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satinvelours

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  1. Réponse. Parce que justement nous transférons dans le domaine de l’avoir nos tentatives d’être. Les philosophies existentielles ont bien compris que nous ne pouvions pas être. Elles vont donc nous proposer une réflexion, qui ne va pas bien sûr nous apporter une réponse à tous nos soucis existentiels, mais nous apporter des questions nouvelles que la philosophie dans son histoire, puisque plombée par la métaphysique, n’avait pas eu le temps ni la possibilité logique d’élaborer. Déjà ces questions nouvelles, parce que la réponse c’est à nous de la trouver, vont nous servir de main courante pour éviter que nous chutions dans le vide. Ce n’est pas un hasard si dans « L’être et le néant » il y a un chapitre sur Faire et Avoir : la possession. Analyse remarquable sur les paradoxes amoureux, les fantasmes de possession de l’autre dans l’amour. Sartre démonte tous ces mécanismes, et en fait jaillir à chaque fois les contradictions que nous ne soupçonnons pas parce que nous sommes portés par nos passions au sens traditionnel et philosophique du terme, c’est-à-dire des choses que nous subissons complètement. Nous sommes agis par la passion. Comme nous sommes agis par la passion, nous ne réfléchissons pas. Sartre montre que le désir de la possession de l’autre le conduit à vouloir posséder une transcendance, une liberté. Par définition on ne possède pas la liberté. Il faut revoir « faire et avoir » et bien définir l’extension de ces deux champs, le champ de l’être et le champ de l’avoir. Nous ne pouvons compenser l’un par l’autre. Ce sont des catégories qui sont ontologiquement irréductibles. Impossibilité de l’être. Voici ce qu’écrit Kierkegaard dans Post-scriptum définitif aux miettes philosophiques : « L’homme pense et existe, et la pensée sépare la pensée de l’être ; elle les tient séparés l’un de l’autre dans la succession ». On ne saurait mieux dire et résumer cette antinomie à laquelle nous voue l’existence. Nous sommes des êtres pensants et existants, mais le propre de la pensée est de disjoindre, de séparer pensée et être. En définitive cette séparation va me faire rater l’être en tant que tel. Je ne pourrai jamais comme dira Sartre, coïncider avec l’être mais j’ai besoin de l’être pour penser. C’est ce rapport qu’il nous faut analyser. Jean Beaufret rappelle que le terme existence va être appelé à se spécifier au regard de l’évolution du terme essence. Ousia-essentia-essence. L’essence en effet est ce qu’est la chose, c’est-à-dire sa nature. La tâche de l’essence c’est de dire ce qu’est la chose, l’être de la chose, par opposition au fait que la chose soit, c’est-à-dire qu’elle existe dans la réalité. Savoir ce qu’est la chose, quelle est son essence, quelle est sa nature ne nous dit rien de son existence. De sorte que par l’examen du sens du terme existence, par la comparaison rapide « être-existence, essence-existence », nous pouvons conclure qu’il y a une véritable défaillance ontologique de l’existence par rapport à l’être, et que ce moindre être qu’est l’existence, cette défaillance ontologique de l’existence est littéralement inscrite dans le sens premier du terme lui-même, dans sa construction. C’est par rapport à ce constat, très lourd de conséquences qui va peser sur toutes les autres questions, que nous pourrons nous poser deux questions plus générales.
  2. Il n’y a aucun mysticisme chez Sartre. La philosophie de Sartre est définie par une idée de l’homme et non par une vision mystique religieuse de l’homme. C’est d’abord un philosophe avant d’être un écrivain. Dans la vie littéraire française il a la responsabilité de divulguer la pensée phénoménologique allemande et de divulguer une pensée, par opposition à la transcendance, l’immanence. Nous sommes dans le monde et nous avons toujours conscience de quelque chose. Sartre divulgue cette idée de Husserl. Cet être dans le monde et cette conscience qui est toujours de quelque chose condamne l’homme à la responsabilité. Nous sommes dans le monde sans transcendance et nous sommes face à quelque chose qui nous appelle, qui nous convoque, qui nous envoie un message, c’est la façon dont Sartre traduit les termes de Heidegger. Cette philosophie qui le nourrit il va chercher un moyen de l’exprimer en dehors de ses essais philosophiques. La littérature ou la fiction devra représenter une situation dans laquelle l’homme doit faire l’usage de sa liberté, prendre ses responsabilités, agir face à quelque chose dans le monde. « La Nausée » apparaît comme une mise en fiction d’un système philosophique. Sartre écrit d’abord des nouvelles récapitulées sous le titre « Le Mur » commencées en 1937, publiées en 39, puis La Nausée en 38. Dans les nouvelles qui composent Le Mur, il présente un ordre chronologique de l’action qui est toujours un ordre idéologique. Ce sont toujours les idées qui font agir les personnages, qui dicte l’action. « Voici cinq petites déroutes, cinq vies. Pablo qu’on va fusiller voudrait jeter sa pensée de l’autre côté de l’existence et concevoir sa propre mort. En vain. Toutes les fuites sont arrêtées par un mur, fuir l’existence c’est encore exister. L’existence est un plein que l’homme ne peut quitter ». La répétition du mot existence prépare le terme d’existentialisme qui ne sera utilisé qu’en 43 par Gabriel Marcel. Habiter l’existence en assumant la responsabilité, en assumant la contingence absurde du monde, c’est ce que doit représenter la fiction. La fiction est subordonnée à l’idée et à ces deux notions d’immanence et de contingence sur lesquelles insiste la phénoménologie. L’œuvre principale est La Nausée qui, à travers le journal intime du personnage principal, propose de voir en son héros l’authenticité, c’est-à-dire un personnage qui fait face à l’angoisse à laquelle le plonge la conscience d’exister dans un monde sans signification, ou dont la signification ne peut pas lui apparaître. Un monde qui lui est étranger.
