Voici la dernière nouvelle à peu près montrable que j'ai écrite. Elle a d'ailleurs été publiée dans le journal de mon lycée. D'ailleurs, c'est peut-être pour cela qu'elle n'est pas exactement telle que je l'aurais voulu : il y avait un délai à respecter, et n'ayant vaincu l'angoisse de la page blanche que la veille... en plus, je n'avais le droit qu'à 4 pages Word grand maximum ! C'était assez compliqué. Bref, j'avais décidé de parler un peu de la phobie 2012, et je crois (et j'espère) que ça a été assez bien reçu. A vous de me dire ce que vous en pensez, donc ! :blush:
21 Décembre 2012
Une jeune femme sort de la fameuse université de Rome, quittant un groupe d'amis et partant à leur opposé. Elle semble avoir à peu près une trentaine d'années ; sans doute cette impression est-elle renforcée par son ventre rond de femme enceinte. Elle a de longs cheveux noirs qui flottent derrière elle sous la brise fraîche de la fin du printemps. Des lunettes de soleil masquent ses yeux, et elle semble très empressée. Elle court presque jusqu'à la bouche de métro la plus proche de l'université. Elle s'engouffre dans les entrailles de Rome, passe sa carte dans les portes électriques, et parvient à s'introduire dans le premier wagon juste avant que les portes ne se referment. L'atmosphère est étouffante à l'intérieur ; tels des b¿ufs qu'on enferme dans un enclos, les voyageurs sont entassés dans ces trains. La jeune femme grimace : un homme de forte stature lui écrase le pied. Les gens discutent à voix forte. L'étudiante se masse les tempes : un terrible mal de crâne l'empêche de réfléchir. Des gouttes de sueur perlent sur son front. De longues minutes passent, les arrêts défilent, les voyageurs aussi. Le gros homme qui lui écrasait le pied est remplacé par un autre encore plus obèse, qui se place à son tour sur son pied, comme si la place avait été marquée pour lui. Il respire fortement, et cela a le don d'excéder la jeune femme, plus encore que sa douleur aux orteils, qu'elle commence d'ailleurs à ne plus sentir.
Mais enfin, c'est la délivrance : la petite voix annonce enfin le terminus, Battistini. Devançant le flot de voyageurs, la jeune femme court vers l'air libre. Elle respire un grand coup, avant de reprendre sa course dans les rues de la banlieue de Rome. Elle s'engage dans un véritable dédale. Elle arrive devant un immeuble gris, et s'arrête net devant. Elle ouvre la porte, monte au premier étage et entre dans son appartement. A l'intérieur, tout semble calme. Elle marche à pas lents, à présent, le long d'un couloir au parquet grinçant. Elle arrive dans une sorte de salon. Elle jette un regard furtif dans les diverses pièces de l'appartement, et finit par se rendre dans la cuisine. Elle se dirige aussitôt vers le réfrigérateur, et en décroche un mot qui lui est adressé, écrit d'une main hâtive :
« Laura,
Je rentrerai sans doute tard, je suis avec Mauro. Je sais que tu ne veux pas, mais c'est vital : l'heure approche. Je t'aime.
Giuseppe. »
La dénommée Laura froisse le papier avec colère, puis soudain, elle donne un coup de pied dans le réfrigérateur qui tremble dangereusement, avant de s'immobiliser. La jeune femme, bouillant de fureur, fait les cent pas durant plusieurs minutes, avant de s'asseoir dans un fauteuil, devant la télévision. Elle reste ainsi prostrée devant le petit écran durant quelques heures ; puis elle a faim, alors elle se lève, vide une boîte de haricots verts dans une passoire et fait bouillir de l'eau dans une casserole avant d'y verser des spaghettis. Le visage toujours marqué par la colère, elle mange nerveusement. Vers dix heures du soir, enfin, elle entend quelqu'un entrer dans l'appartement. Elle ne bouge pas. Des pas se rapprochent, et elle se lève lentement de son fauteuil. Apparaît alors par l'encadrement de la porte du salon un jeune homme aux cheveux blonds ébouriffés, et aux yeux sombres. Il est habillé d'une veste et d'un pantalon noirs. Laura l'accueille avec une voix réprobatrice :
-Alors ?
-Alors, alors¿ comme d'habitude !
-Giu, je t'ai dit cent fois que je voulais pas que tu fasses ça !
-Mais Laura ! C'est sérieux ! C'est de la fin du monde qu'on parle, là, ou de quoi ?
-Ma réponse, tu la connais.
Un silence. Puis Giuseppe soupire :
-Je me demande encore comment on fait pour s'aimer.
