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Dompteur de mots

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Tout ce qui a été posté par Dompteur de mots

  1. Effectivement. On peut donc y voir aussi le reflet de l'un des traits principaux de la société narcissique post-contemporaine, à savoir le règne de la décontraction. Par le smiley, on entretient une atmosphère de détente, de rigolade, de légèreté.
  2. La pensée n'est régie par aucun droit. Simplement, tu es libre de définir Dieu comme tu l'entends. Tout dépend de la résonance que tu entends donner à ce concept. Parce qu'un concept, c'est aussi une arme. Il y a un moyen terme entre la foi que l'on devrait soi-disant accorder au philosophe et le fait qu'il puisse écrire des conneries. On a pas à prêter foi au philosophe et du reste, ce n'est normalement pas ce qu'il recherche, mais on doit bien admettre qu'il a une compétence particulière sur les questions philosophiques. Ses réflexions peuvent donc nous guider, nous inspirer, enrichir notre propre réflexion - par l'accord ou le désaccord. Une pensée bien articulée, que nous soyons d'accord ou non avec elle, est susceptible d'enrichir notre propre pensée, en ce qu'elle pose clairement les termes d'un problème.
  3. Tu veux dire que l'écriture est asymptotique ? Tiens tiens... J'ai déjà lu ça à quequ'part !
  4. N'est-ce pas une occasion formidable alors de s'instruire ? N'est-ce pas une preuve d'honnêteté que les intervenants citent la source de leurs réflexion ? Qu'est-ce que tu en sais exactement ? Il y a des esprits forts spécialisés sur forum.fr. Tison est linguiste. Leopardi se spécialise en sociologie si je ne m'abuse. Moi-même, j'ai une formation avancée en philosophie. Déjà est un scientifique rigoureux (j'ignore son occupation professionnelle), Blaquière est un artiste, etc. À toi de gérer ton complexe d'infériorité. Tu ne voudrais tout de même pas que les intervenants plus expérimentés feignent l'ignorance pour accomoder les intervenants plus débutants ? De toute façon, personne ne nie ton droit de t'exprimer et de réfléchir. D'ailleurs, tu n'es pas particulièrement impertinent que je sache.
  5. Tout dépend alors de ce que l'on entend par "être heureux", et de ce que doit impliquer d'être "croyant", de ce qu'est une âme "égarée", etc.
  6. Idem pour moi: j'espère avoir montré que ce concept peut être un moteur de réflexion, de curiosité et de doute, plutôt qu'un symbole d'ignorance, de consolation et de renoncement.
  7. À vrai dire, j’en suis sans aucun doute à la plus merveilleuse période de ma vie. Je suis à moi-même – et je l’espère aussi à ceux que j’aime - un soleil d’une chaleur inégalée (par rapport à ce que j’ai été auparavant, s’entend). Seulement, mon aspiration à l’harmonie se double d’un goût pour tout ce qui est cru, inepte et indécent. Je pratique ce que j’aime appeler une philosophie « des pieds dans la merde » : je ne veux me garder d’aucune laideur et d’aucune violence de ce bas monde, à commencer par celles qui m’habitent. En cela, je me sens assez éloigné des philosophies de l’hédonisme petit-bourgeois, qui cherchent à tout prix la décontraction, qui insèrent et requièrent l’allègement humoristique partout, qui cultivent l’allergie au sérieux, même en philosophie… Il est en effet très spécial dans un questionnement philosophique de voir devancer le moment de la réflexion par la réponse. Si spécial en fait qu’on pourrait même se permettre d’affirmer que cela ne constitue pas de la philosophie. Cynisme ultime du philistin de la philosophie qui, après avoir donné la réponse, pose la question – forcément vide de substance – qui le conforte dans ses opinions. Et comment diantre se fait-il que l’on voit partout de la force gravitationnelle alors qu’elle n’est nulle part ? Réponse : c’est parce qu’elle n’est pas un objet, elle n’est pas quelque chose que l’on peut contempler, mais plutôt quelque chose qui s’inscrit dans le dialogue des choses entre