Aller au contenu

Apocalypse Now - Journal


January

Messages recommandés

Invité pako
Invités, Posté(e)
Invité pako
Invité pako Invités 0 message
Posté(e)
Le 14/01/2017 à 13:27, boeingue a dit :

un trés beau film ,mais je préfére Platoon !!

Pas comparable . 

 

Certaines de ces anectodes sont étonnantes . Merci Jan :bo:

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
  • Réponses 57
  • Créé
  • Dernière réponse
Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

:)

19 mai 1976

Premier jour de pluie intense. Un typhon s’approche de la côte. Je n’ai jamais vu une pluie pareille.

20 mai 1976

La tempête a continué de s’intensifier. Les pièces du bas ont été inondées. […] En peu de temps il y avait près de quinze centimètres d’eau et ça avait gagné la chambre et les autres pièces.

21 mai 1976

Ce matin, on est monté à Iba. La production sera basée ici pour les six semaines à venir. […] Pendant le déjeuner, l’assistant réalisateur a demandé quarante volontaires parce que les amarres de la barge qui porte la caméra ont rompu et que le patrouilleur dérive malgré son ancre. Le typhon se dirige droit sur nous.

[…] Le vent est en train d’arracher les tentes où sont stockés les costumes de huit cents figurants.

[…] Médivac (Campement d’évacuation sanitaire). Tout le monde est venu ici à pied dans la boue. […] Le vent souffle de plus en plus fort. Des choses glissent sur le sol. De jeunes figurants se tiennent près de moi. Ils parlent de leurs coupes de GI…se demandent combien de temps cela prendra pour repousser… Ils parlent de black-jack… de l’argent qu’ils gagnent… Vingt cinq dollars par jour et ils n’ont rien d’autre à faire qu’à attendre. Trois cent figurants sont repartis en bus aujourd’hui.

23 mai 1976

Gray vient de passer en jeepney et nous a dit qu’on a eu de la chance de rester à Iba. Hier soir à l’hôtel d’Olongapo, il n’y avait ni eau ni électricité, et tout le monde est allé dans la piscine avec du savon. Plusieurs personnes ont passé la nuit dans la piscine. La climatisation ne fonctionnait pas et les chambres étaient comme des saunas pleins de moustiques.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

24 mai 1976

Il pleut à Manille depuis cinq jours. Le jardin à l’arrière de la maison est sous trente centimètres d’eau. […] Nous n’avons pas d’eau courante dans la maison. Je suis sortie sous la pluie ce matin pour remplir un seau d’eau dans la piscine, que j’ai apporté dans la salle de bains pour me brosser les dents et me laver le visage.

25 mai 1976

Il pleut vraiment fort. Le vent souffle et plaque les palmiers contre la maison […] On est obligés de crier pour se faire entendre. C’est super de ne pas avoir chaud, mais maintenant on est trempés. Tout est ramolli et commence à moisir.

[…] L’avion ne peut pas voler par ce temps […] Ils n’ont pas pu tourner du tout hier ; j’imagine que Francis est d’humeur massacrante.

26 mai 1976

Le bureau a téléphoné pour dire que l’équipe au complet va revenir à Manille. Les décors d’Iba ont tous été détruits par la tempête. […] La production va être suspendue.

28 mai 1976

Aujourd’hui je me sens malade et j’ai mal partout. […] Je viens de me peser. Je pèse quarante kilos. La dernière fois que je pesais aussi peu, j’avais quatorze ans. […] Un cafard énorme vient juste d’atterrir sur l’extrémité du lit, avant de ramper sur la couette. Je n’en peux plus. Je les supporte à peine dans la cuisine et dans la salle de bains. Janet Sheen a dit qu’elle s’est réveillée un soir à Iba avec un cafard qui lui marchait sur le visage.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

29 mai 1976

Francis est à Iba. C’est lui qui m’inquiète. Il est tellement éreinté par tout ça. Il est à cran. Depuis plusieurs jours, il tourne dans une boue qui lui arrive à la hanche, et il est mouillé tout le temps. […] Mona a dit que Francis tient absolument à faire une pause de quelques semaines. Francis n’étant pas du genre à abandonner, je me demande ce qu’il a en tête.

