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« Boire un grand bol de sommeil noir... »
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Littérature
Le poème ci-dessous a dejà été édité sur ce fil. Je n’y ajoute la musique et la voix de Paco Ibáñez. Gustavo Adolfo Bécquer né à Séville en 1836- mort à Madrid en 1870. Cette écriture qui semble si spontanée, si « naturelle », est en fait celle d’un artiste rigoureux. Par la clarté, la simplicité, l’art des résonance profondes, Rubén Darío, Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez, nombre de poètes de la génération 1927 seront, dans leur jeunesse, des becquériens. Robert Pageard, « Clásicos hispánicos. » Volverán las oscuras golondrinas en tu balcón sus nidos a colgar, y otra vez con el ala a sus cristales jugando llamarán. Pero aquellas que el vuelo refrenaban tu hermosura y mi dicha a contemplar, aquellas que aprendieron nuestros nombres… ¡esas… no volverán! Volverán las tupidas madreselvas de tu jardín las tapias a escalar, y otra vez a la tarde aún más hermosas sus flores se abrirán. Pero aquellas, cuajadas de rocío cuyas gotas mirábamos temblar y caer como lágrimas del día… ¡esas… no volverán! Volverán del amor en tus oídos las palabras ardientes a sonar; tu corazón de su profundo sueño tal vez despertará. Pero mudo y absorto y de rodillas como se adora a Dios ante su altar, como yo te he querido…; desengáñate, ¡así… no te querrán! Traduction : Blaquière Oui, elles reviendront les sombres hirondelles sur ton balcon pour accrocher leurs nids, et de nouveau l’aile rasant les carreaux en jouant elles appelleront. Mais celles qui retenaient leur vol pour contempler la beauté et mon bonheur, celles qui ont appris nos noms… Elles… ne reviendront pas ! Le chèvrefeuille dense reviendra escalader les murs de ton jardin, et de nouveau le soir, encore plus belles ses fleurs s’ouvriront. Mais ces buées de rosée dont nous regardions trembler les gouttes tombant comme les larmes du jour… Elles ... ne reviendront pas ! Des mots d’amour ardent reviendront tinter à tes oreilles ton cœur de son profond sommeil parfois s’éveillera… Mais muet, attentif, à genoux, comme on adore Dieu à son autel, comme je t’ai aimée ..., détrompe toi : jamais personne ne t’aimera. -
Lettre 60-34 26 avril 2020, Samuel, Les empires coloniaux du XV au XVII siècle E) XVI siècle : la formation de l’empire colonial espagnol 3) L’exploitation des territoires conquis Après les découvertes, l’occupation de l’Amérique latine, du Mexique et de l’Amérique centrale fut donc le fait de bandes armées, les entradas. Les grands conquistadors, Cortès, Pizarro, Almagro accrurent le domaine de souveraineté du roi en s’emparant par la force des richesses locales. Le moteur le plus puissant de la conquête du Nouveau Monde fut la recherche de l’or. L’Europe via l’Espagne, reçut en deux siècles une quantité de métaux précieux sans précédent qui modifia les structures de l’économie et bouleversa la hiérarchie des puissances. L’afflux des métaux américains à Cadix conféra à la couronne de Philippe II une puissance sans égale, un rayonnement artistique et culturel exceptionnel. Ce n’est pas l’or en soi qui importait mais c’était les moyens de paiement qu’il offrait. C’est pour cela que Charles Quint finança les expéditions des conquistadors, pour qu’ils rapatrient l’or en Espagne. Ce métal permit aux souverains espagnols de financer leur économie et leurs armées. Les Espagnols pillèrent d’abord les réserves des populations indiennes puis ils exploitèrent les mines du Mexique et du Pérou en asservissant les indigènes qui servirent donc de main d’œuvre à bon marché. Ci-joint une carte : les ressources minières de l’Amérique espagnole avec une liste de ces mines et leur date de mise en exploitation. L’arrivée des conquistadors provoqua la rencontre entre deux humanités ayant vécu durant plusieurs millénaires en totale ignorance l’une de l’autre. Les Espagnols se comportèrent en maîtres convaincus de leur supériorité face à des populations considérées comme appartenant à une sous-humanité qui ne descendait pas de Noé. Le bilan de cette rencontre fut tragique : les autochtones furent massacrés, réduits en esclavage, expropriés et victimes d’un choc bactériologique inédit dans l’histoire humaine. En 1492 le continent sud-américain était densément peuplé. La question est de savoir quelle en était la démographie. Au vu des routes tracées par les Incas (des dizaines de milliers de kilomètres), des Temples immenses, des pratiques agricoles retrouvées sur les territoires, des vestiges de cités étendues, les chercheurs retiennent une population de l’ordre de 80 millions d’habitants. Si cette estimation est juste, sachant qu’au milieu du XVII siècle la population indigène ne comptait plus que 4,5 millions d’habitants l’hécatombe est vertigineuse. Ce ferait plus de 70 millions de morts en l’espace de 150 ans. Le cas d’Hispaniola, de Cuba et de Porto Rico est éloquent : quelle que soit l’importance des populations d’origine lorsque les Espagnols y arrivèrent, cent ans plus tard, il n’y avait plus aucun indigène sur ces îles. Comment expliquer un tel désastre humain ? Trois causes sont avancées : Les massacres : les premières exterminations par le fer et le feu pendant les guerres de conquête. L’asservissement, soit la réduction des populations en esclavage avec des conditions de travail épouvantables dans les mines Les épidémies : les Espagnols importèrent des bactéries et des virus inconnus, des maladies nouvelles décimèrent les populations : grippe, rougeole, variole, varicelle. Il semble que ce soit surtout ces épidémies qui expliquent l’effarante mortalité des indigènes. En effet les massacres n’ont pas pu engendrer des millions de morts. En revanche l’esclavage et les conditions de travail des Indiens dans les mines ont sans doute largement contribué à l’hécatombe concurremment avec les épidémies. Le massacre des populations indigènes finit par provoquer un grand débat au sein des élites de la société espagnole. Avait-on le droit de considérer les Indiens comme des êtres inférieurs ? Se posait une grave question théologique : l’histoire de l’humanité relatée dans l’Ancien Testament n’évoquait jamais l’existence de la population indienne. Était-il possible que fût omis un rameau de l’humanité ? Pour les conquistadors les Indiens n’étaient pas des humains, ils étaient des intermédiaires entre les animaux et les hommes, ils n’avaient pas d’âme, il était donc autorisé de les tuer comme on tuait des animaux. Néanmoins le massacre infernal infligé aux Indiens finit par émouvoir certains religieux. En 1511 le dominicain Antonio de Montesino (1475-1540) posa cette accusation : « Vous êtes tous en état de péché mortel à cause de votre cruauté envers une race innocente. Ces gens ne sont-ils pas des hommes ? N’ont-ils pas une âme, une raison ? » Bartolomé de Las Casas (1474-1566), un autre dominicain, de retour du Mexique, reprit ce discours dénonciateur et mit en accusation les conquistadors. Face à ces attaques la couronne espagnole se devait de trancher. Charles Quint convoqua une conférence théologique à Valladolid, qui se réunit en 1550 et en 1551. Un jury de quinze membres dut prendre la décision finale. Las Casas se fit l’avocat de l’humanité des Indiens, Juan Gines de Sepulvada ( 1490-1573) se fit l’avocat des conquistadors. Las Casas imposa son point de vue : il fut admis solennellement que les Indiens avaient une âme et par conséquent appartenaient pleinement à la descendance de Noé. Cette reconnaissance ne changea pas beaucoup le sort des Indiens sinon qu’il n’était plus possible de les tuer comme des chiens. De toute façon, vu leur hécatombe, ils furent rapidement remplacés par les Noirs. L’importation d’esclaves africains commença dès 1503 avec la colonisation d’ Hispaniola. Les Antilles dont la population indienne avait été éradiquée très tôt furent les premières îles destinataires de ce nouvel esclavage. Puis ce fut toute l’Amérique centrale et latine qui recourut à la traite négrière. Les colons avaient besoin de main d’œuvre pour exploiter les mines et développer des cultures notamment la canne à sucre. Ils allèrent la chercher en Afrique après avoir exterminé les Indiens. Je t’embrasse, je t’aime, bon courage !
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Lettre 60-33 25 avril 2020, Samuel, Les empires coloniaux du XV au XVII siècle E) XVI siècle : la formation de l’empire colonial espagnol 2) La conquête de l’empire Inca Nous avons vu dans la lettre précédente que le conquistador espagnol Núñez de Balboa (1475-1519) avait fondé en 1510 la première colonie permanente de la Terre Ferme, Santa Maria la Antigua del Darien (en Colombie actuelle). A partir de là il franchit l’isthme de Panama et, en 1513, il découvrit le Pacifique (qu’il appela mer du Sud, rebaptisée ensuite par Magellan : océan Pacifique). Cet événement est considéré dans l'histoire comme le chapitre le plus important de la conquête espagnole après la découverte de l’Amérique. Aujourd’hui au Panama, le nom de Vasco Núñez de Balboa est porté par des parcs et des avenues, et un monument rappelle la prise de possession de la mer du Sud par ce conquistador, le regard tourné vers l'océan Pacifique. Le pays a donné le nom de balboa à la monnaie nationale. En 1522, un autre espagnol, Pascual de Andagoya partit explorer la côte pacifique de l'actuelle Colombie. Il apprit l'existence d'un empire, surnommé Le Berú ( mot qui donnera plus tard au Pérou son nom) dont les habitants selon la rumeur mangeaient dans de la vaisselle en or. Parti à sa recherche, il ne le trouva pas. En 1524, mis au courant ce cette expédition ratée, Francisco Pizarro (né en Espagne en 1475, assassiné à Lima en 1541) qui avait accompagné Balboa en 1513 dans sa découverte de la mer du Sud s'associa avec un autre aventurier, Diego d’Almagro (1475-1538) pour découvrir ce pays. Pendant leur voyage ils furent mis en déroute par une tribu locale. En 1526 ils montèrent une nouvelle expédition. Leur bateau s’échoua sur une île. Tandis que Diego d’Almagro partait chercher du secours, Pizarro, seul avec douze hommes, explora la côte est du continent et arriva dans la ville de Tumbes (voir carte jointe), port avancé de l’Empire. Il s’agissait de L’Empire Inca dont le territoire s’étendait sur près de 4 500 km de long, depuis le sud-ouest de l'actuelle Colombie, au nord, jusqu'au milieu de l'actuel Chili, au sud, et comprenant la quasi-totalité des territoires actuels du Pérou et de l’Équateur, ainsi qu'une partie de la Bolivie et même de l’Argentine. Cuzco était sa capitale. Un Empereur, considéré comme un Dieu, régnait sur les tribus locales en s’appuyant sur une élite constituée de membres de la tribu des Incas. Cet empire possédait de fabuleuses quantités d’or ce qui intéressait non seulement les particuliers mais aussi les souverains occidentaux qui utilisaient ce métal comme monnaie d’échange dans leurs transactions nationales et internationales. Secouru par Almagro, Pizarro décida de rentrer en Espagne pour demander le soutien du roi en vue de financer une nouvelle expédition. Il fut reçu en 1530 par Charles Quint qui le chargea de conquérir l’ Empire. En 1531, Pizarro et Almagro lancèrent une nouvelle expédition composée de 180 hommes et de 37 cavaliers. Ils arrivèrent à Tumbes et découvrirent une ville ravagée par trois ans de guerre. Depuis la dernière visite de Pizarro l’Empire était rentré dans une guerre de succession. L’Empereur Inca Huayna Capac mort en 1527 avait laissé deux fils, Atahualpa et Huascar qui se lancèrent dans une guerre civile pour s’emparer du pouvoir. A l’arrivée des deux conquistadors Atahualpa venait de gagner la guerre. Le pays sortait affaibli par ce conflit. Pizarro apprit que le nouvel Empereur, qui avait établi ses quartiers à Quito (au nord de l’Empire, voir carte jointe) devait se rendre à Cuzco, la capitale, en passant par Cajamarca. Il décida de lui tendre un piège. Le 15 novembre 1532 il arriva à Cajamarca alors que l'Empereur se trouvait encore à une dizaine de kilomètres de là. Pizarro lui envoya des émissaires l'invitant à une rencontre pacifique au milieu de la place, centre de la cité. Atahualpa reçut avec bienveillance cette invitation d’autant plus qu’il prenait l’Espagnol pour une incarnation d’un dieu local, Viracocha, qui devait revenir sur terre pour établir paix et prospérité. Atahualpa arriva, porté sur une litière d'or, entouré de sa cour composée de milliers de soldats (désarmés car confiants), de danseurs et de nobles. II s’installa au milieu