elles, et que l’esprit reprend à son compte. Je pense que c’est la même chose avec Dieu. « Dieu » dénote le rapport fondamental de l’homme avec la vie, et il est enclin à subir autant de variations qu’il y a de cultures, puisque le rapport fondamental des hommes avec le monde varie selon les cultures. Ainsi le Dieu chrétien est-il représentatif du regard lié par la transcendance et par la morale qu’avait l’homme du Moyen-Âge sur le monde qui l’entoure. L’athéisme moderne est quant à lui représentatif de la machination de l’existence, de l’affaissement du regard, et du narcissisme sociologique qui lui sont propres : « Les hommes ont de moins en moins besoin de Dieu. Ils « sont » leur Dieu. Ils se posent de moins en moins de questions ; en tout cas, cela reste au niveau du réfrigérateur, de la voiture, du métier, des femmes. Ils en arrivent à se foutre de tout ce qui ne les touche pas personnellement : on en vient à un monde d'indifférents et de hargneux. » - Georges Brassens, Les chemins qui ne mènent pas à Rome. Brassens le dit bien : les hommes sont devenus leur propre Dieu. Car si on peut se définir athée par rapport à une divinité institutionnelle quelconque – ce que je suis de tout mon être – on ne se défait pas pour autant du problème du rapport fondamental de soi-même à la vie. Et si on ne l’aborde pas de front, si on ne s’occupe pas de ce problème, alors c’est lui qui s’occupe de nous; c’est la vie qui s’occupe de nous « vivre », de nous consommer, et on vit alors par habitude, pour reprendre le mot frappant de Tison. C’est une erreur du point de vue de la science, de la biologie, de la physique, de la chimie, mais en ce qui concerne la vie prise dans sa réalité brute, en quoi avons-nous le droit de juger que de telles croyances sont des erreurs ? Si de telles croyances ont pour vertu d’approfondir la vie de ces peuplades, de donner une profondeur à leurs activités, en plongeant les individus jusqu’au cœur poétique de leurs œuvres, alors en quoi cela relèverait-il d’une erreur ? Cela ne serait-il pas au contraire un signe d’intelligence ? D’une intelligence supérieure par exemple à cet individu de la modernité qui, bien que disposant d’une extraordinaire faculté de modélisation scientifique des choses, serait condamné à vivre une vie déracinée, désincarnée ? L’intelligence se limite-t-elle à la faculté de modélisation scientifique ? À la force de la volonté de vérité ? Ou cela relève-t-il d’une croyance, d’une foi institutionnalisée aussi nocive que n’importe quelle foi religieuse institutionnalisée ? Ne faudrait-il pas inclure dans les critères de l’intelligence cette faculté à nouer avec les choses une sorte de poétique de l’existence ? Quant à moi, ma critique est encore plus radicale : je ne sépare tout simplement pas le corps de l’esprit. Ainsi, je ne dis pas que l’esprit n’est qu’une production ou qu’un phénomène du corps, comme une émanation, comme un pet. Je dis que le corps est esprit et que l’esprit est corps, à la Spinoza. L’esprit, c’est la médiation du corps dans le monde. « C’est pour moi une idée bourgeoise celle qui sépare […] le problème du corps du problème de l’esprit [...] » disait Antonin Artaud. Et il avait bien raison : cela est l’idée bourgeoise par laquelle l’esprit est récupéré par la machination de l’existence, ramené au produit d’un processus de production, à l’activité plaisante et décontractante d’un corps qui s’automatise et se divertit par l’esprit. Et je ne m’assois certainement pas sur une telle niaiserie. Le problème de l’esprit est pour moi sérieux, sérieux comme l’est l’entrechoquement des corps les uns comme les autres. À ce titre, il est absolu comme est absolu le corps – mais cela ne signifie pas que l’esprit ait quelque préséance sur le corps, et ni l’inverse d’ailleurs. La science est compétente lorsqu’il s’agit d’établir la causalité matérielle des choses, et de nous donner par le fait même une prise sur elles, un savoir-faire, pour reprendre une