30 mai 1976

Francis est rentré aujourd’hui. […] Le typhon a détruit les petites huttes près des digues et des centaines de personnes sont perdues dans les décombres. Apparemment le gouvernement n’a pas l’intention de monter d’opération de secours. Francis et Bill ont commencé à parler de ce qu’ils viennent de vivre ces cinq derniers jours. A Iba, le décor du médivac a été complètement détruit. Le patrouilleur avait été projeté à une dizaine de mètres et avait atterri parmi les tentes. Le hors-bord s’était retrouvé sur l’héliport. Le niveau de la rivière avait tellement monté que des tas de vivres près du quai avaient disparu. Le camion avec le générateur électrique était sous l’eau et probablement ruiné.

8 juin 1976

On est assis dans l’avion depuis quarante cinq minutes environ. On est montés en pensant qu’on allait partir pour San Francisco. Il y avait pas mal de policiers avec des fusils automatiques sur le trajet entre le terminal et la porte de l’avion. Depuis un mois, les rebelles ont détourné deux avions pour attirer l’attention internationale sur la guerre civile. […]

On rentre parce que la production est suspendue pour six semaines. Toute l’équipe déménage à Pagsanjan, à deux heures de Manille. […] Nous rentrons jusqu’à ce que la production soit prête à reprendre le tournage. […] Je serais peut être de meilleure humeur si nous n’étions pas sortis cet après-midi même de l’hôpital. […] Le médecin a dit que, d’après les tests, nous venions de passer six mois dans un camp de concentration. On est restés à l’hôpital avec des tubes dans le bras jusqu’à ce que Francis n’en puisse plus ; il s’est levé, leur a dit d’enlever les perfusions, et on est partis.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Invité pako
Invités, Posté(e)
Invité pako
Invité pako Invités 0 message
Posté(e)

Les conditions du tournage étaient vraiment apocalyptiques , la vache :mef2:

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

Et ça va se gâter encore plus. Il y avait de quoi faire une déprime... 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

13 juin 1976

On s’est réveillé ici dans cette petite maison terne. […] Le monde des rêves semble enfin avoir rejoint la réalité. Je me sens entière et chez moi. Manille semble faire partie d’une vie antérieure.

24 juin 1976

Hier, Mike et Arlene ont regardé deux heures de rushes, et, […] Arlene a dit qu’elle trouvait le jeu des comédiens hésitant. Francis a immédiatement plongé dans une noire déprime. Il était totalement abattu. Après sept millions de dollars et des mois de production d’une difficulté inouïe, ils ne lui avaient pas dit : « Ouah ! Vous avez vraiment des trucs formidables, là ». Il était au fond du trou. […]

Francis a dit qu’il avait rêvé de la fin de son scénario, mais, maintenant réveillé, l’idée ne lui semblait plus bonne. Il a parlé hier au téléphone avec Brando. Il sait qu’il sera formidable si le scénario est bon. On a parlé des peurs qui l’assaillent, et la plupart d’entre elles semblent liées au fait qu’il n’a toujours pas terminé le scénario.

1er juillet 1976

Francis a dû aller à Los Angeles pour rencontrer les avocats et United Artists, et signer l’accord de prêt. Le film a dépassé le budget prévu de trois millions de dollars, et United Artists doit maintenant couvrir cette somme, mais Francis devra la rembourser de sa poche si le film ne rapporte pas au moins quarante millions de dollars.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

23 juillet 1976

Nous retournons aux Philippines et faisons escale à l’hôtel Peninsula de Hong Kong. […] Cette suite doit être l’une des plus spectaculaires du monde : de grandes pièces avec une vue magnifique, de grandes salles de bains en marbre avec jacuzzi, des peignoirs en éponge et des bocaux en verre taillé pleins de boules de coton.  […] Nous avons  notre propre valet de chambre. Il s’appelle Kong. […] Hong Kong est le supermarché de l’Asie, comme Las Vegas est le centre de jeu des Etats-Unis. […] Francis adore tous ces nouveaux produits et gadgets. Il est allé voir tous les appareils photos, les magnétophones et autres matériels électroniques dans les magasins.