de la place. Les Espagnols se cachèrent dans les maisons qui entouraient l’endroit. Un prêtre s'approcha de l'Empereur, commença à lui lire une injonction, lui demandant de suivre la « Parole du Dieu unique », bible offerte à l’appui. Atahualpa se saisit du livre, le porta à son oreille, s'exclama qu'il n'entendait aucune parole divine et jeta le livre à terre. Le prêtre s'enfuit et cria à Pizarro, toujours caché : « Que faites-vous, votre Grâce ? Atahualpa est Lucifer ! ». Pizarro aussitôt donna le signal de l'attaque. Sortant des maisons, les Espagnols en armes se ruèrent sur les indigènes. Tous les officiers et soldats qui entouraient l’Empereur furent tués. Mais la vie de l’Inca fut préservée car Pizarro entendait l’utiliser pour en faire un pantin et abuser les populations de l’Empire. Les Espagnols attachèrent des grelots aux pattes de leurs chevaux, tirèrent dans tous les sens avec leurs fusils, créant ainsi la panique chez les amérindiens qui ne connaissaient ni les chevaux ni les armes à feu. Ils tentèrent de s'enfuir de la place aux issues trop petites, formèrent des pyramides humaines pour atteindre le sommet des murs entourant la place, s’asphyxiant ainsi. Les murs s’effondrèrent, encore d’autres hommes moururent. Les survivants fuirent dans la campagne. Jusqu'à la nuit tombée, les Espagnols les pourchassèrent et les massacrèrent. Les estimations donnent un chiffre compris entre 8 000 et 10 000 morts. Au soir du 16 novembre 1532, la destruction totale des principales forces militaires incas et la capture du souverain mirent ainsi fin à l'indépendance de l'Empire. Une fois Atahualpa capturé ses troupes n’osèrent pas attaquer les Espagnols de peur de mettre en danger la vie de leur Empereur-dieu. Pourtant les partisans de ce dernier prenaient progressivement le contrôle du territoire. Pizarro habilement suscita la rébellion des peuples dominés par les Incas : l'Empire se morcela. Toutefois les Incas se battaient encore espérant toujours retrouver leur Empereur. Pizarro proposa une rançon pour lui rendre la liberté : des tonnes d’or. Quand les indigènes apportèrent l’or Pizarro décida de tuer l’Inca. Il voulait tuer définitivement le symbole vivant qui tenait encore debout le peuple inca. L’Empereur fut tué par strangulation le 29 août 1533. Les Espagnols se lancèrent alors à la conquête de tout le territoire, soutenus par les peuples rebelles. Arrivés à Cuzco le 15 novembre 1533 ils pillèrent la ville et mirent sur le trône le demi-frère de Huascar, Manco Inca. Celui-ci, à la solde des Espagnols, fut impuissant face à la dislocation de l'Empire. Il essaya de lancer une insurrection en 1536, il reprit une partie du pays, mais il échoua à reprendre Cuzco. Manco Inca finit assassiné en 1545. Almagro et Pizarro pendant ce temps rentrèrent en conflit, chacun se disputant les territoires acquis. Pizarro réussit à convaincre son partenaire de partir à conquête du Chili où les rumeurs faisaient état d'une terre où abondaient les métaux précieux et où il trouverait, vraisemblablement, un deuxième Cuzco. Almagro entreprit ainsi son expédition en partant de Cuzco le 3 juillet 1535. Le voyage à travers le Chili fut difficile et pénible, sans aucun gain. Le territoire était désertique et peuplé d’indiens hostiles. Cette expédition dura environ deux ans et se termina en 1537 avec le retour d'Almagro et de ses troupes qui partirent à l’assaut de Cuzco dont ils voulaient faire leur possession. De là s’engagea une guerre civile entre les deux conquistadors. Almagro fut fait prisonnier puis il fut exécuté en 1538. Puis la famille d’ Almagro assassina Pizarro en 1541. Face à ce désordre la vice-royauté du Pérou fut créée le 20 novembre 1542 par Charles Quint afin d’asseoir une administration royale stable. Le roi envoya le premier vice-roi Blasco Nunez Vela en 1543, mais il fut assassiné en 1546 par un frère de Pizarro. C'est finalement Pedro de la Gasca, nommé à la place de Vela, qui parvint, en 1548, à restaurer l'ordre et l'autorité royale, et à mettre fin aux rébellions. La capitale alors s'établit dans la Ville des Rois, Lima, fondée par Pizarro le 18 janvier 1535. Je t’embrasse, Je pense à toi, je suis là toujours pour t’accompagner dans ton esprit, Je t’aime
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Lettre 60-32 22 avril 2020, Samuel, Les empires coloniaux du XV au XVII siècle E) XVI siècle : la formation de l’empire colonial espagnol 1) La conquête de l’empire Aztèque Après la colonisation d'Hispaniola en 1492 (aujourd’hui Haïti et la République dominicaine), les Espagnols conquirent Porto Rico en 1508 puis Cuba en 1511. La première colonie sur le continent fut Santa Maria la Antigua del Darien en Colombie (aujourd’hui Santa Maria tout court, voir carte jointe) fondée par Balboa en 1510. En 1513 Balboa traversa l'isthme de Panama et dirigea la première expédition européenne depuis la côte ouest du Nouveau Monde. Hernan Cortès, né en Espagne en 1485, participa à la conquête de Cuba et s’opposa rapidement au gouverneur de l’île, représentant de la couronne espagnole dans les Antilles : Velázquez. Emprisonné puis évadé il arma une flotte, et, le 10 février 1519, il quitta Cuba et cingla vers le continent. Il aborda le Mexique actuel sur la côte de Tabasco (sud du Mexique) le 23 avril 1519 près de la péninsule du Yucatan (voir carte). Il y rencontra les Mayas, survivants d’une civilisation qui s’effondra vers le X siècle (nous ne connaissons pas bien les causes de cet effondrement). Les Mayas furent d’abord pacifiques puis ils le furent moins mais Cortès parvint à les maîtriser. Il apprit l'existence d'un pays à l'ouest du Yucatán appelé Mexico, domaine des Aztèques, réputé riche en or. Il décida de conquérir ce royaume. Avant de partir il dut imposer son autorité à une partie de ses hommes restés inféodés au gouverneur Velázquez lequel venait d’être nommé gouverneur du Yucatán par Charles 1er le nouveau roi d’Espagne (le futur Charles Quint). Seul Velázquez était légitime à partir à la conquête de nouveaux territoires. Cortès commença par transformer le campement où il s’était établi en ville dotée d’une administration solide. Il l’appela Villa Rica de la Vera Cruz (« La riche ville de la véritable croix »), devenue Veracruz. Il en fit une place forte de façon à pouvoir résister à une éventuelle attaque de Velázquez. Puis il détruisit tous les navires afin de ruiner les espoirs des contestataires de revenir à Cuba. L'expression « brûler ses vaisseaux » est utilisée aujourd’hui pour dire qu'il n'est plus possible de rebrousser chemin. L'expédition terrestre vers l’empire aztèque partit le 16 août 1519. Cortès arriva d’abord dans l'État de Tlaxcala, ennemi de l'empire aztèque. Le souverain l’attaqua. Cortès remporta la bataille grâce à sa supériorité technologique mais aussi grâce à ses chevaux, animal que les indigènes n’avaient jamais vu : ils s’effrayèrent. Après sa victoire, Cortès rallia les Tlaxcaltèques à sa cause. Il poursuivit son chemin, avec le renfort de 2 000 combattants tlaxcaltèques. Il arriva à Cholula, une ville de l'empire de Moctezuma II, l’empereur aztèque. Les choses se passèrent mal, un conflit éclata. Les Espagnols incendièrent la ville et tuèrent entre 15 000 et 30 000 habitants. Ce fut un des plus grands massacres menés par Cortès, et aujourd'hui encore, son souvenir est vivace au Mexique. Cortès adressa un message à Moctezuma, justifiant son action par le manque de respect des autorités de Cholula à son encontre. L'entrée dans la capitale aztèque Tenochtitlan (future Mexico) eut lieu le 8 novembre 1519. Moctezuma crut que les Espagnols étaient des envoyés des dieux. Cortès fut accueilli avec la pompe requise pour le retour d'un dieu. Des sacrifices humains lui furent offerts. Selon certains témoignages le sang des sacrifiés formaient des rivières de sang sur les marches du palais. Les Espagnols découvrirent d’énormes quantités d’or amassées par les rois. L’idée de s’en emparer fit son chemin. C’est alors que Cortès apprit que Velázquez avait envoyé une flotte vers Veracruz pour le renverser. Il décida de laisser une garnison d'une centaine d'hommes à Tenochtitlan, sous les ordres de Pedro de Alvarado, puis il prit la tête du reste de la troupe pour affronter ce nouveau danger. Il sortit victorieux de la confrontation. Pendant qu’il était occupé à Veracruz, la situation se dégrada à Tenochtitlan. Alvarado se croyant (peut-être à tort) menacé rentra en conflit avec les Indiens et les massacra. La population se rebella. Les Espagnols se retrouvèrent assiégés dans le palais. Le 24 juin 1520 Cortès rentra dans la ville. Moctezuma ayant été fait prisonnier par les Espagnols, Cuitlahuac son frère fut élu empereur et continua la guerre. Encerclés, les Espagnols se retrouvèrent en mauvaise posture. Cortès ordonna à Moctezuma de parler à son peuple depuis un balcon pour le convaincre de laisser les Espagnols retourner vers la côte. Moctezuma lui obéit mais il fut hué et reçut des pierres qui le blessèrent grièvement. Il mourut quelques jours plus tard (peut-être finalement assassiné par les Espagnols, on en sait rien). Assiégés les Espagnols contre-attaquèrent dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1520, nuit surnommée la Noche Triste. La lutte fut terrible. Environ 400 Espagnols et près de 2 000 de leurs alliés furent tués. Cortès parvint à s'échapper de justesse. Poursuivis par les Indiens, les Espagnols se jetèrent le 7 juillet, dans un ultime combat : la bataille d’Otumba. Ils parvinrent à repousser les Aztèques. Toujours soutenu par les Tlaxcaltèques, ralliant tous les Indiens ennemis des Aztèques, Cortès assiégea la capitale. Après un long siège de trois mois faisant entre 120 000 et 240 000 morts chez les Aztèques l’empereur se rendit à Cortès le 13 août 1521. Il mourut sous la torture. Puis Cortès fit raser la ville avant de commencer à construire la future ville de Mexico. Ainsi le territoire aztèque passa sous la domination espagnole. Hernán Cortès organisa d’autres expéditions vers l’Amérique centrale. L’un de ses hommes Pedro de Alvarado occupa le Guatemala et poussa jusqu’au Honduras. Il espérait trouver un passage qui relia les deux océans Atlantique et Pacifique mais il ne trouva rien (il n’y avait pas de passage de toute façon). En 1532, Cortès envoya trois navires le long de la côte nord-ouest du Mexique à la recherche de l’île de Californie. Ils disparurent tous trois sans laisser de traces. Le mythe de cette île avait été créé par Rodriguez de Montalvo à la fin du XVe siècle dans son livre Las Sergas de Esplandian qui la décrit comme suit : Sache qu'à main droite des Indes il y a une île appelée Californie très proche du bord du paradis terrestre ; elle est peuplée de femmes noires, sans aucun homme parmi elles, car elles vivent à la façon des Amazones. L'année suivante, Cortès fit partir une expédition de secours au cours de laquelle le pilote Fortun Ximenez débarqua à l'emplacement de l'actuelle La Paz. L’expédition avait en fait découvert la Basse Californie. Hernan Cortès, enfin reconnu par le roi d’Espagne, proposa, dans une lettre à Charles Quint, de baptiser Nueva España (Nouvelle-Espagne) les territoires explorés et soumis au nom de la couronne espagnole pendant sa conquête de l’empire aztèque : « Il m'est apparu que le nom qui conviendrait le mieux pour désigner cette terre serait celui de Nouvelle-Espagne de la mer Océane. C'est ainsi que j'ai appelé cette terre au nom de Votre Majesté et je demande humblement à Votre Altesse qu'elle approuve ce nom et le tienne pour bon » La Nouvelle-Espagne, ou Vice-Royauté de Nouvelle-Espagne devint une division administrative du royaume créée en 1525. Elle administra le territoire aztèque conquis par Cortès, le nord de ce territoire ou Nouvelle Galice, la Floride, l’Amérique centrale mais aussi les Philippines car il était plus facile d’atteindre ces îles en partant d’Amérique plutôt qu’en partant d’Espagne. Selon la légende c’est l'Espagnol Juan Ponce de Leon qui aurait découvert la Floride. Il débarqua sur la côte orientale de la péninsule entre le 2 et le 8 avril 1513. Il baptisa l'endroit « La Pascua Florida », ce qui signifie « la Pâque fleurie » C’est l’Espagnol Nino Beltrán de Guzmán qui conquit les terres amérindiennes du nord et du nord-ouest du Mexique. Il nomma ces régions Nouvelle-Galice. Sur une carte jointe le Yucatán est cette excroissance de terre contenant le Guatemala, le Belize, le Honduras, le Salvador et le sud du Mexique. La ville de Veracruz est mentionnée sur cette carte, c’est là que débarqua Cortès, sur la côte de Tabasco. Je t’embrasse, Je t’aime