-Là n'est pas la question, ça n'a rien à voir. Je t'aime, mais¿
De nouveau, une pause un peu gênée. La tension retombe quelque peu, et Laura a une mine triste. Puis elle reprend en tentant de ne pas balbutier :
-Enfin, de toute façon, tu verras bien le 22 Décembre, on rigolera.
-Ne me crois pas si tu veux, mais si le gouvernement nous écoute enfin¿
-Ce sera trop tard, si ta fin du monde c'est le 21. Six mois pour sauver le monde, t'as pas un délai plus court ? Là ça va être trop simple quand même¿
Giuseppe ignore la petite pique chargée d'ironie de Laura. Il s'en va du salon et va se coucher en lâchant un « bonne nuit » à sa femme, qui murmure, d'une voix cassée par des sanglots retenus :
-N'oublie pas que ta fille va naître¿
Les semaines passent, les chaleurs caniculaires de l'été arrivent. La ville de Rome semble comme paralysée ; pourtant, des militants restent actifs. Ils manifestent en permanence dans la rue, arborant des pancartes où il est écrit : « Le jugement dernier approche, repentez-vous », ou encore : « L'apocalypse arrive ! Hurlez à présent. »
Giuseppe, le plus souvent, est parmi eux, et envoie en parallèle des courriers aux dirigeants des grands pays de ce monde. Il croit encore qu'ils peuvent faire quelque chose pour éviter le désastre annoncé par les Mayas. Il n'a toujours pas eu de réponses, depuis plus de deux ans qu'il tente auprès des grandes instances. Sa femme, quant à elle, a obtenu son diplôme de psychologie avec les félicitations du jury. Mais lorsqu'elle veut l'annoncer, l'appartement est vide¿ et sa joie se transforme en désespoir.
Le 17 Août 2012, Lea naît. Sa mère a dû subir une césarienne, et son père n'était pas là. Laura ne lui en veut pas, elle ne peut pas. Lea quant à elle, hurle à pleins poumons. Elle est rouge de colère, comme si elle avait senti que quelqu'un manque à l'appel. Elle finit par tomber endormie, vaincue par la fatigue. Giuseppe arrive le lendemain matin, l'air penaud, et croise à peine le regard de sa femme. Il caresse le menton de Lea, qui hurle de plus belle. Il a un rire nerveux. Il reste ainsi toute la journée, silencieux ou presque, comme pour se rattraper de son absence. Mais rien ne peut racheter ce qu'il a fait, et il le sait. L'espace d'un instant, il se promet d'arrêter de proclamer la fin du monde dans la rue. Il se rend compte de sa folie. Il se rend compte de ce qu'il est en train de perdre, et de ce qu'il a fait jusqu'à présent. Il a quitté son emploi de journaliste, alors qu'il commençait à être un peu reconnu dans le milieu, tout ça pour tenter de sauver le monde, sans que personne ne le croie. Et puis finalement, sa prise de conscience s'arrête là. Il se persuade qu'il fait ce qu'il y a à faire.
En Septembre, les manifestants se font de plus en plus nombreux : quelques uns commencent à semer la terreur dans les villes. Ils mettent le feu à des supermarchés, en criant d'une voix hystérique : « Voilà ce qui vous attend !! Repentez-vous !! ». Les autorités sont vite débordées. Laura quant à elle se désespère : elle ne reconnaît plus son mari. Il a le visage marqué par le stress. Ses yeux sont rouges et contournés de cernes, son front est constamment plissé, et il commence même à perdre des cheveux. La fin du monde, il y croit dur comme fer. Laura se souvient du jour où Mauro était venu, trois ans auparavant, manger chez eux. A l'époque, il était un collègue de Giuseppe, et ensemble, pendant ce repas, ils avaient parlé de cette fameuse prédiction des Mayas. Giuseppe s'en était moqué. Et puis il était tombé dans le piège, et depuis, rien n'avait pu l'en sortir. Laura avait décidé d'attendre le 21 Décembre 2012, et acceptait même de pardonner.
