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Les français de la belle époque. #3


Exo7

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Les peuples des villes.

 

 

Une double révolution bouscula les commerces. Les plus anciennes celle des grands magasins de nouveautés, illustrée par Zola dans Au Bonheur des Dames (1883), remontait au milieu du XIXe siècle. Elle reposait sur un principe simple : vendre à petit prix, mais acheter à bon compte parce qu'en grandes quantités, et faire tourner rapidement la marchandise. 

Un bénéfice sur chaque vente minime, mais souvent renouvelé, produisait un résultat global considérable qui finançait l'extension du magasin : aux tissus et vêtements s'ajoutaient cuirs, parfums, bibelots, bijoux, meubles, etc. L'organisation du magasin reposait sur des rayons dédiés chacun à un type de produits : le responsable de chaque rayon, le "premier", choisissait et commandait la marchandise ; un "second" et des vendeurs ou vendeuses l'aidaient. Des "débitrices" accompagnaient les clientes à la caisse ; des garçons assuraient l'entretien, des magasiniers la réception des marchandises et l'expédition des achats.

Mais ceci supposait une large clientèle, plutôt aisée car on payait comptant. Pour l'attirer, ces magasins développaient une publicité abondante qui misait sur la nouveauté et le prix ; ils créaient des événements ; ils marquaient le paysage urbain de leur architecture monumentale et faisaient de leurs locaux un cadre somptueux sans cesse renouvelé ; leur service impeccable donnait aux clientes le sentiment d'importance et leur facilitait l'achat (livraison à domicile, reprise).

Dufayel ira jusqu'à inclure une salle de théâtre de 1200 personnes dans son magasin et à y projeter des films. 

Ce marchand de meubles - les futures Galeries Barbès - allait même plus loin en organisant la vente à crédit que refusaient les grands magasins. Plus que la bourgeoisie, Dufayel visait en effet la clientèle populaire ; il lui permettait de se "mettre dans ses meubles" en lui faisant crédit, mais avec des remboursements hebdomadaires de quelques francs ; en cas de non-paiement, il reprenait les meubles et gardait l'argent.

Pour ce faire, il employait une armée d'"abonneurs" ou "receveurs" - 800 en 1901 - rémunérés par un pourcentage sur les encaissements.

 

La Belle Epoque porte bien son nom pour les grands magasins. Les plus anciens prospéraient. En 1910, le Bon Marché employait 4 500 personnes dont 1 350 femmes, le Louvre autant, la Samaritaine, le Printemps, autour de 2 500, le BHV un peu moins.

De nouveaux se créaient en province : à Lyon le Grand Bazar ; à Toulouse La Maison Universelle, Lapersonne et Au Capitole ; à Dijon le Pauvre Diable, etc. D'autres dépendaient d'une centrale d'achat, comme les Nouvelles Galeries, les Dames de France, les Magasins Réunis, avec des succès spectaculaires.

Les Galeries Lafayette, fondées en 1893 dans une location de 70 m², s'étendaient en 1914 sur 18 000 m² ; leurs 96 rayons, au lieu de 9, réalisaient 148 millions de chiffre d'affaires contre 6 quinze ans plus tôt ; elles avaient ouvert en 1908 leurs prestigieux bâtiment du boulevard Haussmann, avec une coupole, une terrasse, un salon de thé, une bibliothèque, un coiffeur. C'était un palais du luxe et de la mode, réputé pour ses modèles élégants de vêtements et de chapeaux.

Pour se développer davantage, ces magasins ont inventé la vente sur catalogue en France, dans les colonies et à l'étranger : en 1894, pour la saison d'hiver, le Bon Marché en avait diffusé 1,5 million. Ceci supposait des relais. Les Nouvelles Galeries étaient liées par contrat à des magasins "affiliés" dans diverses villes, et de même les Dames de France ou les Magasins Réunis. 

Dufayel disposait de 22 succursales à la veille de la guerre, ce qui lui donnait 3,5 millions de clients. D'autres grands magasins se contentaient de simples points de vente, mais en très grand nombre ; la Belle Jardinière en comptait plus de 300, et le Bon Marché le double. Une rude concurrence pour les tailleurs, couturières, marchands de chaussures et autres...

 

Une seconde révolution affectait les épiceries, soumises à une concurrence redoutable que résume le nom de Félix Potin. Cet épicier avait inventé un système de distribution très novateur : prix affichés, paiements comptant, produits préemballés, au poids établi de qualité homogène. Le marchand n'avait plus à peser ce qu'il vendait ni à en calculer le prix. C'était la mort du vrac, et "la naissance de la marque, flanquée de son parrain, la publicité", car l'étiquette garantissait la qualité de la marchandise.

Les produits frais s'ajoutent à l'épicerie sèche au début du siècle. Il s'agissait en fait de grands magasins, avec une large clientèle et un personnel important. A Paris, Potin n'avait qu'un magasin central et quatre succursales. Au total, la capitale comptait 70 à 80 grandes épiceries, dont une vingtaine employaient plus de 50 ou de 100 commis, et la plus grosse, Damoy, boulevard Sébastopol, 300.

La vraie révolution venait des réseaux de succursales. L'initiative en revient aux Docks rémois. Des épiciers en gros de Reims avaient eu l'idée en 1887, comme les brasseurs du Nord avec des débits à leur enseigne, de créer des boutiques qui vendraient leurs produits. Ils en avaient 500 à la veille de la guerre. 

D'autres chaines se développent à partir de Reims, les Comptoirs français ou Goulet-Turpin, le Casino à partir à partir de Saint Etienne, ou encore L'Epargne autour de Toulouse. 

La distribution alimentaire amorçait une intégration verticale, car ces entreprises fabriquaient leurs produits : conserves, salaisons, etc. Les succursales vendaient aussi de la mercerie, de la bonneterie, parfois même des chaussures. On comptait à la veille de la guerre 12 000 magasins de ce type en France. Leurs gérants, intéressés aux résultats, nouaient avec leur clientèle les mêmes rapports qu'un épicier de quartier, mais ils dépendaient de leur enseigne comme des salariés. Alors, commerçants ou employés ?

 

A. Prost. (Les français de la Belle Epoque, Gallimard, 2019.)

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