25 juillet 1976

Notre maison est cossue par rapport aux autres. C’est un bloc de béton avec des toilettes intérieures. On a des ventilateurs au plafond et des ampoules fluorescentes sous l’éclairage desquelles tout prend une teinte bleue dès la nuit tombée. Une statue d’un mètre cinquante de la Vierge de Guadalupe est abritée dans une niche dans les escaliers. Elle a des yeux de verre et des cils faits avec de vrais cheveux.

31 juillet 1976

On a inscrit Sofia dans une école de la ville voisine. Ils enseignent l’anglais le matin et le chinois l’après-midi. C’est la première étudiante américaine de l’histoire de l’école. Le vieux principal chinois est sorti pour nous accueillir et nous a fait une révérence à plusieurs reprises, souriant pour nous témoigner l’honneur qu’on faisait à son établissement en lui confiant notre enfant. […] On était loin du Creative Living and Learning Center de San Francisco. Mais les enfants avaient l’air heureux, et les professeurs très sympathiques et enjoués.

2 août 1976

Tonia a commencé à dire  qu’on devrait faire bouillir de l’eau pour laver nos légumes. Un camion équipé d’un haut-parleur est apparemment passé dans la ville pour mettre la population en garde contre le choléra qui sévit dans la région.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

4 août 1976

Hier, Francis a tourné la scène dans la chambre d’hôtel. Il a laissé Marty boire, puisque le personnage est censé être très éméché. Ils savaient tous les deux qu’ils prenaient un risque. Marty a commencé par jouer une version mutique de son personnage, en en faisant une sorte de saint aux accents christiques. Francis l’a dirigé en lui parlant, et il est devenu plus théâtral, Willard le comédien shakespearien. Francis a continué à lui parler, et il s’est mué en petit dur, en bagarreur des rues qui revient de loin, mais qui est malin, qui connaît le judo et qui a l’habitude de se battre. A ce moment-là, Francis lui a demandé de se regarder dans la glace, d’admirer ses beaux cheveux, sa bouche. Marty a alors commencé une scène incroyable. Il a décoché un coup de poing dans le miroir, peut être sans faire exprès. Peut être a-t-il mal calculé son geste. Sa main s’est mise à saigner. Francis a dit  qu’il avait envie de couper et d’appeler l’infirmière, mais Marty continuait de jouer la scène. Il était arrivé à mêler une partie de lui-même au personnage de Willard. Francis était tiraillé : il ne voulait pas passer pour un vampire qui suce le sang de Marty pour son film, mais ne voulait pas non plus arrêter de tourner quand Willard naissait sous ses yeux. Il n’a pas coupé le moteur.

[…] Enrico, Vittorio et les gens qui avaient assisté à la scène sortaient de la pièce, manifestement ébranlés. […] Francis et Marty étaient seuls. Marty était allongé sur le lit, ivre, en train de parler d’amour et de Dieu. Il chantait le vieil hymne « Amazing Grace » et il voulait  que Francis et moi nous chantions avec lui alors qu’il nous tenait la main en pleurant. […] Marty voulait qu’on se tienne tous par la main et qu’on avoue nos plus grandes peurs. Un malaise planait, cette gêne qui existe quand quelqu’un est ivre ou sous drogue et que toi, tu ne l’es pas.  […] Tout le monde essayait de l’emmener jusqu’à la voiture. […] Ca nous a pris environ deux heures pour le faire monter en voiture et le ramener à l’hôtel.

[…] Plus tard, on s’est demandé si la scène serait aussi puissante à l’écran qu’elle l’avait été pour tous ceux qui y avaient assisté sur le plateau. Sur le moment, on avait le sentiment que Marty aurait pu se ruer sur la caméra ou s’attaquer à Francis. Il y avait une telle électricité dans la pièce que n’importe quoi aurait pu se produire. C’était comme si tout le monde se trouvait à l’intérieur d’un être, dans son territoire intime, témoins d’instants intensément privés.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

8 août 1976

Hier soir a eu lieu le premier tournage de nuit. […] L’attente s’est prolongée. Tous les figurants avaient des balles à blanc dans leurs mitraillettes ou leurs fusils et avaient hâte d’ouvrir le feu. Plusieurs nageurs étaient dans la rivière en train de répéter comment poser des mines et traîner hors de l’eau des Vietnamiens morts. […] De temps à autre, les effets spéciaux testaient une fusée éclairante pour s’assurer de son fonctionnement, et le plateau tout entier était illuminé. […] Des éclairs illuminaient le ciel au dessus du pont. C’étaient des espèces d’éclairs tropicaux que personne n’avait jamais vus. Je pouvais entendre les hommes des effets spéciaux en train de rire à la radio, disant : « Dis donc, c’était super ça, Joe, tu l’as fait avec quoi ce truc ? »

[…] Gio a été figurant. Il avait tout l’attirail du GI, portait un fusil automatique M-16 et avait du maquillage noir sur tout le visage. A 12 ans, il était aussi grand que certains des hommes les plus petits.