L'Automne arrive : Giuseppe l'annonce comme le dernier. Il fête ses trente ans en brûlant un hangar. Laura ne peut plus le regarder : il hurle, tel un fanatique, en soufflant sur les flammes, comme s'il avait voulu l'éteindre, à la place des bougies sur le gâteau qu'avait préparé son épouse. Le vandalisme va parfois jusqu'au meurtre. Des personnes sont retrouvées égorgées dans la rue. Certains meurtriers interrogés, disent sentencieusement que c'est pour le salut de leurs âmes. Un climat de panique s'instaure dans le monde entier. Le Pape meurt : la communauté catholique est en deuil. Quelques jours plus tard, le nouveau pontife se prénomme Pierre II . Il annonce l'apocalypse, et toute l'Eglise catholique se tourne vers sa parole. Les rangs des fanatiques augmentent considérablement jusqu'au mois de Décembre 2012. Soudain, le calme se réinstalle. Les rues sont désertes, plus personne n'ose sortir. Un blizzard souffle sur la capitale en permanence. Giuseppe passe son temps à se morfondre, la tête dans les mains. D'une période de fanatisme fou, il est passé à un renfermement désespéré. A présent il sait que les gouvernements ne répondront pas. Il attend simplement la mort. Laura, elle, s'occupe seule de Lea, et en parallèle travaille à mi-temps, pour pouvoir survivre. Elle sort elle aussi le moins possible, et essaye de trouver une épicerie ouverte pour pouvoir se réapprovisionner.
Les jours passent. Le 15 Décembre, le Pape Pierre II annonce qu'il se rend pour un ultime pèlerinage à Lourdes. Des millions de croyants l'y attendent. Le 16, à son arrivée dans la ville sainte, une émeute éclate, faisait des dizaines de milliers de morts. C'est le début d'une recrudescence de violence : Giuseppe suit les évènements en regardant l'unique chaîne de télévision restante, qui diffuse un journal 24 heures sur 24. La violence s'étend en quelques heures à d'autres villes, puis à d'autre pays. Le monde entier sombre dans un chaos profond, sans que personne ne sache pourquoi il agit violemment. La peur pousse les hommes à s'entre-tuer. Et puis, le 20, tout redevient désert, dans une ultime accalmie en attendant le jugement dernier. Des messages des dirigeants de divers pays sont diffusés à la télévision, ordonnant de surtout rester calme, et qu'après ce moment de panique, tout redeviendrait normal.
20 heures : Giuseppe sort dans la rue déserte qui fait face à son appartement. Tout est délabré. Etrangement, il se sent responsable. Il était dans les premiers à manifester, et à présent, il n'y croit plus. Il a envie de serrer Laura et Lea dans ses bras. Et puis il se dit que jamais sa femme ne lui pardonnerait. Et que sa fille aurait honte du père que le ciel lui a donné. Il marche ainsi, se rendant compte au fil de ses pas qu'il n'est plus rien. Trois heures passent : le monde retient son souffle. Giuseppe est devant une station d'essence. Il contemple avec intérêt la pile de bidons pleins.
Laura se couche : après tout, pas de quoi stresser. Elle se dit que Giuseppe ne peut plus rien faire, qu'il est seul, et qu'il ne serait pas capable d'accomplir des choses pires que ce qu'il avait déjà fait. Elle se demande comment elle l'imaginerait, elle, la fin du monde ; elle pense à un gigantesque feu qui ravagerait le monde, et tuerait tous les habitants. Lea s'est endormie, et respire paisiblement.
Giuseppe monte lentement les marches de l'escalier de son immeuble. Il enfonce délicatement ses clés dans la serrure, et ouvre la porte de son appartement. Il traîne derrière lui un bidon ouvert qu'il a ramassé. Il répand de l'essence, mais il n'y fait pas attention ; du moins, il faut mine de ne pas le voir. Il va voir dans sa chambre, et voit que Laura est couchée. Il s'avance vers elle, et lui dépose un tendre baiser sur le front. Il l'entend murmurer quelque chose, mais il ne sait pas quoi. Elle remue, puis se retourne. Il fait le tour du lit, et va voir Lea. Il l'embrasse elle aussi. Ensuite, le jeune homme se rend dans la cuisine. Avec un petit sourire triste, il se sert un verre d'eau, tenant toujours le bidon en train de déverser par terre son contenu derrière lui.
Giuseppe s'empare alors d'une boîte d'allumette dans un tiroir derrière lui ; il en craque une, et admire quelques instants la flamme qui s'élève. Enfin, il la jette par terre.
Aussitôt, tout s'embrase, de la cuisine au hall, en passant par la chambre. Laura se redresse. Elle se met à hurler de terreur. Giuseppe, de son côté, court de bout en bout de l'appartement, en appelant :
« Dieu ! Viens me chercher ! C'est MA fin du monde ! MA fin du monde ! »
Il répète ainsi cette dernière phrase, parmi les cris de Laura, bientôt rejointe par Lea réveillée par la chaleur. Puis toutes les voix s'évanouissent, couvertes par le terrible crépitement des flammes.