idée que tu affectionnes (que tu donnes ici sous la forme de la triade intelligence, savoir, travail). La science saisit le monde sous l’angle du regard extérieur, de l’observateur désintéressé. Mais lorsque le sujet derrière la loupe recouvre toute sa dignité d’individu, et qu’il s’agit de rendre compte de l’expérience vivante des choses, alors là la science devient incompétente. Les sciences humaines sacrifient l’exactitude afin d’obtenir une prise sur l’humaine complexité mais sans jamais vraiment l’atteindre non plus. Elles ne nous en donnent que la manifestation objective. Une émotion ne se réduit certainement pas à un afflux chimique dans le cerveau, même si sous l’angle de la causalité matérielle, cela s’avère. Et cela ne se réduit pas non plus à quelque entrelacement psycho-anthropo-sociolo-ethnologique, même s’il y aussi de cela dans le processus. Mais la réalité la plus profonde d’une émotion émane de sa dimension vivante elle-même, de son inscription dans le continuum de l’expérience de la vie de l’individu. Il y a un sens brut qui s’accroche à l’expérience des choses, un sens qui ne relève pas de la science, ni des sciences humaines. « Désir », « inspiration », « instinct » : même ces mots-là, qui tentent peut-être de cerner objectivement la réalité dont je parle ne la ramène encore qu’à des processus de production, qu’à une sorte de machination de la vie. En ce sens, ce sont des mots qui puent. En ce sens, en cette dimension du vécu (je parle d’une perception du vécu, et non d’un quelconque état ésotérique) dont j’essaie de parler – mais dont on ne peut en même temps parler – une dimension qu’on pourrait qualifier de spirituelle (ce qui nous rapproche tout de même de l’usage que faisait Bergson de ce mot), on est immanquablement ramené à l’aliénation essentielle du langage. Et c’est là, dans cette posture, que le philosophe parfois, entre deux discours savants, dans le creux d’un moment de surabondance, constate qu’il est condamné à n’être qu’un faux maestro. Qu’il peut pianoter et pianoter encore mais que ce qu’il joue n’est jamais finalement que l’hymne d’une éternelle machination. Alors il brûlerait bien tous les livres de la terre pour percer, l’espace d’un instant le voile opaque de cette machination des mots et des idées, en une manière de dire l’amour sans le dire. Mais parce que c’est un philosophe, le philosophe sait bien que cela est impossible. Alors il décide de le dire : « Dieu » ! « Dieu », comme un affront lancé à la face même du langage, de l’intelligence (au sens où tu l’entends), du savoir, du travail, de l’inspiration, du Désir. « Dieu », comme le cri du poète qui, dans un brassage perpétuel des mots, subvertit le langage et plonge l’esprit dans un état de transe qui l’amène au-delà du langage. Mais justement, le philosophe n’est pas un poète, et sa matière est dans les concepts, alors c’est ce qu’il fait : il utilise un concept. Quel autre concept serait donc plus à même de lancer une polémique assez puissante pour faire trembler tout le reste du langage ? « Dieu », comme un cri révolutionnaire qui rendrait à l’existence toute sa dignité, qui la délierait du temps et de l’espace, qui ferait se dilater les secondes jusqu’à en révéler l’éternité de chaque instant, qui ferait sombrer les calculs géométriques et les lois de la physique pour révéler ce bon vieux secret selon lequel tout n’est jamais que sans dessus-dessous, que les astres ne sont en fait que des desperados qui voltigent à leur gré dans le cosmos en dévalisant les nébuleuses. Tout ceci ne veut rien dire… et tout dire à la fois, et c’est tout le secret de ce concept. « Dit tout sans rien dire » dit l’homme au poète, « ou mens sans mentir ». Non. L’erreur consiste plutôt à mêler sens et science. C’est ce qui est arrivé à la religion chrétienne, où on a cru que l’on pouvait tirer de la poétique divine une science de la vie, une logique de l’existence. Alors qu’il ne s’agit pas de cela, mais bien plutôt