12 août 1976

Sofia est très intéressée par l’histoire de Jésus. Lorsqu’on est sorties de la douche l’autre matin, elle s’est enroulée dans sa serviette et m’a dit qu’elle était le bébé jésus. Elle voulait que je mette ma serviette sur ma tête pour faire la vierge Marie.

[…] C’était la sixième nuit de tournage consécutive sur le pont Do Long. L’ambiance de cirque avait disparu. Les prises de vues se déroulaient dans une tranchée. Il avait plu et le fond de la tranchée était plein d’eau. […] Vers la troisième répétition, une grosse partie de la tranchée s’est effondrée, recouvrant le rail de plusieurs tonnes de terre et de sacs de sable. Ca a pris un long moment avant d’avoir tout dégagé et de pouvoir enfin continuer.  La scène suivante nécessitait de la fumée, et le type des effets spéciaux a allumé son fumigène. Une nappe de brouillard gris qui sentait l’anti-moustique a tout recouvert. Le vent tournait constamment, et il fallait recommencer à chaque nouvelle prise. Marty, Sam et l’équipe caméra toussaient et se frottaient les yeux. […] Plus tard, afin que le responsable des effets spéciaux puisse lancer une fusée éclairante d’une certaine hauteur, un philippin a grimpé dans un cocotier à environ vingt cinq mètre pour y attacher une poulie permettant de hisser et de redescendre la fusée pour la recharger entre les prises.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

20 août 1976

Il est trois heures et quart du matin et je viens de rentrer du plateau. Ce devait être la dernière nuit de tournage sur le pont Do Long, mais tout est allé très lentement. Un jour de retard se chiffre entre trente et cinquante mille dollars de frais supplémentaires. Le tournage a pris deux jours de retard.

[…] Ce soir Francis a préparé une scène tôt dans la soirée et est rentré à la maison pendant quarante minutes pour manger un peu de soupe tandis que le reste de l’équipe mettait en place l’éclairage et le rail de la dolly. Il a plu sans discontinuer pendant qu’il était à la maison. Lorsqu’il est revenu sur le plateau, le niveau d’eau de la rivière avait monté de près de deux mètres. La scène à tourner devait montrer un acteur marchant dans la boue sur la rive, pour rejoindre le bateau. A présent, il n’y avait plus de rive, et ils ont dû tourner avec le type avançant dans l’eau jusqu’à la taille.

23 août 1976

Aujourd’hui, j’ai filmé la construction du plateau principal, le camp de Kurtz, censé être un lieu saint cambodgien en ruines au bord du fleuve. […] Tout est fait à base de blocs de terre séchée. J’entendais l’eau que des pompes acheminaient du fleuve jusqu’au lieu où ils fabriquent ces blocs, dont chacun pèse près de cent cinquante kilos. Il faut quatre hommes pour les tirer avec des courroies en bambou jusqu’au chantier où, grâce à des palans et d’épais cordages, une longue file d’hommes les soulèvent pour les mettre en place. […] J’ai été très étonnée par ces méthodes de construction à l’ancienne. John la Salandra m’a expliqué que la main-d’œuvre coûte moins cher ici que les machines, et qu’il était plus efficace d’expliquer aux autochtones ce qu’il voulait bâtir et les laisser réaliser les travaux de manière traditionnelle. Il a ajouté qu’il y avait en tout sept cents ouvriers, dont des sculpteurs sur bois, des céramistes, des charpentiers etc..

