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  1. Mais dans la « réalité », dans l’expérience de tous les jours, rien ne se passe de la sorte. Ce qu’il nous est donné au contraire d’éprouver est l’existence permanente d’un lien invisible qui nous rattache aux autres. Ce qui nous est donné est moins un moi ou un toi qu’un nous, ce qui nous est donné est l’expérience d’une co-présence dans laquelle s’invente et lentement vient à se distinguer la subjectivité. Ce qui donc est premier et fondateur n’est pas la subjectivité comme le pensait Descartes , mais bien plutôt ce qu’il faut appeler à l’instar des phénoménologues, « l’intersubjectivité ». Exister c’est donc d’abord et avant tout être avec ( cf. chapitre Le sens de ma vie dans le Mystère de l’Etre). L’autre est d’abord un toi et non pas à lui, ce qui, pour Gabriel Marcel implique que l’autre ne peut jamais devenir un objet, mais qu’il est ce « moi qui n’est pas moi » pour reprendre la formule sartrienne. Le toi désigne l’autre comme alter ego, et comme alter ego, ce toi est posé par moi comme transcendance et liberté. De ce point de vue, aimer est collaborer à la liberté de l’autre. Il n’y a donc des problèmes avec l’autre que lorsque j’objective l’autre c’est-à-dire lorsque je le pose comme « nature » dit Gabriel Marcel (comme « objet » dira Sartre). C’est parce que, pour une raison ou pour une autre, je cesse de participer au mystère de la présence de l’autre révélatrice de mon propre mystère. C’est parce que je romps le lien qui m’unit à l’autre, parce que je quitte la communauté qu’ensemble nous sommes voués à former que l’autre peut se constituer comme problème, c’est-à-dire en fait comme obstacle qui se dresse devant moi et que je ne comprends plus. Pour Gabriel Marcel nous sommes sans cesse liés, relayés au monde, aux autres, c’est-à-dire traversés, débordés par un ensemble d’événements et de phénomènes qui nous dépassent. Il n’y a donc pas d’un côté un « sujet » et de l’autre un « objet », mais une relation qui n’admet aucune frontière possible. Le dualisme sujet/objet sert un monde voué à la technique et au progrès de sa maîtrise que Gabriel Marcel interprète comme un projet de déshumanisation. Dans un tel monde « la mort est une chute dans l’inutilisable-déchet pur » écrit-il. Il n’y a donc pas plus de moyen terme à l’alternative production/ utilité, rentabilité/maîtrise ou désespoir.
  2. Soneto gongorino en que el poeta mana a su amor una palo ma Este pichón del Turia que te mando, de dulces ojos y de blanca pluma, sobre laurel de Grecia vierte y suma llama lenta de amor do estoy pasando. Su cándida virtud, su cuello blando, en limo doble de caliente espuma, con un temblor de escarcha, perla y bruma la ausencia de tu boca está marcando. Pasa la mano sobre tu blancura y verás qué nevada melodía esparce en copos sobre tu hermosura. Así mi corazón de noche y día, preso en la cárcel del amor oscura, llora, sin verte, su melancolía. Traduction : André Belamich Sonnet à la manière de Gongora dans lequel le poète envoie à son amour une colombe Ce pigeon de Turia qui te retrouve avec ses tendres yeux, ses blanches plumes, sur un laurier de Grèce verse et résume la lente flamme d’amour que je souffre. Sa candide vertu, son col si doux, en un double limon d’ardente écume tout frissonnant de givre, perle et brume, marquent pour moi l’absence de ta bouche. Passe la main sur sa blanche vêture : Tu la verras, neigeuse mélodie, recouvrir de flocons ta beauté pure. Ainsi mon cœur, prisonnier jour et nuit dans la cellule de l’amour obscure sans te voir pleure sa mélancolie. La colombe est un symbole amoureux et érotique dans la tradition classique du lyrisme hispano arabe. Dans différents sonnets de Luis de Góngora, l’absence de la personne aimée est chantée à plusieurs reprises. La mélodie, la voix, de Amancio Prada, témoignent la puissance émotionnelle des poèmes de l'amour obscur. Il faut aussi ajouter la qualité de la diction impliquant une claire transmission des textes. L'harmonie et la voix de Prada n'occultent pas les poèmes de Lorca. Il en en est de même chez Paco Ibáñez.
  3. El poeta pide a su amor que le escriba Amor de mis entrañas, viva muerte, en vano espero tu palabra escrita y pienso, con la flor que se marchita, que si vivo sin mí quiero perderte. El aire es inmortal. La piedra inerte ni conoce la sombra ni la evita. Corazón interior no necesita la miel helada que la luna vierte. Pero yo te sufrí. Rasgué mis venas, tigre y paloma, sobre tu cintura en duelo de mordiscos y azucenas. Llena pues de palabras mi locura o déjame vivir en mi serena noche del alma para siempre oscura. Traduction André Belamich Le poète demande à son amour de lui écrire Ô vive mort, amour de tout mon être, j’espère vainement ton signe écrit et pense avec la fleur qui se flétrit que si je vis sans moi autant de perdre. Oui, l’air est immortel. La pierre inerte ne connaît l’ombre et non plus ne l’évite. Cœur intérieur, de rien ne lui profite le miel glacé que la lune lui verse. Mais moi je souffre et j’ai ouvert mes veines dans un tourment de lys et de morsures, tigre et colombe au-dessus de ton sein. Apaise donc d’un mot cette brûlure ou bien laisse-moi vivre en ma sereine nuit de l’âme à tout jamais obscure. Mythique sonnet dans lequel Lorca dévoile sa sombre vérité. « noche del alma siempre oscura », on peut y voir une allusion au poème de San Juan de la Cruz « Noche oscura del alma ». Mais l’âme obscure du poète, dont il est fait référence ici est, peut-être, l’homosexualité à peine dévoilée dans une société obscurantiste et intolérante.