de la communion des êtres dans l’incommunicable, l’ineffable soi. Dans toute religion, tout culte, l’objet devrait toujours être d’induire par la répétition de gestes divers et de paroles diverses cette sorte de polémique dont je parlais plus haut, à savoir celle qui fait exploser le voile du langage et de la machination pour ramener l’être à une sorte de conscience primitive des choses. Le rôle du ministre du culte devrait être d’exposer le scandale fondamental de l’existence pour quelques instants. Or, on s’est plutôt retrouvé avec cette litanie d’interprétations mièvres, cette moraline, cette éthique baveuse, cette logique de la machination et du travestissement, ou plutôt cette sur-machination, cette double machination qui détourne jusqu’à la profondeur même des choses. Il conviendrait ici de prendre acte de la naïveté avec laquelle tu nous rabats un discours qui est depuis longtemps intériorisé et digéré. Cette critique rationaliste, nous l’avons dix mille fois entendue et réfléchie. Aussi, le Dieu dont tu parles n’est pas en cause ici, cela a déjà été établi par plusieurs intervenants. Il n’est pas question ici d’établir une science ou une logique qui se fonderait sur la divinité ou sur un rapport magique avec les choses. On opposera peut-être ici que mon discours contient, malgré sa prétention, une certaine logique. À cela je réponds qu’il faut alors lire mon principe de lecture et d’écriture afin de saisir le rapport que je tente ici d’établir avec les mots. Une autre façon de dire les choses, plus logique que mon principe celle-là, et moins lyrique, serait de considérer que la trame des mots est à notre regard semblable à la trame du monde : que l’on y lit ce que l’on veut bien y lire, qu’une logique sera extirpée d’un texte en autant que l’on veuille bien la voir – de même que les choses peuvent être rationnellement expliquée en autant que l’on veuille effectivement y voir cette explication. Qu’est-ce que j’espère du lecteur au fond ? – Le lecteur du monde comme le lecteur de mes mots – Qu’il s’exerce, ici et là, à lire au-delà de la machination des choses. Il ne s’agit pas de se délester du réel, mais au contraire de l’embrasser d’une manière plus brutale que jamais. Il ne s’agit pas d’induire un état de transcendance, d’enfermer ou d’extirper l’esprit de son socle, mais au contraire d’exalter son état d’immanence, sa présence brute dans les choses. L’esprit peut couler selon deux plans différents (selon Bergson) : A. Dans le sens de la précision, où l’esprit découpe toujours plus finement la trame du réel afin d’y insérer sa propre griffe; B. Dans le sens contraire, dans le sens de l’ouverture, où il enfante des intuitions. La poésie agit selon ce deuxième sens : elle n’est pas précision, mais se sert plutôt de la trame de précision que l’esprit a découpée pour la subvertir et en faire jaillir une ouverture nouvelle. Du moins c’est à ce trait que je reconnais ce que j’appelle la poésie, au sens fort du terme, et non seulement au sens littéraire.
  8. Héhé ! J'avais manqué cette intervention !
  9. "Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s’appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde, et non sur Christ." - Épître aux Colossiens 2:8
  10. Personnellement, le problème de croire ou de ne pas croire en Dieu ne se pose même pas - sauf pour les dieux des religions, lesquels ne m'intéressent absolument pas. Simplement, j'appelle "Dieu" une dimension de mon existence, de mon esprit. L'"objet" est donc premier, et la dénomination est presque superfétatoire - enfin, elle a une fonction essentiellement polémique. En ce sens, ce concept relève largement de la poésie; il est manifestation polémique, comme tout ce qui appartient au domaine de l'art au sens fort du terme, et cette polémique résulte du choc de la réalité avec l'intuition inexorable d'une grandeur à atteindre. La tristesse des religions consiste en ce qu'elle bafoue cette poétique, et y substitue un Logos.
