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Les français de la belle époque. #1


Exo7

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Vies et regards des domestiques.

 

 

Nous n'avons pas idée aujourd'hui du poids des domestiques dans la société française avant 1914. On en recensait 864 000 en 1906, dont 106 000 hommes, un peu plus en 1911, soit plus que les travailleurs du bâtiment (530 000) et autant que ceux de la métallurgie et du travail des métaux (850 000). Dans une ville bourgeoise comme Orléans, les domestiques représentaient 6.7 % de la population totale, et 9,8 % de la population féminine, soit une femme sur dix. 

La hiérarchie des "maisons" suivait celle des fortunes. Au sommet, chez les Murat par exemple, 35 domestiques en 1906, répartis en quatre services (bouche, appartement de réception et table, appartement privés et linge, écuries), que complétaient deux bonnes d'enfants et les couples du concierge et du jardinier.

En bas de l'échelle, dans la bourgeoisie modeste, une seule "bonne à tout faire", à tout le moins une femme de ménage. Entre les deux, tout un dégradé. Voici l'hôtel de Broglie à Paris, à l'automne de 1914 :

La mobilisation de plusieurs valets a obliger à fermer les salons du rez-de-chaussée. Notre témoin note avec une pointe d'ironie : "Il reste encore le maître d'hôtel, le concierge, le cuisinier et le chauffeur, et bien entendu les femmes de chambre". 

 

A Orléans, dans le quartier aristocratique, un bon quart des ménages étaient servis, en 1911, par plus de deux deux domestiques ; deux cochers, un valet de chambre, deux femmes de chambre, une cuisinière et une domestique pour une dame noble et ses deux fils, dont l'un est marié. La nurse ou la gouvernante anglaise ou allemande n'était pas rare s'il y avait des enfants. 

Dans le quartier proche des casernes où vivait une bourgeoisie plus récente, souvent des officiers, le tiers des ménages n'employait qu'une bonne. Au total, le nombre de domestiques par maître passe de 2 dans le quartier aristocratique, à 1,34 dans les principales rues commerçantes et 1,2 dans un quartier bourgeois plus récent et plus moderne.

Les domestiques masculins des grandes maisons disposaient d'avantages dont ne bénéficiaient pas les femmes de chambre et les bonnes à tout faire. Ils restaient plus longtemps en place ; une majorité vivait en couple - légitime bien sûr -, éventuellement avec une collègue ; ils tiraient quelques fierté du prestige de la famille qu'ils servaient. 

Au contraire, les bonnes, généralement jeunes ou même mineures, pouvaient difficilement garder leur place si elles se mariaient : leur service et leur logement l'interdisaient.

Pour disposer à tout moment d'elles, les maîtres logeaient en effet la plupart des femmes domestiques, neuf sur dix. Mais dans des logements sordides, notamment les bonnes : une soupente dans la cuisine, ou souvent une chambre étroite sous les combles, mansardée, sans persienne, étouffante en été, glaciale en hiver faute de chauffage. 

 

Les exigences de propreté des maîtres ne s'appliquent pas ici, car il n'y avait qu'un ou deux postes d'eau froide dans le couloir. Quant à l'intimité, outre qu'une même clé ouvrait parfois toutes les portes, tout s'entendait au sixième étage à travers des cloisons trop minces. C'était d'ailleurs le lieu d'une sociabilité ancillaire ; solitaires pendant leur service, les bonnes avaient besoin de parler. " Dans la chambre de l'une ou de l'autre, les paroles vont leur train ; des soirées s'organisent qui manquent parfois de retenue".

Logés et nourrit, les domestiques recevaient des gages qui dépendaient de leur emploi. Dans les grandes maisons, chez les Murat par exemple, le maître d'hôtel et le chef de cuisine pouvaient recevoir 2 400 francs par an, les valets de chambre moitié moins, la bonne d'enfants 960. Ces petites entreprises offraient à leur personnel des possibilités de carrière, ce qui n'était pas le cas de maisons moins riches. 

Quant aux bonnes, elles avaient des gages beaucoup plus faibles, de l'ordre de 500 francs par an. Mais comme elles dépensaient très peu, elles pouvaient épargner autour de 300 francs par an.

