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satinvelours

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  1. Je reprends l'étude. 3°) Ce n’est qu’au XXème siècle, et notamment à partir de la réflexion de Heidegger, que le terme existence accueillera un sens nouveau, attesté et repris par l’ensemble des existentialistes. C’est le mouvement par lequel l’homme s’arrache en permanence à lui-même, mouvement de sortie de soi. Cette sortie de soi se fera soit sur le mode de l’intentionnalité, soit sur le mode de la transcendance. (Ek-sistenz : il s’agit de séparer les deux éléments constitutifs du terme pour insister et nous rappeler qu’il y a enfoui à l’intérieur cette idée de mise à l’extérieur, d’une sortie de quelque chose et particulièrement de soi) Ek-sistenz…..sortie (de soi)….intentionnalité (phénoménologie) Ek-sistenz…..sortie (de soi)….transcendance Essayer de penser l’existence correspond à ce projet de la saisir, de la comprendre, de trouver sa vérité, de la diriger. Dans cette évolution du terme existence, nous allons de plus en plus prendre conscience du sens que Heidegger lui donnera. Dans l’existence il y a toujours cette idée de sortie de soi. Il y a une quête intérieure, la quête de la vérité de soi en supposant bien évidemment qu’elle existe. La vérité de soi est bien le projet avoué ou non avoué d’une réflexion sur l’existence. Avec les philosophies de l’existence peu à peu va tomber une certaine illusion qui consiste à renoncer progressivement à l’idée qu’il suffit d’ouvrir une boîte pour y trouver la vérité. Nous avons tous été formés avec l’idée que la vérité est immanente, inhérente à quelque chose. Il suffit d’étudier la chose, d’ouvrir la boîte et la vérité se révèle, qu’il y ait des emboitements ou pas. Ce grand schéma avoué ou non avoué de la vérité c’est celui que nous avons porté quasiment jusqu’à la fin du XIXème siècle. L’intérêt des philosophies de l’existence, à partir de Heidegger, va être de nous contraindre à renoncer à ce schéma. S’il existe une vérité de nous, ce n’est pas sur ce mode que nous pourrons envisager de la trouver, mais au contraire, c’est dans le mouvement même qui me porte à chercher, à poser quelque chose que j’apprends de ma vérité. Il n’y a pas moi d’un côté, et la vérité de l’autre, ou ma vérité à l’intérieur de moi dont je serais absolument coupé, mais je suis moi-même une sorte de démiurge qui enfante sans arrêt ma vérité. Ma vérité est liée aux modalités que je choisis pour la chercher. Peu à peu l’espace se réduit entre la conception métaphysique de la vérité, et la conception scientifique. L’explosion des sciences et particulièrement les grandes mutations, révolutions de la nature à la fin du XIXème siècle, la découverte du monde infiniment petit, les premiers calculs faits en microphysique attirent l’attention sur une chose, totalement nouvelle, on ne peut observer le réel sans induire des effets sur le réel. L’observateur perturbe l’objet observé. Cette découverte qui semble très ponctuelle, n’affectait que les sciences de la nature. En définitive, sur le plan épistémologique elle va affecter la philosophie, notre façon de penser. Nous allons changer peu à peu le schéma, nous allons peu à peu découvrir que c’est nous qui sommes désireux de posséder une vérité sur le monde des choses, des autres, nous-mêmes. C’est notre projet, la vérité n’est pas dans les choses. Les choses sont (da sein), c’est nous qui avons besoin qu’elles soient vraies. C’est nous qui fabriquons cette valeur, nous qui nous arrangeons pour qu’en l’appliquant sur le réel, comme toute application, nous modifions le réel. Et ce que nous trouvons contient forcément ce que nous y avons mis. Cet ultime sens qui va tellement enrichir les philosophies de l’existence, qui va même leur donner leur soubassement, c’est-à-dire cette idée que l’existence nous confronte à quelque chose d’ouvert, qui va s'opposer d’ailleurs à l’essence, qui, elle, est nécessairement fermée, croise une idée que Bergson a soutenue.
  2. Malraux a fait des études de langues orientales, une formation d’autodidacte, et se manifeste d’un anarchisme assez libertaire en partant jeune au Cambodge en 1923 à la recherche des temples Khmers. Il sera condamné pour spoliation à trois ans de prison réduits à un an. Il séjourne ensuite en Indochine (séjour qui aura une incidence sur son œuvre), dénonce le colonialisme et écrit un récit « La Tentation de l’Occident » en 1925. Il expose à travers de personnages fictifs la tentation que subit l’Occident de l’Orient et inversement. À partir de 1927 il rentre en France et s’engage contre le fascisme. Il part en Espagne organiser l’aviation républicaine en 1936. Il rejoint la résistance en 39-40 et commande la brigade Alsace-Lorraine en 45, devient ministre de l’information du général de Gaulle en 45-46. Il reviendra à ses côtés en 58 où il sera ministre des Affaires Culturelles jusqu’en 1969. Vie publique et politique qui a évidemment une résonance sur son œuvre. On a opposé un premier moment de l’écriture romanesque de Malraux correspondant aux deux romans : « Les Conquérants » en 1928 et « La Voie royale » 1930 considérés comme des romans de l’individu, par opposition à ce qui advient au-delà des années 30 dans « La Condition humaine » prix Goncourt 1933, « L’espoir » 1937 ( un roman intermédiaire « Le temps du mépris 1935), où ces romans sont des romans de la communauté humaine. Les Conquérants et La Voie royale racontent une ambition ou une entreprise menée par le personnage, très inspiré par la vie de Malraux. Il y a une exaltation du surhomme mais considéré dans une initiative personnelle si noble soit-elle. Alors qu’à partir de 1933 jusque pendant la guerre c’est le rapport de l’individu et de la communauté, donc l’inscription de l’individu dans une collectivité humaine qui intéresse André Malraux. L’héroïsme révolutionnaire qu’il met en scène est toujours présenté comme une manifestation de la vision de l’homme et, ce qu’il appellera plus tard dans « Les noyers de l’Altenburg » et dans « Lazare », une visitation de l’humain. La pensée que construit Malraux à partir de l’histoire ne se limite pas au champ politique mais va s’incarner à travers un comportement politique dans un premier temps. Ce qui l’intéresse c’est le face-à-face entre les personnages et la condition humaine métaphysique.
  3. Le roman philosophique Malraux–Sartre–Camus Il y a des points communs idéologiques entre ces trois figures–c’est pourquoi on les associe spontanément– idéologiques et éthiques. Ces trois figures ont condamné, combattu le fascisme et développé une idée de l’homme, une éthique de l’homme, et c’est là que les divergences apparaissent. Malraux est habité par une vision de l’humain quasiment mystique du terme et d’ailleurs il quittera le champ du roman, la méditation sur l’art prendra le relais de l’expérience romanesque. Sartre est plus possédé par une idée de l’homme ce qui est différent. On est dans la sublimité. Quant à Camus il propose un humanisme de l’humilité, que Sartre lui a justement reproché, et se tient davantage du côté de la terre, des humbles en subordonnant les grandes idées, les dogmes à une certaine intuition de la fraternité.