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Lettre 60-31 15 avril 2020, Samuel, Les empires coloniaux du XV au XVII siècle D) Fernand de Magellan Fernand de Magellan, portugais, naquit à Porto vers 1480 et mourut sur l'île de Mactan aux Philippines le 27 avril 1521. Il participa à la prise de Malacca à l'été 1511 sous le commandement d'Alfonso de Albuquerque (voir lettre 60-30) mais n’alla pas jusqu’aux Moluques dont il prit cependant connaissance grâce au récit qu’en firent ses amis. Il fut convaincu que ces îles se trouvaient dans la moitié du globe qui revenait à la couronne d'Espagne (traité de Tordesillas). Du coup il forma le projet de rejoindre par l'ouest ces îles, d’en prendre possession et de les offrir au roi d’Espagne, Charles 1 er, le futur Charles Quint. Il soumit son projet au roi qui le soutint. Il est probable que Magellan visait surtout à trouver un financier pour rejoindre les îles, charger ses bateaux d’épices et faire ainsi une excellente opération commerciale. Il était loin de se douter que ce voyage virerait pour lui au cauchemar. Il leva l’ancre le 10 août 1519, de Séville, dirigeant 237 hommes répartis sur cinq navires : la Trinidad, le San Antonio, la Concepción, le Santiago et la Victoria (position 1 sur la carte jointe). Après s’être encalminée dans les eaux de l’Atlantique au niveau de l’équateur (position 2), après avoir connue de violentes tempêtes (position 3) la flotte arriva au Brésil en décembre 1519 (position 4). Elle prit la direction du sud pour contourner le continent. En raison du froid Magellan décida d’hiverner en Patagonie (position 5) [Les indigènes qui vivaient sur ces terres étaient très grands et laissaient sur le sol de larges empreintes. Les marins leur donnèrent le nom de « Patagons », grands pieds, d’où le nom de Patagonie]. Magellan envoya un de ses navires, le Santiago, en mai 1520, en reconnaissance pour trouver un passage qui permette d’atteindre l’océan Pacifique. Le navire s’échoua et sombra. Magellan continua vers le sud avec les quatre navires restants. Le 21 octobre, il aperçut un cap qu'il baptisa cap des Vierges. Ce cap ouvrait sur un détroit qu’il explora. C’était un dédale de fjords, cerné de falaises menaçantes, aux eaux sinistres, qu'il mit plus d'un mois à traverser ; les marins aperçurent de nombreuses fumées à l'intérieur des terres qu’ils baptisèrent Terre des Fumées, rebaptisées plus tard Terre de Feu, en raison des petits feux aperçus sur les berges. Le détroit, nommé d’abord « Chenal de Tous-les-Saints », fut plus tard appelé détroit de Magellan en l’honneur du navigateur (position 6). Au milieu du passage, l’équipage du San Antonio se rebella, rebroussa chemin, et repartit vers Séville. Magellan n’avait plus que trois navires. L’explorateur déboucha dans un océan qu'il baptisa « Pacifique » à cause du temps calme qu'il rencontra pendant sa traversée de la Terre de Feu jusqu'aux Philippines, traversée qui dura plus de trois mois. L’équipage manqua d’eau potable, les rations diminuèrent, le biscuit même vint à manquer, l'équipage dut survivre en mangeant des rats puis des chats, en buvant de la soupe de copeaux de bois trempés dans de l'eau de mer. Un marin écrivit : « Nous ne mangions que du vieux biscuit tourné en poudre, tout plein de vers et puant, pour l'ordure de l'urine que les rats avaient faite dessus et mangé le bon, et buvions une eau jaune infecte ». Le scorbut et le béribéri minèrent l'équipage, mais sans l'anéantir. La flotte atteignit les Philippines le 17 mars 1521. Les hommes débarquèrent sur l’île d'Homonhon (position7). Ils furent bien reçus par le souverain, mais quand ils débarquèrent sur l’île de Mactan le souverain local les attaqua. Il s’ensuivit une bataille au cours de laquelle Magellan fut blessé par une flèche empoisonnée : il mourut le 27 avril 1521 avec six de ses compagnons. Il ne restait plus que cent treize hommes désormais placés sous le commandement de Juan Sabastian Elcano. Ce nombre étant insuffisant pour manœuvrer trois vaisseaux la Concepción fut brûlée. La Victoria et la Trinidad prirent le large début mai et arrivèrent aux îles Moluques le 8 novembre 1521 (position 8). Les marins chargèrent d'épices les deux navires sans être inquiétés par les Portugais. Une importante voie d'eau fut découverte dans la Trinidad qui fut contrainte de rester. Elle finit par être arraisonnée par les Portugais qui ne trouvèrent à bord que vingt marins affaiblis. La Victoria réussit à partir des îles le 21 décembre 1521, avec un équipage de soixante hommes (dont treize Moluquois) toujours sous le commandement d’Elcano. Elle réussit à traverser l'océan Indien et à passer le cap de Bonne-Espérance le 19 mai 1522 (position 9). Mais en remontant vers l’Espagne, n’ayant plus de quoi se nourrir l’équipage s’arrêta dans les îles du Cap vert détenues par les Portugais. Ils négocièrent contre des vivres des clous de girofle dévoilant ainsi qu’ils venaient des Moluques. Les Portugais n’apprécièrent pas de découvrir que des Espagnols s’étaient ravitaillés dans leurs îles des Épices. La Victoria dut prendre la fuite en abandonnant douze hommes sur le terrain. Enfin la Victoria arriva en Espagne le 6 septembre 1522 à Sanlucar de Barrameda en Andalousie (les douze hommes restés prisonniers dans les îles du Cap-Vert purent revenir quelques semaines plus tard). Ainsi La Victoria et les dix-huit occidentaux que comptaient encore l’équipage furent les premiers à effectuer un tour complet du globe par la voie océanique. La vente des épices rapportées remboursa l'essentiel des frais engagés au départ mais fut insuffisante pour couvrir les arriérés de solde dus aux survivants et aux veuves. En 1529, par le traité de Saragosse, l'Espagne renonça à ses prétentions sur les Moluques mais elle garda les Philippines. Cinq survivants, rescapés de la Trinidad, accomplirent eux aussi le tour du monde, mais ils ne revinrent en Europe qu’en 1525. Je te joins une carte de l’Afrique (en plus de celle qui illustre le voyage de Magellan) afin que tu puisses situer le Mozambique et le Zimbabwe cités dans la lettre précédente. Bon courage ! Je pense à toi.
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Lettre 60-30 14 avril 2020, Samuel, Les empires coloniaux du XV au XVII siècle C) XVI siècle : vers la constitution de l’empire colonial portugais en Afrique, en Inde et en Chine ; arrivée des Espagnols en mer de Chine. Manuel 1 er roi du Portugal de 1495 à 1521 prit conscience de l’urgence de reconnaître les îles et les terres relevant de sa zone (traité de Tordesillas) et de gagner sur l’Espagne la course à l’occupation de terres nouvelles. Le 8 juillet 1497 le portugais Vasco de Gama quitta Lisbonne à la tête d’une flottille de quatre bateaux. Le roi Manuel le chargeait de rallier la cité-Etat de Calicut au sud de l’Inde par voie océanique et de nouer avec le souverain des relations commerciales. L’explorateur doubla le cap de Bonne Espérance, remonta la côte orientale de l’Afrique, entra dans l’océan Indien et jeta l’ancre en Inde, le 20 mai 1498 près de Calicut. Les pourparlers commerciaux se passèrent mal, le souverain n’agréant pas les marchandises proposées pour échange par les Portugais : miel, chapeaux, pots de chambre. Vasco de Gama dut repartir rapidement ses hôtes le considérant malvenu. Malgré cet échec son nom resta dans l’histoire comme étant le premier Européen à avoir trouvé la voie d’accès à l’Inde orientale en passant par les océans. Le roi Manuel ne désarma pas. Il envoya une seconde flotte en Inde avec de l’or et de l’argent pour assurer avec plus de chances le succès des négociations commerciales. Il confia le commandement à un gentilhomme âgé de 32 ans Pedro Alvarez Cabral. Ce dernier prit la mer à Lisbonne le 9 mars 1500, cingla vers Cap-Vert, franchit l’équateur puis mit le cap à l'ouest aussi loin du continent africain qu'il le put afin d’éviter de traverser des zones maritimes trop étales. Il dériva tellement vers l’ouest qu’il accosta sur une terre nouvelle le 22 avril 1500 : il venait de découvrir fortuitement le Brésil. Cabral constata que ces terres se trouvaient à l'est de la ligne de démarcation définie par le traité de Tordesillas : elles appartenaient donc au Portugal. Il nomma cette terre : Île de la vraie Croix. Un navire retourna au Portugal pour apprendre la nouvelle au roi. Ce dernier envoya une flotte conduite par Amerigo Vespucci en 1501 pour l'explorer. Le navigateur découvrit qu’il s’agissait, non d’une île, mais d’un nouveau continent. On pourrait donc penser que Cabral fut le premier à découvrir la Terre Ferme mais comme Vespucci assura, dans une lettre relatant un voyage réalisé en 1499-1500 (voir lettre 60-29) qu’il avait touché lui la Terre Ferme en août 1499, c’est à lui qu’on attribua cette découverte (les dires de Vespucci ne furent jamais certifiés). La flotte reprit la mer en mai 1500 et arriva à Calicut le 13 septembre 1500. Cabral négocia avec le souverain et obtint la permission d'établir un comptoir. En décembre il fut attaqué par des Arabes qui n’acceptaient pas que le monopole du commerce avec l’Inde qu’ils détenaient jusqu’alors (en passant par la mer Rouge) soit menacé. Cabral repoussa l’attaque et ouvrit un autre comptoir à Kochi (Cochin) ville vassale de Calicut. Enfin, chargé de précieuses épices, il entreprit le retour vers le Portugal où il arriva le 21 juillet 1501. La vente des épices couvrit largement les frais de l’expédition. Ainsi les Portugais prirent définitivement pied en Inde, après avoir pris pied en Afrique. Par l’intermédiaire de leurs comptoirs établis sur la côte ouest de l’Afrique ils commercèrent avec les populations de l’intérieur des terres : sel, or, esclaves, cuivre etc.(voir carte jointe). Grâce à leur exploration de la côte est de l’Afrique ils lancèrent en 1515/1516 une expédition à partir de Sofala, sur la côte du Mozambique, pour atteindre les mines d’or appartenant au royaume de Monomotapa. Cet Empire finit par devenir une quasi-colonie du Portugal bien que l’empereur garda son trône et une relative souveraineté. Un intense commerce s’instaura centré sur le négoce de l’ivoire, celui de l’or mais aussi sur le trafic d’esclaves. Ce royaume correspondait aux territoires actuels du Mozambique et du Zimbabwe. Les Portugais remontèrent ensuite vers le Nord de la côte Est dans l’espoir d’atteindre le mythique royaume chrétien du prêtre Jean, l’Éthiopie. Mais ils ne parvinrent pas jusque là repoussés par les populations autochtones. Ils consolidèrent leurs positions en Inde créant les comptoirs de Diu, de Goa, de Colombo entre 1503 et 1510 en plus de ceux de Calicut et de Cochin (Kochi). Ils durent batailler contre les pirates arabes venus de la mer Rouge et du golfe persique déterminés à leur reprendre le commerce des épices. Mais les Arabes furent repoussés, une expédition lancée par Soliman le Magnifique lui-même en 1538 échoua à barrer la route aux Portugais qui prirent même position à Ormuz, à l’entrée du golfe persique pour en contrôler le trafic. La république de Venise, qui continuait de commercer avec les Turcs et les Arabes, projeta avec ses derniers de percer un canal reliant la Méditerranée à la mer Rouge. Mais le projet (le futur canal de Suez) ne trouva pas de financement. Conduits par Alfonso de Albuquerque (1453-1515) le gouverneur général des Indes, les Portugais s’emparent de Malacca en 1511, contrôlant ainsi le passage entre Sumatra et la Malaisie (Malacca se trouve sur la carte jointe : les possessions européennes en Insulinde). Ils continuèrent d’avancer et atteignirent les Moluques en 1512 (clou de girofle, muscade). De là ils atteignirent la Chine en 1516 où ils ouvrirent le comptoir de Macao. Enfin, plus tard, en 1596 ils s’emparèrent de Timor (bois de santal, cannelle, ambre). Arriva alors, jusque dans la mer de Chine, en 1521, Magellan, navigateur portugais qui œuvrait pour le compte du roi d’Espagne. Il venait non de l’océan Indien mais du Pacifique. Il accosta dans les Philippines, territoire que les Espagnols revendiqueront, garderont et occuperont progressivement bien que cet archipel aurait dû revenir aux Portugais selon le partage du traité de Tordesillas. Cette occupation de fait fut actée en droit avec la signature du traité de Saragosse de 1529. C’est pourquoi sur la carte de la lettre 60-28 la ligne verticale en pointillés orange, celle de Tordesillas, présente une bulle significative, une bulle qui contient les Philippines. Je t’embrasse, je t’aime, tiens le coup ! La fin du confinement approche.