  11. Je suis tombé là-dessus par hasard:
  12. De l'établissement d'un principe de lecture et d'écriture: (où le héros s'immole sur une plaza communiste, saute en bungee au-dessus d'un trou noir, conquiert la princesse enfermée au sommet de la plus haute tour et donne une représentation du Clavier Bien Tempéré pour les notables réunis). Antonin Artaud avait raison d’affirmer que toute l’écriture n’est que de la cochonnerie. On ne devrait jamais trop estimer l’écriture, trop estimer le poids des mots. Les mots ne sont rien, ou ne sont qu’à peine. Ils n’ont aucune réalité digne de ce nom, ils ne sont que des spectres qui rôdent entre les êtres et les hantent, et tentent de mélanger les fils de la toile qui relie les hommes. Les mots puent. On respecte beaucoup trop les livres. Chacun devrait se permettre au moins une fois dans sa vie la joie de brûler un livre, la joie de voir ses pages s’étioler et se noircir lentement, comme si le papier était soudainement envahit par un tel chaos de mots qu’il s’effondrait sous son propre poids, qu’il se submergeait sous sa propre vacuité. Il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie un livre en cendres, ses mots en fumée comme des lambeaux de pensée dérisoires, éparpillés dans l’air, humiliés. Là où je veux en venir, c’est que, essentiellement, l’écriture n’est qu’une occasion d’accéder à quelque chose, et non cette chose même. Par exemple, moi qui écris présentement, le ballet de mes doigts qui pianotent sur le clavier de l’ordinateur n’a de sens autre que celui de fournir au lecteur une occasion de sentir lui-même le sentiment qui m’anime. Mais ces mots ne sont pas le sentiment qui m’anime lui-même. Ils n’en sont qu’un déchet, un pet, une vomissure. Ces mots ne sont que de la matière à idolâtrie. Quiconque me lit de manière adéquate, de la manière dont je l’entends méprise mon écriture, car ce n’est que le sentiment qui habite cette écriture qu’il aime. Quel est-il ce sentiment ? Oh mais je ne fais que vous donner matière à le nommer. Je vous ponds des guirlandes de mots puants. Mais qu’est-ce que le « nommer » d’un sentiment devant son « sentir » ? Qu’est-ce par exemple que de dire ce qu’est une œuvre d’art lorsque l’on peut la ressentir, en vivre l’expérience en sa propre chair ? Le dire n’est jamais que l’élan du corps dans le vide, l’élan du corps qui cherche une surface dans le vide pour s’y frapper, pour s’y éprouver. Dire « je t’aime », cela n’est jamais que le bruissement farfouilleur du corps qui cherche, qui tire ses antennes dans l’espace afin de détecter le réceptacle possible de son amour débordant. C’est pourquoi sous l’apparence, sous la comédie de l’amour, dire « je t’aime » ne se fait que sous un mode inquisiteur. C’est une demande, et il s’en faut toujours de peu pour que cela ne devienne une supplication. Dire « je t’aime » suppose toujours l’attente d’entendre la réciproque, que l’autre rende ce « je t’aime ». Autrement, c’est l’égarement, c’est le pathétique de l’amour non réciproque, analogue à celui de l’écrivain incompris, dont les lecteurs se contentent d’idolâtrer ses mots, ses livres, sa prestance d’écrivain et en oublie le vibrant appel à l’amour qu’il leur avait lancé. Ces lecteurs sont eux-mêmes analogues à ce mufle qui recevrait les déclarations d’amour de sa dulcinée sans jamais lui donner la réciproque, cela tout en continuant d’entretenir la relation qui les unit en la laissant dans l’expectative. Je ne dirai pas que les sentiments qui animent mon écriture sont les miens, pas plus que l’amour que j’éprouverais pour une demoiselle serait le mien. C’est à Dieu et à lui seul qu’appartiennent de pareilles choses. Mon esprit pourri n’est pas assez large pour recevoir de telles doses d’immensité, il n’est pas assez solide pour encaisser de tels impacts. Je suis vulgaire et faible. Je ne suis que la courroie, le mécanisme, la main, l’esclave. Je ne suis bon qu’à pondre des mots, des guirlandes de mots imbéciles. Mais ces mots ne portent-ils pas alors l’empreinte du Dieu ? Je ne sais pas, peut-être, ou probablement pas. Ne sont-ce pas là, sentiment et écriture, deux choses qui s’approchent infinitésimalement près sans jamais se toucher ? L’écriture n’est-elle pas fondamentalement asymptotique ? L’écrivain n’est-il pas semblable à ce pilote d’avion qui aurait le dessein absurde de frôler en rase-mottes la mer mêlée au soleil qui s’étend à l’horizon, tout en sachant que tout contact lui serait fatal ? Car l’écrivain qui finit par raser l’écume de son sujet s’y consume automatiquement. Écrire n’est jamais l’abandon dans le large, ce n’est jamais le laisser-aller vers le Dieu, c’est au contraire un acte de retenue, de mise en tension. Il s’agit de reléguer Dieu à l’antichambre et de le faire attendre aussi longtemps que nécessaire. Mais voilà : le danger est toujours pour le visiteur de passer outre l’antichambre, de ne pas y apercevoir cet humble mais grandiose personnage qui attend, et de n’avoir d’yeux que pour le faux maestro qui joue du piano de l’autre côté de la porte.