  4. C’est une œuvre réaliste car tout ce qui est raconté sort de la presse quotidienne en 31 langues du monde, sollicité et désiré par Olivier Rolin. L’œuvre de Sylvie Germain est délirante, celle d’Olivier Rolin est délirante mais ce n’est pas le même délire. Il s’agit d’envisager à l’articulation des deux millénaires le monde comme réseau, et la place de l’homme dans ce monde. La simultanéité des événements qui se passent à divers endroits du monde, le jour de l’équinoxe du printemps 99, peut-être interprétée en terme de coïncidence fortuite, hasardeuse, en terme de causalité par réseau difficilement vérifiable. Ce que veut produire Olivier Rolin c’est une sorte de vertige cosmique, une interpellation au lecteur. Le lecteur est constamment pris à partie, interpellé par le narrateur–qui n’est qu’un narrateur secondaire puisqu’il ne raconte que ce que les journaux ont déjà raconté–pour poser la question de la place dans le monde, de la mise en réseau et de la relation à ce réseau. L’idée, sur un plan littéraire, est que le monde perd de sa solidité, de sa substance. À force d’être partout il est nulle part. Le monde se dilue et notre relation au monde, notre présence au monde est une présence beaucoup plus problématique qu’elle ne l’était pas rapport à ce réseau. « Le monde, ce nuage de simulacre, cette agitation de fable, cette simultanéité affolante ne menaçait plus les livres ». Le livre redevient, et en particulier L’intervention du monde, le bénéficiaire de la farce puisque le monde s’étant réduit à une agitation affolante, le livre peut reprendre sa place. « Profitant de la faiblesse peut être passagère du monde c’étaient aux livres de prendre leur place ». Au-delà de la performance que représente cette écriture là, ce qui semble intéressant du point de vue du questionnement c’est la mondialisation : ce que veut dire une expérience bien évidemment virtuelle par délégation, par procuration indirecte mais mondialisée et le type de vertige dans le rapport à l’espace, dans le positionnement par rapport au monde, qui peut être induite par le sujet. C’est pour cela que l’on parle du roman du monde à propos de Sylvie Germain et d’Olivier Rolin, mais on n’est pas dans le même monde, ni cosmique ni poétique. Ce sont deux mondes différents.
  5. Olivier Rolin entend, lui, prendre le monde dans son horizontalité et non dans sa verticalité, entend rendre compte du monde horizontal. « Le tigre en papier » 2002, est un discours, un bavardage adressé, à la première personne, à la fille de son meilleur ami mort. Il y a un décalage de génération entre celui qui parle et la jeune femme à qui il s’adresse qui a 20 ans et n’a aucune mémoire par définition, ni même aucune connaissance du type de questions, ou du type d’actions que pouvait mener la gauche dans les années 70. Il s’agit pour Olivier Rolin de rappeler, d’expliquer à cette jeune femme, à qui mai 68 est radicalement étranger ce qu’a pu représenter, pour la génération à laquelle son père décédé appartenait, cet épisode et ce rêve d’une autre société. Il s’agit aussi de faire une sorte de bilan sur ce rêve et sur ce qu’il en reste. C’est un texte qui se termine sur des accents assez subjectifs et assez émotifs par rapport aux autres textes d’Olivier Rollin. À ce niveau le monde se réduit à mai 68. Ce filtre là explique que c’est le monde dans son extension horizontale, ce n’est pas le monde de Sylvie Germain qui est un monde prolongé par une aspiration vers le ciel. Cette extension horizontale se manifeste de façon spectaculaire dans un livre qui justifie l’appellation « L’invention du monde » 93, comme « Port-Soudan ». L’invention du monde est une performance, Olivier Rolin s’en explique dans le paratexte qui accompagne le roman. Il tente de présenter une journée, la journée de l’équinoxe de printemps 1999, dans le monde. Il s’agit sur un plan littéraire d’une recherche simultanéiste encore que le simultanéisme se réduise à juxtaposer des séquences qui correspondent à différents endroits du monde. Il s’agit de rendre compte de la totalité géographique du monde et surtout de montrer qu’elle peut-être la place de l’homme, et le déplacement de l’homme dans cette expérience de mondialisation. L’invention du monde est une naissance de mondialisation littéraire. Il s’est fait envoyer par différents organismes de presse, dans 31 langues différentes, les quotidiens correspondant à cette journée de l’équinoxe du printemps 99. Après avoir sélectionné il a proposé un montage. Il y a une sorte de réécriture du tour du monde en 80 jours de Jules Verne.
  6. Ce souci spirituel est lisible dans le fait qu’elle a choisi d’appeler la fameuse dynastie maudite dont on suit les descendances au fil du temps dans Le livre des nuits et Nuit d’Ambre : Péniel. Peniel est le nom du lieu de la lutte de Jacob avec l’ange. Elle prend comme nom de famille des personnages le nom renvoyant à la lutte de Jacob avec l’ange, c’est une sorte de clé d’entrée dans son œuvre romanesque et dans le questionnement quelle adresse aux lecteurs. Le merveilleux n’est pas pour autant nécessairement chrétien. Évidemment la lutte de Jacob avec l’ange renvoie au fond judéo-chrétien mais il y a toute une présence du merveilleux païen : L’enfant méduse, la figure d’Orphée, Demeter sont des figures de la mythologie collective donc de la mythologie païenne très présente dans son œuvre. Le merveilleux n’est pas accaparé, capté par le christianisme. Ce qui est important c’est cette aptitude à se laisser étonner, émerveiller par l’invisible. C’est une œuvre qui rend sa place au sacré. Autant le roman à un moment très fort de son histoire a marqué le dégagement par rapport aux questions de l’Histoire, par rapport au personnage, à l’humanisme et a fortiori par rapport au sacré, au contraire dans cette nouvelle fiction se lit l’importance du personnage de l’Histoire à l’intérieur de l’Europe, de la question de l’autre, de la question et l’expérience du sacré qui renvoient à la visagéité de Levinas. Dans l’œuvre de Sylvie Germain il y a toujours un personnage qui peut changer de visage et qui incarne l’autre qu’on ne veut pas, désigné pour être le bouc émissaire idéal de la communauté, celui qui va s’unir sur son sacrifice qui, dans La chanson des mal-aimants est une mendiante albinos, qui, dans Le livre des nuits est Nuit-d’Or-Gueule-de-loup dont le corps et celui de ses enfants est marqué par l’etoilement de ses yeux, une différence perçue comme maléfique. Nuit d’Or Gueule de loup est le nom romanesque de Victor Flandrin. Il s’appelle gueule-de- loup parce qu’il renverse la peur de l’autre, la peur de l’étranger c’est-à-dire la peur du loup qui emblématise, qui synthétise le monstrueux. Il renverse cette peur en force. Lui-même devient une sorte d’allié du loup. Il porte en dehors de ses yeux la peau du loup qu’il a tué dans un duel qui rappelle étrangement la lutte de Jacob avec l’ange. Il devient un personnage mythique. C’est une œuvre qui entend réconcilier le haut et le bas, le ciel et la terre, l’esprit et le corps et postule une verticalité. Postule que l’incarnation et la perception du monde visible est nécessairement prolongée, complétée par l’intuition, la doublure du visible (référence à Merleau-Ponty) c’est-à-dire d’un univers que nous ne percevons pas et que nous devons deviner ou rêver, ou que des voyants peuvent prophétiser.