Certains abattaient des cocotiers pour libérer de l’espace pour construire les huttes en bambou où il est prévu de loger les Indiens embauchés sur le tournage. Dans le scénario, la bande de soldats renégats de Kurtz a entraîné une tribu d’Indiens montagnards pour en faire un groupe de combattants. Au lieu d’utiliser des figurants philippins, Francis a demandé à Eva, l’assistante de production, d’aller dans une province au nord où sont situées les rizières de Banaue, et d’y recruter une vraie tribu indienne qui viendrait ici pour vivre et jouer dans les scènes. On m’a dit qu’elle était en train de négocier avec un groupe de deux cent cinquante Indiens ifugaos. Leur contrat prévoit nourriture, salaire, soins médicaux ainsi qu’un certain nombre de poulets, de cochons et de buffles Pour leurs coutumes sacrificielles.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

26 août 1976

Quand j’y pense, je crois vraiment que ce film représente la création artistique la plus importante d’aujourd’hui. On dit que Dean est chef décorateur ; mais ce n’est qu’une étiquette. Il n’y a sans doute personne au monde qui crée en ce moment une sculpture aussi intéressante que la sienne. Vittorio est un artiste visuel. Un poète de la lumière. Francis écrit, sauf qu’il n’est pas dans une mansarde romantique, il est penché sur sa machine à écrire électrique, en sueur ici à Pagsanjan, donc il ne s’en rend pas compte. En vérité, c’est Francis l’artiste conceptuel que je voulais tant connaître. Le plus grand artiste de 1976. Je suis précisément en train d’assister au moment auquel j’ai toujours rêvé. On est harcelés par les moustiques, on mange des mangues, et tout cela est bien loin de ce que j’avais imaginé, mais je suis prête à parier qu’un jour ce tournage sera considéré comme LE grand moment artistique de l’époque. J’en ris encore.

27 août 1976

Francis est furieux  que le budget du décor ait été dépassé, et il a donc essayé d’économiser de l’argent sur la distribution. Il ne cessait de dire : « Le public s’en fout que les meubles du décor soient de vraies antiquités, ce qui les intéresse, ce sont les gens. »

[…] Francis est en colère et se sent pris au piège. Le département artistique a fait son travail sans regarder à la dépense. Ce qu’ils ont accompli est extraordinaire, mais c’est tellement complet et détaillé qu’il sera impossible pour Francis de tout saisir à l’image. Vittorio veut obtenir pour chaque cadre la meilleure composition d’ombre et de lumière. C’est presque un travail de peintre, et c’est sublime, mais il faut un temps fou pour que tous les éléments soient en place, et le temps, c’est de l’argent.

[…] Si le film est un gros succès, tout ira bien, mais s’il ne marche que moyennement, en ayant dépassé de loin le budget, Francis pourrait finir ruiné avec des millions de dollars de dettes. J’y pense parfois. Peut-être qu’au fond de moi j’aimerais qu’il échoue. Histoire de retrouver un mode de vie plus simple.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

31 août 1976

J’aimerais trouver le moyen de me sentir parfaitement en accord avec moi-même, capable de me trouver n’importe où et de n’avoir besoin que de ce qu’il y a dans ma valise. Je veux vivre là où je me trouve, et il est vrai que je passe un bon nombre de jours par an loin de chez moi. J’aime que le passé reste dans le passé, qu’il soit vraiment révolu. Quand je ne suis pas dans le présent, je me perds dans des conjectures sur l’avenir. Francis se nourrit beaucoup du passé. Il voit le présent à travers le passé. Nous sommes diamétralement opposés. Plus j’y pense, plus je suis émerveillée par tout ce qui nous oppose. J’ai passé des années à résister à nos différences, à me mettre en colère, à trouver que j’avais raison et qu’il avait tort. Mais plus je le vois tel qu’il est, le contraire de moi, plus je m’émerveille de l’attraction des pôles opposés, et plus je l’aime.

2 septembre 1976

Je suis allée à la plantation française […] j’y ai trouvé Francis à l’ombre en train de discuter avec un homme corpulent aux cheveux courts et gris. Comme je m’approchais, l’homme a dit : « Bonjour Ellie. » Son visage me disait quelque chose et j’ai soudain réalisé que c’était Marlon Brando. […] Il semblait m’examiner dans les moindres détails. Comme s’il remarquait les mouvements imperceptibles de mes sourcils, ou une couture inégale sur la boutonnière de la poche de mon chemisier, mais sans porter de jugement. Il était simplement absorbé à observer minutieusement. Plus tard, Francis m’a dit que c’est ce don d’observation qui fait de lui un si grand acteur. Il saisit un personnage et le développe jusque dans les plus petits détails.