  4. No te pude ver cuando eras soltera, mas de casada te encontraré. Te desnudaré casada y romera, cuando en la noche las doce den. Traduction : M. Auclair, P. Lorenz, A. Belamich Je ne t’ai pas connue lorsque tu étais fille, mais je t’approcherai une fois mariée. Je te dévêtirai, épouse et pénitente, quand dans l’obscurité minuit aura sonné. Yerma- Acte II- Dernier taberau ¡Ay, qué blanca la triste casada! ¡Ay cómo se queja entre las ramas! Amapola y clavel serás luego, cuando el macho despliegue su capa. Si tú vienes a la romería a pedir que tu vientre se abra, no te pongas un velo de luto, sino dulce camisa de holanda. Vete sola detrás de los muros,donde están las higueras cerradas,y soporta mi cuerpo de tierra hasta el blanco gemido del alba.cómo se cimbrea la casida. ¡Ay cómo relumbra! ¡Ay cómo relumbraba! ¡Ay, como se cimbrea la casada! Traduction : M. Auclair, P. Lorenz, A. Belamich Ah, comme elle est blanche, la triste épousée ! Comme elle gémit sous les branches ! Mais dans la cape déployée du mâle elle sera bientôt œillet et coquelicot. Si tu viens en pèlerinage demander que s’ouvre ton ventre, ne mets pas un voile endeuillé mais douce flanelle de Hollande. Va-t’en seule au-delà des murets où sont enfermés les figuiers et supporte mon corps de terre jusqu'au gémissement de l'aube. Ah ! comme elle scintille ! comme elle resplendit ! comme vibre l'épousée ! Yerma- Acte II- Dernier tableau Cette violence qui donne à la fatalité des drames de Lorca une intensité bouleversante, c'est peut-être dans Yerma qu'elle est exprimée sous une forme la plus brutale. Louis Parrot. Lorca qualifiait d'ailleurs cette oeuvre de "poème tragique".
  5. ¡Ay, qué prado de pena! ¡Ay, qué puerta cerrada a la hermosura!, que pido un hijo que sufrir, y el aire me ofrece dalias de dormida luna. Estos dos manantiales que yo tengo de leche tibia, dos pulsos de caballo, que hacen latir la rama de mi angustia. ¡Ay, pechos ciegos bajo mi vestido! ¡Ay, palomas sin ojos ni blancura! ¡Ay, qué dolor de sangre prisionera me está clavando avispas en la nuca! Pero tú has de venir, amor, mi niño, porque el agua da sal, la tierra fruta, y nuestro vientre guarda tiernos hijos como la nube lleva dulce lluvia. Traduction : M. Auclair, P. Lorenz, A. Belamich Ah ! pâturage de longue peine ! Porte fermée à la beauté ! Je demande à souffrir pour un fils, et la brise m’offre des dahlias de lune endormie. Et ces deux sources de lait tiède sont dans l’épaisseur de ma chair comme deux pulsations de cheval qui font mieux battre mon tourment Ô seins aveugles sous ma robe, colombes sans yeux, sans blancheur, la douleur du sang prisonnier me cloue des guêpes dans la nuque. Mais tu viendras, amour, mon enfant, car l’eau donne le sel, la terre du fruit et le ventre des femmes porte des enfants, comme la nue porte la douce pluie. Yerma- Acte II- deuxième tableau Yerma est une pièce de théâtre écrite en 1934. Mariés depuis deux ans, Yerma* et Juan n'arrivent toujours pas à avoir d'enfant. Juan semble accepter et s'enferme dans le travail cherchant à faire de son exploitation agricole une entreprise prospère et florissante. Yerma, au contraire, refuse de se soumettre à la fatalité et cherche par tous les moyens à conjurer le sort. Cette obsession introspective de Yerma va conduire Juan à la soupçonner de tout. Les attitudes opposées et acharnées de l'un et l'autre vont détruire le peu d'amour qui semblait encore tenir le couple. Chacun devient un étranger au sein de son propre foyer. Après cinq ans, le couple exsangue ne paraît plus voué qu'à la destruction et à la mort. « Yerma, c’est le destin tragique d’une femme qui, mariée depuis cinq ans ne peut avoir d’enfants, bascule dans une psychose meurtrière en tuant son mari. Dans cette œuvre Lorca dénonce le système rural d’une Espagne ancrée dans ses croyances et ses superstition, la cupidité des hommes et leur machisme ainsi que la soumission des femmes enfermées dans des codes moraux rigides. » (Alternance de prose et de passages versifiés). *Yerma veut dire terre dépeuplée, stérile.
  6. Je suis de ton avis. Peut-être aurait-il fallu davantage de sobriété dans l'interprétation. Mais comme tu le soulignes, la musique est de style arabo-andalou, il me semble donc que cela reste dans le ton.
  7. Lettre 56 – deuxième partie 28 avril 2019 Samuel, (XIII siècle) En Mésopotamie (voir lettre 52) régnaient toujours à Bagdad les Seldjoukides tandis qu’un califat abbasside continuait de tenir le rôle représentatif de Commandeur des croyants. Mais les Seldjoukides étaient désormais éclatés en nombreuses petites dynasties turques locales ce qui affaiblissait le pouvoir central de Bagdad. A l’est du monde occidental, naquit, entre 1155 et 1157, en Mongolie, un homme qui construisit en quelques décennies un empire à la puissance inégalée : Temüdjin qui régna sous le nom de Gengis Khan. Fils selon la légende du Loup bleu et de la Biche fauve, en réalité fils d’une tribu dominante mongole, il connut une enfance misérable suite à des conflits inter-tribaux. A 15 ans il revint en grâce près du régnant. Alors s’appuyant sur son énergie, son charisme et son génie militaire, il fédéra sous son autorité toutes les tribus mongoles. Réunis en assemblée les chefs de tous les clans lui prêtèrent hommage et lui firent allégeance en le reconnaissant Tchingiz Khagan, c’est-à-dire Roi de l’Univers. [Khan signifie : dirigeant et Gengis signifie : universel]. Il engagea aussitôt une conquête fulgurante. A la tête d’une armée de cavaliers infatigables, rapides et insaisissables, experts dans le maniement de leurs arcs, Gengis Khan conquit la Sibérie et la Chine puis il se projeta vers l’ouest. Il conquit la Transoxiane, l’Afghanistan puis la Perse. Il mourut au cours d’une opération militaire en 1227. [La Transoxiane est formée actuellement par l’Ouzbékistan et le sud-ouest du Kazakhstan]. L’un de ses petit-fils, le prince Houlagou poursuivit la conquête. Il occupa totalement la Perse, puis il s’empara de Bagdad en 1258. Il exécuta le calife, abolit le califat et dispersa les Seldjoukides. La destruction du califat marqua ainsi la fin d’une longue ère d’exception pour les Arabes. Les Mongols tentèrent de nouvelles percées à l’ouest mais ils furent arrêtés par un chef mamelouk (voir ci-après). Du coup ils arrêtèrent là leur conquête et ils se replièrent en Perse où ils fondèrent un royaume dont la Mésopotamie devint une simple province. Ce statut subalterne entraîna l’effondrement du pouvoir civil de Bagdad et la ruine des ouvrages d’irrigation qui faisaient jusque-là la richesse agricole de la région. La Mésopotamie rentra dans une phase de déclin prolongée. La communauté juive qui rayonnait jadis en Mésopotamie connut aussi un déclin marqué. Dans un premier temps elle parvint à tenir des positions importantes dans la nouvelle administration mongole, mais après le repli de ceux-ci sur la Perse, dans leur capitale Maragha, son chef Sa’ad al-Dawla connut la disgrâce, et la communauté n’eut plus qu’un