  7. Dans un certain nombre d’autres roman « Eclats de sel » « Immensités » « La pleurante des rues de Prague » le champ de l’interrogation se déplace vers l’Europe de l’Est. Il y a une réflexion sur l’histoire de l’Europe de l’Est et Prague sert de lieu aux fables. C’est une œuvre baroque, très démesurée, mais l’histoire donne un ancrage irréfutable au type d’interrogations que Sylvie Germain adresse à ses lecteurs. Bien sûr entre la guerre de 70 et la guerre d’Algérie il y a eu la deuxième guerre mondiale et l’holocauste. Bien sûr la question de l’extermination juive est importante dans cette œuvre mais traitée de façon elliptique et nous est adressée à travers la question de l’autre. Si roman du monde il y a dans l’œuvre de Sylvie Germain c’est précisément que le roman prend en charge l’histoire collective, la raconte comme notre histoire collective européenne en l’occurrence, et prend en charge aussi le visible et l’invisible, ce qui est de l’ordre de la perception et ce qui est de l’ordre de l’intuition. Aucun contact de la vraisemblance n’est établi entre le lecteur et Sylvie Germain. Il faut que le lecteur admette ce passage permanent, se laisse séduire par ce passage permanent entre le visible et l’invisible, ce qui est de l’ordre de la perception, de l’intuition, de la vision voire de la prophétie. Cette œuvre est du monde puisqu’elle prend en charge le cosmos immanent et transcendant, et qu’elle associe la présence de l’incarnation, la présence de l’âme et du tourment de l’âme. À propos du roman « La chanson des mal-aimants » dans lequel la question de l’exclusion sociale, de la fragmentation du lien social est représentée, elle dit que ce roman lui a été soufflé par la répétition intime, intérieure d’un verset qui restait à sa mémoire « Reste avec nous, le soir tombe… », un verset biblique (Luc : 24-29). L’écriture romanesque est toujours soufflée par la question de l’autre et le désir de Dieu. Ce n’est pas une œuvre qui est habitée par Dieu mais par le manque de Dieu et l’absence de Dieu. Le tourment vient de là. Cette transmutation, cette vision, cette respiration donne lieu à une vertu réclamée à l’homme, et au premier chef au lecteur, c’est la capacité de renoncer à son scepticisme, la capacité de se laisser émerveiller. Dans l’inquiétude que l’on peut lire chez Bergounioux, chez Millet et le tourment chez Sylvie Germain il y a cette même sensibilité à la discordance de l’homme moderne, la solitude de l’homme moderne, à la séparation. Cette question de l’intégration, de l’insertion ou au contraire de la désinsertion, de l’exclusion, va au-delà des différences entre les hommes en particulier les différences de ton, les différences de style. C’est une question de nostalgie, la nostalgie d’une union, d’une communion entre les hommes, entre les hommes et Dieu, entre le ciel et la terre.
  8. Sylvie Germain est née en 1954. Elle écrit « Le livre des nuits » et « Nuit d’Ambre ». Ces textes datent de 85 et 87 et Le livre des nuits a été primé et remarqué unanimement par la critique. Dans les années 90 elle publie « Jours de colère » 89, « l’Enfant Méduse » 91, « Immensités » 93, « Éclats de sel » 96. Une réécriture du livre de la bible Tobie : « Tobie des marais » 98, « La chanson des mal-aimants » 2002. Elle publie aussi des essais de spiritualité qui sont soient des fables, sortes de paraboles, soient des tentatives poétiques sur la réflexion spirituelle. « Les échos du silence » 96, « Céphalophores » 97, « Mourir un peu » de 2000. Sylvie Germain a une formation philosophique. Elle n’écrit pas des romans de philosophie, elle ne réclame pas de son lecteur d’avoir une culture philosophique pour pouvoir lire ses histoires car il y a une puissance romanesque et une puissance imaginaire impressionnantes dans son œuvre. Mais cette formation philosophique est inscrite dans l’imaginaire qu’elle déploie. Elle est marquée par la phénoménologie de Merleau-Ponty et fait un doctorat de philosophie sur le visage et le concept de visagéité qui est le concept qu’Emmanuel Levinas a élaboré pour dire ce qui était, à son sens, l’essence même de l’expérience éthique. Emmanuel Levinas est un philosophe juif, il a une formation de phénoménologie puis s’est orienté vers une réflexion de type théologique. Il a créé un néologisme pour renvoyer à cette expérience éthique essentielle, la transcendance de l’humain qui se lit dans l’exposition du visage. Au sens étymologique envisager quelqu’un, regarder quelqu’un signifie pour Levinas prendre la responsabilité de ce quelqu’un non seulement lui répondre, mais répondre de lui. Que Sylvie Germain soutienne une thèse de philosophie sur le visage en ayant une spécialisation en phénoménologie, particulièrement levinatienne, a une signification. L’orientation spirituelle de l’œuvre est en cohérence avec les interrogations, les inquiétudes, les tourments qui l’habitent et la réflexion sur laquelle elle a travaillé en philosophie. Un mystère sur quoi aussi bien René Girard de son point de vue de chrétien, qu’Emmanuel Levinas de son point de vue de juif, que Sylvie Germain de son point de vue de tourmentée interrogent sans cesse, le mystère de l’incarnation. L’écriture romanesque lui offre la possibilité d’incarner pas des histoires et par des personnages qui ont une présence et une puissance phénoménales des questions d’ordre historique et d’ordre éthique. On peut lire l’œuvre en voyant l’inscription de l’histoire de l’Europe, l’histoire collective de l’Europe. Dans Le livre des nuits et Nuit d’Ambre s’écoule l’histoire d’une dynastie maudite la famille des Péniel. On épouse le destin de cette famille depuis la guerre franco-prussienne de 1870 jusqu’à la guerre d’Algérie.
