-être juste l'amour (troisième cliché de la journée): amour que l'on aura mis à lui montrer les pas, amour que l'on mettra à danser soi-même et amour que l'on aura à laisser l'enfant trouver sa propre folie dansante. Mais il y a paraît-il des enfants qui ne veulent rien savoir n'est-ce pas ?
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N'importe quoi. Les philosophes écrivent. Ce sont des écrivains. Et certains écrivent magistralement bien: Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, pour ne nommer qu'eux.