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Lettre 60-29 10 avril 2020, Samuel, Les empires coloniaux du XV au XVII siècle B) Amerigo Vespucci Il est nécessaire de mentionner Amerigo Vespucci (1454-1512) puisque c’est lui qui donna son nom à l’Amérique. Il naquit à Florence, en Italie, le 9 mars 1454. Il travailla pour le compte de la Maison de Médicis, riche famille de Florence. Début 1492, il fut envoyé à Séville par Laurent de Médicis pour mettre de l'ordre dans la gestion de son négoce en Espagne. C’est là qu’il rencontra Christophe Colomb lorsque celui-ci revint de son premier voyage en 1493. Les deux hommes se lièrent d’amitié. Vespucci participa au financement du deuxième voyage de Christophe Colomb et finit par s’intéresser vivement à la découverte du Nouveau Monde. Il entreprit plusieurs voyages, pour le compte des rois d’Espagne et pour celui du Portugal. Vespucci toucha la Terre Ferme le 15 octobre 1498. La Terre Ferme désigne, par opposition aux îles des Antilles et à l’isthme de l’Amérique centrale, la terre continentale, ici celle de l’Amérique latine. Vespucci aurait accosté entre le Venezuela et le Brésil. Christophe Colomb avait débarqué sur la même Terre Ferme (le Venezuela) le 5 août 1498. Jusqu’à cette date Colomb n’avait en fait découvert que les Antilles et la côte est de l’Amérique centrale. Puis au cours d’un voyage effectué en 1499/1500 Vespucci découvrit l'embouchure de l'Orénoque (fleuve du Venezuela). Il longea la côte de l'actuel Brésil vers le sud, jusqu'au cap Sao Agostinho, (la « bosse » de terre du Brésil la plus avancée vers l’Europe) Pendant tout ce voyage, comme Christophe Colomb, Amerigo Vespucci crut longer la côte orientale de l'Asie. Enfin en 1501/1502 il longea la côte est de l’Amérique latine presque jusqu’au détroit de Magellan. Il se rendit compte alors qu’il avait découvert un nouveau monde, Mundus Novus. Il décrivit une terre qui n’était pas une île mais un continent habité « par un plus grand nombre de peuples et d’animaux qu’en notre Europe, ou qu’en Asie ou bien en Afrique ». En 1507, un géographe allemand, Martin Waldseemüller, résidant à Saint Dié en France publia une nouvelle édition de la Géographie de Ptolémée dans laquelle il mentionna la découverte de Vespucci. Il écrivit : « A présent ces parties du globe [Europe, Asie, Afrique] ont été largement explorées et une quatrième partie a été découverte par Amerigo Vespucci et puisque l’Europe et l’Asie doivent leur nom à des femmes, je ne vois pas de raison valable pour objecter que l’on appelle cette partie Amerige, terre d’Amerigo son découvreur » La première carte portant ce nom, féminisé en America fut publiée à Saint Dié le 25 avril 1507. Ce nom ne s’imposa que tardivement, celui d’Indes Occidentales gardant longtemps la préférence. Toutes mes pensées vont vers toi
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Lettre 60-28 9 avril 2020, Samuel, Les empires coloniaux du XV au XVII siècle Nous allons maintenant étudier la formation des empires coloniaux. Ces empires tinrent un rôle majeur dans le développement de l’histoire de l’Occident mais aussi dans celle de l’Orient. A) XV siècle Après la chute de Constantinople en 1453 suivie du contrôle par les Ottomans des rives Est et Sud de la Méditerranée les Européens durent désormais compter avec ces derniers dans leur commerce avec l’Orient. Il s’avéra qu’il était difficile de transiter par l’Empire tant les Ottomans imposaient des contraintes financières et opposaient des empêchements physiques. Ainsi le commerce avec l’Orient, l’Inde et la Chine, d’où venaient notamment les épices, les pierres précieuses, le textile ou le riz, devenait incertain. Les Européens cherchèrent à ouvrir de nouvelles routes commerciales. Deux voies s’offraient à eux : contourner l’Afrique ou voguer en se dirigeant vers l’Ouest en s’appuyant sur l’affirmation scientifique de la rotondité de la terre. Il paraissait évident que l’on atteindrait l’Orient en allant vers l’Ouest. Ce furent les Portugais qui se lancèrent en premier dans l’exploration de ces nouvelles voies. Ils décidèrent de contourner l’Afrique. Avant même la chute de Constantinople, sans attendre la progression des Ottomans, désireux de se libérer du rôle prépondérant que tenait la république de Venise dans les relations commerciales encore maintenues avec les Turcs, les Portugais, menés par Henri le Navigateur (1394-1460), le frère du régent, recrutèrent des cartographes, des géographes, des constructeurs de bateaux et partirent vers l’Afrique, pensant la contourner rapidement pour remonter ensuite vers le pays mythique du prêtre Jean qui était censé régner sur un royaume chrétien à l’est de l’Afrique, en Éthiopie. Mais ils mirent beaucoup plus de temps à contourner l’Afrique que prévu en raison de la configuration de ce continent beaucoup plus grand qu’ils ne l’imaginaient (on ne disposait pas encore à l’époque d’une carte précise de l’Afrique). Partis dans les années 1420, après avoir conquis les Açores en 1427, les Portugais n’arrivèrent au cap de Bonne-Espérance qu’en 1487/1488 (cap appelé aussi cap des Tempêtes). Pendant ce temps, les Espagnols misèrent sur Christophe Colomb et l’exploration de la voie maritime par l’Ouest. Le navigateur partit des Canaries le 31 août 1492. Il atteignit le 11 octobre les Bahamas baptisant la première île touchée : San Salvador. Les géographes s’étaient trompés sur la mesure du diamètre de la terre, la croyant bien plus petite que la mesure réelle. C’est ainsi que Christophe Colomb crut avoir débarqué en Inde. Par la suite il fit d’autres voyages de 1493 à 1502, découvrant les Antilles et posant enfin le pied en Amérique latine, au Honduras. Ses découvertes enflammèrent les esprits : un nouveau monde venait d’être découvert. Le Portugal n’avait pas l’intention de rester sur la touche : Portugais et Espagnols s’acheminaient vers une concurrence féroce. Le Pape Alexandre VI intervint pour déjouer toutes guerres de contrôle de territoire (les deux nations en concurrence étaient catholiques et reconnaissaient l’autorité du Pape). En mai 1493 il promulgua une bulle pontificale (écrit papal ayant autorité chez les catholiques) dite Inter caetera (« entre autres ») répartissant les terres nouvelles entre les deux couronnes : celles à l’ouest du méridien situé à cent lieues des îles du Cap-Vert reviendraient à l’Espagne, celles à l’est de ce méridien, reviendraient au Portugal. Le roi du Portugal s’insurgea car ce partage attribuait la totalité du nouveau monde à l’Espagne alors que le Portugal n’avait pas même commencé de partir à sa découverte. Le Pape revit son partage. Le nouveau méridien de séparation fut désormais fixé à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap Vert. Les deux nations acquiescèrent et signèrent le 7 juin 1494 le traité de Tordesillas (en Espagne). Personne ne savait trop quelles réalités géographiques étaient concernées par ce traité puisque le nouveau continent avait été à peine effleuré sur sa côte Est. Au demeurant personne n’en tint compte sauf au début de la conquête de l’Amérique latine, lorsque les Espagnols s’emparèrent de la plus grande partie du territoire. Les Portugais ne contestèrent pas ces acquisitions. Des conflits advinrent ensuite, parfois les Espagnols brandirent ce traité pour défendre leurs intérêts mais en vain. Les Portugais établirent avec les puissances africaines, le long des côtes, un commerce régulier d’or et d’esclaves. Ils ne conquirent pas de territoire sur le continent, il se contentèrent de gérer des comptoirs, des places fortes côtières à partir desquelles ils développèrent leur commerce. Les esclaves furent d’abord des femmes acheminées vers Lisbonne. Ainsi commença la traite négrière. En revanche ils conquirent pour les coloniser les îles proches de la côte : les Canaries, Madère, le Cap-Vert, Sao Tomé. Ils y développèrent la culture de la canne à sucre en enrôlant des esclaves noirs. [Les Espagnols disputèrent les Canaries aux Portugais et finirent par les conquérir en 1479]. En Amérique latine Christophe Colomb se comporta immédiatement en conquistador : prise de possession des terres au nom du roi d’Espagne, christianisation, pillage des richesses. Sur la carte jointe du partage du monde entre Espagnols et Portugais, la ligne verticale en pontillés bleus figure le premier méridien du partage contesté par le Portugal. La ligne verticale continue bleue est le méridien de Tordesillas. Sur cette carte il y a aussi, en pointillés rouges, la limite du partage des territoires en Orient. Ce partage fut entériné par le traité de Saragosse de 1529. Bon courage ! Chaque jour qui passe te rapproche de déconfinement ! Je t’aime, je pense à toi
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Lettre 60-27 7 avril 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive LA KABBALE Troisième partie : Sabbataï Tsevi,complément à la lettre 60-16 Sabbataï Tsevi avait étudié la kabbale de Louria. Aussitôt après l’avoir lue et étudiée il se pensa Messie. Les signes parlaient : il était né un 9 Av. Pour lui, en fait, tout devenait signe et le désignait comme Messie. Il voulut aller libérer les étincelles les plus abîmées (mises en abîme) dans les ténèbres. C’est pour cela qu’il blasphémait, qu’il transformait les jeûnes en fêtes et qu’il prononçait le nom interdit de Dieu. Il pratiquait ainsi le péché rédempteur afin de s’enfoncer dans les eaux noires du mal et y aller chercher et libérer les ultimes étincelles prisonnières. C’est pourquoi il disait : « Béni soit celui qui permet ce qui est interdit » Il affichait une certaine distance avec le judaïsme rabbinique. Il pensait que ce judaïsme étouffait la parole divine jusqu’à l’éteindre. Il annonça la révélation prochaine d’une nouvelle consonne, la vingt-troisième lettre de l’alphabet hébraïque qui permettrait de récrire la Torah et d’en révéler le sens caché. Sa conversion à l’islam fut interprétée par ses disciples non comme une trahison mais comme une plongée dans le péché afin, toujours, d’aller libérer les étincelles. Mais dans l’esprit de Tsevi, pratiquer le mal devait être accompagné par la pratique du bien par l’observation des commandements. Ainsi était-il, en public, musulman, mais en cachette, dans le privé, il continuait d’observer le judaïsme. Il se comportait en définitive comme un marrane, mais il affichait publiquement l’islam au lieu du catholicisme. Après sa mort ses fidèles constituèrent une secte, les Dunmeh, qui vécurent en Turquie. Il semble qu’ils existent toujours, du moins la rumeur l’affirme, mais nul ne peut les identifier car ils continueraient de pratiquer officiellement l’islam et resteraient toujours cachés dans la pratique de leur judaïsme. Je te souhaite de bonnes fêtes de Pessa’h malgré le confinement (du mercredi 8 avril au jeudi 16 avril. Pessa’h : voir lettre 15, deuxième partie) Je t’embrasse, Je t’aime, je t’accompagne et je reste toujours près de toi.
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Lettre 60-26 5 avril 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive LA KABBALE Deuxième partie L’origine du mal Les étincelles de lumière divine restèrent captives des kelippot. La « brisure des vases » provoquée par l’afflux de Miséricorde destinée à juguler la rigueur du Jugement opéra la rupture entre les trois sefiroth les plus élevées (Keter, la Couronne, Hokhmah, la Sagesse et Binah, l’Intelligence) et la sefirah la plus basse (Malkhout, le Royaume). Les communications furent rompues entre le haut et le bas, les vases des six sefiroth intermédiaires étant brisés. La brisure des vases engendra le mal : les kelippot en retenant la lumière indispensable au rétablissement de la création dans sa perfection engendrèrent en effet l’obscurité, assimilée au mal, cause des erreurs et des égarements. Le tikkoun olam : la réparation du monde Pour retrouver la perfection originelle de la création la « brisure des vases » exige la réparation, le tikkoun. Les hommes doivent extraire des kelippot les étincelles qui permettront de restaurer les vases brisés. Cette réparation les hommes la mettent en œuvre en s’appuyant sur les trois sefiroth les plus élevées qui leur offrent des parzufim : des « visages ». Ces visages permettent aux hommes de se différencier et de s’individuer en les prenant comme modèles, comme « archétypes » avant de réaliser l’accouplement des différences, l’ union intellectuelle et érotique qui donnera l’énergie pour libérer les étincelles prisonnières. Libérées elles iront réparer les vases brisés ou remonteront vers l’En Sof. La sefirah Kether, la couronne, considérée aussi comme l'Esprit, correspondant au Verbe, se développe en deux parzufim : un externe, appelé le Long Visage, qui correspond au pouvoir de la volonté ; un interne, l’Ancien des Jours, qui correspond au pouvoir du plaisir dans l’âme. La sefirah offre ainsi deux archétypes : l’Esprit et le Pouvoir. Hokhmah, la seconde sefirah, est le souffle qui vient de l'Esprit, le signe matériel de la pensée, souffle dans lequel ont été gravées les lettres de l'alphabet. Elle est le point de départ de la création et la chaleur du début. Elle offre l’archétype du père "aba", le point yod, le germe créateur. Binah, "ima", la troisième sefirah, est l'eau, la matrice dans laquelle tout le reste commence à prendre une forme stable. Elle offre l’archétype de la mère. C’est la matrice des sept sefiroth suivantes, elle est le signe du féminin. Elle est la porte de passage vers le monde supérieur, interdit au commun des mortels. Cette libération est réalisée par la pratique de l’action bonne, notamment par l’observation des 613 commandements (mitsvoth). En revanche chaque acte « mauvais », chaque péché contribue à renforcer l’emprisonnement des étincelles et retarde la rédemption ( la réparation). Pour Louria tout objet, tout lieu dans l’espace, est porteur d’étincelles lumineuses qui attendent la libération. Ainsi la kabbale pousse à l’action dans le monde, la seule réflexion reste inopérante. La libération des étincelles n’est pas la tâche des seuls intellectuels, elle est l’œuvre de tous, du plus humble des hommes jusqu’au plus savant.Cette œuvre commune rassemble tous les individus dans une même communauté de destin. L’être humain doit aider l’Infini (En Sof : non fini) à retrouver son unité en rassemblant les étincelles de divinité éparpillées. Pour la kabbale le En Sof a besoin des hommes car il ne peut plus venir réoccuper l’espace qu’il a libéré dans son retrait. Seul l’homme peut répondre au désarroi divin, seul l’homme peut secourir l’Infini. Ainsi la kabbale apporte à l’homme ce qu’aucune autre spiritualité ne lui donne : un rôle majeur dans le destin du divin. La kabbale de Louria ne traite pas précisément du messianisme mais elle permet une autre conception du Messie. La rédemption n’est plus conçue uniquement comme un événement temporel qui apporterait seulement l’émancipation d’Israël mais elle est aussi une transformation radicale de toute la création par l’action bonne. Le Messie ne s’adresse plus seulement aux Juifs mais aussi à tous les hommes, puisque la restauration de l’Infini dans son unité est un événement qui concerne le monde dans son ensemble. La kabbale de Louria donne en outre un sens religieux à l’exil des Juifs. Ceux-ci participent dans leur exil à l’exil de l’Infini. L’infini en se retranchant est exilé de lui-même. Le Jugement représente l’Inquisition catholique, qui dans sa rigueur, a contribué à briser les vases, expulsant dans les ténèbres les étincelles de la Miséricorde. Les Juifs ne sont pas abandonnés par l’Infini, c’est l’Infini lui-même qui est affecté par sa division entre le Jugement (le féminin) et la Miséricorde (le masculin). Les Juifs ainsi dans leur amour pour l’Infini vont s’oublier et le secourir. C’est cette vision puissante qui va bouleverser Sabbatai Tsevi. (A suivre