  9. Le roman du monde Sylvie Germain – Olivier Rolin Dans les années 80 s’observe sur un plan général aussi bien en matière de politique qu’en matière de philosophie cette relégitimation du spirituel ou du phénomène religieux. En littérature cela se vérifie avec un certain nombre de fictions. Relégitimation du phénomène religieux veut dire que sur un plan factuel, en dehors du champ littéraire, l’importance politique de l’église se vérifie en Amérique du Sud, en Europe de l’Est comme puissance de résistance. Dans le champ de la philosophie un certain nombre de penseurs s’impose. René Girard impose sa pensée sur le christianisme en proposant l’hypothèse que le christianisme est une anthropologie radicalement révolutionnaire qui a inventé une façon de sortir de la violence, dans un essai intitulé « La violence et le sacré ». La philosophie d’Emmanuel Levinas prend le devant de la scène. Aussi bien sur un plan factuel et politique que sur un plan philosophique le phénomène d’une expérience spirituelle se vérifie. Importance aussi sur un plan scientifique, sur un plan intellectuel et conceptuel, de la phénoménologie psychique c’est-à-dire de la pensée de Jung. Jung s’est intéressé à l’expérience religieuse et à la fonction religieuse comme une des fonctions psychiques de l’esprit. Il s’y intéresse en tant que scientifique en postulant qu’il existe un phénomène, la foi, qui est un phénomène psychique. Il tente de rendre à l’âme, la psyché, la totalité des phénomènes qui lui appartiennent et tente de rendre compte de cette expérience religieuse. Il y a un impact de la philosophie herméneutique, la philosophie de l’interprétation, et le déplacement de la catégorie d’une proposition de vérité, dans laquelle la philosophie pouvait être enfermée, vers une proposition d’interprétation. La définition de la philosophie herméneutique est qu’il s’agit de livrer des propositions d’interprétations prenant en compte éventuellement des hypothèses religieuses sur le monde. La philosophie herméneutique en France est marquée par une sympathie pour la théologie et c’est là que s’inscrivent les noms de Paul Ricoeur et d’Emmanuel Levinas qui forment l’environnement intellectuel et spirituel des années 80. Le discours de des Forêts annonce de façon synthétique ce que peuvent suivre certains romanciers. Il le dit de façon théorique mais comme vérification poétique, et un certains nombre d’œuvres vérifie cette hypothèse
  10. Jean Rouaud a été propulsé sur le devant de la scène par son livre « Les champ d’honneur » qui a obtenu le prix Goncourt en 90. Depuis Rouaud ne fait que décliner les figures familiales à partir du grand-père décrit dans Les champs d’honneur en passant par le père jusqu’à la mère. En 93 il écrit « Des hommes illustres » consacré à une généalogie d’hommes obscurs, c’est-à-dire des vies minuscules mais auxquelles il rend le lustre des hommes illustres, mouvement de restituer une importance à des vies singulières et ordinaires par le biais d’un roman familial. En 99 il publie un livre « Sur la terre comme au ciel » ou il reconstitue le discours que lui adresserait sa mère d’outre tombe après avoir lu « Pour vos cadeaux » qui lui est consacré. C’est toujours de la spéculation, de l’hypothèse, de l’imaginaire, de la rêverie sur des histoires réelles mes inconnaissables. Elles sont inconnaissables mais nourrissent notre imaginaire et donc le récit. Le roman de soi peut donc passer par le roman d’autrui
  11. Que reste-t-il comme place pour la subjectivité, pour la question de la filiation dans la fin du XXe siècle ? C’est une question qui obsède Pierre Bergounioux. Il est issu d’une famille profondément rurale, devenu prof puis écrivain. Il est marqué par le suicide de son père très dépressif. « L’orphelin » 91, qui est écrit à la première personne se pose la question du rapport entre les parents et les enfants mais à travers l’ethnologie. Il utilise la griffe de Lévi-Strauss sur l’analyse de la parenté. Que veut dire la filiation en 1990 en Occident ? Il essaie d’imaginer à partir de sa propre expérience de deuil un modèle de relation filiale, une allégorie de la relation filiale qui pourrait être mise en parallèle avec d’autres modèles de relations filiales dans d’autres cultures. Il s’agit de replacer le sujet au centre d’un croisement d’énergie, de conditionnement et de déterminisme culturels, sociaux, économiques, au lieu de déduire ce que l’on avait déduit des philosophies dites du soupçon que le sujet est une victime de l’histoire. Il ne peut être sujet actif, il ne peut pas se reconnaître soi-même. La perspective a changé. Le sujet ne peut pas se connaître soi-même, il peut s’imaginer, il ne peut pas être un acteur puissant de l’Histoire et agissant dans l’Histoire. Admettons qu’il en soit un produit mais on peut réfléchir à ce que signifie ces croisements entre des données biographiques, économiques, culturelles et géographiques. Dans toutes les œuvres de Bergounioux la part de la nature, du rapport à la terre, aux arbres est prédominant. « Le premier mot » évoque son entrée en écriture du fond de cette ruralité, le saut qu’a représenté pour lui ce déplacement, non seulement social et culturel, d’entrer d’abord à Normale Sup’ puis en écriture. Puis la part d’inhibition qui a pesé sur lui, qui pèse sur tous les êtres qui ne sont pas nés pour être programmés pour entrer à Normale Sup’ par exemple, l’effort qu’il faut faire non seulement en terme de labeur mais l’effort psychique que cela demande. Le premier mot évoque le premier jour où Bergounioux a pris une feuille et un stylo et s’est mis à écrire et à reconstituer ce trajet comme trajet psychique. C’est une autobiographie qui ne concerne pas seulement un sujet singulier, mais un sujet social et donc peut parler pour les autres. Olivier Rolin dit à propos de la fiction de la fin du XXe siècle : c’est une fiction élucidante ou une fiction diagnostique. Raconter sa propre histoire n’a pas d’intérêt en soi, mais un intérêt pour tenter de comprendre le réel dans lequel on est pris, la réalité historique, l’ensemble des mutations sociales et comme diagnostic pour une collectivité à la fin de ce siècle .