  13. C.G. Jung associait volontiers Dieu à l'inconscient si cela peut être d'une quelconque utilité à ta compréhension (tiens, ma période anti-Jung serait-elle terminée ?). "Dieu" comme étant la source des manifestations les plus profondes de notre être. Sous cette appellation d'"inconscient", on ramène la chose à sa phénoménalité objective, en quelque sorte (pour autant que l'on puisse qualifier la phénoménalité psychanalytique d'objective), alors que sous le vocable de "Dieu", c'est à sa réalité vécue, subjective, immédiate, vivante, que l'on réfère. À quoi se rajoute la phénoménalité religieuse traditionnelle, qui attribut un Logos à Dieu, c'est-à-dire qui lui donne une parole, qui lui attribue l'énoncé de lois morales, etc. Le psychanalyste s'attache au sujet dans une relation de médecin à malade, le prêtre dans une relation de guide à brebis égarée, alors que le philosophe veille à progresser dans l'autonomie.
  14. C'est une excellente question Déjà. Pourquoi donc utiliser le concept de Dieu ? Parce que ce concept est déjà investi, qu'on le veuille ou non, d'une masse considérable d'énergie spirituelle, et parce qu'il évoque rapidement à l'esprit d'à peu près n'importe qui le monde des paradoxes, des mystères, des questionnements de la vie, du sérieux de la vie intérieure aussi, et que l'utilisation renouvelée de ce concept signifie aussi une utilisation renouvelée de l'énergie qu'il contient. Le concept de Sagesse ne renvoit pas à cette nature mystérieuse, paradoxale, ultimement insaisissable, légère, vaporeuse, et à la fois sérieuse et bouleversante, à cette solitude universelle, cet incommunicable soi que nous portons tous. Sans compter la dimension historique qui anime ce concept.
  15. Si ça t'intéresse, c'est plus précisément l'essai Le fond des choses qui traite de la question. Fragments d'éternité est plutôt le titre du volume qui contenait l'essai (lequel volume traitait aussi d'une théorie de la Forme). Héhéhé ! J'adore me faire contredire de la sorte ! Tu as sans doute raison Marioons, quitte à s'armer de patience pour dénouer par la suite les quiproquos et les mauvaises interprétations qui pourront survenir.
  16. Dans ses Fragments d'éternité, le philosophe Pierre Vadeboncoeur explore largement cette tension entre la foi et le doute philosophique. Il suggère que Dieu est peut-être plus une question qu'une réponse. J'ai trouvé cette formulation intéressante. Il note aussi que malgré ses torts, la religion a eu le mérite de préserver au travers des siècles l'ouverture sur une réalité autre - comme par exemple cette réalité qui gît au bout d'une question...
  17. :smile2: *** Ce genre de recueil de conseils est à la philosophie ce que le slogan est à la discussion politique: un bruit de fond ayant pour vocation de rendre la réflexion impossible.
