Les alvéoles des rêves
Certains lieux se méritent et se font attendre. On les dessine avec la vibration de nos paupières plusieurs années avant de les investir. On peut rêver longtemps d'un endroit avant de s'y retrouver en personne et, le jour venu, avoir l'impression d'y avoir déjà vécu. Ça se replace dans le corps, les morceaux entraperçus, les images qui ont voyagé, le temps qui s'est fragmenté. L'ossature paraît fragile. Les premières impressions viennent se coller dans les alvéoles que les inspirations des rêves avaient creusées pour elles. Un parfum, une silhouette, un fourmillement. L’éclat neuf des odeurs, la délivrance des sens enfermés dans leur désir d’exulter. Et puis peut-être que ça se love dans l’enfance, comme un peu tout ce que l’on cherche pour s’inventer une vie à soi, de simples croquis paysages qui se déploient, des attitudes qu’on reconnaît, une façon de se déplacer sur la terre, des dieux anciens qui ressurgissent trimballés dans les bagages des grands-parents et qui nous jouent des tours en se glissant dans les trous du temps pour pointer leur nez sous d’autres latitudes. La mappemonde dans les pétales de l’églantier. Rosa canina. Mais rien ne remplace les variations d’une voix quand tombe la nuit sur les feuilles fraiches de l’acajou.
Les mots que l’on prononce ou, plus brutalement, qu’on lit ou écrit envoient des ricochets loin dans le monde. Nous sommes transformables sous les phrases qui nous atteignent. L’émotion que les paroles suscitent déverse des histoires sous la pulsation du désir ; il nous faudra un jour les rattraper. Étrange bonheur de se fondre au flux du désir. Combien de fois nous échappons-nous de nous-mêmes pour partir en explorateurs de notre futur ?
Laure Morali