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Lettre 60-25 2 avril 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive LA KABBALE La kabbale a inspiré quantité de Juifs aussi bien dans le monde spirituel, politique qu’intellectuel. Aussi vais-je t’en faire une brève présentation. Mais je dois en étendre l’enseignement sur plusieurs lettres car il est impossible de la présenter sérieusement en quelques lignes. Je pense que tu n’auras aucune difficulté à en pénétrer l’esprit. Première partie La kabbale prend racine dans le livre d’Ézéchiel, prophète du VI siècle avant l’E.C. qui partagea l’exil des Hébreux à Babylone. Dans une vision Ézéchiel décrit le char (merkavah) de Dieu, le Trône de Dieu et les différent palais par lesquels il passa. Alors que la vision d’Ézéchiel s’arrêtait au monde du Trône ou des Palais les kabbalistes montèrent d’un degré et obtinrent une vision-fusion avec le monde d’Atsilout (le monde du divin) et celui des dix émanations d’En Sof (le Dieu infini) : les sefiroth (voir ci-après). [En Sof reste lui-même au-delà de toute connaissance humaine possible]. Selon la tradition rabbi Aqiba (II siècle après l’E.C.) écrivit le Sefer Yetsira ou Livre de la Création qui présente une vision complète de la création de l’univers. Ce livre joua un rôle prépondérant dans la constitution du système de la kabbale. Le Sefer Yetsira explique la Genèse par les 32 sentiers merveilleux de la sagesse comprenant : les dix sefiroth et les 22 lettres de l’alphabet hébraïque. Les dix sefiroth sont les dix directions dans lesquelles En Sof s’est déployé à partir de son centre pour mettre l’univers en place. Ces dix directions sont : le haut, le bas, le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest, le début, la fin, le bien et le mal. Lorsque ces sefiroth se furent parfaitement déployées et que l’univers fut mis en place, les 22 lettres de l’alphabet apparurent et construisirent le monde. Le second ouvrage fondateur de la kabbale est le Sefer ha-Bahir dont on ne connaît pas l’auteur. Il apparut au 13 siècle après l’E.C. Dans cet ouvrage sont introduits un langage symbolique, la correspondance entre les sefiroth et les organes du corps humain, la réincarnation ou la transmigration des âmes, la figure du Messie, l’angéologie, la signification du mal, la dimension féminine de la présence divine. Puis apparut le Zohar, ouvrage central de la kabbale, écrit par Moïse ben Chem Tov de Léon, en Espagne, au XIII siècle. Le Zohar est un ouvrage homilétique (prédication ordinaire) commentant la Torah, le Cantique des Cantiques, le Livre de Ruth et le Livre des Lamentations. Les thèmes sont la connaissance de Dieu et celle des sefiroth. Le Zohar observe deux grands principes : la Torah parle des choses d’en bas mais se réfère en réalité aux choses d’en haut. Outre le sens obvie des mots, chaque mot possède aussi un sens caché, ésotérique qu’il s’agit de dévoiler. Certains Juifs expulsés d’Espagne (1492) puis du Portugal (1497) s’établirent à Safed, en Palestine. Là un rabbin visionnaire, Isaac Louria (1534-1572) fonda une nouvelle kabbale. Alors que la première kabbale ne s’intéressait qu’à l’origine du monde et au sens caché de la Torah, la nouvelle kabbale se préoccupa aussi de l’ eschatologie, de la fin du monde et de sa rédemption. La kabbale lourianique répondait au désarroi du peuple juif après son expulsion d’Espagne, vécue avec la même intensité dramatique que la destruction du second Temple en 70. Isaac Louria surnommé ha-Ari (le lion) est le plus grand des kabbalistes. Il a conceptualisé un système complet comprenant une théorie de la création, une signification de l’exil, le rôle du Messie et la mission du juif sur terre. Son rôle dans le judaïsme fut immense, son enseignement fut adopté par l’ensemble de la communauté même par ceux qui restaient éloignés de la kabbale. C’est lui qui inspira Sabbataï Tsevi. La kabbale de Louria Comment le En Sof (le Dieu infini) a-t-il créé le monde ? Comme un homme qui contracte sa respiration. La création ne fut possible que par le retrait du En Sof en lui-même, par le tsimtsoum (qui signifie : contraction). Par ce retrait le En Sof laissa un espace vide, un espace primordial, appelé tehiru, qui reçut la Création. Deux principes flottent de toute éternité dans le En Sof : un principe masculin, la Miséricorde, et un principe féminin, le Jugement, lequel est dissout dans la Miséricorde comme le sel dans l’océan. Dans le mouvement de retrait du En Sof les particules infinitésimales du Jugement se condensèrent dans l’espace primordial, provoquant la Création ex nihilo, le passage du néant à l’être, tandis que la Miséricorde se retrancha dans les « masses d'eaux » de l'océan primitif, le En Sof ainsi devenu. Ce retrait fit place à quatre mondes successifs : le monde de l’émanation, le monde de la création, le monde de la formation, enfin le monde de la fabrication (c’est-à-dire le monde actuel). Le monde de l’émanation En se retirant, En Sof laissa dans l’univers désormais limité par la puissance restrictive du Jugement les reflets de la lumière de la Miséricorde appelés reshimou. En Sof fit descendre le Yod, la première lettre du Tétragramme dans l’espace primordial. Le Yod créa, en puissance, l’écriture et la lecture soit la puissance de formation et d’organisation de toute chose. Cette émanation divine agit pour apporter ordre et structure dans le chaos de l’univers primitif. Le monde de la création Le tsimtsoum (le retrait du En Sof) permit l’apparition d’une forme sphérique dans l’espace primordial. Le reflet de la lumière divine s’y déploya en cercles concentriques. Ce processus généra la création de « vases » (kelim) dans lesquels les reflets de la lumière divine furent recueillis. Un rayon de lumière, linéaire, directement issu du En Sof forma un « vase » appelé Adam Kadmon : l’homme primordial. La forme du cercle et celle du linéaire qui conduit à l’homme indiquent : « les deux directions dans lesquelles se développent toutes les choses créées ». La forme linéaire, humaine, prend une valeur supérieure à celle du cercle car le rayon qui crée l’Adam Kadmon émane directement du En Sof, tandis que les cercles qui éclairent l’espace ne sont que des reflets de la lumière divine. La forme linéaire, humaine, obéit au principe du ruah (le souffle divin). La forme circulaire, au principe de la nefesh (la perfection naturelle). L’Adam Kadmon intègra en lui les cercles lumineux, grâce au Yod qui lui permit de distinguer les dix sphères, les dix vases de lumière divine, s’imbriquant concentriquement les uns dans les autres. La plus extérieure, la sphère de Keter (la Couronne), constitua la première sefirah, émanation divine, en contact avec le En Sof environnant. Comme dans un jeu de poupées russes, les neuf autres sefiroth se rétrécirent de plus en plus en soi, jusqu’à la dixième, Malkhout (le Royaume), la sphère la plus éloignée de Dieu, la plus ordinaire. Le monde de la formation Les dix sefiroth s’adaptèrent à la forme humaine. La dixième sefirah, la plus basse, s’associa aux pieds de l’homme. La première, la plus élevée, s’associa à son front. Les autres se répartirent dans son anatomie. Les sefiroth prirent également la forme de lettres, d’autres celles de signes grammaticaux, de sorte qu’elles rassemblèrent toutes les composantes de l’Écriture sainte. Les lumières des sefiroth se combinèrent pour former des noms dont les puissances latentes devinrent agissantes. Ces noms, porteurs de lumière divine, constitutifs du langage, investirent la tête de l’homme, qui les diffusa à son tour. Dans le corps symbolique de l’Adam Kadmon, les dix sefiroth (les dix lumières primordiales) établirent entre elles des circuits qui accrurent l’intensité lumineuse des vases qui les contenaient. La Chevirat haKelim : la brisure des vases Les trois premières sefiroth, les trois premiers vases – la Couronne (Keter), la Sagesse (Hokhmah), l’Intelligence (Binah) – disposaient d’un réceptacle assez solide pour supporter la croissance de l’intensité lumineuse, mais les vases des sept autres sefiroth étaient trop fragiles pour contenir l’afflux de la lumière. Les six vases – qui contenaient successivement la Générosité (Hesed), la Justice (Gevourah), la Beauté (Tifarerh), l’Éternité (Netsah), la Gloire (Hod), le Fondement (Yesod) –, ces six vases, ces six sefiroth, éclatèrent. La dixième sefirah, le dernier vase, le Royaume (Malkhout), se fêla également, mais ne se subit pas autant de dommages que les six précédents. Cette « brisure des vases » est appelée chevirat haKelim. La lumière contenue dans ces sept vases se dispersa dans l’espace. Une partie de leur lumière retourna à sa source, absorbée par le En Sof. Le reste de leur lumière s’attacha aux morceaux brisés des vases, précipités dans l’espace, recouverts d’une écorce, d’une coquille, d'une kelippah, qui empêcha leurs étincelles d’apparaître. Ces tessons formèrent la matière grossière et stérile. (A suivre)
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Lettre 60-24 30 mars 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive G) Le retour en Allemagne La guerre de Trente ans affaiblit considérablement les États du Saint-Empire romain germanique, entraînant la désolation économique et une baisse de la démographie. Au sortir de cette guerre, après la signature du traité de Westphalie en 1648, une nouvelle vision de l’État s’imposa progressivement, menée par des hommes tels Ludwig von Seckendorff (1626-1692), luthérien devenu administrateur de la Saxe, auteur d’un livre qui fit date en 1655 : Teutscher Fürsten-Staat, l’État des Princes allemands, dans lequel il exposa une nouvelle façon de conduire l’État. Cette vision fut défendue par un groupe de juristes, d’historiens, de financiers et d’intellectuels, essentiellement luthériens, qui animèrent un mouvement appelé : caméralisme, de kammer, la chambre, organe d’État s’occupant des finances de celui-ci. Le caméralisme rejoignait sur de nombreux points le mercantilisme : comment enrichir l’État ? De ce souci d’abord très pragmatique surgit cette nouvelle conception : l’État ne devait plus se préoccuper uniquement de l’ordre mais aussi de la prospérité économique du pays. Cette prospérité apparaissait comme le nouveau moyen d’assurer la puissance de la nation au vu de ce qui se passait aux Pays-Bas, en Angleterre et en France avec le formidable développement du commerce international, des manufactures, des industries et des techniques financières. Cette nouvelle gestion de l’État fut mise en œuvre par Léopold 1er, devenu Empereur du Saint-Empire en 1658, après être devenu archiduc d’Autriche en 1657 (ainsi que roi de Hongrie en 1655 et roi de Bohême en 1657). Il s’ensuivit un puissant développement des activités financières, manufacturières et industrielles dans toute l’Allemagne. Des idées telles que l’union douanière virent le jour annonçant la formation d’un sentiment allemand unitaire. C’est dans le cadre de cette évolution des esprits, menée dans le cadre du luthéranisme que revinrent les Juifs, fuyant les persécutions de 1648 en Pologne-Lituanie menées par les cosaques du Dniepr, fuyant aussi la première guerre du Nord de 1655 (entrée des Suédois en Pologne) qui achevait de répandre l’insécurité dans la République des Deux-Nations. Or les États allemands avaient besoin du savoir-faire des Juifs. Aussi que ce soit en Prusse, en Autriche, en Bohème, en Moravie ou en Hongrie royale, les souverains accordèrent des permis de séjour aux familles juives les plus aisées, aux savoirs les plus étendus. Elles reçurent le statut de Juifs « tolérés » ou « protégés » : schutzjuden. Ce retour ne fut pas toujours facile. Frappés d’impôts divers les Juifs furent au début empêchés dans l’exercice libre de leur culte. Ainsi la communauté de Berlin dut attendre 1712 pour obtenir le droit de construire une synagogue. Mais rapidement ils surent trouver leur place au sein de la reconstruction économique allemande devenant à leur tour des financiers, des négociants, des artisans, des industriels notamment dans le secteur du textile et des métaux précieux. Les Juifs les plus influents