rôle local marginal. L’empire byzantin et la quatrième croisade. Le pape Innocent III (voir première partie de cette lettre) voulait reconquérir Jérusalem. Galvanisés par le prêche de Foulques de Neuilly, curé de Neuilly, 30 000 hommes répondirent à l’appel du pape. Conduits par les comtes de Flandre et de Champagne ils choisirent de partir de Venise pour rejoindre le Moyen-Orient par la voie maritime. Les Vénitiens acceptèrent de fournir les vaisseaux contre une somme de 85 000 marcs d’argent. Mais quand les Croisés se réunirent à Venise en 1202 pour le départ, ils n’étaient plus que 10 000 et il manquait 51 000 marcs. Pour paiement les Vénitiens exigèrent des Croisés la prise de Zara (aujourd’hui Zadar) ville située sur la côte croate, appartenant alors au royaume de Hongrie, ce que firent les Croisés le 24 novembre 1202. C’est alors qu’ Alexis IV Ange, le fils de l’empereur Isaac II de Constantinople qui venait d’être destitué par son frère, demanda aux Croisés d’intervenir et de rétablir son père dans ses droits contre le paiement de 200 000 marcs, la fourniture de 10 000 hommes et la promesse d’œuvrer pour la réunification des deux Églises chrétiennes, la catholique (Rome) et l’orthodoxe (Constantinople). Le 23 juin 1203 les Croisés arrivèrent devant Constantinople, assiégèrent la ville, l’investirent puis rétablirent Isaac II dans ses droits. Mais au lieu de partir conquérir Jérusalem ils décidèrent de démembrer l’empire byzantin et de partager les terres avec les Vénitiens, non sans au passage s’interdire de piller Constantinople. Il s’ensuivit une guerre d’usure contre les Byzantins. S’en était fini de l’objectif initial des Croisés : reprendre Jérusalem. En 1261 un prince grec, Michel Paléologue reprit Constantinople, une partie de l’Asie mineure et les terres européennes de l’Empire. Cet épisode affaiblit l’empire byzantin et profita aux républiques italiennes de Venise et de Gênes qui parvinrent à garder les îles méditerranéennes de l’Empire. En Palestine, Jérusalem, nous l’avons vu dans la première partie de la lettre, fut rendue aux Croisés grâce à l’intervention de Frédéric II de Hohenstauffen. Les Juifs furent à nouveau interdits de séjour. Néanmoins en 1236 les chrétiens les autorisèrent à effectuer des pèlerinages dans la ville, ils autorisèrent aussi à un unique juif teinturier de s’y établir. En 1244 les Turcs reprirent Jérusalem, massacrèrent les chrétiens et replacèrent la ville sous l’autorité du Caire. Cet événement convainquit Louis IX, roi de France, dit Saint-Louis, de lancer une nouvelle croisade. Les Croisés, essentiellement français, conduits par le roi, prirent la mer en 1248. Ils débarquèrent en Égypte, s’apprêtèrent à prendre Mansourah ville du delta du Nil quand le sultan ayyubide en exercice vint à mourir. Alors la veuve de ce dernier, Chagaret ed-Dorr, courageuse et audacieuse, cacha la mort de son mari, puis, accompagnée par sa garde militaire, les Mamelouks, elle prit les armes et repoussa les Croisés. Saint-Louis dut se replier, se contentant de laisser des troupes à Acre avant de repartir en France en 1254. Au Caire les Mamelouks, esclaves turcs, grecs, albanais et slaves, éduqués à faire la guerre, formant une garde prétorienne attachée au service du sultan, assassinèrent l’héritier du dernier ayyubide et prirent le pouvoir. Ils le gardèrent jusqu’à l’expédition de Bonaparte en 1798. En 1260 c’est au tour des Mongols d’attaquer et de prendre Jérusalem. Baybars (1223-1277), un mamelouk, les vainquit et reprit la ville. C’est donc Baybars qui stoppa la fantastique chevauchée des Mongols. Il permit aux Juifs de revenir en plus grand nombre dans la ville. Ceux-ci y créèrent une petite communauté de teinturiers. Revenu au Caire, Baybars s’empara du pouvoir et se proclama sultan. Sa victoire sur les Mongols fit de lui une légende dont les conteurs retracèrent la vie dans le Roman de Baybars, vaste ouvrage de dix volumes. Au Caire il institua un État centralisé qui finit par réunir sous son autorité l’Égypte, la Palestine et la Syrie. Il invita dans la capitale un survivant de la famille des Abbassides, assassinés par les Mongols à Bagdad, et il le nomma calife, bien que ce titre resta surtout honorifique. Ainsi Baybars créa au Caire une nouvelle Bagdad structurée comme l’était jadis, avant sa chute, la capitale flamboyante des Seldjoukides. Progressivement les Mamelouks reprirent aux Croisés tous les États latins de Palestine. Césarée tomba en 1265, Safed, Jaffa et Beaufort tombèrent en 1268. Du coup Saint-Louis devenu le roi le plus puissant d’Europe après la mort de l’Empereur Frédéric en 1250, se considérant comme le défenseur de la chrétienté, décida de partir à nouveau en croisade. Il appareilla en 1270 à destination de la Tunisie, dans l’espoir d’obtenir le soutien de l’Émir de la ville. Mais arrivé à Tunis Louis IX dut déchanter. L’Émir se refusa à l’aider, le siège de Tunis s’ensuivit. Alors la peste s’abattit sur les Croisés. Le fils du roi mourut, Saint-Louis mourut à son tour. Cette croisade tourna au cauchemar. Seul Édouard Ier, roi d’Angleterre qui accompagnait le roi de France, parvint à Acre pour fortifier la ville. Les Mamelouks continuèrent leur guerre de reconquête. Tripoli tomba en 1289, puis Acre, dernier bastion de résistance chrétienne, tomba en 1291. S’en fut fini de la présence latine en Palestine. Quant aux Juifs de Saint-Jean-d’Acre ils furent dispersés dans le pays. J’espère que cette lecture t’aura plu, je pense toujours à t’enchanter quand je t’écris, Je t’aime,
  8. Sorpresa A Jorge Zalamea Muerto se quedó en la calle con un puñal en el pecho. No lo conocía nadie. ¡Cómo temblaba el farol! ¡Madre! ¡Cómo temblaba el farolito de la calle! Era madrugada. Nadie pudo asomarse a sus ojos abiertos al duro aire. Que muerto se quedó en la calle que con un puñal en el pecho y que no lo conocía nadie. Traduction : Félix Gattegno Embuscade Il est resté mort dans la rue, un poignard dans la poitrine, Personne ne le connaissait. Comme tremblait la lanterne ! Mère, Comme elle tremblait la petite lanterne de la rue ! C’était au petit matin. Personne ne put se pencher sur ses yeux ouverts à l’air dur. Et il resta mort dans la rue, un poignard dans la poitrine, Et personne ne le connaissait. Autre traduction : Pierre Darmangeat Surprise Mort il resta dans la rue, un poignard dans la poitrine. Nul ne le connaissait. Comme tremblait le réverbère ! Mère ! Comme tremblait le réverbère de la rue ! C’était à l’aube. Nul ne put paraître à ses yeux ouverts dans l’air dur. Mort, oui mort il resta dans la rue, et un poignard dans la poitrine, et nul, nul ne le connaissait. Sorpresa est tiré de Poema de la soleá . La puissance émotionnelle de ce poème réside dans la description du cadavre les yeux ouverts, à l'air froid, scène figée opposée au seul élément mouvant : la lanterne agitée par le vent. La lumière qui illumine la scène crée la surprise des passants découvrant le cadavre inconnu gisant dans la rue, un poignard dans la poitrine.
