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dans le sillage des caravelles...suite


pyrenne

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Membre, .un pavé dans chaque main!, Posté(e)
pyrenne Membre 7 025 messages
.un pavé dans chaque main!,
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En ce début d'année 1493, un état des lieux s'impose : depuis 12 ans, Lisbonne détient le monopole de l'Atlantique, dûment certifié par les bulles papales, et aucune puissance ne peut le contester

A l'aube du 24 mars, par une mer démontée, un navire battant pavillon castillan entre dans l'estuaire du Tage, et pendant que les douanes portugaises inspectent le bateau, le capitaine, un certain Cristoforo Colombo, apprend à Joáo II qui le reçoit en grande pompe la soit-disant découverte des « Indes »

A Lisbonne, on ne s'émeut pas de ce que raconte Colombo, il y a bien longtemps que les Portugais sont convaincus qu'il existe des terres à l'ouest des Açores

Début mai, le Pape Alexandre VI fulmine la bulle Inter Caetera, qui donne à la Castille toutes les îles ou terres fermes, découvertes ou à découvrir en allant vers l'occident, à condition qu'elles n'appartiennent pas déjà à un prince chrétien et avec l'obligation de les évangéliser, et définit une ligne de partage nord-sud, passant à cent lieues des Açores et des îles du Cap-Vert, l'Est au Portugais, l'Ouest aux Espagnols

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Joáo II

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Alexandre VI

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Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon

La rapidité du coup porté par les Rois Très catholiques laissent un temps Joáo II sans réaction

En clair, l'Espagne est propriétaire potentielle du monde, sauf de la côte africaine de Ceuta au Cap de Bonne Espérance, Madère et les Açores incluses

Le ton monte entre l'Espagne et le Portugal, mais Joáo II ne veut pas la guerre avec l'Espagne et entreprend des tractations avec Isabelle et Ferdinand, avec comme condition préalable que les accords se feront entre états, le Pape devra se contenter de les avaliser in fine : ce sera le Traité de Tordesillas, signé le 7 juin 1494

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Traité de Tordesillas - 1494

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Carte du partage de Tordesillas

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Manuel 1er

En octobre 1495, Joáo II disparaît et Manuel 1er monte sur le trône

Malgré une opposition sourde à la poursuite des explorations, Manuel décide de continuer l'aventure, il ne choisit pas un marin pour commander la future escadre, mais le troisième fils du gouverneur de la citadelle de Sines : Vasco de Gama

De Vasco, on craint surtout les colères épouvantables, mais c'est un meneur d'hommes hors pair

Il offre à Bartolomeu Dias de l'accompagner pour une partie du voyage, car il sait bien que le Capitaine de la Fin est le meilleur pilote qu'il puisse rêver

C'est donc Dias qui supervise la construction des navires qui iront aux Indes : la São Gabriel, nef capitane, et la São Rafael, des naves à trois mâts gréés carré et voiles latines de 120 tonneaux, auxquelles il ajoute une caravelle de 50 tonneaux, la Bérrio, et un navire ravitailleur de 200 tonneaux qu'on brûlera une fois atteint le Cap de Bonne Espérance

Et c'est encore Bartolomeu qui enrôle les équipages : outre Paulo de Gama qui commandera la Sáo Rafael deux pilotes qui l'ont accompagné lors de son voyage au Cap : Nicolau Coelho commandera la Bérrio, Gonçalvo Nunes sera capitaine du navire ravitailleur, qu'on charge de vivres et de matériel, sans oublier des chats et une belette pour faire la chasse aux rats

Son frère Diogo sera responsable des itinéraires et du fret, il engage des soldats, des marins et se procure des degredados, proscrits ou condamnés à mort ou au bannissement, destinés à servir d'éclaireurs, et établir sur les côtes inconnues des comptoirs à leurs risques et périls

En tout, environ 170 hommes

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Vasco de Gama - manuscrit de Lisuarte de Abreu - 1565

Après une nuit de prières à Notre Dame de Belem, l'expédition lève l'ancre le 8 juillet 1497

Au bout d'une semaine de navigation sans histoire, ils arrivent aux Canaries, doublent le Bojador, atteignent le Rio de Ouro, font escale à Sal du Cap-Vert, puis sur la côte de Guinée où débarque Dias qui a reçut le commandement de la forteresse de Jorge de Mina