devinrent des Juifs de « cour » dont l’action fut déterminante dans l’histoire politique de l’Allemagne. Mais à côté de l’ascension sociale de ces derniers existaient aussi de nombreux Juifs non protégés fuyant eux aussi la Pologne-Lituanie, migrants devenus mendiants ou vagabonds, soutenus économiquement par la communauté mais en butte très rapidement à l’antisémitisme. Cet antisémitisme visait aussi les Juifs de « cour » même s’il s’exprimait avec plus de retenue du fait de la relative protection de l’Empereur soucieux de ne pas entraver l’énergie entrepreneuriale des Juifs. Samuel Oppenheimer (1630-1703) natif de Heidelberg créa une banque juive puissante à Vienne et entra au service de Léopold 1er. Il soutint son effort de guerre contre Louis XIV et contre les Ottomans. Il assura le financement des troupes autrichiennes lors du siège de Vienne en 1683 ainsi que leur approvisionnement en munitions, nourriture, montures et fourrage. Il eut une action financière déterminante dans la prise de Budapest en 1686 et celle de Belgrade en 1688. Il finança encore l’organisation de la conférence de Karlowitz en 1699 et la construction à Vienne du château de Schönbrunn résidence d’été des Habsbourg. Samuel recueillait des capitaux auprès des princes allemands qui n’avaient pas confiance dans le Trésor de Vienne réputé pour sa mauvaise gestion et ses malversations. Puis il reprêtait ces capitaux au Trésor à un taux réputé assez élevé (pour se prémunir contre le risque de non-remboursement). Le Trésor autrichien (donc l’État autrichien) finit par avoir une dette colossale vis-à-vis de sa banque. Les seules rentrées d’argent de l’État ne pouvant être que des impôts, la population, qui payait les impôts, finit par exprimer un antisémitisme virulent contre lui. En 1700 des émeutiers pillèrent son hôtel particulier et sa vie fut menacée. A nouveau les Juifs furent accusés de pratiquer des meurtres rituels sur des enfants chrétiens. Quand Samuel mourut, en 1703, l’État autrichien refusa de payer sa dette ce qui provoqua la faillite de la banque. Mais son fils Emmanuel créa une nouvelle banque et comme l’État autrichien ne parvenait toujours pas à emprunter directement des fonds auprès des princes allemands et que ses rentrées financières par l’impôt était insuffisantes il finit par réemprunter auprès de la nouvelle banque juive. Bon courage pour ce confinement sévère russe ! Il va falloir que tu penses à faire des exercices physiques d’assouplissement dans l’appartement : il est nécessaire de garder la forme physique. Je t’embrasse, Je t’aime
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Lettre 60-23 29 mars 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive F) Kaifeng En juin 1605 Ai Tian, âgé de 60 ans, vêtu d’un long manteau de soie avec un chapeau de mandarin arriva à Pékin. Il venait de Kaifeng, dans la province de Henan, à quelque sept cent cinquante kilomètres de là, sur le fleuve Jaune. Il espérait obtenir dans la capitale un poste de directeur des écoles. Il avait entendu dire que se trouvait à Pékin une petite secte d’étrangers qui croyait en un Dieu unique et indivisible. Il rencontra le chef de cette communauté, Li Madou, qui était en fait un européen appelé Matteo Ricci dans son pays d’origine, l’Italie. Ai Tian décrivit à Li Madou l’architecture du temple de la Pureté et de la Vérité de Kaifeng qui se trouvait, précisa-t-il à l’angle de la rue du marché de la terre et de la rue du sanctuaire du dieu du feu. Intrigué Mario Ricci, alias Li Madou écouta. Ai Tian décrivit les deux grands lions postés de chaque côté de la porte du temple. Cela ne troubla pas Li Madou tant les statues de lion étaient habituelles en Chine. Mais quand Ai Tian ajouta que, bien sûr, ces lions gardaient le temple de Jérusalem, alors Li Madou écarquilla les yeux et se demanda si son interlocuteur n’était pas juif à moins, pensa-t-il, que ce ne fut un chrétien si isolé depuis si longtemps à Kaifeng qu’il était retourné au culte originel judéen. Ai Tian en vérité était bien juif. Il était lui-même persuadé que Ricci était juif. Mais Ricci n’était pas juif, Ricci était un jésuite venu à Pékin évangéliser les Chinois. Matteo entraîna Ai Tian dans la chapelle de la mission, et s’agenouilla devant deux peintures représentant l’une la Vierge Marie à l’Enfant (Jésus) et l’autre Saint-Jean-Baptiste (un personnage du Nouveau testament). Ai Tian fut surpris de voir un juif s’agenouiller devant des images, comportement propre aux païens, mais il ne dit mot et fit même une révérence. Puis il s’extasia devant la Vierge qu’il prit pour Rebecca, devant Jésus qu’il prit pour Jacob et devant Baptiste qu’il prit pour Esaü. Matteo fut encore plus déconcerté quand Ai Tian prit les effigies des douze apôtres de Jésus pour les fondateurs des douze tribus d’Israël. Il comprit alors définitivement que Ai Tian était bien juif. Mais il ne se dévoila pas pour autant. Il fit parler son hôte et il apprit ainsi que vivait à Kaifeng une communauté de 2000 juifs installés là depuis le X siècle, anciens marchands de la Route de la Soie. Ricci se dit que Dieu avait mis Ai Tian sur sa route afin de le convertir car n’était-il pas écrit que le Messie (Jésus) reviendrait lorsque tous les Juifs auraient été enfin convertis ? En 1607 Ricci envoya deux convertis (catholiques) chinois à Kaifeng pour parlementer avec le rabbin Abishaï et lui expliquer qu’il pouvait mettre à sa disposition non seulement des textes hébreux précieux pour les Juifs mais aussi un Nouveau Testament encore plus précieux. Mais le rabbin ne comprit pas que Ricci était catholique. Il le prit pour un juif égaré et excentrique. Impressionné par l’érudition de Ricci il lui proposa de prendre sa relève comme rabbin de la communauté, vu que lui, Abishaï, se faisait vieux. Il rappela tout de même à Ricci qu’il fallait qu’il renonçât à manger du porc et qu’il se souvînt que le Messie ne viendrait que dans dix mille ans, tout le monde le savait sauf apparemment Ricci. Les jésuites de Pékin comprirent alors qu’ils ne parviendraient pas à convertir les Judéens de Kaifeng et qu’il valait mieux que chaque communauté continuât son chemin en toute indépendance. La petite communauté juive de Kaifeng vivait donc depuis des siècles au milieu d’une ville d’un million d’habitants, ancienne capitale de la dynastie des Song, sans jamais avoir été inquiétée. Elle avait gardé toutes les traditions juives, elle observait les commandements et les fêtes sans toutefois se référer aux recommandations rabbiniques du Talmud qu’elle ne connaissait pas. Les Juifs de Kaifeng vivaient libres et paisiblement sur les rives du fleuve Jaune. Ils étaient agriculteurs, marchands, boutiquiers, médecins, artisans, parfumeurs, soldats, ouvriers ou porteurs. Certains étaient aussi des lettrés et des mandarins employés dans l’administration de l’Empire. Le drame de leur histoire, au XVII siècle, fut le siège de leur ville par une armée de rebelles mandchous, en 1642, sous le règne du dernier empereur Ming. Au cours du siège des brèches furent ouvertes dans les digues du fleuve Jaune, provoquant une inondation qui noya trois cent mille habitants de la ville. La synagogue fut ravagée par les flots. En 1645, une fois l’ordre rétabli, le commandant de la ville, Zhao, qui était aussi juif, reconstruisit la ville et aussi la synagogue. Les Judéens recherchèrent les rouleaux de la Loi et vingt-six livres sacrés emportés par les flots. Les fragments qu’ils retrouvèrent furent séchés puis rassemblés permettant de reconstituer treize rouleaux et dix livres. Zhao repartit ensuite guerroyer pour le compte de l’Empire dans d’autres provinces rebelles. Ainsi en Chine les Juifs ne subirent ni violence ni persécution et ne furent pas diabolisés comme meurtriers de Dieu. Ils ne furent jamais isolés des non-juifs ni contraints de porter des signes vestimentaires distinctifs. Ils ne furent ni réduits aux activités méprisées ou vulnérables, ni stigmatisés pour leur cupidité. Ils n’étaient ni des monstres prédateurs ni des victimes pathétiques. Ils étaient des habitants parmi d’autres, parfaitement intégrés. Bon courage à Moscou ! Ne t’inquiète pas, un jour ou l’autre tu partiras à la recherche des nomades Iakoutes et tu les trouveras, il te suffira de savoir attendre que l’épidémie soit jugulée. Patience ! Je t’embrasse, Je t’aime
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Lettre 60-22 27 mars 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive E) Premières communautés juives d’Amérique Christophe Colomb, parti à la découverte des Indes, emmena avec lui au moins quatre conversos. C’est ainsi que l’un d’entre eux, Luis de Torres, débarqua sur la plage de l’île Guanahani, appelée San Salvador par Christophe Colomb, le 12 octobre 1492 (voir lettre 58-2). Un autre juif converti Gaspar de Gama (encore dit : de Lemos) accompagna le Portugais Pedro Alvares Cabral lors de la découverte du Brésil en 1500. Il commandait lui-même l’un des bateaux de la flotte. Des conversos (appelés encore nouveaux chrétiens, ou marannes) accompagnèrent donc Espagnols et Portugais lors de la conquête de l’Amérique latine. Ils s’y installèrent mais ne purent pas vraiment retrouver leur religion d’origine. L’Inquisition espagnole puis portugaise suivirent rapidement les conquistadors et s’installèrent sur ces nouvelles terres. Il y eut quelques persécutions, assez limitées toutefois, les nouveaux colons ayant besoin des qualités industrieuses de ces conversos. Ces derniers s’occupèrent d’exploiter d’abord le bois brasil (ou brésillet) qui donna son nom au Brésil, avant de s’atteler à l’exploitation sucrière de la canne à sucre. Au début du XVII siècle, peu après la constitution d’une communauté juive à Amsterdam, une communauté de marannes portugais s’y installa et participa activement à la formation, en 1621, de la Compagnie des Indes Occidentales hollandaise. Appuyée par la flotte néerlandaise, profitant de l’affaiblissement du Portugal suite à son annexion par le roi d’Espagne Philippe II en 1580, la Compagnie s’empara de la partie côtière du Brésil centrée sur Recife (qui fut rebaptisé Mauritsstad) en 1624. Là une communauté de 1500 marannes s’installa, retrouvant leur religion d’origine, grâce à la tolérance des Hollandais. Ils formèrent ainsi la première communauté ouvertement juive d’Amérique latine. Mais en 1640, profitant de la guerre de Trente ans qui affaiblit l’Espagne alors dirigée par Philippe IV, le Portugal reprit son indépendance (qui ne fut toutefois actée que 28ans plus tard) et reprit l’offensive au Brésil. En 1654 les Hollandais furent chassés de Recife et la communauté juive s’éparpilla. Elle essaima dans les colonies hollandaises des Antilles et en Guyane hollandaise. Là les Juifs fondèrent de petites communautés et, grâce à la politique de tolérance religieuse de la Hollande, ils acquirent pour la première fois de leur histoire depuis l’exil l’égalité des droits avec les non-juifs en juillet 1657 (voir lettre 60-18). Quelques Juifs, vingt-trois précisément, partirent dans une autre colonie néerlandaise, en Amérique du Nord : la Nouvelle-Amsterdam (en néerlandais : Nieuw-Amsterdam). Il s’agissait d’un établissement hollandais implanté au XVII siècle sur l’île de Manhattan par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. La colonie de La Nouvelle-Amsterdam naquit officiellement le 24 mai 1626 avec l'achat de l’île par Pierre Minuit, le représentant de la Compagnie des Indes à ses occupants : les Manhattes, les Amérindiens habitant là. Ces vingt-trois migrants fondèrent à la Nouvelle-Amsterdam, en 1654 avec d’autres Juifs venus de Hollande et d’Europe centrale (des ashkénazes qui fuyaient les persécutions de 1648 en Pologne) la première communauté juive d’Amérique du Nord. Ils eurent au début quelques problèmes avec le gouverneur néerlandais Peter Stuyvesant rare calviniste hollandais antisémite. Il leur fallut deux ans et l’intervention des employeurs de Peter Stuyvesant, la Compagnie des Indes (dirigée entre autres par les Juifs d’Amsterdam), pour conquérir leur liberté de culte. La Nouvelle-Amsterdam fut livrée aux Anglais en 1664 lors de la deuxième guerre anglo-néerlandaise (voir lettre 60-7). Les Anglais la rebaptisèrent New-York en l’honneur du duc d’York, le frère de Charles II (roi d’Angleterre) auquel le duc succéda sous le nom de Jacques II en 1685. Ils ne remirent pas en cause la liberté de culte des Juifs. [les Hollandais reprirent temporairement New York en 1673, la rebaptisant la Nouvelle-Orange en l’honneur de Guillaume III d’Orange. Puis les Anglais la reconquirent définitivement en 1674 en lui rendant son nom de New-York] J’espère que tu ne souffres pas trop du confinement à Moscou. Je vais te rédiger quelques leçons de maths qui te permettront d’approfondir quelques notions essentielles. Je ne te donne pas d’exercices à faire mais tu peux décider d’en faire en les choisissant toi-même dans ton manuel. Si tu rencontres quelques difficultés pour les résoudre, n’hésite pas à le dire à Nicole et je t’enverrai les corrigés de ces exercices. Je pense à toi, Je t’aime