Au vrai, elles n'avaient guère le temps de dépenser. Astreintes à une totale disponibilité, elles ne pouvaient s'absenter tant leurs tâches étaient lourdes. Le ménage, la cuisine, la vaisselle, le linge à laver et à repasser, les chaussures à cirer auraient suffi à remplir leurs journées, mais il fallait en outre vider les eaux sales et les seaux, apporter l'eau propre, en hiver charger les feux, les allumer, les entretenir, évacuer les cendres, etc.

Comme le dit leur nom, les bonnes étaient seules pour tout faire. "Le sort leur a réservé les pires travaux et les moindres compensations." Dans les ménages de commerçants, elles servaient aussi souvent de vendeuses. Elles devaient surtout être là quand les maîtres le demandaient, donc se lever et s'apprêter avant eux, se coucher après. Aussi leurs journées pouvaient-elles déborder de beaucoup la douzaine d'heures. Et ceci sans journée de repos.

 

Les lois sociales sur la durée du travail (1892), sur les accidents du travail (1898) et sur le repos hebdomadaire (13 juillet 1906) ne s'appliquaient pas en effet aux domestiques, le législateur y avait veillé.

Les domestiques n'avaient donc littéralement pas un moment à eux. On voit des maîtres, par ailleurs grands catholiques, interdire à leur bonne d'aller à la messe le dimanche pour que la maison reste gardée, ce qui leur vaut une semonce de l'abbé Planeix : "Le dimanche n'est ni à vous ni à vos serviteurs, il est à Dieu, et Dieu ne saurait renoncer à ses droits pour un motif futile."

En fait, sinon en droit, le service est bien proche de la servitude. Dépossédés de leur temps, les serviteurs l'étaient en outre de leur identité. Sauf le maître d'hôtel que les maîtres appelaient par son nom, les domestiques se voyaient imposer un prénom lors de leur embauche : "On vous appellera Marie, c'est le nom de toutes les bonnes".

Les maîtres tutoyaient les domestiques, alors que ceux-ci devaient évidemment les vouvoyer, les appeler "Monsieur" ou "Madame" et parler d'eux à la troisième personne. Même humiliés, ils ne devaient pas répondre à leurs maîtres, y compris les enfants, bien qu'ils connussent mieux que quiconque leurs vices secrets. 

 

Leur costume, imposé, dépendait des fonctions et des moments de la journée, comme le prescrivait la baronne Staffe :"Le matin, le valet de chambre porte des gilets rayés à longues manches noires et un tablier blanc. C'est dans ce costume qu'il sert à table, au déjeuner, à moins qu'il n'y ait des invités." A l'exception du maître d'hôtel, les hommes ne pouvaient porter barbe ni moustache, attributs de l'indépendance virile.

Seuls la gouvernante et le précepteur bénéficiaient d'une certaine considération : Ils pouvaient donner des ordres aux autres domestiques et prenaient leurs repas à la table des maîtres dans un silence respectueux. A "la Belle Epoque", ces exigences reculent. Pauline de Broglie est choquée de ne pas être accueillie par un valet en livrée dans le vestibule des beaux parents de son frère, des nobles plus modernes. 

Mais si les obligations vestimentaires se réduisent, elles sont loin de disparaître. La robe noire et le tablier blanc des bonnes ont encore de belles années devant eux.

Cette exigence d'une impeccable présentation est une façon de refouler ce qu'une historienne a appelé le clivage bourgeois : "Aux maîtres l'endroit, le luxe et la discrétion. (...) Aux maîtres le propre, l'avouable, le secret." La bonne est en charge de la souillure, c'est une souillon, mais il ne faut pas qu'elle en ait l'apparence pour que la souillure soit conjurée. 

 

Le point ultime de la servitude ancillaire est le service sexuel. Aux domestiques femmes, "le rebutant, le dégradant : balai, vaisselle sale, pots de chambre et sexe. Tant il est vrai que, dans l'imaginaire bourgeois, souillure et sexe sont intimement mêlés." 

