Il existe quelques établissements qui échappent à cette dure réalité et ces modèles de respect devraient être l'objet d'une note de service engageant les directeurs d'établissement à en prendre modèle.
Le 16 juin 2014, ma mère Madame Gisèle TECHER était admise à l'EHPAD d'Auxonne atteinte de la maladie d'Alzheimer au stade qui ne lui permettait plus l'autonomie dans sa résidence.
Au cours des années qui s'ensuivirent, la maladie a fait son chemin, entraînant démence, agitation et troubles liés à cette affection.
En 2020, elle ne pouvait plus se déplacer et la position alitée devint son quotidien. Elle ne reconnaissait personne et ses propos étaient désordonnés . Le passage du COVID n'a rien arrangé, les visites étant suspendues - ce que je conçois.
Elle a perdu beaucoup de poids atteignant selon les médecins environ 37 kg. Elle restait cependant très agitée. Je lui ai rendu visite dans cet établissement pendant 8 ans, chaque semaine (à quelques exceptions près) à trente kilomètres de mon domicile. A l'époque où un placement d'urgence était nécessaire, c'était le seul lieu disponible.
En2020, la situation était devenue angoissante et je sentais un mal être (psychologique et physique) important à chacune de mes visites. Son visage exprimait de l'inconfort parfois, de la contrariété souvent.
J'ai demandé à consulter le médecin du service et celui-ci de m'assurer que des tests antidouleurs étaient réalisés quotidiennement ( bilans ALGO PLUS, ECPA). Un deuxième rendez-vous quelques semaines plus tard, auprès d'un autre médecin du service – j'étais accompagnée d'un médecin libéral- nous a tracé un bilan somme toute plus réaliste de l'évolution de la maladie et de l'incapacité de la médecine d'appréhender la souffrance psychologique du patient.
Entre 2020 et 2022, son état est devenu difficilement tolérable ( pour moi) : allongée sur le dos,( ad eternam) des traversins à droite, à gauche pour la maintenir et un traversin sous un genou pour empêcher le frottement de ses jambes l'une contre l'autre et ainsi éviter les escarres. Parfois je la retrouvais les jambes coincées dans les barreaux , parfois son visage...
En2021 il n'y avait plus de contact entre nous. Mes visites étaient réglées sur l'heure du goûter que je lui administrais. Désormais elle ne pouvait plus absorber de liquide (eau gélifiée, yaourt, crème...) ; elle était définitivement couchée sur le dos, -sans escarre -bénéficiant d'un matelas spécial et de manipulations sommaires lors de la toilette.
Je suis arrivée, un jour, son lit était dans le couloir. Il fallait le changer suite à un mauvais fonctionnement. Je ne voyais pas où on l'avait mise . Soudain j'ai vu deux pieds au bout de deux jambes émaciées sortir du lève-malade dans lequel on l'avait placée. Elle gisait, pauvre petite chose, recroquevillée comme dans une coquille d'oeuf. Je n'ai pu retenir mes larmes de la voir ainsi et de demander au personnel présent de définir ce qu'est la Vie. Il me faudra dire que le personnel est ampathique dans cette unité.
Nouveau rendez-vous au médecin : je suis consciente que je commence à importuner. Le premier médecin, (rhumatologue à Juvignac???) puis un second . Chacun de m'affirmer qu'on ne peut explorer le domaine de la douleur, qu' elle n'était pas en fin de vie et qu'elle était dans la main de Dieu! Quelle ne fut pas ma stupeur d'entendre ces paroles dans un hôpital publique et laïque.
Je n'ai jamais demandé une quelconque euthanasie, consciente - même si je le regrette- qu'elle est intredite en France. Je souhaitais seulement plus de sédation afin qu'elle ne souffre pas.
La situation ne s'améliorait pas bien sûr et en juillet 2022, j'adressais un courrier au Directeur de l'établissement pour l'informer de ma détresse devant nos souffrances et solliciter l'accès à son dossier médical. Je préconisais, sur les conseils de mon médecin et d'un médecin de ma famille l'avis d'une équipe de soins palliatifs du CHU de Dijon.
Le 27 août 2022, ma mère décède après quelques jours au cours desquels elle refuse d'absorber quoique ce soit . Libérée de ce corps momifié. 4 h 30 du matin
Lorsque je me suis rendue au reposoir, son corps était statufié dans la position qu'elle occupait depuis tant de mois sans qu'il ait été possible de l'allonger correctement.
Le 16 septembre, je réitère ma demande de dossier médical. Il n'est sans doute pas coutumier que de telles démarches soient maintenues après le décès .
J'ai envoyé au ministre de la santé un courrier relatant les difficultés à me faire entendre. Le 3 septembre 2022, une partie du dossier m'est parvenue. Des pièces prises ici et là ne correspondant pas à mes attentes : échelles d'évaluation de 2015, 2018, transm!missions incomplètes de début 2022, comptes rendus orthopédiques, anésthésique de 2015...
Il me fallait consulter les situations de 2021, 2022 pour me persuader que je ne m'étais pas égarée dans sa souffrance comme on me le laissait entendre.
Le 30 mars 2023, sans réponse à mon questionnement, je m'adressais de nouveau au Directeur de l'EHPAD pour obtenir les documents qui m'intéressent ainsi qu'un rendez-vous auprès d'un médecin de service (celui qui s'occupait de ma mère étant en congé maladie) comme il me l'avait proposé lors de ses condoléances. Rendez-vous pris pour le 14 avril auprès d'une personne responsable mais la situation s'est compliquée quand j'ai appris par un autre médecin qu'il n'y avait eu aucune évaluation en 2020 2021. Aucune trace. Les documents durement obtenus sont les ECPAentre le 27 mai et le 9 juin 2022.
A la lecture de ces relevés, -ma mère devenant un sujet- ( sans verbe), voici quelques remarques :
Le sujet bouge comme d'habitude mais évite certains mouvements
cris soupirs gémisssements
le sujet grimace de temps en temps
Le sujet choisit une position antalgique
Le sujet a un regard attentif et semble craindre la mobilisation
angoisse du regard, impression de peur
le sujet se plaint si le soignant s'adresse à lui
absence de mouvement ou forte agitation contrairement à son habitude...
Peut-on encore m'affirmer qu'elle n'avait pas conscience de son état même pour quelques secondes ? Je n'ose imaginer ! J'ai des photos et de courtes vidéos qui témoignent de ce qui a été des mois voir des années de calvaire.
Aujourd'hui, pour lutter contre ce sentiment de culpabilité qui m'obsède, j'ai adhéré à l'Association au Droit de Mourir dans la Dignité . Encore faut-il définir auprès des médecins ce qu'est la dignité. Loin de moi l'idée de généraliser ce propos .
"Etre statufié de son vivant, ça vous pétrifie." Louis Scutenaire