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Russie, lettre 18 : le règne de Pierre 1er le Grand 1694-1725 20 mars 2020, Samuel, 4) Épilogue Les réformes de Pierre eurent un impact fort sur la population. Certains firent de lui un héros mais d’autres au contraire virent en lui l’Antéchrist [ Antéchrist : ennemi de Jésus qui doit venir prêcher contre le christianisme avant la fin du monde ]. Les Vieux Croyants notamment (voir annexe 1) comme tous ceux qui considéraient l’Occident comme un ennemi, voyaient dans les réformes une atteinte à l’identité russe médiévale. Des légendes affirmèrent que Pierre n’était pas le fils du Tsar Alexis mais un imposteur venu pour détruire la Russie. Pierre, lui-même exaspéré par la mentalité des moscovites, repliés sur un passé mythique, contribua à entretenir la légende en quittant Moscou pour installer la capitale de l’Empire à Saint-Pétersbourg, symbole de l’ouverture sur l’Occident (voir annexe 2). Ce conflit entre l’ancienne Moscovie et la nouvelle Russie impériale divisa la famille même de Pierre. Alexis, le fils qu’il eut en 1690 de sa première femme Eudoxie, s’opposa à lui et devint le point de ralliement de l’opposition. Pierre finit par intenter un procès à son fils qui fut condamné à mort en 1718. Alexis mourut avant même l’exécution, dans la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, probablement des suites de torture. Il laissait une fille, Nathalie, née en 1714, et un fils, Pierre, né en 1715, qu’il eut d’une princesse allemande, Charlotte, elle-même décédée en 1715. Pierre se remaria en 1712 avec une femme d’origine populaire, Catherine, qui le seconda avec énergie, pendant tout son règne et dont il eut plusieurs enfants. Mais tous moururent en bas-âge. Le 8 février 1725 Pierre décéda sans avoir désigné de successeur. Annexe 1 Les Vieux-Croyants (voir lettre 16-4, le schisme) voyaient dans le rasage une atteinte à l’image de Dieu (représenté avec une barbe). La réforme du calendrier volait du temps à Dieu (on passait de l’an 7208 à l’an 1700). La réforme de l’alphabet était une insulte faite aux anciens écrits religieux rédigés dans l’ancien alphabet slavon. Enfin l’abolition du patriarcat était une attaque directe contre l’orthodoxie. Pierre n’apprécia pas leur insoumission. Il leur interdit d’entrer dans les villes, les contraignit à payer double impôt et à porter des vêtements distinctifs. Nombre de Vieux Croyants, refusant les oukases de l’Antéchrist, allèrent vivre dans des toundras inhospitalières ou choisirent encore la « mort rouge » c’est-à-dire l’immolation par le feu où ils entraînèrent la population de villages entiers. Au début du règne de Pierre ils étaient quatorze millions, ils n’étaient plus qu’un million à la fin de son règne. Annexe 2 Saint-Pétersbourg fut fondée en 1703. La première construction fut la forteresse Pierre-et-Paul destinée à protéger les chantiers navals. La ville doit son nom à l’apôtre Pierre (qui fonda l’Église chrétienne selon les Évangiles) dont l’Empereur portait le nom. En 1706 ce dernier décida d’en faire la capitale. Des dizaines de milliers de serfs et d’ouvriers en assurèrent la construction au prix d’innombrables morts provoquées par la fièvre des marais, le scorbut, la dysenterie, la faim voire l’épuisement. C’est en 1712 que la ville devint de fait la capitale de l’Empire quand Pierre y transféra la Cour, les ambassades et le Sénat. Elle resta la capitale de la Russie jusqu’en 1918. En 1714 les trois cent cinquante plus grands propriétaires nobles et les trois cents plus riches marchands de Russie durent y construire leur maison. A l’origine la ville, construite notamment par de nombreux architectes français, fut centrée sur le palais de l’Amirauté qui était en fait un centre de construction navale (aujourd’hui il ne reste rien de ce bâtiment qui fut reconstruit en authentique palais au début du dix-neuvième siècle). Des canaux concentriques entouraient ce bâtiment et trois grandes artères, trois perspectives, dont la perspective Nevski, convergeaient sur lui. Le premier navire de fort tonnage y fut construit en 1712 et fut appelé : le Poltava. Pierre installa sa résidence à Peterhof, ville située à 25 kilomètres au sud du centre de la capitale sur la rive sud du golfe de Finlande, appelée le plus souvent aujourd’hui par les Russes : Petrodvorets (son ancien nom). Cette ville somptueuse est encore appelée le Versailles russe, parce que conçue par des architectes, pour la plupart français, sur le modèle de la ville royale. Je t’embrasse, Je t’aime
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Lettre 60-21 3 mars 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive D) Menasseh ben Israël Antonio de Montezinos, marrane portugais, pendant son voyage qui devait le conduire de la Nouvelle Grenade (Colombie actuelle) à la province de Quito, en Équateur, entendit ses porteurs parler d’un peuple persécuté par les Espagnols, caché dans la forêt. Antonio s’appelait, de son premier nom, Aaron Levi. Cette allusion à un peuple caché éveilla sa curiosité. Il avait entendu une rumeur qui soutenait qu’une des dix tribus perdues d’Israël était l’ascendante des peuples indiens. En 1641, accompagné par Francisco, un guide local, qui lui assura que ce peuple existait bien, il s’enfonça dans la jungle. Tous deux arrivèrent sur la rive d’un fleuve. Ils virent sur la rive opposée trois hommes et une femme monter dans un canot et venir à leur rencontre. Francisco à qui Antonio avait révélé qu’il était juif lui dit : « Ce sont tes frères ». L’embarcation arriva à la hauteur des deux voyageurs, deux hommes sautèrent sur la rive et étreignirent Aaron qui ne comprit rien à leur langage. Ils se mirent de part et d’autre d’Antonio et soudain ils se mirent à réciter le début du Shema en hébreu, la prière d’affirmation quotidienne : « Écoute Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un ». Puis Francisco traduisit leur idiome. Ils expliquèrent qu’ils étaient les enfants d’Abraham, d’Isaac, d’Israël (Jacob) et de Ruben (le fils aîné de Jacob). Mais ils refusèrent à Antonio le droit de les suivre dans leur forêt. Aaron voyagea alors jusqu’à Amsterdam pour raconter à un rabbin bien connu de la ville, Menasseh ben Israël, qu’il avait découvert une tribu perdue d’Israël en Amérique. Menasseh hésita entre enthousiasme et doute. Antonio disait-il vrai ? Avant de mourir, ce dernier réaffirma sa découverte. Un mourant pouvait-il mentir ? Menasseh savait que, selon la tradition, avant que le Messie n’apparaisse, il fallait que fut accomplie cette prophétie, la dispersion des Juifs, annoncée dans le Deutéronome, chapitre 28, verset 64 : « Et l’Éternel te dispersera parmi tous les peuples, d’une extrémité de la terre à l’autre ». On savait déjà qu’il y avait des Juifs en Chine, en Inde, en Afrique (Éthiopie), se pouvait-il qu’il y eut une tribu perdue en Amérique ? Si oui, alors la prophétie serait sur le point d’être réalisée, annonçant la venue prochaine du Messie. L’histoire d’Antonio s’ébruita et finit par arriver aux oreilles de protestants anglais. Ces derniers attendaient le retour de Jésus, retour conditionné par la dispersion achevée des Juifs, suivi par leur conversion au christianisme. (Il est possible que cette histoire parvint aussi aux oreilles de Sabbatai Tsevi, le confortant dans sa certitude qu’il était le Messie ; mais pour Sabbatai il n’était pas question de réunir les Juifs pour qu’ils se convertissent, mais pour qu’ils marchent ensemble vers la reconquête de Jérusalem) Mais il fallait encore, pour que la dispersion des Juifs fut achevée, que ces derniers s’installent en Angleterre puisque seul ce pays leur restait encore fermé depuis leur éviction par Édouard 1 en1290. Devant l’engouement de nombreux protestants anglais Menasseh bascula. Il ne douta plus de la véracité du récit d’Antonio. Il se mit en tête de convaincre les autorités d’autoriser le retour des Juifs en Angleterre car pour lui aussi le Messie allait apparaître dès lors que la dispersion en Angleterre fut achevée. Il écrivit une géographie et une histoire des Tribus perdues, Mikveh Israël (Espérance d’Israël) exposant leur dispersion, y compris en Amérique, où vivait donc, cachée depuis des siècles, la dernière tribu perdue. Menasseh diffusa son livre en Angleterre où il débarqua en 1655 pour négocier avec les dirigeants le retour des Juifs. Cromwell qui était alors au pouvoir (lettre 60-6) accueillit favorablement la requête de Menasseh. Il est probable qu’il ne croyait en rien aux prophéties diverses ni aux tribus perdues, mais il espérait que l’installation des Juifs en Angleterre lui permit de concurrencer le monopole commercial des Hollandais sur les mers. Il soumit cette requête au Conseil d’État (le cabinet qui assurait autour de Cromwell le pouvoir exécutif). Mais le Conseil se divisa sur la question et finit même par refuser d’autoriser publiquement le retour des Juifs. Les bourgeois londoniens s’opposaient à ce retour, craignant que les Juifs finissent par les supplanter dans leur activité de négoce international. Menasseh revint à Amsterdam. Il avait calculé les dates de l’arrivée du Messie en s’appuyant sur des prophéties bibliques. Ce retour il l’avait prévu d’abord pour 1648 puis pour 1656, mais le Messie n’apparut pas, de toute façon l’achèvement de la dispersion des Juifs en Angleterre n’avait pas eu lieu. Ainsi mourut-il profondément déçu en 1657. Cromwell décida d’autoriser officieusement les Juifs à s’installer en Angleterre. Entre-temps les juristes estimèrent que l’édit d’expulsion de 1290 n’avait pas force de loi car il n’avait pas été approuvé par le Parlement. Donc les Juifs n’étaient pas officiellement autorisés à s’installer en Angleterre mais rien ne leur interdisait de le faire. Progressivement ils se réinstallèrent en Angleterre et constatèrent qu’ils étaient bien accueillis. Le successeur de Cromwell, Charles II, leur octroya en 1664 une proclamation formelle de tolérance. Puis, en 1673, la liberté de culte leur fut garantie. Certes les Juifs ne se convertirent pas, le Messie, après l’échec de Sabbatai Tsevi, ne s’imposa pas, Jésus ne revint pas mais la vie reprit son cours en attendant de nouvelles prophéties. J’espère que ton voyage en Iakoutie s’est bien passé. Je t’embrasse, Je t’aime
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Lettre 60-20 29 février 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive C) Amsterdam c) Baruch Spinoza Baruch Spinoza (1632-1677) était le fils de Michaël d’Espinosa, marrane du Sud du Portugal arrivé à Amsterdam en 1623 où il reprit son identité juive séfarade. La famille Spinosa était à l’origine issue d’Espagne d’où elle fut chassée par les rois catholiques en 1492. Michaël vivait du commerce international d’huile d’olive et de fruits secs. Il intégra rapidement la haute bourgeoisie juive amstellodamoise. Son fils Baruch reçut une éducation juive à la yeshiva Kéter Torah. Il arrêta ses études relativement tôt pour aider son père dans son exercice professionnel, mais il ne cessa jamais de s’instruire auprès de précepteurs privés, apprenant le latin, l’allemand, le français, le grec ancien mais aussi la philosophie notamment celle de Descartes. A partir de 1650 les affaires de Michaël déclinèrent. Baruch prit la succession de son père, à sa mort, en 1654, mais il ne put enrayer le déclin de l’entreprise commerciale. L’Angleterre en lançant une guerre maritime contre la Hollande entrava sensiblement les échanges commerciaux. La dernière redoute hollandaise au Brésil, Recife, tomba aux mains des Anglais ce qui tarit une autre source de revenus pour Baruch : le commerce du sucre importé du Brésil. Ces revers militaires ruinèrent en outre les marranes brésiliens qui émigrèrent à Amsterdam. L’arrivée de ces nouveaux migrants inquiéta la communauté qui tenait à garder son statut bourgeois et privilégié en Hollande. Aussi fut-il recommandé aux séfarades de rester discrets, malgré leurs embarras, et de continuer à répondre à l’attente de leurs hôtes qui avaient, dès 1615, par la voix de leur illustre juriste Hugo Grotius, ainsi défini le cadre de l’accueil des Juifs : ceux-ci devaient rester fidèles aux préceptes de leur religion, croire en un Dieu unique, suivre les directives de leurs prophètes dont Moïse, et admettre une vie après la mort dans laquelle les justes seront rétribués et les méchants punis. C’est par référence à ce cadre religieux que le maamad avait excommunié Uriel da Costa. Aussi quand Baruch se mit, à partir de 1655, à nier l’origine divine de la Loi juive et même à estimer qu’il n’existait de Dieu que philosophique, comme, par surcroît, ruiné dans son commerce, il refusa d’honorer ses dettes en avançant le fait juridique qu’il était mineur et avait ainsi le droit de refuser la succession du père (la majorité à l’époque était fixée à 25 ans) le maamad déjà échaudé par les critiques d’Uriel da Costa n’hésita pas, en 1656, à prononcer contre Baruch un herem. Ainsi fut-il excommunié et rejeté hors de la communauté. Après son exclusion Baruch abandonna définitivement les affaires commerciales. Il devint philosophe-artisan, suivant l‘enseignement de l’université de Leyde, gagnant sa vie en taillant des lentilles optiques pour lunettes et microscopes et écrivant son œuvre philosophique. De santé fragile, il mourut pauvre à l’âge de 44 ans, en 1677. Son médecin, Lodewilk Meyer emporta ses manuscrits et les fit publier. Sa sœur tenta de vendre ses maigres biens à la criée, dans la rue, sans y arriver. Ainsi ne laissa-t-il rien. Sauf son œuvre, qui, une fois connue, brilla et brille toujours dans le ciel de la pensé des humains. Nous ne développerons pas ici la philosophie de Spinoza qui est dense et complexe. Mais nous allons exposer en quoi ses vues contredisaient celles des orthodoxes juifs. Pour lui la Torah était un manifeste politique écrit non par Moise mais par les scribes et les religieux dirigés par Esdras lors de l’exil à Babylone. De retour en Judée Esdras utilisa cet écrit pour fonder un nouvel Israël. La Torah n’était pas un texte révélé. Comme Uriel da Costa il disait « que les âmes mouraient avec les corps et qu’il n’ y avait de Dieu que philosophiquement ». Pour lui, Dieu, réalité sans cause (incréé donc), était identique à la Nature. Dieu était l’univers naturel en mouvement, un système qui avançait imperméable aux faits et gestes des hommes. Ce « Deus sive natura » (en latin) soit ce « Dieu ou la Nature » ou encore « Dieu c’est-à-dire la Nature » était moralement indifférent, autosuffisant, sans histoire. Ce Dieu-Nature était universel, il n’appartenait à aucune religion révélée. Ce faisant Spinoza rompait avec le judaïsme. Il rejoignait ce que beaucoup, Juifs y compris, appelaient et appellent les Juifs séculiers, c’est-à-dire les Juifs athées (à ne pas confondre avec Juif laïque, Juif qui ne croit pas en un Dieu anthropomorphique mais qui