  18. Dans ce cas, la mission d'un débutant est de poser des questions lorsqu'il ne comprend pas les propos en jeu, et de réfléchir doublement plutôt que d'assumer telle ou telle conclusion. De demander des explications plutôt que de lancer des accusations d'élitisme ou d'hermétisme. Maintenant je vous laisse juger si, sur ce forum, les intervenants plus expérimentés sont davantage coupables du péché d'hermétisme ou d'élitisme par rapport au commun et à son péché d'indolence intellectuelle. Ou plus fou encore: je vous laisse lancer un débat sur la base de vos conclusions pour apporter des correctifs visant à l'harmonisation du forum (par "correctifs" j'entends un travail de législation morale qui implanterait dans les esprits la notion de leurs devoirs respectifs). *** Remarquez bien qu'on peut aussi affirmer que ni le commun ni les intervenants expérimentés ne sont tenus à quoi que ce soit. Que chacun est libre de faire ici ce qu'il entend... dans les limites autorisée bien sur par l'intitulé de "philosophie" de la section. De cette manière, les expérimentés seront libres d'entretenir des conversations plus spécialisées avec leurs semblables (car qu'y a-t-il de mal à cela, n'est-ce pas ?), et les débutants n'auront pas le choix de faire preuve d'un esprit d'ouverture et de curiosité. C'est donc une manière de niveler vers le haut plutôt que d'entretenir l'éternelle et irrésoluble tension entre débutants et expérimentés (je parle ici précisément de ces débutants qui ne veulent pas vraiment progresser, c'est-à-dire approfondir leurs pensées, mais qui viennent plutôt pour papoter à propos de tout et de rien (voir le topic sur la volonté).
  19. Plus un intervenant a d'expérience philosophique et plus il a réfléchi sur les questions qui sont débattues, plus la discussion requérera de longueur et de profondeur pour atteindre un point où les changements de position seront possibles. Parallèlement, les interventions des débutants pourront n'avoir pour lui qu'une importance limitée, étant donné qu'elles risquent de toucher à des points qu'il a déjà considérés dans sa réflexion. D'où l'impression que vous pouvez avoir parfois de vous sentir exclue de la discussion. Il ne faut pas le prendre personnel, ni s'imaginer que cette exclusion résulte d'un mépris de la part des autres intervenants*. Il faut au contraire respecter les connaissances et l'expérience des autres, et le voir comme une occasion d'apprendre. C'est ce que je fais lorsque je suis dépassé par un débat (car ça m'arrive): je me tais et je lis. Personne ici ne se proclame expert, mais ça n'empêche pas certains de faire montre d'une certaine expertise, ce qui est bien différent, et ce qui est digne de respect. Ou alors abhorrez-vous la compétence et le talent ? Ou alors jugez-vous que votre propre compétence ou talent sont mésestimés ? * En ce qui me concerne, vous ne serez méprisée que si vous bafouez les exigences élémentaires qui rendent possible la discussion philosophique, ce qui, si je ne me trompe pas, n'est habituellement pas votre cas, ni celui d'Alcina il me semble.
  20. La pensée de ma propre mort est cette confusion, cette distraction dans laquelle je tombe lorsque je ne sais plus comment œuvrer à devenir ce que je suis. Je ne parle pas tant de mes réflexions ou de mes méditations sur la mort elle-même comme phénomène, mais bien plutôt de cette angoisse paralysante qui nous étreint lorsque nous nous abandonnons à contempler le vide qui nous pend au bout du nez. J'appelle cette sensation une confusion, un égarement. Le commun associera rapidement le questionnement ayant mené à cette confusion avec l'angoisse qui l'accompagne, et en déduira que ce questionnement est donc quelque chose de nuisible et qu’il faut par conséquent l’éviter. Alors qu’à terme, ce n'est évidemment pas tant le questionnement qui est nuisible, mais bien la confusion qu'il suppose.
  21. :smile2: C'est la première fois que je te vois aussi incisif Déjà !
  22. Je te ramène à mon opposition verticalité et horizontalité. Ton alternative entre l'agnosticisme d'une part et l'athéisme et la foi d'autre part vaut dans la verticalité. Dans l'horizontalité, il n'y a que la construction progressive d'une réalité, par avancées et ballotages successifs. Il faudrait trouver un concept qui remplacerait celui d'agnosticisme, car l'agnosticisme se définit dans cette éternelle question figée de l'existence de dieu. Or, il faut s'imaginer un agnostique qui n'est pas figé, mais qui avance plutôt, et qui peut-être se forme au fur et à mesure de sa route quelque chose comme une image de Dieu, une image dynamique, et donc un Dieu qui n'a plus vraiment de lien avec celui de cet axe vertical qu'il a depuis longtemps quitté. Alors, quel nom pourrions-nous donner à cet agnostique qui avance ?