  9. La présence d’autrui Cette présence se donne à nous au travers d’une expérience ambiguë : en effet, autrui est à la fois problème et mystère. Dans son journal Métaphysique (note de 23 décembre 1932) Gabriel Marcel distingue subtilement les deux notions qu’il ne faut pas confondre. « Il semble bien en effet qu’entre un problème et un mystère il y ait cette différence essentielle qu’un problème est quelque chose que je rencontre, que je trouve tout entier devant moi, mais que je puis par la même cerner et réduire – au lieu qu’un mystère est quelque chose en quoi je suis moi-même engagé, et qui n’est par conséquent pensable que comme une sphère où la distinction de l’en moi et du devant moi perd sa signification initiale. » Le problème est tout extérieur à moi il ne m’engage pas, tout au plus requiert-il mon savoir ou mes compétences techniques pour le résoudre. Le mystère, au contraire m’implique totalement au sens où il m’engage et où je participe pleinement de sa réalité. Dire que l’autre est un mystère est dire que la simple présence de l’autre me requiert, me convoque comme conscience et comme personne : en effet, je ne suis pleinement conscience que comme conscience révélée à l’autre, tributaire de sa présence, de son jugement, de son amour ou de son indifférence. En l’autre je me prolonge au point que la rupture entre toi et moi n’est plus aussi évidente. Cette humanité qui nous fonde et qu’ensemble nous partageons, fait qu’il demeure toujours en toi une parcelle de moi et en moi une parcelle de toi. De ce point de vue l’autre est toujours mon horizon, mon projet, mon espérance, ce par quoi se manifeste mon irréductible transcendance. Je n’existe véritablement jamais tout seul, ou toute seule. Le « moi » tel qu’il se donne dans la philosophie cartésienne est un produit artificiel : l’absolue pureté du cogito est le fruit d’une procédure qui n’est autre que celle du doute, et que Descartes installe auprès d’une longue et rigoureuse démarche (qui n’est pas sans évoquer la réduction phénoménologique). Ainsi après avoir « révoqué » en doute l’ensemble des opinions, puis celui de nos raisonnements (à cause des paralogismes qui se trouvent parfois), Descartes répudie le monde extérieur pour récuser son corps. Alors apparaît le cogito, véritable diamant que rien ne peut pénétrer, altérer, ni contester. Mais ceci est le produit d’un artifice philosophique qui, de surcroît, risque bien de nous enfermer dans un cercle solipsiste dont nous ne pourrons plus jamais sortir. Voilà ce que l’on risque à séparer radicalement le sujet de l’objet, le moi du toi.
  10. Lettre 56 26 avril 2019 Samuel, XIII siècle Première partie En Espagne les souverains catholiques engagèrent la Reconquista, la reconquête de la totalité du territoire espagnol. En 1212, ils remportèrent une victoire décisive sur le site de Las Navas de Tolosa, situé entre Cordoue et Tolède. En 1232 c’est la fin du pouvoir almohade. Seule une dynastie arabe musulmane, les Nasrides, parvint à tenir sous son contrôle le petit royaume de Grenade. Moyennant le paiement d’un tribut les souverains catholiques acceptèrent leur présence. Comme au douzième siècle (voir lettre 55) les Juifs furent bien traités. Il continuèrent à s’imposer dans des professions de choix et à exercer librement leur culte. Néanmoins les ecclésiastiques (membres du clergé catholique) menèrent une charge idéologique contre eux. Un missionnaire dominicain (les Dominicains sont un ordre religieux catholique chargé de convertir les hérétiques) Raymond Martin, installé à Tolède, publia en 1278 un ouvrage intitulé « la Dague de la foi contre les musulmans et les Juifs » destiné à démontrer aux Juifs la vérité du christianisme à partir de leurs propres textes. Même si ces attaques ne parvinrent pas à déclencher en Espagne des mesures de rétorsion grâce à la protection des régnants, cette charge annonça les persécutions anti-juives qui commencèrent à éclater au quatorzième siècle. A Gérone, en Catalogne, au début du siècle, se forma un important groupement kabbaliste comptant de grandes personnalités religieuses. Présentant la Kabbale comme une interprétation symbolique du judaïsme à travers les théories des sefirot et du guilgoul, ils se considéraient comme les vrais seuls gardiens de la Tradition. Leurs idées donnèrent naissance à un nouveau courant religieux embrassant expérience mystique et métaphysique : la Kabbale extatique, dont l’un des principaux chefs fut Abraham Aboulafia de Saragosse (1240-1292). Puis entre 1280 et 1286 Moïse ben Shem-Tov de Léon rédigea à Guadalajara en Castille le Séfer Ha-Zohar, le « Livre de la splendeur », l’ouvrage principal de la mystique juive. La parution du Zohar accéléra la diffusion des idées de la Kabbale en Espagne, puis en Provence, en France, puis en Rhénanie, en Allemagne. Sefirot : désigne les dix nombres primordiaux, manifestation des attributs de l’essence divine. Les dix sefirot sont : la Couronne suprême, la Sagesse, le Discernement, la Force ou Rigueur, la Grâce, la Splendeur, la Victoire, la Majesté, le Fondement du Monde et le Royaume. Guilgoul : réincarnation ou transmigration des âmes en différents corps. En Europe, en 1199 le pape Innocent III (1198-1216) établit les fondements légaux de la protection des Juifs en rappelant qu’ils ne devaient subir aucun préjudice du fait de leur religion. Mais il dénonça en même temps leur incroyance et leur entêtement à ne pas se convertir. Au quotidien Juifs et chrétiens s’entendaient bien. Ils habitaient souvent les mêmes immeubles, partageaient à l’occasion la même nourriture malgré les interdits religieux et entretenaient même des relations amoureuses. Intellectuels juifs et chrétiens discutaient ensemble, comparaient leurs visions respectives du monde, associaient les musulmans à leurs réflexions en Espagne. Cette entente ne plut pas aux autorités religieuses catholiques qui y virent une menace contre la permanence de leur autorité. Innocent III en vint à condamner toute proximité entre Juifs et musulmans d’un côté et chrétiens de l’autre. Il introduisit l’obligation pour les Juifs