Le jeudi 3 août, dit le roteiro (livre de bord redécouvert en 1838 à Coimbra et conservé à la bibliothèque de Porto) ils font route vers l'Est

Gama se laisse emporter par les courants et frôlant le Brésil, trouve les vents de la côte américaine

A 1200 kms au large du Cap-Vert, la Sáo Gabriel casse du bois, les autres navires mettent en panne, le 21 août le mât est réparé, le lendemain le pilote estime que l'Afrique est à 800 lieues derrière eux

Puis le roteiro fait silence sur les deux mois qui suivent et reprend la description de l'itinéraire au 27 octobre, raconte les baleines, les cachalots, et enfin la côte africaine de nouveau en vue : l'expédition touche terre à 1° du cap, dans la baie de Sainte Hélène, après 93 jours de volte dans le gouffre de la haute mer

La route suivie par Vasco jusqu'au Cap n'est pas exactement connue, mais il semble qu'après cette volte impressionnante qui l'a mené à longer le Brésil, il ait interdit que la découverte de cette côte soit enregistrée pour préserver une future découverte, d'où le mutisme du roteiro, par ailleurs extrêmement précis, sur cette période

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La São Gabriel, manuscrit du XVIème siècle

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Volte de Vasco de Gama

Ils arrivent en vue du Cap fin novembre, après quelques entrevues épiques avec les indigènes, Vasco et ses pilotes doublent enfin le dernier padráo de Bartolomeu Dias, et remontent la côte est, de plus en plus verte, bordée de belles forêts, de grasses prairies peuplées de buffles se désaltérant dans de limpides rivières

Ils affrontent les violents courants et les vents contraires qui défendent l'entrée du canal du Mozambique, loupent de peu Madagascar, et le 25 décembre, abordent une côte qui garde le souvenir de ce jour dans son nom : Natal !

Là, après avoir fait brûler le navire ravitailleur, Vasco convoque tous ses capitaines et ses pilotes, avec leurs cartes et leurs instruments, et leur intime l'ordre de jeter le tout par-dessus bord : intraitable, le capitão-major, qui sait qu'il rêvent tous de repartir dans l'autre sens, ne veut laisser aucune possibilité de mutinerie

Le 10 février 1498, les trois navires jettent l'ancre près du Tropique du Capricorne, à Inhambane

On reçoit à bord une délégation de notables accompagnés de leurs épouses, on échange des cadeaux, métaux précieux et ivoire contre des étoffes, des idylles se nouent dans les cotonneraies, et Vasco nomme ce lieu la Terre des Bonnes Gens

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Cefala, au Mozambique, gravure du XVIIème siècle

Ils remontent la côte du Mozambique onze jours durant, abordent l'estuaire du Zambèze et ses marais pour caréner, débarquent les hommes atteints de scorbut, redistribuent les hommes d'équipage pour compenser les pertes

Des indigènes se présentent, les notables des tribus portent des turbans ; l'islam se rapproche, désormais, le péril ne vient plus de terres ou de peuplades inconnues, nos Portugais vont avoir affaire à un ennemi religieux et à un redoutable concurrent commercial

A Mozambique, ils commercent avec des Maures, qui refusent la pacotille ordinaire et demandent de l'écarlate, mais personne n'a songé à en embarquer

On s'entend autrement : le gouverneur prévient que sur les rivages plus au nord sont dangereux, avec des hauts-fonds et des courants très violents, et propose, contre salaires, des pilotes locaux

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Mombassa, au Kenya, gravure du XVIIème siècle

L'escadre met cap au nord, mais les calmes se succèdent et les courants ramènent au point de départ

Les pilotes maures assurent qu'au début d'avril les vents tournent et qu'il faut attendre

Après quelques semaines émaillées de rixes entre chrétiens et musulmans, ils atteignent Mombassa, où une forêt de mâts pavoisés les accueillent, ils sont reçus par le sultan, reçoivent des échantillons de poivre, de clous de girofle, de gingembre

Mais à la nuit tombée, des formes sombres nagent vers les navires portugais : l'alerte est donnée, et les ombres s'évanouissent

Deux jours durant, l'escadre et Mombassa se regardent en chiens de faïence, puis les vents favorables se lèvent enfin, et on monte vers le nord, jusqu'à Malindi