[…]

Tous ceux qui sont ici aux Philippines ont l’air de traverser quelque chose qui les affecte profondément, qui modifie leur vision du monde ou d’eux-mêmes, tandis que c’est exactement ce que Willard est censé éprouver au cours du film. Il est certain que quelque chose se passe pour Francis et moi.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

4 septembre 1976

Marlon a vraiment des kilos en trop. Francis et lui discutent beaucoup de comment changer le personnage dans le scénario. Brando voudrait camoufler son poids et Francis voudrait qu’il interprète un homme boulimique qui mange tout le temps.

J’ai entendu dire qu’il y avait de vrais cadavres dans les housses mortuaires sur le plateau du camp de Kurtz. J’ai demandé à l’accessoiriste si c’était vrai ; il a dit : « Dans le scénario c’est marqué « un tas de corps en feu », ça ne dit pas « un tas de mannequins en feu ». »

[…] Francis est rentré à la maison ce soir très excité après sa longue conversation avec Marlon […] Brando a improvisé toute la journée. Allant dans un sens, puis dans l’autre, sans jamais abandonner. […] Brando s’apprête à faire quelque chose qu’il n’a jamais tenté auparavant. Il va jouer un personnage démesuré, mythique, théâtral. C’est le maître de l’interprétation naturelle et réaliste, et il va s’essayer, pour la première fois de sa carrière, à un style de jeu très différent.

5 septembre 1976

A présent, Marlon pense que son personnage devrait plus ressembler au kurtz du livre. Francis a répondu : « Oui, c’est ce que j’essayais de te dire. Tu ne te rappelles pas, au printemps dernier, avant que tu acceptes le rôle, quand tu as lu « Au cœur des ténèbres » et que nous en avons parlé ? » Marlon a dit : « J’ai menti. Je ne l’avais pas lu. »

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

6 septembre 1976

J’ai emmené les garçons à l’aéroport hier, car ils rentrent à San Francisco pour aller à l’école.

[…] Je pleure dans ma chambre jusqu’à présent, essayant de ne pas faire de bruit parce que toutes les fenêtres sont ouvertes à cause de la chaleur. Je veux juste rester seule et faire face à ma tristesse pour la laisser derrière moi.

8 septembre 1976

Francis s’est levé à 4 heures ce matin et est descendu dans son bureau pour écrire. Vers 6 heures, il est venu dans la chambre et m’a réveillée. Il venait de comprendre pourquoi il n’avait pas pu trouver la fin du scénario. […] De la même façon qu’il n’y a pas de réponse simple à la question : pourquoi l’Amérique a-t-elle été au Vietnam ? Chaque fois qu’il essayait une direction précise avec le scénario, il se retrouvait face à une contradiction fondamentale, puisque la guerre elle-même était une contradiction. Les contradictions font partie intégrante de l’être humain. Nous ne pouvons trouver un équilibre entre nos contradictions – l’amour et la haine, la paix et la violence coexistent en nous – que si nous nous avouons entièrement la vérité sur nous-mêmes.

9 septembre 1976

Les ifugaos sont arrivés. Ils se sont installés pour vivre sur le plateau et vont faire de la figuration dans le film. Samedi dernier, ils ont fait un festin. Les prêtres et les vieux de la tribu se sont installés dans la maison des prêtres et ont chanté. […] Le chef était assis près de moi. Il a fait ses études à Manille et parle très bien l’anglais. Il m’a dit que les chansons racontaient une longue légende à propos d’un couple. L’histoire commençait avec les bébés dans le ventre de leurs mères et racontait leur enfance, leur passage à l’âge adulte, leur rencontre et leur mariage, les événements de leur vie, leurs enfants, la culture du riz et puis leur vieillesse. Il faut douze heures environ pour chanter l’ensemble.

[…] Le lendemain matin, je suis revenue aux environs de 7 heures avec Larry. Les prêtres avaient chanté toute la nuit et n’avaient pas encore terminé.