de porter un signe distinctif afin de permettre et d’aider à empêcher leur mixité. En France le signe choisi fut une petite roue (rouelle) de couleur écarlate ou jaune, en Allemagne et en Autriche ce fut un chapeau conique puis un couvre-chef jaune. Il interdit également l’usure à des taux excessifs ainsi que toute fonction d’autorité d’un Juif sur un chrétien. Les Juifs subirent aussi un autre changement juridique d’envergure : ils devinrent propriété légale des rois et des seigneurs. Si ce changement parut leur assurer une protection plus efficace ils perdirent aussi beaucoup de leur autonomie. Quand les rois eurent à arbitrer entre les intérêts juifs et les intérêts chrétiens, ils n’hésitèrent pas à sacrifier les Juifs, bien moins influents sur le plan démographique que les sujets chrétiens du roi. Ainsi en France Philippe Auguste (1180-1223) en vint à annuler les dettes des chrétiens envers les Juifs et il alla jusqu’à s’emparer de leurs biens. Les difficultés de vie de l’époque incitèrent aussi nombre de petits possédants nobles et religieux à jeter l’opprobre contre les Juifs comme dérivatif aux frustrations sociales populaires. De nombreuses rumeurs coururent dont celle de pratiquer des meurtres rituels en sacrifiant de jeunes enfants chrétiens à la veille de Pessah pour commémorer le rituel du sacrifice de l’agneau (voir lettre 15 deuxième partie, section 1). Ou encore, devant l’avance des Mongols à l’est de l’Occident, certains y virent le retour des dix tribus perdues d’Israël venues délivrer leurs frères européens du joug chrétien. D’autres rumeurs encore furent inventées et malgré l’intervention des papes et des régnants pour les condamner elles continuèrent de diffuser dans le peuple, entraînant de plus en plus de persécutions spontanées. Un autre phénomène vint alourdir la condition des Juifs : l’apparition d’hérésies au sein même du catholicisme français. Des sectes dissidentes essaimèrent, la plus importante étant celle des Cathares, dans le sud de la France. Devant le danger de sécession de populations entières, en 1229, le pape mit en place l’Inquisition. L’Inquisition fonctionnait comme un tribunal d’exception chargé de traquer partout les hérétiques. Toute personne soupçonnée d’hérésie était poursuivie, la torture était employée pour faire avouer aux prévenus leur dissidence d’esprit. C’est ainsi que les Cathares furent exterminés par les catholiques respectueux des dogmes papaux. Cette chasse aux hérétiques, dissidents du catholicisme, rejaillit sur les Juifs. Les Inquisiteurs étudièrent tous les écrits juifs et considérèrent que le Talmud contenait des textes blasphématoires contre le catholicisme. Des autodafés furent organisés, c’est-à-dire que les talmuds possédés par les Juifs furent saisis et brûlés en place publique. Cette diabolisation incessante des Juifs déboucha dès le début du quatorzième siècle sur des persécutions et des bannissements de communautés entières de Juifs aussi bien en Angleterre qu’en France. Il faut noter l’étonnant règne de Frédéric II de Hohenstaufen en Allemagne au début du siècle. Couronné empereur en 1220 à Rome, régnant à la fois sur l’Allemagne et la Sicile, domaines qui intégraient les terres de l’Italie du Nord et du Sud, il se considérait comme l’héritier des empereurs de la Rome Antique. Il s’attacha à construire un État puissant et centralisé. Il résida à Palerme, où, entouré de savants arabes musulmans, de Juifs et de chrétiens il discutait des sciences de ce monde. Il voulait construire un empire universel qui synthétisa en lui les visions de l’islam, du judaïsme et du christianisme. Cette ambition lui fut funeste. Elle le détourna de la gestion effective de ses territoires ce qui permit aux princes ecclésiastiques et laïcs de s’arroger de plus en plus de pouvoirs locaux. C’est ainsi qu’à sa mort, en 1250, son empire vola en éclats. L’Allemagne s’émietta en centaine d’états, chacun, petit ou grand, ne songeant plus qu’à se rendre indépendant. Son universalisme religieux exaspéra en outre la papauté occupée à imposer le christianisme aux autres religions. Le pape voulait aussi récupérer Jérusalem reprise par Saladin (voir lettre 55). Il organisa pour cela une quatrième croisade dont nous parlerons ci-après. Mais Frédéric n’y participa pas. Au contraire il s’allia avec le prince musulman qui régnait alors sur Jérusalem, al-Kamil, et grâce à un traité signé avec ce dernier en 1228 il réussit à rendre Jérusalem et les lieux saints aux chrétiens. Mais cette alliance avec les musulmans entraîna un ressentiment violent de la chrétienté européenne contre lui. Le pape l’excommunia, ses armées finirent par céder devant l’adversité, Jérusalem fut reprise par les musulmans en 1244, et il mourut en 1250, sans avoir pu transmettre sa foi en un monde universel. Bien que sa vie fut en définitive un échec, il impressionne encore aujourd’hui les esprits par l’envergure de son ambition. Je t’embrasse avec amour, Je pense à toi toujours,
  11. Muerto de amor A Margarira Manso ¿Qué es aquello que reluce por los altos corredores? Cierra la puerta, hijo mío, acaban de dar las once. En mis ojos, sin querer, relumbran cuatro faroles. Será que la gente aquélla estará fregando el cobre. * Ajo de agónica plata la luna menguante, pone cabelleras amarillas a las amarillas torres. La noche llama temblando al cristal de los balcones, perseguida por los mil perros que no la conocen, y un olor de vino y ámbar viene de los corredores. * Brisas de caña mojada y rumor de viejas voces, resonaban por el arco roto de la media noche. Bueyes y rosas dormían. Solo por los corredores las cuatro luces clamaban con el fulgor de San Jorge. Tristes mujeres del valle bajaban su sangre de hombre, tranquila de flor cortada y amarga de muslo joven. Viejas mujeres del río lloraban al pie del monte, un minuto intransitable de cabelleras y nombres. Fachadas de cal, ponían cuadrada y blanca la noche. Serafines y gitanos tocaban acordeones. Madre, cuando yo me muera, que se enteren los señores. Pon telegramas azules que vayan del Sur al Norte. Siete gritos, siete sangres, siete