  12. 2°) Evolution du sens exister. Il faut attendre le XVIIème siècle pour que le verbe exister se vulgarise. Il va acquérir une fonction pragmatique puisque exister va signifier une certaine modalité pour l’être, d’être. Exister va permettre de mettre l’accent pour la première fois sur quelque chose que le verbe être tout seul ne dit pas, à savoir une certaine modalité de l’être. Sur quel mode l’être est possible. Exister signifiera donc à partir de ce moment-là, être réellement. L’accent se déplace maintenant sur la réalité. Cet accent qui est mis sur la réalité de l’être [exister veut dire être dans le monde des choses réelles, donc sujettes à l’expérience et non plus seulement dans le monde des idées, de la pensée], se retrouverait chez Descartes qui, au terme du doute, est amené à découvrir cette première vérité fondamentale qu’est le cogito. Il va éprouver le besoin d’écrire « je suis, j’existe ». Il met bien l’accent sur le fait que son être s’inscrit aussi dans la réalité. Cette émergence que nous constatons dans le terme exister, employé de plus en plus couramment, ne doit pas nous laisser croire que désormais l’existence devient une catégorie fondamentale, une catégorie première. Certes il y a une inflation au niveau du langage mais cela ne change rien fondamentalement puis que l’existence continue à exprimer une des modalités de l’être. La catégorie qui reste malgré tout première est bien l’être par rapport à l’existence, qui, elle, est toujours seconde. D’où l’idée de contingence qui va très vite être découverte, alors que ce terme est tout le temps présent, et qu’en même temps au niveau de la pensée, de la logique rien n’est modifié. L’être est toujours premier. Il semblerait que l’on ait pressenti les enjeux. Quels sont-ils ? Assurer la pérennité de la métaphysique. Il faut bien comprendre le problème suivant : si (pure hypothèse puisque l’histoire montre que cela n’a pas eu lieu) l’existence était venue recouvrir l’être, c’est-à-dire que finalement elle devienne la catégorie première, que l’être soit non seulement recouvert par l’existence mais occulté, cela en aurait été fini de la métaphysique qui ne se fonde que comme science de l’être. La discipline première de l’être, et en même temps la discipline la plus achevée, c’est l’ontologie, la science de l’être en tant qu’être. Oui, l’existence est de plus en plus employé, mais d’une façon paradoxale elle ne modifie rien quant à la place de nos catégories de pensée. Il en va de la survie de la métaphysique. Cela nous permet de souligner que toute la métaphysique occidentale (et en cela les occidentaux sont uniques, il n’y a pas d’équivalence dans d’autres systèmes de pensée, d’autres philosophies) est le produit de l’existence de ce verbe être dans la langue grecque qui a, grammaticalement parlant, été progressivement nominalisé. Au lieu d’utiliser simplement « être » comme verbe, et particulièrement comme copule, c’est-à-dire servant à lier des éléments du discours, on a peu à peu distingué l’être en tant qu’être. Du verbe qu’il était, il est devenu véritablement un substantif, et du verbe être on passe à l’être. La discipline maîtresse qui va régner pendant 2500 ans en philosophie pour l’occident, la métaphysique, est construite autour de ce qui n’est qu’une particularité linguistique propre au grec ancien. On ne peut pas manipuler ces catégories. Il suffit de changer leur rapport mutuel, de permuter leur place pour que tout un domaine de la philosophie, ce domaine avec lequel la philosophie se confond pendant la totalité de son existence pour nous, s’effondre totalement. Si l’on se permettait une comparaison nous pourrions dire que l’emploi nominal du verbe être c’est notre « big-bang ». L’origine de la métaphysique c’est quelque chose qui est le produit d’une cristallisation autour des propriétés au fond d’un verre.
  13. « La place » Annie Ernaux, 84, est un récit dans lequel elle rend hommage, sans aucun pathos, à la figure de son père, puis « Une femme » où elle rend hommage à la figure de sa mère. La place renvoie à la place du café que tenait ses parents et à la question de la place qu’on occupe dans la société. Elle tente à partir d’une expérience individuelle, de réfléchir à un fonctionnement social. C’est à la fois son histoire et l’histoire de tout le monde placé dans la même situation. « Journal du dehors » est consacré à une intimité ou une intériorité. Elle exhibe que le sujet ne peut plus s’envisager comme une monade isolée réfléchissant sur les émois intérieurs mais qu’il est à l’interface entre l’univers extérieur et son intériorité. Se placer dedans pour écrire un journal et dehors pour rendre compte du dehors et de la place du sujet dans ce dehors. Il n’y a pas dans le déploiement autobiographique un culte narcissique de soi. Il y a un recentrage sur le sujet, après la destitution que le sujet a souffert par le biais du structuralisme et de la psychanalyse. Le retour au sujet se fait par le biais de l’ethnologie.
  14. Pierre Bergounioux, Annie Ernaux et Jean Rouaud sont aussi représentatifs du roman de soi. Ces romans-là sont des récits autobiographiques mais qui ne s’interrogent pas simplement sur le trajet d’une vie ou la cohérence d’un destin ou la lisibilité d’une biographie, mais qui tentent de réfléchir au sujet en tant que sujet social. L’écriture autobiographique des années 80/90 est différente des entreprises autobiographiques antérieures au sens où l’on sent qu’elle a été travaillée de l’intérieur par l’ethnologie, par la culture structuraliste des années 70. Cette culture est dépassée mais elle a laissé son empreinte. Une question commune à Bergounioux Ernaux et Rouaud est comment peut-on être le fils, non pas de ses parents, mais le descendant d’une France profondément rurale ou comment peut-on devenir un intellectuel, un écrivain en restant le fils d’un cafetier ou de quincaillier. L’idée est de réfléchir en terme d’ethnologie sur la place du sujet dans un système social. Ce n’est pas simplement d’écrire une autobiographie centrée sur le trajet d’une vie ou le déploiement d’une affectivité, mais prendre en compte le fonctionnement sur les mutations sociales de la deuxième moitié du XXe siècle. Comment peut-on conserver la mémoire de cette ruralité, présentée par Bergounioux comme une forme de primitivité, et être moderne ?
  15. Il est des jours où tu es très en verve !
  16. Un autre nom illustre ce dialogue c’est celui de Pascal Quignard. C’est une œuvre très évolutive de plus en plus tournée vers l’essai. Il a publié en 84 un journal imaginaire « Les tablettes de buis d’Aponenia Avitia ». C’est le nom d’une patricienne romaine du Ve siècle qui écrivait son journal sur des tablettes de buis. Quiniard imagine ce que cette patricienne romaine pouvait déposer sur ses tablettes de buis. Comme dans toute écriture de journal il y a des catégories et des rubriques et des tons très différents. Aponenia évoque aussi bien ce qu’elle doit acheter, qui elle doit inviter, quelles sont les amis qu’elle a fréquentés que les circonstances politiques et en occurrence la multiplication des conversions plus ou moins forcées des païens au christianisme et l’évocation de la violence du christianisme à Rome au Ve siècle. Tout cela forme une sorte de rêverie sur ce que pouvait bien-être la vie intérieure d’une patricienne romaine au cinquième siècle ressuscitée par Quignard. Au-delà des différences de style il y a un intérêt pour le passé et pour des figures du passé même si ce ne sont pas des figures héroïques. C’est tout à fait singulier par rapport aux années 70. C’est ce qui correspond au passage de la modernité à la postmodernité Quignard est typique de ce point de vue parce qu’il n’a cessé de s’intéresser à la Renaissance, à l’Antiquité. Ce mouvement là, le cas Modiano mis à part, est assez inconcevable dans les années 70. À côté de ces biographies imaginaires il y a aussi un déploiement de l’autobiographie qui correspond à une revanche par rapport un moment où le sujet était en mauvaise posture.