E. Coppola livre ici un long récit sur les sacrifices d’animaux (cochons, poulets, buffle) tandis que les chants se poursuivent. Pour ceux qui se souviennent de la scène du film où un buffle est tué à coups de machettes, ça ressemble fort à ce récit. C’est absolument gore. Elle raconte ensuite qu’ils sont invités à participer au festin et qu’avant de partir, le chef leur a offert le meilleur morceau du buffle, le cœur.

Nous avons accepté, et ce dernier nous a tendu le cœur et plusieurs filets de viande attachés ensemble sur une corde. Le sang coulait encore.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

11 septembre 1976

C’est l’heure du fameux plan où le patrouilleur approche, et navigue à travers une nuée de canoës à bord desquels se tiennent des autochtones couverts de vase blanche. Il commence à pleuvoir. Les maquilleurs se rassemblent et s’interrogent pour savoir ce qu’ils vont faire si la vase commence à s’estomper sur les corps des quatre cents figurants.

14 septembre 1976

Lorsque je suis arrivée sur le plateau vers 21 heures, toute l’équipe attendait. Francis et Marty étaient avec Marlon dans sa péniche en train de discuter. L’équipe attendait depuis plus de quatre heures. […] La présence de Marlon m’impressionne toujours. Je fais ou dis des choses qui ne me ressemblent pas. Quel fardeau ce doit être pour lui de toujours sentir que les gens ne parviennent pas à être naturels avec lui.

16 septembre 1976

E. Coppola rejoint son mari qui s’est isolé sur une plateforme.

Je ne crois pas l’avoir déjà vu aussi désespéré. Il vivait son pire cauchemar. Ilse trouvait sur le plateau gigantesque d’une production énorme, dans laquelle il avait engagé son capital, des centaines de membres de l’équipe attendaient. Brando tardait à venir parce qu’il n’aimait pas la scène : Francis n’avait pas réussi à écrire quelque chose qui le satisfasse. […] Il répétait sans cesse : « Laisse moi partir, laisse-moi abandonner et rentrer chez moi. Je ne peux pas le faire. Je ne vois pas. Si je ne peux pas le voir, je ne peux rien faire. »

[…] Finalement, Francis s’est traîné à l’intérieur. Marlon est arrivé et ils ont commencé une improvisation filmée. Au bout de la troisième prise, c’était dans la boîte.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

11 octobre 1976

A la fin de la dernière scène de Marlon, Francis l’a enlacé, puis a sauté dans un hélico pour rejoindre l’aéroport de Manille d’où il devait prendre un vol à 18 heures pour Hong Kong. Il y est allé avec Dean. Les gens n’ont pas arrêté de me demander pourquoi je n’y suis pas allée. Je ne l’ai pas accompagné parce que Francis avait besoin de quelques jours à l’écart de tout, moi y compris.

15 octobre 1976

Trente-huit prises et Francis n’est toujours pas satisfait. Les gens qui jouent les têtes décapitées restent dans leurs boîtes, enterrées sous terre, de 8 heures à 18 heures. Ils sont là en plein soleil et dans la fumée toute la journée. Entre les prises, on les abrite sous des parapluies. […]

C’est une de ces journées où il y a sans cesse quelque chose qui ne fonctionne pas : la brume du dioxyde de carbone, la fumée orange, le jeu des acteurs, la lumière. Francis n’est jamais content. Je suis assise là, à regarder autour de moi. Les têtes décapitées boivent des coca-cola. Les enfants ifugaos jouent avec des boîtes de pellicule. […] Alex parle du faux sang… « Trente-cinq dollars pour un peu plus de trois litres et demi, et on en utilise vraiment beaucoup aujourd’hui. »

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

20 octobre 1976

Hier soir, Francis a piqué une colère noire parce que les gens entraient sans demander dans la salle de projection pendant qu’il regardait les rushes. […] si quelqu’un fait un commentaire idiot, Francis se sent déstabilisé et donne alors libre cours à ses doutes et à son côté autodestructeur.

27 octobre 1976

Hier soir, la production s’est réunie pour parler de l’emploi du temps. S’il n’y a pas de retard à cause de la pluie, le dernier jour de tournage aura lieu le 24 décembre. […]

Ce matin, il a beaucoup plu. Francis a dû se rabattre sur des prises de vues à l’intérieur du temple afin de ne pas perdre sa matinée. […] On a fini par abandonner et retourner à la voiture pour ramener le matériel à la maison afin qu’il sèche. La pluie est devenue torrentielle, au point de dissimuler à nos yeux des pans entiers du décor.