Il arrivait que le maître ou ses fils "forcent" une servante. Rien ne lui permettait de se défendre contre ceux qui abusaient d'elle. Le parlement avait bien adopté en 1912 une loi facilitant la recherche de paternité, mais les conditions pour la mettre en oeuvre ne permettaient pas en fait à une domestique d'y recourir. Il y avait pire : la servante enceinte était très souvent licenciée sans autre forme de procès.

Elle pouvait trouver une issue dans l'avortement, l'abandon de l'enfant, l'infanticide - avec des cours d'assises généralement indulgentes - et, surtout, la prostitution. 

Parfois pourtant la servitude était acceptée et retournée. On rencontrait aussi des maîtres vieux garçons et des servantes maîtresses. Qui peut dire comment était vécue de part et d'autre la relation de service ?

 

A. Prost. Aristocratie, Bourgeois, domestiques. (Les français de la belle époque). A suivre...

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Membre, 103ans Posté(e)
Exo7 Membre 886 messages
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Les maîtres tenaient sur leurs serviteurs un double discours. Ils disaient du mal des domestiques en général et du bien de la façon dont eux-mêmes traitaient les leurs.

Il fallait se méfier d'eux, ils étaient fourbes, voleurs, vicieux ; ils avaient mauvais esprit ; c'étaient des "natures incultes ou dégénérés", affirme un manuel de l'enseignement secondaire féminin. 

Peu stable, ils changeaient de place pour un oui ou pour un non. Une mobilité qu'exploitait les bureaux de placements privés, malgré une loi de 1904 qui les mettait sous le contrôle de l'administration.

 

Mais sur leurs propres domestiques, les témoignages d'aristocrates ou de bourgeois sont souvent chaleureux et reconnaissants. Ils évoquent des traits d'attachements incontestables. 

Une aristocrate née en 1901 raconte qu'un jeune valet, qui avait laissé pousser sa moustache au service militaire, est venu assister rasé aux obsèques d'un enfant âgé de 7 ans. A ceux qui lui demandaient la raison, il a répondu :" Je n'aurais pas eu l'air d'être de la famille". 

En général, les maîtres faisaient soigner le domestique malade, et ils l'entretenaient parfois dans ses vieux jours s'il les avait servis longtemps. 

Inversement, dans sa thèse de droit, Cusenier signale à la veille de la guerre des cinquantaines de "serviteurs blanchis sous le tablier, qui ont suivi dans une vie de misère leurs maîtres ruinés", et même dont les maîtres acceptent l'aumône. L'affirmation qu'ils font partie de la famille serait alors justifiée.

 

La parole des maîtres étant pratiquement la seule à se faire entendre, il est difficile de conclure. Cusenier est sévère pour les maîtres. 

Les romanciers également, comme Octave Mirbeau dans le journal d'une femme de chambre, ou Léon Frapié dans La Figurante. D'autres indices vont dans le même sens. Pourquoi tant de bonnes changeraient-elles de place si leurs maîtres ne se rendaient insupportables ?

En 1908, 929 bureaux de placement ont servi 350 000 domestiques, dont 120 000 à Paris. Vers 1900, une grande partie des 230 000 domestiques parisiens faisaient deux ou trois places en un an : une mobilité éloquente.

Autre signe négatif : beaucoup de bonnes parties en usine pendant la guerre de 1914 ne sont pas revenues. Enfin, s'il semble que de nombreux patrons laissent à leur mort un pécule à tel ou tel serviteur. Celui-ci est rarement assez important pour figurer sur leur testament (des maîtres) : à la veille de 1914, c'est le cas une seule fois à Orléans sur 176 successions de plus de 100 000 francs !

 

La réalité de l'exploitation recouvre pourtant une multitude de relations qui ne sont pas toutes aussi brutales.

La Françoise de Proust fournit un bon exemple de ces complexités : totalement fidèle et dévouée, mais critique et qui le fait sentir sans le dire ; fière de ses maîtres, et qui les défend à l'occasion, mais leur résiste, refuse de modifier son vocabulaire fautif et ne fait finalement que ce qu'elle accepte de faire.