adormideras dobles, quebraron opacas lunas en los oscuros salones. Lleno de manos cortadas y coronitas de flores, el mar de los juramentos resonaba, no sé dónde. Y el cielo daba portazos al brusco rumor del bosque, mientras clamaban las luces en los altos corredores. Traduction : André Belamich Mort d’amour Qu’est-ce qui brille là-bas dans les profond corridors ? Ferme la porte, mon fils, entends-tu ? Onze heures sonnent. Dans mes yeux, sans le vouloir, je vois luire quatre lampes. sans doute, chez les voisins c’est du cuivre que l’on frotte * Ail ’d argent qui agonise, la lune en décroissant pose à la tête des tours jaunes de longues crinières fauves. La nuit vient frapper tremblante à la vitre des balcons, poursuivie par la meute des mille chiens qui l’ignorent. Une odeur de vin et d’ambre s’exhale des corridors. * La rumeur des voix anciennes, le souffle humide des joncs, retentissent sous l’arcade brisée de minuit profond. Les bœufs dormaient et les roses. Seules dans les corridors les quatre lueurs clamaient une fureur de Saint-Georges. Les tristes femmes du val descendaient le sang de l’homme, calme de la fleur coupée, douleur de la cuisse jeune. Les vieilles de la rivière pleurèrent au pied des monts un instant infranchissable de chevelure et de noms. Façades de chaux, la nuit se taillait en carrés blancs. Séraphins et bohémiens jouaient de l’accordéon. Mère, lorsque je mourrai, fais-le le savoir aux patrons par des télégrammes bleus qui volent du Sud au Nord. Sept cris et sept jets de sang avec sept doubles pavots brisèrent d’opaques glaces au plus obscur des salons. Couverte de mains coupées flottant parmi des couronnes, résonnait je ne sais où la mer sombre des serments. Aux brusques rumeurs du bois le vent secouait les portes, tandis que clamaient les lueurs dans les profonds corridors. Muerte de amor est le treizième poème du recueil Primer romancero gitano qui en comprend dix-huit. Margarita Manso, à qui ce poème est dédié, était une grande amie de Lorca appartenant, comme lui, au cercle littéraire de la génération 27. Il fut publié pour la première fois dans le magazine « littoral » en octobre 1927. Ce romance traite de l’agonie et de la mort d’un jeune amoureux qui sent d’abord sa fin et prévoit ensuite son enterrement, puis dicte ses dernières volontés à sa mère. Il a aimé mais il fut trahi par sa bien-aimée. La mort, la peur, la lune, les couleurs sont présentes dans ce poème comme dans tout le romancero. Deux interprétations, deux sensibilités différentes, totalement différentes !
  12. On peut rassembler en quelques mots les principales caractéristiques de l’existence, telles que Gabriel Marcel la conçoit. Tout d’abord l’existence se constitue au travers des expériences fondamentales (au sens métaphysique : qui concerne notre fondement), ce dans quoi nécessairement nous trouvons un fondement, que sont la mort, la souffrance, le mal, mais aussi la joie, l’amour, le plaisir que nous prenons face a la beauté. Ces expériences sont ce à travers quoi nous accédons à l’existence, qui ne saurait donc se confondre avec la vie, toute de passivité et de programmation. Ces expériences sont des expériences au sens où les émotions suscitées, vécues, ce métabolisent en pensées. Toute pensée véritable est de ce point de vue « incarnée », elle s’enracine au plus profond du corps mais en même temps l’amène à se dépasser en « corporéité », la corporéité est le corps en tant qu’il est vécu, pensé, travaillé de l’intérieur par une conscience. Mon existence ne peut être séparée de mon corps. C’est le corps qui sépare l’Etre de l’existence, car exister nous enracine dans la matière, dans le souffle, dans un corps. Certes je peux être sans mon corps, ou plus exactement sans la conscience de mon corps comme nous le voyons dans l’expérience du sommeil, de l’évanouissement ou du coma. Mais à la lettre je n’existe pas. Car exister c’est être présent à soi. Or mon corps est le premier vecteur de la présence à soi, ainsi que le montre l’expérience du plaisir ou de la douleur où ce n’est pas telle ou telle partie de mon corps qui me donne du plaisir ou de la douleur, mais bien mon « être » dans sa totalité. Ni pure intériorité, ni extériorité pure, la corporéité s’impose comme lieu d’une expérience ambiguë. Le corps est déjà chez Gabriel Marcel ce qu’il sera dans la philosophie de Merleau-Ponty à savoir « le pivot du monde ». Le monde est toujours le prolongement de mon corps. Ainsi par le fait que je n’ai pas seulement un corps mais que je suis mon corps, il s’ensuit que le monde, les autres ne sont pas idéalement objectivables, connaissables. Le monde et les autres ne sont pas de l’ordre de ce que Gabriel Marcel appellera le « Mystère ». Approcher ce " mystère ", élever sa pensée jusqu’au seuil du mystère, telle est la tâche qu’il assigne à la philosophie qui doit être pensée du vécu, de l’expérience, mais qui doit renoncer à tout enfermer dans des explications dogmatiques. « La philosophie est donc une certaine façon pour l’existence de se reconnaître et de s’appréhender elle-même » . L’orientation de la pensée de Gabriel Marcel a certainement été influencée, ainsi que le soulignent ses biographes, par la mort prématurée de sa mère, alors qu’il n’avait que quatre ans, mais aussi par l’éducation réputée aride que lui donna une tante agnostique. Ceci, dit-il de son propre aveu, le prédisposa très tôt à rechercher des réponses aux questions métaphysiques et religieuses qu’il se posait, et qui même le tourmentaient. Il s’ouvrît donc à Dieu, au Dieu chrétien, dans lequel il puisa l’essentiel de sa réflexion et de sa force toute sa vie, tout en se méfiant de ce qualificatif de « chrétien » parce que, disait-il, « on ne s’affiche pas chrétien, on essaye de l’être ». Il est très influencé par Bergson et ses analyses sur ce temps tout intérieur qu’est la durée. Il va développer une philosophie qui rejoint parfois la phénoménologie en ce qu’elle s’intéresse à ce qui est déjà appelé la « transcendance » du moi. Le moi doit se comprendre comme ce qui sans cesse tend vers autre chose que lui, vers ce qu’il n’est pas.
