La sensibilité

Je vois des sensibilités "faciles" ... des clichés des poncifs comme une mièvrerie qui suffiront à combler certaines âmes (ou personnalités)...

Et puis des sensibilités plus "exigeantes" plus complexes qui se refuse à tomber dans ce genre de panneau... Ressentir par exemple que le vert et le jaune s'accordent bien... là je m'insurge : c'est trop "facile" ! 

(Je parle autour, c'est difficile à exposer. Il faut faire des gammes et des gammes pour se construire, se constituer une sensibilité musicale... digne de ce nom. C'est pour ça que le rythme, ou plutôt la cadence (au sens populaire et pas musical) prend facilement le pas sur les subtilités de la mélodie. "Cent fois sur le métier..." c'est là qu'une intuition prétendue souveraine, supérieure, transcendante (!) fait figure d'un attrape nigaud !)

Un endurcissement volontaire (comme une ambition forcenée) fera facilement bon ménage avec les premières. C'est alors une simplification... On n'y regarde pas de si près ! Un appauvrissement de la sensibilité. Appeler en renfort une intuition salvatrice sûre d'elle et qui dit tout ! On marche sur un fil, là. On se persuade qu'on ne peut pas se tromper mais ce n'est pas si sûr...

Et puis, il y a aussi le plaisir de comprendre, qui est aussi une jouissance, une sensibilité... assez "intellectuelle". Et la jouissance effective de croire avoir compris même si ce n'est pas le cas ?... Qui vue de l'extérieur est une énorme balourdise ! Une prétention ! je reste prudent.

Je fais une erreur. La sensibilité, comme exposition (Levinas), s'exerce à l'intérieur de cercles qui, lorsque leur rayon grandit, agissent comme des obturateurs progressifs de cette sensibilité.

La sensibilité s'exerce d'abord dans le cercle familial. Puis elle s'étend à la "tribu" avec moins de vivacité, puis elle s'étend à la communauté avec encore moins de vivacité, puis à la classe sociale, etc.

Avec l'actualité nous voyons bien que les juifs sont sensibles à la mort des enfants juifs ou les palestiniens à la mort des enfants palestiniens mais ils restent tous insensibles à la mort des enfants de l'autre communauté.

C'est d'abord l'appartenance familiale tribale ou communautaire qui mobilise la sensibilité. C'est trivial, évident, pourtant cela n'empêche pas chaque communauté de reprocher à l'autre de ne pas être sensible à la mort de leurs enfants. 

Cela a sans doute toujours été cette insensibilité croisée, ou plutôt cela a dû apparaitre avec la propriété privée, avec l'appropriation de la terre. Il est possible que les génocides qui jonchent l'histoire de l'humanité n'aient commencé qu'avec la sédentarisation. 

Ce qui reste étonnant c'est qu'il existe des humains, comme Levinas, mais je pense aussi à Primo Levi, qui sont capables de dépasser leur appartenance communautaire. C'est rare et il semble que cela soit le fait des juifs ashkénazes qui ont connu les camps. Mais il existe quelques rares séfarades qui sont capables de dépasser aussi cette appartenance, je pense à Eva Illouz. Chez les séfarades c'est rare tout de même. Je pense aussi à Jésus qui fut lui aussi capable de dépasser son appartenance (cela lui a coûté cher).

De toute façon c'est bien sûr rare aussi chez les non juifs cette capacité, ou cette acceptation, d'être sensible à l'autre, à celui qui ne fait pas partie de sa communauté.