n’est pas pour autant athée). Certes il ne croyait plus en un Dieu anthropomorphique mais il refusa toujours avec vigueur l’athéisme. Spinoza répétait que l’univers n’était pas une machine matérielle qui se serait créée d’elle-même (comme le pense par exemple l’illustre physicien Hawking). L’essence de l’univers pour lui était identique au Dieu sans cause. Formule obscure, incompréhensible. Du coup nul ne comprit rien à Spinoza (et pratiquement personne encore aujourd’hui comprend quelque chose à Spinoza). Il fallut attendre des hommes tel Albert Einstein pour que quelqu’un finisse par le comprendre. En effet Albert Einstein ne croyait pas non plus en un Dieu anthropomorphique mais il se voulait juif sans équivoque et ne voulait pas se dissocier de l’histoire juive. Mais que dit Einstein, lorsqu’en 1929 il fut pressé de s’exprimer sur sa croyance ? Il dit ceci : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’ordre harmonieux de ce qui existe et non à un Dieu qui se préoccupe du sort et des actions des êtres humains ». Par ailleurs il éprouvait un certain mépris pour l’athéisme commun qui, disait-il, restait sourd à la « musique des sphères ». Parlant ainsi Einstein, spirituellement, réintégra Spinoza dans la communauté juive. Il est nécessaire d’être attentif à ce dit Einstein. Il dit que le Dieu de Spinoza se révèle dans l’ordre harmonieux de la nature » ou encore dans « la musique des sphères ». Mais cet ordre harmonieux ou cet ordre musical n’est pas un ordre Pensé c’est un ordre Senti. Einstein tout de même que Spinoza ne sont plus dans la pensée spéculative, ils sont dans le sentiment, ils ne se positionnent plus comme des penseurs mais comme des artistes. Ils « sentent » en eux l’émerveillement les envahir, grâce à la conscience même qu’ils ont qu’il existe une réalité. Et ce sentiment (émerveillement, paix, étonnement, etc.) pour eux révèle l’existence d’un Inconnu qu’ils appellent Dieu par commodité lors même que ce Dieu reste en fait un Mystère. Pour comprendre Spinoza puis à sa suite Einstein il est donc nécessaire d’abandonner la pensée classique faite de raisonnements et de relations de causalité, il faut adopter l’attitude de l’artiste qui perçoit par le sentiment qu’un mystère se révèle à lui. Lisons Einstein dans son texte enregistré au profit de la Ligue des droits de l’Homme en 1932 : « L’expérience la plus belle et la plus profonde que puisse faire l’homme est celle du mystère. Sentir que derrière tout ce que nous pouvons découvrir il y a quelque chose qui échappe à notre compréhension, et dont la beauté, la sublimité ne peuvent nous parvenir qu’indirectement, voilà ce que c’est que le sentiment du sacré. Et il me suffit de pouvoir m’émerveiller devant ces secrets et de tenter humblement de saisir par l’esprit une image pâlie de la sublime structure de tout ce qui est » Le « indirectement » signifie que le mystère ne nous est pas révélé directement mais qu’il se signale par le sentiment qu’il imprime en nous, tel un être invisible qui se manifesterait à nous par la marque de son empreinte dans notre esprit, cette empreinte étant le sentiment, le « senti ». Sans doute, tout ce que je t’écris là est difficile à comprendre. Mais tu parviendras tôt ou tard à comprendre tous ces mots, car tu as en toi cette tension inextinguible qui te porte à toujours aller plus loin dans l’élucidation des mystères. Même Spinoza et Einstein sont appelés à être dépassés par ces chercheurs inlassables que sont les « étoiles vagabondes » comme le furent Uriel da Costa ou encore Spinoza. Je t’embrasse, Je t’aime, Je pense toujours à toi
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Lettre 60-19 28 février 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive C) Amsterdam b) La dramatique histoire de Gabriel-Uriel da Costa Né à Porto, au Portugal, Gabriel da Costa était le fils d’un père « nouveau chrétien » ancien juif authentiquement converti au catholicisme, et d’une mère marrane qui continuait de pratiquer le judaïsme en cachette. D’abord acquis aux idées chrétiennes il formula de premiers doutes à l’âge de 22 ans, vers 1606, quant à l’immortalité de l’âme. Il se mit alors à étudier le judaïsme. Il décida de se soumettre à la Loi juive en se convertissant au judaïsme ce qui lui valut de devoir partir du Portugal. Il émigra vers Amsterdam en 1614 avec sa mère et ses frères (son père étant mort dans l’intervalle). Il prit le nom d’Uriel da Costa. Mais il ne tarda pas à découvrir dans le judaïsme tel qu’il était enseigné par les séfarades les mêmes doctrines « nocives » selon lui sur l’immortalité de l’âme. En 1616 il publia des écrits dans lesquels il exposa ses critiques allant jusqu’à rejeter l’authenticité de la Loi orale (le Talmud) et ne reconnaissant comme vraie que la Loi écrite (il rejoignait en cela les Sadducéens, les Maîtres du Temple de Jérusalem avant la destruction de 70). Ses positions lui valurent d’être excommunié de la communauté en 1623. Uriel finit par penser que l’ancien testament était une pure création humaine. En cela il annonçait Baruch Spinoza. Mais en cela aussi il fut rejeté par la communauté chrétienne (qui, aussi, ne lui pardonnait pas son scepticisme quant à l’immortalité de l’âme). Seul, pauvre, partout rejeté, il tenta de réintégrer la communauté en expliquant qu’il voulait désormais « vivre en singe parmi les singes » formule qui ne fut pas vraiment appréciée. La communauté exigea de lui qu’il se soumit au rituel officiel de la flagellation. La procédure était une humiliation publique traumatisante. Vêtu de noir, comme en deuil, l’expiant devait tenir un cierge de cire noire, tandis qu’on lisait ses transgressions à voix haute. Les vingt-neuf coups de fouet prescrits, autrefois physiquement administrés, étaient réduits au simple contact d’un fouet sur les épaules nues, puis l’expiant était tenu de s’allonger au sol tandis que les fidèles lui passaient dessus en l’enjambant. Uriel se soumit à ce rituel mais revenu chez lui, trop profondément humilié, il se suicida (en 1640). Quand on retrouva son corps son autobiographie était posée sur une table. Des luthériens la publièrent, non pour soutenir Uriel, mais pour dénoncer le coté borné des rabbins juifs. Par l’effet d’une curieuse ruse de l’histoire les Juifs réformateurs des générations suivantes découvrirent cette autobiographie mais ils en eurent une vision différente de celle des chrétiens. Pour eux Uriel était le héros de la libre pensée juive. Un dramaturge allemand, non juif, Karl Gutzkow (1811-1878) tira de la vie et de la mort d’Uriel un drame (Uriel Acosta) qui trouva aussitôt une place de choix dans le répertoire des compagnies théâtrales yiddish d’Europe centrale et orientale. Sholem Aleichem (1869-1916), juif d’Ukraine, défenseur du yiddish, auteur de « Un violon sur le toit » qui inspira la comédie musicale du même nom, en fit une pièce favorite de sa compagnie itinérante dans son célèbre roman : « Étoiles vagabondes ». La légende s’incrusta : Uriel était mort afin que les Juifs puissent penser librement et se considérer comme Juifs si vifs que soient les anathèmes proférés par les rabbins et les orthodoxes. Simon Schama, historien juif, professeur à l’université Columbia, né en 1945, auteur d’une Histoire des Juifs, écrit : « Sans la témérité d’avant garde d’Uriel da Costa, [ selon les juifs laïques], jamais Baruch Spinoza n’aurait osé penser et écrire comme il le fit, et le monde eût été différent, soumis à une orthodoxie plus oppressante » Le même homme écrit encore, toujours dans l’histoire des Juifs, : « Le moment qu’il [Uriel] incarna dans l’histoire juive ne manquait pas de profondeur : la douloureuse naissance et la mort prématurée du Juif profane, rationnel et polémique jusqu’à l’obsession, mais désireux de rester juif malgré son scepticisme. En d’autres temps, le nôtre, il aurait trouvé une synagogue qui eût accueilli ses doutes, ses questions et même ses accès de rage. Un rabbin, pas nécessairement barbu, l’aurait fait asseoir et calmé puis aurait essayé de trouver le moyen qu’il reste juif » N’oublions pas néanmoins que cette façon de sentir et de penser, celle de Simon Schama, vient de ses origines juives lituanienne et turque, cette façon de penser donc vient d’un juif qui a su enrichir sa sensibilité séfarade de sa sensibilité ashkenaze. Une définition du judaïsme laïque est donnée par le couple (juifs français contemporains) Ajchenbaum dans leur livre : « Les Judaïsmes » : « Le judaïsme laïque est une tentative de tourner le dos à la loi et à ses obligations sans pour autant rompre avec une histoire millénaire, avec ce qu’on pourrait appeler une civilisation » Concernant le judaïsme laïque nombreux utilisent l’épithète : « judéité » qui renvoie à une culture historique millénaire enrichie d’innombrables cultures singulières, du fait de l’errance « chez toutes les nations du monde » de nombreux Juifs (plutôt que judaïté, mot qui renvoie à la seule religion) Je t’embrasse, J’espère que tu passes de belles vacances avec ton ami Sergueï, Je t’aime
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Lettre 60-18 26 février 2020, Samuel, XVII siècle Histoire de la communauté juive C) Amsterdam a) La Terre d’asile Dès le début du siècle un premier groupe de marranes s’installa à Amsterdam. En 1602 fut fondée Beit Yaacov « Demeure de Jacob » première congrégation juive d’Amsterdam. En 1608 fut fondée Névé Shalom « Maison de la Paix » seconde congrégation, puis en 1618 Beit Israël « Demeure d’Israël » la troisième congrégation. En 1639 les trois congrégations s’unifièrent pour former la « Communauté sainte de Talmud Torah » nom officiel de la communauté séfarade d’Amsterdam. Ainsi progressivement les marranes et les nouveaux chrétiens purent renouer officiellement avec le judaïsme. Les familles les plus influentes créèrent le syndic ou maamad de Talmud Torah, soit le comité directeur de la communauté. Ce fut le maamad, et non les experts rabbiniques, qui s’appropria le pouvoir de prononcer l’excommunication ou herem de tout Juif pouvant porter atteinte à l’unité de la communauté. Ce pouvoir exorbitant visait à contrer les trop fortes personnalités marranes que les épreuves et les expériences spirituelles (conversion, simulée certes, au catholicisme mais conversion tout de même vécue) avaient conduit à adopter des visions du monde souvent éloignées du judaïsme orthodoxe. Le scepticisme rationaliste ou encore le mysticisme kabbalistique (incarné par Sabbataï Tsevi) déplaisaient aux tenants de l’orthodoxie. La deuxième partie de ce chapitre sera dédiée à l’étude de ces « fortes têtes » marranes. Les marranes et les nouveaux chrétiens ne cessèrent d’arriver à Amsterdam pendant le XVII siècle. En 1616 leur présence fut légalisée par les dirigeants des Provinces Unies. Rappelons que ces Provinces (les sept États du Nord) étaient majoritairement acquises au calvinisme, doctrine religieuse opposée au catholicisme, ce qui explique que les immigrés Juifs séfarades ne furent plus, dans ces Provinces, confrontés à l’antisémitisme des Rois catholiques d’Espagne et du Portugal. Mieux les calvinistes comme l’ensemble des protestants, étaient de fervents lecteurs de l’Ancien Testament (les catholiques étant plus orientés vers le Nouveau Testament). La Bible hébraïque était au cœur des deux identités juive et protestante, ce qui conduisait les Hollandais à se penser comme de nouveaux enfants d’Israël. En Grande Bretagne les protestants comparaient l’Écosse et l’Angleterre aux deux anciens royaumes d’Israël et de Juda. Guillaume le Taciturne (voir lettre 59-5) lui-même était représenté en Moïse moderne. En 1632 la construction de synagogues fut autorisée et, date historique, le 17 juillet 1657, les États Généraux (voir lettre 60-12) accordèrent leur protection à tout Juif néerlandais se trouvant à l’étranger. Pour la première fois dans histoire européenne, un État traitait ses ressortissants juifs de la même manière que ses ressortissants non-juifs. En 1672 les séfarades représentaient la moitié des 5 000 Juifs d’Amsterdam (sur 200 000 habitants) l’autre moitié étant constituée de Juifs ashkénazes arrivés en nombre après les massacres de 1648 en Petite Russie. La communauté séfarade d’Amsterdam tint à donner d’elle une image avenante. Habillés de la même manière que les Hollandais les séfarades menèrent aussi le même style de vie qu’eux. [Notons que les ashkénazes en revanche gardèrent leurs costumes polonais et leurs chapeaux à large bord]. Les séfarades riches et puissants pour la majorité d’entre eux intégrèrent les cercles des notables, des industriels et des marchands hollandais. Ils fournirent grâce à leur argent et à leurs réseaux d’affaires un appui sérieux à l’expansion du commerce des Provinces Unies jusqu’au début du XVIII siècle [Ils surent garder le contact avec les acteurs économiques espagnols et portugais du continent mais aussi des colonies, d’où un soutien précieux pour l’activité commerciale internationale des sept Provinces]. Ils détinrent jusqu’au quart des actions de la Compagnie des Indes orientales. Ils furent banquiers, négociants, assureurs, agents de commerce internationaux et détinrent le monopole de l’industrie diamantaire mondiale. Notons qu’un diamantaire, Mosseh Pereyra de Palva, parti en 1685 à la recherche de pierres précieuses en Inde, arrivé dans le comptoir hollandais de Cochin, au sud de l’Inde, y rencontra à sa plus grande surprise des Juifs « noirs » déjà mentionnés par un grand voyageur juif du Moyen-Âge, Benjamin de Tudèle (1130-1173). Mais il y rencontra aussi des Juifs « blancs » originaires d’Espagne, de Palestine, de Syrie, de Turquie, de Perse et d’Afrique du nord, installés là depuis au moins un siècle. Du coup il devint ethnographe. A son retour à Amsterdam il relata dans le détail la vie de ces communautés orientales juives. Je t’embrasse, Bravo pour ta cavalcade équestre cosaque, sabre au clair, avec la troupe du maître de danse, qui est aussi, finalement, un maître d’armes ! Je t’aime