  17. Je vais reprendre l'exemple des thalers. L’existence cela se constate c’est toujours extérieur à. Exemple kantien des thalers : il n’y a aucune différence entre 100 thalers réels et 100 thalers fictifs. Bien sûr il y a une différence, mais sous cette boutade, il y a un problème, le problème de la possibilité ou l’impossibilité de prouver l’existence. Kant veut dire qu’il n’y a rien de plus dans les 100 thalers réels que dans la simple idée de la somme de 100 thalers. Le réel n’ajoute rien au possible. Les 100 thalers réels ont simplement l’existence réelle en plus. Si on prend le concept de l’unité monétaire en tant que tel, ou le concept numérique de 100, que l’on soit dans la réalité ou dans un monde virtuel, on trouvera la même chose. Le concept ne variera pas. En définitive nous dit Lagneau l’existence n’est jamais contenue dans le concept d’une chose. Nous n’avons pas besoin qu’une chose existe dans la réalité pour pouvoir concevoir la chose. En linguistique, dans le signe il y a deux entités indissolublement liées, le signifiant et le signifié. Or le signifiant c’est ce qui intéresse le son, pas celui produit par la phonation, celui qui a une matérialité, l’image acoustique de quelque chose. Quand nous pensons sans prononcer intérieurement les mots de notre langue, nous en avons une empreinte psychique. Bien sûr l’idée a une existence, non pas une matérialité. Sans matérialité elle a une réalité et une existence qui lui est propre. La seule pensée fait défiler des mots, autant d’empreintes dans le psychisme. Nous n’avons pas besoin que les choses existent dans la réalité pour qu’elles existent. Le seul fait de pouvoir se les représenter, les penser, d’en construire le concept (100 thalers) confère leur existence. Tout le problème est de savoir si lorsque je vais dire qu’une chose existe, je lui enlève ou lui rajoute quelque chose. Dans la logique qui était la nôtre, si nous parlons de ex aliquo d’où proviendrait le sens très fort et premier de existere, exister, nous comprenons pourquoi il est inadéquat de dire que Dieu existe, puisque Dieu existe voudrait dire : - Qu’il a son originalité à l’extérieur de lui-même, comme tout être. - Qu’il a lui-même la contingence. C’est toujours à l’extérieur du concept de Dieu que je trouverai son existence. Que doit-on dire? Dieu existant ou pas, nous voyons le danger que cela représente. Nous voyons justement comment l’existence va nous apparaitre comme défaillante, comme toujours relative à l’être, et comme signification de l’être, n’ayant aucune autonomie, ne se pensant pas sans l’être. D’autre part va-t-on dire Dieu est ? Est-ce mieux ? Deux réponses possibles. - Oui si l’être excède l’existence. La métaphysique le montre. - Non si l’être désigne simplement une nécessité logique. Dieu serait alors assimilable à un pur objet mathématique. Il n’aurait d’existence, il n’aurait de réalité que celle du triangle et du cercle. Nous aboutissons à l’idéalisme le plus total, à la formulation que Dieu n’est que l’idée de Dieu. Tout ceci constitue l’héritage dont nos penseurs vont s’emparer. Les différentes significations du terme exister. Il y a toujours une interaction sur le plan sémantique, le plan de la signification des mots, entre le plan du langage, les idées et les notions philosophiques qui définissent plus particulièrement la métaphysique. Toute la métaphysique qui tourne autour de la notion d’être est une conséquence d’un phénomène grammatical qui va déraper et permettre de poser une notion qui n’existait pas, qui est celle de l’être. C’est un réservoir où s’accumulent les significations qui vont permettre de comprendre les questions.
  18. L’existence comme défaillance. C'est un imbroglio métaphysique et linguistique (E. Gilson : L’être et l’essence- Vrin) Comment ce qui n’était pas du tout pensé commence progressivement à avoir une certaine opacité, comment cette opacité travaille pour devenir péniblement un concept. C’est de cela que les philosophies existentielles héritent. Je l'ai déjà écrit, on ne peut pas comprendre la célèbre phrase « l’existence précède l’essence » si nous ne revenons pas sur le positionnement de l’existence et de l’essence. Au début de la réflexion philosophique il n’y a pas de questions sur l’existence. L’existence ne fait pas problème. Il n’y a même pas de mot pour désigner cet être. Or s’il n’y a pas de mot pour désigner cette réalité c’est précisément que l’existence apparait comme une simple modalité de l’être. Gilson note que le terme d’existence est un terme très tardif. On le voit utilisé, dans le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, qu’au XVIIème siècle. Faisons l’histoire. Gilson rappelle que l’on peut diviser en trois moments l’histoire de l’existence. Trois moments scandent l’évolution de ce terme. 1°) On part de l’étymologie « existere », voulant dire se tenir hors de et impliquant un mouvement de sortie de soi. Gilson insiste que pour les latins le sens de existere a un sens absolument concret qui n’est pas du tout celui qu’on lui attribue. Il donne deux citations : « Les vers sortent du fumier » Lucrèce. « Je crains de me montrer sévère » Cicéron. Concrétude de ce vers. Ce qui est intéressant est de remarquer que existere qui est le terme primitif, est une contraction d’une expression beaucoup plus ancienne « ex aliquo sistere » qui signifie - être à partir de quelque chose d’autre, - avoir sa cause hors de soi, - provenir de quelque chose d’autre que soi. « Exister signifie moins le fait d’être que le rapport que cet être entretient avec son origine » (p.16). Exister signifie « l’acte par lequel un sujet accède à l’être en vertu de son origine » (p.16). - Ce rappel à l’origine que fait apparaitre Gilson, origine nécessairement extérieure à l’être dont on parle, et l’être dont on parle tient son être. Nous avons chacun notre propre origine que nous tenons de nos propres géniteurs. Elle est à l’extérieur de nous. Ce rapport à l’origine n’a cessé de hanter toute la réflexion sur l’existence. On la trouvera thématisée et aboutie chez Sartre au travers des notions de contingence, mais aussi de facticité. Facticité qui signifie être un fait. L’existence est un fait, elle se laisse constater mais on ne peut jamais la démontrer dira Roquentin. Contingence et facticité sont les deux concepts sartriens qui vont nous ramener à ce problème, à savoir que toute existence, de facto, nous renvoie à sa cause, à son effet, et que la question est contingente. - On pourra évaluer l’importance de ce rapport à l’origine sur le plan théologique et religieux , pour certains philosophes ce rapport est nécessaire, tout être a son origine hors de lui, interdit que nous disions par exemple que Dieu existe. Jules Lagneau ed. Pourquoi Dieu n’existe pas, pourquoi va-ton refuser l’existence à Dieu qui semble un paradoxe et un sacrilège? Parce que « l’affirmation de l’existence est toujours l’affirmation de quelque chose qui n’es pas contenu dans une idée » Lagneau. L’existence ne se laisse pas réduire à un concept, ici à une idée.