Sur une superbe galiote d'apparat, le scheik vêtu d'une pelisse damasquinée, coiffé d'un turban couvert de pierreries, porté sur un palanquin de bronze noyé sous des coussins de soie, vient à la rencontre des Portugais

Vasco ne veut pas être en reste, et le reçoit dans son habit de cour noir brodé d'or, cape doublée de vermeil, croix d'argent sur son haubert

Enfin, un pilote indigène mais chrétien explique aux Portugais le phénomène de la mousson qui porte depuis des siècles les boutres arabes aux rives indiennes, et se propose pour les aider à faire la traversée

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Gingembre, poivre de Guinée, noix de muscade et poivre noir

Le 17 mai 1498, après quatre semaines de navigation toujours par vent portant, l'Inde est en vue

Cela fait presque un an qu'ils ont appareillé de Lisbonne

Le littoral se présente d'abord dominé par une chaîne de montagnes fantomatiques, les plus hautes que les hommes aient jamais vues, raconteront les marins

Ce qu'ils savent des Indes se borne aux récits de Marco Polo et d'Ibn Battuta, mêlés de légendes

Le pilote indigène embauché à Malindi montre qu'il connaît les usages : il ne fait pas aborder à Calicut, mais un peu plus loin, dans un petit port encombré d'embarcations: Cochin

Les Portugais déclinent leur identité à quelques émissaires venus de Calicut, qui reviennent le lendemain prier Vasco et quelques uns de ses marins de les accompagner

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Vasco de Gama remet ses lettres d'accréditation au Zamorin de Calicut

Qui dira l'éblouissement de ce coureur de mers dans la foule qu'il traverse ce matin-là, accomplissant le rêve démesuré de l'Infant endormi dans son tombeau de la Batalha ?

Une foule d'hommes nus et minces sous le caftan de lin blanc, de femmes aux saris chatoyants, poitrine bras et chevilles couverts de bijoux, d'enfants aux sourires éclatants, criant et se bousculant pour le toucher, une foule étourdissante de vacarme, de senteurs poivrées et de couleurs

Depuis deux siècles, Calicut est la principauté la plus prospère et la plus puissante de la côte sud-ouest du sous-continent indien, son Rajah s'est attribué le monopole du commerce du poivre

Le 28 mai 1498, une délégation officielle représentant Manuel 1er du Portugal, encadrée par deux cents guerriers indiens sabres au clair, accompagne Vasco porté sur un palanquin, entouré d'une foule innombrable, jusqu'au temple où attendent les brahmanes

Les statues d'or ont des saints aux dents gigantesques, une demi-douzaine de bras, et les saintes ne cachent rien de leur anatomie, mais basta, Vasco et ses hommes s'agenouillent et prient

Puis à nouveau c'est la plongée dans la foule, jusqu'aux portes du palais où enfin leur apparaît le Zamorin, allongé sur un sofa de velours vert sous un dais brodé d'or

Vasco et les 13 Portugais de la délégation saluent les mains jointes le Seigneur de la Mer, et les discussions s'engagent

Vasco vante son pays, présente ses lettres d'accréditation et explique que les Portugais ne sont pas venus chercher de l'or ou de l'argent, mais engager un commerce fructueux entre les deux pays, et le Zamorin approuve, il n'est pas homme à négliger un éventuel client

Remonté sur la São Gabriel, Vasco n'en descend plus, pendant les deux mois que dureront le séjour à Calicut, tous les pourparlers commerciaux se font par des intermédiaires, dans une ambiance de plus en plus tendue, sous les quolibets et les menaces des marchands arabes

Une fois obtenue l'autorisation d'ouvrir un comptoir, Vasco, craignant un incident toujours possible, et bien que la contre-mousson ne soit pas encore arrivée, décide qu'il est temps de rentrer

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L'embarquement des animaux exotiques ¿ tapisserie (atelier de Jean Grenier ou Arnould Puissonnier ?) tissée à Tournai, vers 1500/1520, conservée à Lisbonne

Le 29 août 1498, les trois navires quittent Calicut

L'expédition remonte lentement le long de la côte de Malabar, atteint Goa, on en profite pour caréner à l'abri d'un petit archipel, on chasse de quelques coups de canon les galères corsaires qui rôdent alentour

