Certains jours sont le fruit d'idées plutôt étranges. Je me suis mis à me demander comment pouvait-on bien se sentir au moment qui précède notre mort. J'imagine que cela doit dépendre de chacun, des circonstances, d'un peu de tout. Et pourtant, c'est de ce type de défis, de recherches personnelles, dont je me nourris, dont j'occupe ma vie. Peut-être qu'y réfléchir va rendre fécond mon imagination?
Parfois, on se sent l'âme d'un guerrier, d'un combattant. Les hommes sont généralement mieux placés pour se prendre pour tel, bien que je ne doute aucunement de la capacité des femmes à y parvenir. Imaginez-vous, au milieu d'un paysage qui pourrait aujourd'hui se faire visiter pour sa beauté. Prenez donc une cascade, mettez-là ici, ou là. Prenez une plaine, une grande et vaste plaine, verdoyante, resplendissante de beauté, avec ses coquelicots, et ses timides arbres fruitiers. Prenez un paysage qui dans votre esprit sonne comme le mot beauté, pureté.
Ajoutez-y des hommes, partout, ajustez de manière à se faire face. Mettez-les en rang, avec une certaine géométrie, comme si tout ceci n'était que spectacle. Faites-les hurlants, courageux, armés jusqu'aux dents. Un bouclier, une épée, une hache, une lance, un casque, une armure, à cheval, à pied? Qu'importe, tant que vous les faites assez vilains pour contraster avec la nature qui les entoure. Sont-ils méchants, poisseux, laids, beaux, l'air angéliques? Il ne tient qu'à vous de les façonner comme vous le souhaitez. Il ne tient qu'à vous de les faire assez parfait pour tenter de les rendre invisible au sein de ce décor.
Bien. Maintenant, imaginez-vous l'un deux. Prenez donc la peau et l'âme d'un de ses hommes, avec ses armes, ses peurs, ses tripes. Vous sentez vous lui dès à présent? Je peux concevoir qu'il est difficile de créer cette sensation, cette situation, assez vraie pour se sentir comme si cela était réel. Mais si vous êtes arrivés jusqu'ici, je ne doute pas un seul instant que vos efforts et votre concentration suffiront à y arriver. Etes-vous ce soldat, alors? Voyez-vous ce qu'il voit, ce qu'il entend? Criez-vous avec lui, criez-vous?
Si tel est le cas, projetez-vous dans le futur, en avant, dans l'acte qui suivra ces chants guerriers, ces armes pour le courage et la motivation.
Mettez-vous dans le chahut, dans le combat même. Vous devriez le pouvoir si vous êtes en condition. Frappez devant et derrière vous, frappez vos ennemis, ceux qui vous veulent du mal, ceux qui veulent du mal à votre peuple, ou à votre roi? Frappez, et ne réfléchissez pas à la raison. Prenez aussi les coups, encaissez, souffrez de la haine que l'autre vous exprime. Commencez-vous à avoir peur? La mort ne se manifeste pourtant pas encore.
Tuez. Un, puis deux, puis trois, puis tant d'autres, puis trop? Tuez, ou laissez-vous tuer. Quel choix ferez-vous? Qu'importe, vous venez de vous faire toucher. Un malheureux vient de vous trancher la cuisse. Ce n'est pas grave. C'est une égratignure. La peur pourtant, elle, augmente. L'adrénaline aussi. Vous ne souffrez pas, ne pensez pas. Seul compte votre épée, votre combat. Non, vous ne pensez pas. Pire, vous oubliez.
Et c'est là que vient le coup qui vous semble fatal. Une lance se perd dans votre poitrine. Vous n'êtes pas mort pour autant. Vous vous y attendez seulement. Vous le savez. Sans trop savoir pourquoi. La peur atteint son paroxysme. L'adrénaline fait toujours effet. Vous souffrez. sans réellement souffrir. Vous souffrez surtout de votre peur, de votre mort prochaine. Vous avez peur. Vous réfléchissez. Vous commencez à regretter, à penser à votre vie, à votre situation. Vous cherchez une solution. Il n'y en a pas. Vous allez mourir ici, comme de nombreux autres, et l'histoire vous oubliera, comme si vous n'aviez jamais existé. Vous n'existez pas. C'est la dernière note de votre vie. Sa musique s'éteint peu à peu dans votre corps. Vous le sentez. Vous en êtes convaincu. Et puis, sans s'y attendre, tout ceci cesse. On meurt. On se sent apaisé. Bien qu'on ne le sache jamais.