  19. Ici il nous faudra croiser : L’axe du temps Chacun est soumis au temps. Toutes les philosophies de l’existence méditeront sur le temps. La prise en compte du présent et surtout de l’instant, unité de temps, le présent. Mais dans l’instant il y instance, ce qui juge, ce qui appelle pour juger. Les philosophies existentielles vont s’enraciner dans notre présent, dans chacun de nos instants, pour nous ouvrir à ce sens : accueillir notre temps « carpe idem ». Mais aussi pour nous rendre bien conscients que cet instant, même si nous commençons à ne le comprendre que d’un point de vue strictement temporel, il nous faut le dépasser et lui donner quelque chose de l’ordre juridique. Chaque instant est quelque chose qui m’appelle. Comment répondre à cet appel ? C’est à moi d’en juger, à moi d’assumer toutes ces choses. L’axe du temps ne peut qu’ouvrir sur la mort. Réflexion sur la mort. Non pas de façon traditionnelle à laquelle la philosophie nous a habitués. Ce n’est pas la méditation du Phédon chez Platon, ni la mort selon les épicuriens et les stoïciens donc séparation à ce moment fatal des pensées. Ce n’est pas la ruse épicurienne : ne crains pas la mort « quand nous sommes la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas » C’est vrai. Mais cela suffit-il à nous réconforter? Nous ne pouvons rien comprendre aux philosophies existentielles si nous ne posons pas aussi la question de la liberté. Il faudra entièrement repenser la liberté de l’homme. Enfin est-ce que l’existentialisme, comme le souhaitait Sartre, nous fait sortir de la métaphysique, ou est-ce que ce n’est pas une autre façon de prolonger la métaphysique ? Est-ce que cette rupture est vraiment consommée ?
  20. L’un des cris de guerre de cette nouvelle façon de philosopher qu’est la phénoménologie est : « il faut revenir aux choses mêmes » Husserl. Attention à cette phrase qui peut être très équivoque. Comment comprend-t-on cette phrase ? "Revenir aux choses mêmes" nous attire curieusement vers l’essence. C’est là que l’on mesure que nous sommes tous imprégnés de platonisme, d’ontologie, de métaphysique. On entend cette phrase comme : parvenir à l’essence des choses et nous pensons que la phénoménologie va nous proposer une saisine, une connaissance de cette essence. Non ! cela serait le contresens le plus grave. Dans phénoménologie nous avons le discours sur les phénomènes, science des phénomènes, c’est ce que veut dire étymologiquement le terme, et nous savons que phénomène, phénoménal en grec veut dire apparaitre. On ne comprend pas comment la science de phénomènes pourrait nous montrer ce que sont les choses, même entendues sous leurs essences. La phénoménologie est sceptique et pyrrhonienne, c’est-à-dire qu’elle renonce par définition à Platon, elle renonce à aller chercher au-delà des phénomènes une réalité autre, une essence. Elle prend acte que nous vivons dans un monde phénoménal où ce qui se montre à nous ne sont que des phénomènes. Il n’ y a rien derrière le phénomène. Revenir aux choses mêmes selon le propos de Husserl cela veut dire : revenons à ce que sont les choses pour nous, pour les consciences percevantes que nous sommes. Nous sommes donc voués à ne voir des choses que leur pure phénoménalité, la façon dont pour nous elles apparaissent. Etudions ces pures apparences. Il y a donc quelque chose de pyrrhonien. Dans l’antiquité, l’un des grands mouvements qui se développe parallèlement à l’épicurisme c’est le mouvement sceptique. Le mouvement sceptique qui installe le doute. Nous ne pouvons pas avoir d’autre position que celle du doute. Aucune vérité certaine ne peut nous être définitivement acquise, donc la seule attitude cohérente est de se maintenir dans le doute. Dans ce mouvement sceptique il y a Pyrrhon. Pyrrhon c’est le scepticisme absolu, total, porté à l’extrême de ses conclusions. Le pyrrhonisme est une sorte d’extrémisme, c’est une façon de tirer les conclusions des sceptiques en les poussant jusque dans la voie extrême. Pyrrhon montre que le doute est une façon de se tenir qu’il va falloir dépasser. Il va falloir apprendre à vivre dans la pure apparence. Dès que nous avons l’apparaitre, ne le comprenons pas en l'opposant à l’être. Beaucoup de dictons dans les langues « ne pas se fier aux apparences » nous signifient que l’apparence est une chose, mais qu’il existerait à côté, au-dessus, un monde plus vrai, plus réel. Ce monde nous avons pris coutume de l’appeler le monde de l’être depuis le début de la métaphysique. Pyrrhon va nous livrer un monde qu’il faut repenser comme n’étant qu’un monde d’apparence, coupé de la référence à l’être. Il y a tout le temps de l’apparence mais sans l’être derrière. D’une certaine façon les existentialistes sont pyrrhoniens. Ils récupèrent l’idée que nous devons penser les choses mêmes. Pensons le phénomène comme étant simplement un phénomène, sans s’adosser à autre chose et certainement pas à une essence. L’existence précède l’essence va nous demander de tout réinventer. C’est son côté révolutionnaire. Rejeter l’idée de système : les philosophies existentielles posent de revenir à ce que nous appellerions le vécu. Non pas la vie qui peut être un terme relativement abstrait , mais le vécu, l’existence particulière, individuelle de tout un chacun.
  21. Gérard Macé a écrit en 91 « Vies intérieures », une biographie imaginaire sur Champollion « Le dernier des Égyptiens » en 88, puis des biographies imaginaires sur les grands explorateurs. En 95 il publie « L’autre hémisphère du temps » où il raconte en les imaginant les vies et les explorations de Vasco de Gama de Christophe Colomb de Magellan. Ce qui est important c’est l’intérêt pour un personnage qui a une dimension un peu fabuleuse, dans ce cas précis, et l’investissement par l’imaginaire d’un autre. D’autres biographies, tels les ouvrages de Françoise Chandernagor, ne sont pas présentées comme des biographies imaginaires. On n’y trouve pas cette part de supputation, de spéculation, d’évocation sur le mode de la rêverie proposée en partage au lecteur. Dans les biographies imaginaires l’objectif n’est pas de faire croire à quelque vérité que ce soit. C’est le fantasme de Rimbaud ou le fantasme de Vasco de Gama qui est intéressant, c’est-à-dire un rapport très vivant à la mémoire et à la culture. Et ce qui intéresse ces auteurs, c’est la façon dont notre imaginaire peut être imprégné, travaillé de l’intérieur par ces histoires. Loin du roman historique, car il ne s’agit pas de vérité véritable, loin de la biographie historique, c’est plutôt proche du récit poétique au sens où il s’agit d’évocations, de suggestions et de fables. Dans tous les cas du point de vue du ton ce qui est symptomatique c’est l’implication du narrateur, c’est-à-dire la résonance de l’un à l’autre et la projection de soi dans la figure de l’autre.Il n’y a pas seulement les choses, il y a les deux sujets, celui dont on parle et celui qui parle, en l’occurrence l’écrivain. On peut considérer que « Les mémoires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar, très antérieur 1951, peuvent se présenter comme prophétiques par rapport à ce mouvement-là. Parce qu’il s’agit bien d’imaginer pour Marguerite Yourcenar la vie subjective et intérieure d’Hadrien, donc d’une sorte de dialogue entre la Modernité et l’Antiquité.