  13. Gacela del amor desesperado La noche no quiere venir para que tú no vengas ni yo pueda ir. Pero yo iré aunque un sol de alacranes me coma la sien. Pero tú vendrás con la lengua quemada por la lluvia de sal. El día no quiere venir para que tú no vengas ni yo pueda ir. Pero yo iré entregando a los sapos mi mordido clavel. Pero tú vendrás por las turbias cloacas de la oscuridad. Ni la noche ni el día quieren venir para que por ti muera y tú mueras por mí. Traduction : Claude Couffon et Bernard Sesé Gacela de l’amour désespéré La nuit refuse de venir afin que tu ne viennes pas, et que moi je ne puisse aller. Mais moi j’irai, quoique mange ma tempe un soleil de scorpions. Mais toi tu viendras avec ta langue brûlée par la pluie de sel. Le jour refuse de venir afin que tu ne viennes pas et que moi je ne puisse aller. Mais moi j’irai livrant aux crapauds mon œillet brisé. Mais toi tu viendras par les cloaque troubles de l’obscurité. La nuit ni le jour ne veulent venir afin que je meure pour toi et que toi tu meures pour moi. Ce poème est tiré de " la sublime désespérance " du Divan du Tamarit Merveilleuse interprétation de Amancio Prada.
  14. Romance de la pena negra A José Navarro Pardo Las piquetas de los gallos cavan buscando la aurora, cuando por el monte oscuro baja Soledad Montoya. Cobre amarillo, su carne, huele a caballo y a sombra. Yunques ahumados sus pechos, gimen canciones redondas. Soledad, ¿por quién preguntas sin compaña y a estas horas? Pregunte por quien pregunte, dime: ¿a ti qué se te importa? Vengo a buscar lo que busco, mi alegría y mi persona. Soledad de mis pesares, caballo que se desboca, al fin encuentra la mar y se lo tragan las olas. No me recuerdes el mar, que la pena negra, brota en las tierras de aceituna bajo el rumor de las hojas. ¡Soledad, qué pena tienes! ¡Qué pena tan lastimosa! Lloras zumo de limón agrio de espera y de boca. ¡Qué pena tan grande! Corro mi casa como una loca, mis dos trenzas por el suelo, de la cocina a la alcoba. ¡Qué pena! Me estoy poniendo de azabache carne y ropa. ¡Ay, mis camisas de hilo! ¡Ay, mis muslos de amapola! Soledad: lava tu cuerpo con agua de las alondras, y deja tu corazón en paz, Soledad Montoya. * Por abajo canta el río: volante de cielo y hojas. Con flores de calabaza, la nueva luz se corona. ¡Oh pena de los gitanos! Pena limpia y siempre sola. ¡Oh pena de cauce oculto y madrugada remota! Traduction André Belamich Romance de la peine noire Les pics sonores des coqs font une brèche à l’aurore, quand de la colline sombre descend Soledad Montoya. Cuivre jaune, tout son corps fleure la cavale et l’ombre. Ses seins, enclumes noircies, gémissent des chansons rondes. Soledad, qui cherches-tu, solitaire, au point du jour ? Que je cherche qui je cherche, dis-moi si cela t’importe ! Je cours après un seul but, mon bonheur et ma raison. Soledad de mes chagrins, la cavale qui s’emporte finit par trouver la mer et les vagues la dévorent. Ne parle pas de la mer, car la peine noire pousse dans la terre aux oliviers sous la rumeur de leurs branches. Soledad, quelle pitié ! Quelle peine désolante ! Tu as des pleurs de citron, aigres de lèvre et d’attente. Quelle peine ! Je traverse ma maison comme une folle, mes cheveux traînant par terre de la cuisine à l’alcôve. Une peine qui rend comme du jais ma chair et ma robe. Ah, mes chemises de fil ! Ah, mes cuisses de pavot ! Dans la source aux alouettes, Soledad, lave ton corps, et puis laisse reposer ton cœur, Soledad Montoya. * Tout en bas chante un ruisseau, volant de ciel et de feuilles. Des fleurs de la calebasse se couronne le jour neuf. O la peine des gitans ! Peine pure et solitaire. Peine de rive secrète et de matinée lointaine ! Dans ce poème sont rassemblés tous les thèmes de prédilection de Lorca : gitans, chevaux, mer, tristesse. Le peuple gitan devient un symbole, il symbolise tous les opprimés, tous les marginalisés et à travers lui toute l’Andalousie profonde et oubliée. Le cheval c’est la passion, la mer c’est très souvent la mort, le noir est associé au deuil à la douleur il anticipe aussi souvent la mort. Quant à Soledad, elle est la condamnation inexpliquée, permanente, rigoureuse des personnes marginalisées. Pourtant elle a tout, elle est belle, elle est jeune – sa poitrine, ses cuisses, la couleur de sa peau – et malgré cela cette plénitude est condamnée à la solitude. José Carlos Aranda.
  15. Gabriel Marcel ou l’existence comme corporéité « Le monde cassé » Il y a une sorte de paradoxes à qualifier Gabriel Marcel de « philosophie existentialiste » étant donné que dans l’avant-propos du Mystère de l’Etre, il récuse cette étiquette dont il a été affublé. « C’est bien sous le signe de Socrate et de Platon que l’auteur tient à placer ce livre, ne serait-ce que pour protester contre les déplorables confusions auxquelles a donné lieu dans son cas l’affreux vocabulaire d’existentialisme », lui préférant celle « néo-socratisme » ou encore, de « socratisme chrétien ». Socratisme en raison de la mise en acte d’une pensée qui essaie de se réfléchir, de se ressaisir (« connais-toi toi-même ») ; mais aussi en raison d’une pensée vivante et non pas une pensée arbitraire, ni une pensée systématique. Et l’on retrouve ici un trait qui semble avoir été partagé par l’ensemble des penseurs de l’existence, jusqu’à Sartre et Camus pour lesquels la pensée est vie et la vie engagement. Une pensée, donc, à l’épreuve de la vie qui constitue ainsi le fragment de toute existence. Socratisme chrétien, si l’on songe à la place que tient la foi dans l’œuvre et la pensée de Gabriel Marcel et qui seule peut redonner cohésion, cohérence, espoir et sens à un monde « cassé ». Ce thème du « monde cassé », qui occupe toute la deuxième leçon du Mystère de l’Etre, est l’un des thèmes les plus anciens dans la pensée de Gabriel Marcel puisqu’on le trouve développé dans son œuvre théâtrale dont il écrit ceci : « Mon théâtre, c’est le théâtre de l’âme en exil qui souffre du manque de communion avec elle-même et avec les autres ». Ce monde cassé est le monde déshumanisé ou règnent en maîtres sciences et techniques, qui n’ont plus d’autre finalité qu’elles-mêmes, faisant de l’homme un accessoire, un appendice de leur développement. Penser au thème de « l’oubli de l’Etre » cher à Heidegger. Seule la foi nous ouvre à quelque chose qui tout à la fois nous appelle et nous dépasse, mais dans lequel nous forgeons notre humanité. A l’homme déchu – marqué du sceau de la faute, ouvert au mal comme étant la tentation permanente – Gabriel Marcel oppose l’humanité à construire et qui ne peut se construire qu’au travers de la foi. La foi est ce qui, nous ouvrant à cette cette autre absolu qu’est Dieu, nous ouvre nécessairement à l’autre, à tous les autres, à autrui. La foi est donc non seulement croyance en l’existence de Dieu, mais elle est surtout présence, présence de Dieu et présence de Dieu dans l’autre. Il y a en l’homme, pour reprendre une expression chère à Gabriel Marcel, « une conscience de participer ensemble à une certaine aventure unique, à un certain mystère central et indivisible » qui fait que toute vie se dépasse en existence et que toute existence participe à la destinée humaine. C’est cette destinée humaine que Gabriel Marcel entreprend de faire apparaître dans ce qu’elle enferme de lumière mais aussi de ténèbres. Par la pensée l’homme est voué à la tâche d’exister, il est promu à l’existence.