En introduisant le peuple dans le quotidien de la bourgeoisie, l'institution domestique organise un face-à-face voilé qui peut aller du conflit à la complicité ; un échange où le maître est cependant vulnérable parce qu'il ne peut tenir le serviteur à l'écart de son intimité.

Les conséquences en sont lourdes pour les élites comme pour le peuple.

La première est la diffusion dans le monde rural de certains éléments du mode de vie bourgeois. Beaucoup de bonnes viennent des campagnes, certaines à l'aventure, sans personne qui les attende, et elles courent des dangers que tente de conjurer - entre autres - l'Oeuvre des gares (1905) ; d'autres sont accueillies par des parents ; d'autres encore arrivent dans les bagages de leurs maîtres.

Les Bretonnes sont les plus connues de ces paysannes déplacées à Paris, et elles sont assez nombreuses pour que Notre-Dame-des-Champs organise pour elles en 1897 une "paroisse bretonne", mais il vient des bonnes de toutes les régions.

 

Les pratiques qu'elles doivent adopter leur sont souvent inconnues : la cuisine est beaucoup plus variée, elles découvrent des mets dont elles n'ont jamais entendu parler. 

"Il faut tout leur apprendre", disent leurs patronnes, les cuissons, les usages de table, la diversité du linge et la façon de le plier, de le ranger, l'hygiène et la propreté, les pansements et les soins des malades.

Et elles l'apprennent... Voilà qui fait d'elles au village, si elles acceptent d'y revenir après avoir connu la ville, des partis intéressants : elles disposent souvent d'une petite somme ; elles savent "tenir une maison" et elles ont prouvé qu'elles sont dures à la tâche.

C'est l'une des voies par lesquelles les normes bourgeoises se diffusent dans l'ensemble de la société.

Mais c'est aussi l'une des voies par lesquelles se répand dans le peuple l'image du bourgeois-vampire, qui jouit de tous les conforts, mène la belle vie, mais ne produit rien et profite donc du travail des autres.

Le peuple, lui, travaille et travaille dur. Par delà les traits anecdotiques, bedaine, montre, cigare et haut-de-forme, le bourgeois que représentent les journaux populaires et les caricatures est fondamentalement oisif, un être socialement inutile, un profiteur, et qui de surcroît commande, prétend faire la loi, se croit supérieur et le fait sentir.

D'un côté l'institution domestique rapproche le peuple et les élites, mais de l'autre elle creuse le fossé qui les sépare.

 

 

Antoine Prost.

 

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guernica Membre 22 528 messages
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les femmes pauvres étaient domestiques, ouvrières ou putains...

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Membre, 103ans Posté(e)
Exo7 Membre 886 messages
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Situation de la femme de l'époque

 

Situation Caractéristiques
Femme bourgeoise Éduquée, propriétaire, gère le foyer, passe-temps culturels, dépendante de son mari pour les finances
Femme de la petite bourgeoisie Éduquée, travaille dans les affaires de la famille, implication sociale, dépendante de son mari pour les finances
Femme de la classe ouvrière Travaillait dans des usines ou des ateliers, travail pénible, heures longues, revenus faibles, peu de temps libre, peu d'éducation
Femme de la classe paysanne Travaillait dans les champs, élevait des animaux, travaux ménagers, peu d'éducation, dépendante de son mari pour les finances
Femme veuve Peu de soutien financier ou émotionnel, obligation de subvenir aux besoins de la famille, travaille souvent dans les mêmes domaines
Femme célibataire Les opportunités de travail étaient limitées, peu de soutien financier, certaines étaient obligées de se prostituer pour survivre
Femme divorcée Rarement acceptée socialement, peu de soutien financier, obligation de subvenir aux besoins de la famille seule
Femme immigrante Également confrontées à des difficultés financières et à des barrières linguistiques et culturelles
Femme artiste / écrivaine Peu de reconnaissance, peu de soutien financier, souvent contraintes d'utiliser des pseudonymes pour masquer leur sexe
Femme engagée dans les mouvements féministes Souvent victime de discrimination et d'opposition, mais a joué un rôle important dans la lutte pour les droits des femmes
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