  22. Près des philosophes de l’existence il existe une autre race de philosophes qui « s’efforcent de tirer au clair la structure générale du tout de l’existence. S’ils parviennent finalement à l’homme ce n’est qu’au terme de leurs recherches attentives. Ils ne le rejoignent qu’à travers des vues abstraites sur Dieu, l’être, le monde, la société et les lois de la nature ou celles de la vie. L’homme est pour eux un point d’aboutissement ou si l’on veut le point de fermeture d’un système » Jean Beaufret ouvrage cité plus haut. « Le réel est rationnel » Hegel. C’est-à-dire que la raison peut en rendre compte, mais nous pouvons renverser la proposition et la comprendre comme l’idée suivante : ce qui est rationnel est réel. Ce qui est pensable, constructible par notre raison accède à la réalité. Pour Hegel n’existe pas ce dont on ne pourrait pas rendre compte, ce qui échapperait partiellement ou totalement à la raison, à cette tentative de rendre compte des choses et de pouvoir en comprendre le principe. Hegel retrouve ici ce qui, chez les premiers penseurs de notre culture, était résumé sous le terme de chaos. Le chaos désigne ce qui, par définition échappe à la pensée. Chez Hegel même la mort est rationnelle. La mort ne fait pas ouverture, ce n’est pas sur quoi la pensée bute, c’est ce qui sera intégré dans le système hégélien. C’est le système le plus achevé et le modèle le plus parfait illustrant l’idée même de système. Le système par définition est rationnel, il obéit aux exigences de la raison. Conséquemment tout système propose forcément une clôture. On ne peut parler de système que si nous pouvons fermer un ensemble sur lui-même, l’isolant de l’extérieur. Qui dit système dit nécessairement clôture du réel et donc de la pensée. Essayer d’enfermer la pensée à l’intérieur d’un système, lui faire produire ses connaissances sous forme de système, une fois cette tâche terminée plus rien n’existe à penser et la pensée est vouée à redire, reproduire une nouvelle fois ce qu’elle a déjà reproduit. Il n’est pas exagéré de dire que tout système pour la pensée comporte peut-être la mort de celle-ci en germe à l’intérieur de lui-même. Le système va à un certain moment épuiser la pensée, la bloquer par ce phénomène de clôture. Évidemment le système comble nos mauvaises tendances dogmatiques, cela satisfait l’être intellectuel que je peux être. Donc rationalité implique clôture, risque de mort, d’asphyxie de la pensée. En outre c’est toute la question de la liberté qui se trouve résolue avant d’être posée. Mais le vivant en tant que vivant pose un problème. Au XIXème siècle on a substitué aux sciences de la vie les sciences du vivant. Le participe présent (vivant) met l’accent sur l’ensemble des processus biochimiques qui définissent traditionnellement ce qu’on appelle la vie, alors que la vie est un ensemble d’effets que produisent ces processus, effets qui aussi transforment le milieu. Par définition la vie est ouverture, changement permanent, évolution, adaptation, transformation, reproduction, tous ces termes qui gravitent autour du concept même de vivant. Tout ceci ne s’accommode pas du tout de cette idée de clôture ou de fermeture. L’ensemble des philosophies existentialistes méprisent le système, vilipendent le système. La philosophie qui continuerait de regarder du côté du système, à vouloir penser d’une façon systématique ne sera plus reconnue désormais comme une véritable philosophie. A terme les philosophies de l’existence vont avoir à renouveler totalement l’approche de l’homme en partant du principe que ce n’est pas de l’Homme, être générique, que nous allons partir, mais de l’homme en tant qu’individu, chaque être humain en tant qu’humain avec son histoire, ses expériences, sa façon de se lancer dans l’existence, de la fuir et de l’assumer tour à tour. On ne part pas de ces grandes théories abstraites, on ne repart pas de l’anthropologie kantienne mais on part de la vie telle qu’elle va s’offrir à chacune et chacun d‘entre nous. On considère que les expériences les plus modestes, les plus humbles de notre vie sont riches d’enseignement et c’est précisément celles-ci qu’il va falloir observer dans un premier temps, sur lesquelles ensuite il va falloir méditer et analyser. On reconnaitra ici la grande influence de la phénoménologie, très prononcée chez Sartre et Heidegger (beaucoup moins chez Jaspers et Kierkegaard puisque le mouvement n’existait pas encore).
  23. On peut parler de l’essence d’un objet certes, mais l’homme ? « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait ». L’homme est d’abord un projet, il se projette tout au long de sa vie vers un avenir. Et pour employer le vocabulaire très imagé de Sartre ce n’est ni « une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ».
  24. La collection « L’un et l’autre » chez Gallimard joue un rôle majeur dans le développement et le déploiement dans ce type de textes. « L’un et l’autre » indique très clairement qu’il s’agit d’accueillir des textes qui sont un dialogue entre un sujet qui imagine et un autre sujet qui est imaginé. Cette collection est dirigée par Jean-Bertrand Pontalis, un psychanalyste. Autant la psychanalyse a détrôné le sujet, c’est-à-dire aboli l’idée que le sujet était tout-puissant et pourrait se connaître soi-même, donc a pu à ce titre contribuer à la destruction du personnage dans le roman, autant l’idée que le sujet est nécessairement une fiction préside à cette collection. « Lun et l’autre » a favorisé l’élan imaginaire vers l’autre qui correspond en fait à écrire un roman sur soi, ou sur ses propres désirs ou sur ses propres rêves, par le détour de l’autre. Puisque le sujet ne se connaît que sur le mode de la fiction qui est l’hypothèse de la psychanalyse, la biographie imaginaire s’est trouvée déployée et amplifié par cette hypothèse. C’est une caractéristique de la fin du XXe siècle en France .
  25. Juste un mot sur Kierkegaard. En effet il est déprimant. Mais il est l’enfant du péché. Le père sera la figure toute puissante qui va déterminer sa vie, sa pensée, son œuvre. Sont très long journal donne de nombreux renseignements sur sa vie. C’est un père religieux, chrétien de tradition piétiste. Le piétisme est un courant qui fait de la religion quelque chose de sinistre. Le père a écrasé son fils de sa propre culpabilité. Et cette culpabilité ravageuse qui a miner la vie du père s’est exercée sur ses enfants au travers de leur éducation et particulièrement sur ce petit dernier très sensible et qui va réagir dès sa plus tendre enfance à ce côté tourmenté, angoissé. Dès lors on comprend pourquoi Kierkegaard est déprimant.
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