2 novembre 1976

Dimanche, c’était Halloween. J’ai emmené Sofia à Manille pour qu’elle puisse sonner aux portes des maisons des familles américaines de Dasmariñas avec Claire, et demander des bonbons. […]

En fait, si je suis allée à Manille, c’est parce que Francis est parti quelques jours et que je ne voulais pas rester seule à Pagsanjan. Je voulais m’occuper pour ne pas penser constamment à lui. Francis a été tellement angoissé ces derniers temps, tellement en colère : contre le film, contre moi, contre sa famille, contre tous ceux qui travaillent avec lui, contre sa vie. […] Ces derniers temps, on dirait qu’il est prisonnier d’une contradiction intérieure, tenaillé entre ses attentes par rapport à sa vie et aux gens qui en font partie et la réalité des choses.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

3 novembre 1976

Francis est rentré tôt ce matin. […] Il m’a expliqué qu’il avait voulu à tout prix depuis l’enfance avoir du talent, du succès, et gagner l’admiration de sa famille, de ses amis, des femmes. Il  voulait par-dessus tout avoir du talent. Il en avait toujours douté, et l’admiration qu’il obtenait le désespérait puisqu’il avait l’impression qu’on lui mentait. […] Il pense que si ce film a été si difficile pour lui, et s’il a été si malheureux pendant ce tournage, c’est parce que les idées traditionnelles qu’il avait de ce qui devrait fonctionner montraient leurs limites, ce qui l’effrayait et le mettait en colère. […] Il commence à comprendre que le grand réalisateur n’est peut être pas celui qui est complètement préparé et sûr de son fait, mais celui qui peut utiliser les situations qui se présentent à son avantage plutôt que d’interrompre la production jusqu’à ce que les événements et ses idées de départ soient raccord. […] Il est excité par la possibilité d’explorer ce véritable talent, de voir la vie telle qu’elle est et de se débarrasser de ses idées préconçues.

6 novembre 1976

Francis : « Je n’oblige personne à jouer un rôle, j’oblige le rôle à s’adapter à la personne. Les gens pensent que tu ne peux faire ça qu’avec des acteurs qui ne sont pas professionnels. Ca marche vachement bien avec les professionnels. »

9 novembre 1976

Francis écoutait son magnétophone en attendant la mise en place du décor. Beethoven à fond. Il dit que la musique est la chose qui sculpte le plus parfaitement le temps et l’espace…

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

11 novembre 1976

La prise de vues du soir était un long travelling de trente mètres sous quatre maisons ifugaos. On se trouvait là, sous une maison, assis près du rail, avec les pieds dans de la fiente de poulet ou quelque chose du genre, qui puait vraiment. Alfredo nous parlait en italien, et blaguait sur le fait que monsieur Coppola nous fait travailler là-dessous, dans cette merde. Francis a dit : « Eh bien, c’est la vie. » Et Alfredo a répliqué : « Non, ce n’est pas la vie, c’est le cinéma. Dans la vie, j’ai une belle maison qui sent bon. »

17 novembre 1976

A Baler, c’était les hélicoptères, à Iba le typhon, à la plantation française les acteurs, au camp de Kurtz au début c’était Marlon, puis c’était Dennis Hopper, puis le fait que la fin du scénario n’était pas encore écrite. A présent, ce sont des difficultés d’ordre physique. Il n’y a pas eu une seule journée où ils ont réussi à aller travailler, à s’y mettre à fond et à obtenir le résultat escompté. Ce soir, il va y avoir près de mille figurants pour la grande scène devant le temple. Il pleut des cordes. Il y aura encore plus de boue que d’habitude.

21 novembre 1976

Dean s’affairait aux derniers détails. L’un des ifugaos avait déchiré sa chemise. Dean voulait qu’il la change. Il a remis en place un panier qu’un électricien avait légèrement bougé. Des détails que personne d’autre n’aurait remarqués. Il y avait une certaine excitation parce que c’était le dernier soir de tournage pour les ifugaos ; si la moindre prise était ratée, c’était foutu. Les ifugaos chantaient entre les prises. Leurs enfants s’endormaient. Il fallait les réveiller pour chaque nouvelle prise.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.


×