Puis on reprend la mer, mais le voyage tourne à la tragédie ; calmes, vents contraires, tempêtes se succèdent, il avait fallu 4 semaines pour traverser à l'aller, il faudra 3 mois moins trois jours, dit le roteiro, pour faire le trajet dans l'autre sens

Trente hommes succomberont au scorbut et aux fièvres durant la traversée, et l'expédition coûtera la vie au deux tiers de l'ensemble des équipages

Il ne reste que peu marins pour les man¿uvres par navire, l'appareillage express avant la renverse de la mousson est une erreur qui se paie cher, les hommes grognent et l'escadre commence à ressembler à celle du Vaisseau Fantôme quand la brise de la renverse se lève enfin, et en moins d'une semaine une ville africaine est en vue, avec ses minarets, ses maisons étagées, ses palais : Mogadiscio, et quelques jours plus tard, c'est Malindi où l'accueil est toujours aussi chaleureux

Pour continuer le voyage, Vasco décide de sacrifier la São Rafael, qu'on brûle avant de repartir

Ils atteignent le Cap un mois après retrouvé la côte africaine, ils y restent quelques jours le temps de faire des salaisons de mammifères marins et de reprendre des forces

En 27 jours, ils parviennent au Cap Vert, où meurt épuisé Paulo de Gama

Avec 45 000 kms dans leurs voiles et seulement 54 survivants, la Bérrio entre dans l'estuaire du Tage le 10 juillet 1499, suivi de la São Gabriel le 10 août, il a fallu la réparer aux Açores, la nef capitane prenait l'eau !

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Vasco de Gama ¿ Anonyme ¿ XVIème siècle

« des gentilshommes de ma Maison, Vasco de Gama et son frère Paulo, ont découvert l'Inde et d'autres royaumes et seigneuries qui lui sont voisin...de grandes villes avec de grands édifices, riches et peuplés...poivre, cannelle, girofle, gingembre, rubis et pierres précieuses, tout en abondance... » écrit Manuel aux Rois Très catholiques

Dans le port de Lisbonne, la foule en liesse acclame Vasco de retour, admire ces drôles d'indiens aux cheveux lisses et à la peau mate couronnés de leurs turbans, s'agglutine sur le parvis de la cathédrale où une messe est célébrée, puis devant le palais dont les portes se referment sur Vasco et ses compagnons

Doté du titre de « dom » réservé aux plus anciennes familles portugaises, Vasco est admis au Conseil privé du roi, au titre d'Amiral de l'Inde, Seigneur de Sines, sa ville natale, et tous les membres de l'expédition sont largement récompensés, par l'anoblissement ou par des pensions enviables

C'est la dernière vague de l'aristocratie de la mer, au fur et à mesure que la puissance portugaise s'étend sur l'Océan Indien et l'Atlantique sud, la Casa de Mina devient tentaculaire, et la mer une affaire d'état

La gloire, d'autres la connaîtront encore, mais sous la surveillance rigide de l'état qui veille à son précieux fret, à tel point qu'Isabelle et Ferdinand donnent aigrement à Manuel un surnom : le Roi du poivre !

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Tombeau de Vasco de Gama ¿ Monastère des Jerõnimos - Lisbonne

L'aventure n'est pas finie, il nous faut encore suivre Cabral au pays du bois de braise, Balboa sur la rive d'un nouvel océan, Magellan dans ce tour du monde dont il ne verra pas la fin

à bientôt...caravelle.gif

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Pour les curieux :

Parmi les instruments de bord qui permettaient de faire le point quand on naviguait encore à l'estime, outre sablier, loch, compas magnétique, astrolabe et arbalète, les marins utilisaient celui-ci, qu'ils nommaient le renard

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un renard (XVIIIème s.)

Généralement illettrés, les hommes de bord s'en servaient pour enregistrer tous les évènements qui se passaient pendant leurs heures de quart

C'était un tableau composé d'un plateau représentant un cercle sur lequel était tracés les 32 secteurs du compas avec chacun une série de 8 trous

Chaque demi-heure, calculée en permanence par un homme d'équipage préposé au sablier, le timonier reportait les conditions de vent, soit qu'elles aient changé, soit que la route ait été modifiée, en y plantant une cheville prévue à cet effet

En fonction de ces informations, le pilote pouvait réévaluer son estime à chaque changement de quart

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et mes meilleurs voeux à mes aimables lecteurs :cray:

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