  23. Une discussion philosophique a ceci de formidable qu'elle ne porte jamais sur la vie dans toute son entièreté à la fois. Ainsi, sans qu'il soit nécessaire de se déconstruire soi-même, on peut entrer dans le jeu philosophique en mettant au ballottage une partie seule de notre pensée. Autrefois, l'homme avait un esprit ayant une structure systémique, où chaque partie répondait d'un tout - cela précisément parce qu'il ne se permettait que rarement de douter. Aujourd'hui l'homme ressemble plutôt à un immense patch-work, où chaque partie peut être facilement remise en question sans que toute l'individualité ne s’affaisse. Une autre façon de le dire serait d'affirmer qu'autrefois l'homme se construisait selon un axe vertical, où tout l'édifice reposait sur quelques bases qu'il ne fallait pas discuter. Aujourd'hui, l'homme (l'homme philosophe, s'entend) se construit à l'horizontale, de manière plus organique. L'homme hallucinait Dieu dans la transcendance du ciel, à force de s'élever sur lui et vers lui. Aujourd'hui, il l'aperçoit le long de sa route, dans l'immanence des choses (du moins je l'espère pour lui), sous des costumes variés. Entre nous, c'est absolument sans intérêt... À moins que tu puisses développer cette pensée ?
  24. Je ne crois pas qu'il y ait quelque sorte d'expérience que ce soit que l'on puisse qualifier de rationnelle. Ce qui est rationnel, c'est notre façon d'interpréter nos expériences, ou la façon dont nous les mettons en scène. J'assume pleinement les contradictions de ce texte. Le concept de Dieu est typiquement rejeté parce qu'il est lié en sourdine à des imprécations morales, parce qu'il signifie une perte de la dignité et de la liberté individuelle à l'esprit de ceux qui le pensent. Or, ce sont des objections que je partage aussi a priori, et face auxquelles je suis tout à fait critique. Mais une fois arrivé par-delà ces critiques se pose alors la question de savoir ce que l'on peut encore dire. Je suis critique face au registre habituel de ce que l'on entend par "Dieu", mais je ne m'enlève pas la possibilité d'établir ce que ce concept peut bien vouloir dire pour moi, si tant qu'il veuille effectivement dire quelque chose. Ce concept de Dieu s'est prêté à trop de travestissements dangereux dans le passé pour qu'on en parle à tort et à travers. La plus grande pudeur est ici de mise. D'ailleurs, je préfère mille fois un Zelig crachant sur ce que j'affirme qu'un croyant patenté qui y trouverait un réconfort à sa foi. Comprenons-nous: ce n'est pas le sujet même de mon texte qui est dangereux, c'est le vocable de "Dieu" lui-même. C'est ce qui circule dans les esprits lorsque l'on évoque ce mot qui est dangereux. Ce que j'en dis est au fond parfaitement inoffensif.
  25. Vous formulez des critiques, ce qui est très bien. Mais encore faut-il vivre selon ses moyens intellectuels en donnant de la substance à ces critiques. Moi aussi je peux très bien vous taxer de manipulateur, de fumiste ou tout ce que vous voudrez à l'infini. La définition que je donne du concept de "Dieu" dans mon texte n'a aucune espèce d'implication morale, notez-le. elle n'a pas non plus la résonance anthropomorphique habituelle. Je ne fais au fond que nommer un ensemble de sentiments, des sentiments que nous éprouvons tous, que vous éprouvez aussi. Le contenu de mon concept est phénoménologiquement irréfutable. Mais on peut certainement discuter de la pertinence d'en faire une synthèse telle que dénotée sous le vocable de "Dieu". Peu importe ce que vous ressentez. L'essentiel sur un forum de philosophie est que vous explicitiez ce ressenti sous une forme rationnelle. Et non, la tentative de référence que vous donnez dans la 2e phrase ne constitue pas une rationalisation de ce ressenti. Pourquoi dites-vos cela exactement ? Sinon, l'athéisme ne se pose que dans la problématique de l'existence de Dieu. On ne peut donc pas affirmer que nous naissons athées, puisque ce problème ne se pose pas lorsque nous sommes bébés.
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