  16. Précieuse, la petite gitane de Lorca : Preciosa en el aire, cité ci-dessus, tire son nom d’un poème de Cervantes qu’il ma paru intéressant de faire figurer ici. Cuando Preciosa el panderete toca y hiere el dulce son los aires vanos, perlas son que derrama con las manos; flores son que despide de la boca. Suspensa el alma, y la cordura loca, queda a los dulces actos sobrehumanos, que, de limpios, de honestos y de sanos, su fama al cielo levantado toca. Colgadas del menor de sus cabellos mil almas lleva, y a sus plantas tiene Amor rendidas una y otra flecha. Ciega y alumbra con sus soles bellos, su imperio Amor por ellos le mantiene, y aún más grandezas de su ser sospecha. Traduction : Jean Carnavaggio Lorsque précieuse touche son tambourin, Et que l’aimable son frappe les airs légers, Ce sont des perles qu’elle répand de sa main, Et d’odorantes fleurs qui tombent de ses lèvres. L’âme reste en suspens, la sagesse défaille À la surnaturelle douceur de son jeu, Dont les purs accents, si chastes et si honnêtes, Portent sa renommée au plus haut des cieux. À jamais suspendues à son moindre cheveu, Elle entraîne mille âmes, pendant qu’à ses pieds Amour vient déposer l’hommage de ses flèches. Le soleil de ses yeux aveugle et illumine, Amour, par leur vertu, assure son empire Et laisse deviner de plus puissants prodiges.
  17. Deux interprétations pour illustrer Preciosa y el aire
  18. Preciosa y el aire A Dámaso Alonso Su luna de pergamino Preciosa tocando viene por un anfibio sendero de cristales y laureles. El silencio sin estrellas, huyendo del sonsonete, cae donde el mar bate y canta su noche llena de peces. En los picos de la sierra los carabineros duermen guardando las blancas torres donde viven los ingleses. Y los gitanos del agua levantan por distraerse, glorietas de caracolas y ramas de pino verde. * Su luna de pergamino Preciosa tocando viene. Al verla se ha levantado el viento que nunca duerme. San Cristobalón desnudo, lleno de lenguas celestes, mira la niña tocando una dulce gaita ausente. Niña, deja que levante tu vestido para verte. Abre en mis dedos antiguos la rosa azul de tu vientre. * Preciosa tira el pandero y corre sin detenerse. El viento—hombrón la persigue con una espada caliente. Frunce su rumor el mar. Los olivos palidecen. Cantan las flautas de umbría y el liso gong de la nieve. ¡Preciosa, corre, Preciosa, que te coge el viento verde! ¡Preciosa, corre, Preciosa! ¡Míralo por dónde viene! Sátiro de estrellas bajas con sus lenguas relucientes. * Preciosa, llena de miedo, entra en la casa que tiene, más arriba de los pinos, el cónsul de los ingleses. Asustados por los gritos tres carabineros vienen, sus negras capas ceñidas y los gorros en las sienes. El inglés da a la gitana un vaso de tibia leche, y una copa de ginebra que Preciosa no se bebe. Y mientras cuenta, llorando, su aventura a aquella gente, en las tejas de pizarra el viento, furioso, muerde. Traduction : André Belamich Précieuse et le vent De la lune en parchemin, par un hybride sentier de laurier et de cristal, Précieuse s’en vient à jouer. Le silence sans étoiles,p pour fuir ce tintement tombe où la mer se brise et chante sa nuit pleine de poissons. Sur les pics de la montagne dorment les carabiniers qui gardent les blanches tours où demeurent les Anglais. Et les gitans du rivage élèvent pour se distraire des berceaux de coquillages et des branches de pin vert. * De sa lune en parchemin Précieuse s’en vient jouer. À sa vue le vent se lève, car jamais il ne sommeille. Gros saint Christophe tout nu et plein de célestes langues, il la regarde en jouant d’une douce flûte absente. Dis, laisse-moi relever ta robe pour voir ton corps. Ouvre entre mes doigts anciens la rose bleue de ton ventre. Lâchant son tambour, Précieuse prend la fuite à toutes jambes. Le vent mâle la poursuit avec une épée brûlante. La mer fronce sa rumeur. Pâlissent les oliviers. Les flûtes de l’ombre chantent, et le gong lisse des neiges. Précieuse, cours vite, vite, le vent vert va t’attraper ! Précieuse, cours vite, vite, regarde-le arriver, satyre d’étoiles basses aux mille langues lustrées ! * Précieuse, morte de peur, est allée se réfugier, au-dessus de la pinède, chez le consul des Anglais. Alarmés par ses appels, viennent trois carabiniers serrés dans leurs cape noire, le calot bien enfoncé. L’ Anglais donne à la gitane une tasse de lait tiède avec un verre de gin qu’elle laisse de côté. Et tandis qu’elle raconte son aventure en pleurant, le vent sur le toit d’ardoises plante, furieux, les dents. Précieuse, la petite gitane doit son nom, son tambourin et la présence de saint Christophe à la Gitanilla de Cervantes. L’hagiographie subit ici une déviation très irrévérencieuse mais le vent, qui jamais ne dort, y gagne en revanche une corporéité charnue et une sensualité de satyre diabolique. Aguilar. Poésies II.
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