  3. Cette nécessité pour moi de vivre et dans mon présent et chaque instant où je rencontre le statut général de l’existence aboutit au fait que je déserte mon présent. Il y a un paradoxe que souligne Pascal dans les « Pensées » (Grandeur et misère de l’homme), personne ne soutient un seul instant, l’instant. Nous passons notre temps à nous réfugier dans le passé, c’est la nostalgie. Le reste du temps nous le passons à faire des projets, c’est-à-dire à nous précipiter dans l’avenir, nous ne pouvons renoncer à cela. Que ce soit notre retour plus ou moins joyeux, plus ou moins douloureux sur notre passé, que ce soit l’anticipation, le projet qui est aussi l’espoir, nous est nécessaire, espérer c’est se projeter, c’est poser par définition qu’il existe un futur, et que dans ce futur il y a des possibles qui s’ouvrent pour nous. Nous ne pouvons renoncer à cela. Quand nous mixons passé et futur nous aboutissons, avec toutes les variantes possibles, puisque nous sommes des êtres inconstants, à la conclusion pascalienne que nous ne vivons jamais l’instant. Ceci conduit déjà chez Pascal à l’idée d’une méprise de soi. Nous nous déprenons de nous-mêmes, nous fuyons. Nous trouvons cela analysé, thématisé dans les philosophies existentialistes (Sartre-Camus). Nous nous perdons dans les autres, dans les rapports de séduction par exemple. Sartre montre que la séduction est jeu sur les apparences, que la personne qui séduit et la personne qui se laisse séduire se comprend comme le seul plaisir que nous puissions donner. Il va nous falloir abandonner l’être, l’existence n’étant qu’un mode tout à fait défaillant. Puisqu’il n’y a plus d’être, puisque nous ne pouvons plus saisir des essences, que nous n’avons plus affaire à des essences permanentes, mais à de purs mouvements transcendants qui visent les choses, nous sommes ramenés à ce chatoiement des apparences. C’est pour cela qu’il y a une main tendue entre la phénoménologie qui nous demande d’analyser comment les choses apparaissent à la conscience, et de l’autre côté les grandes analyses existentielles particulièrement sartriennes. C’est seulement de nos actes soit en train de se faire, soit sur le point de se faire (soit futur immédiat, soit passé immédiat, soit présent) que nous apprenons ce que nous sommes. C’est du futur dit saint Augustin de ce temps qui n’est pas encore, qui n’a donc pas d’être véritable, que je tente de construire mon être. C’est, dira Sartre, non seulement mon futur qui détermine mon présent mais c’est mon futur qui détermine mon passé. Mouvement rétroactif du vrai. Quel événement de mon passé va me conférer un sens ? Ce n’est pas mon passé en tant que tel puisqu’il est révolu. C’est de mon présent que je me penche sur mon passé (Bergson). Réponse logique, c’est de mon présent que je confère un sens à mon passé. Sartre nous fait découvrir que mon présent n’est pas fermé. Forcément, il ouvre constamment sur un futur. Même si je ne suis pas dans mon esprit en train de faire des projets très explicites et très précis, une partie de mon être a déjà déserté le présent, il est tourné vers l’avenir qui m’attend. C’est tout ce qui se joue dans ce futur, à commencer par le futur immédiat, jusqu’au futur le plus lointain avec des projets très précis, c’est de tout cela que rétroactivement je peux conférer un sens non seulement à mon présent, mais à mon passé lui-même. Qu’est-ce qui va décider, dit Sartre, que la crise de mysticisme que j’ai eu à 15 ans était prémonitoire par rapport à mes convictions religieuses ? C’est moi et personne d’autre, mais c’est à moi de mon présent actuel, c’est moi en fonction de mes projets intéressant la religion, qui me permettent d’évaluer, à cette aune-là, tout ce qui s’est passé antérieurement. Selon que j’ai le projet de continuer mes actes de religiosités extrêmes, que j’ai le projet de développer ma curiosité, que j’ai le projet d’y renoncer, cet événement du passé qui a eu lieu, c’est un fait, va recevoir une coloration. Donc il deviendra soit événement prémonitoire, soit un accident lié à la puberté. Ces analyses permettent de comprendre que sur le plan ontologique force est de constater que notre existence procède de notre impossibilité à être. Cette impossibilité à être fera que je vais tenter d’être, cette tentation d’être est ce qu’on appelle l’existence. Cette impossibilité à être se marque par notre déportation sur l’avoir. C’est parce que nous ne sommes jamais que nous sommes tant intéressés par la possession. A défaut d’être, nous avons, nous cherchons à avoir, nous cherchons à posséder. Pourquoi sommes-nous tellement intéressés à des possessions diverses, d’abord de biens matériels, de richesse, puis des choses plus symboliques comme le pouvoir, la puissance, jusqu'à des fantasmes de possession des autres, l’emprise des autres et des choses qui ne peuvent que semer la destruction, l’aliénation, la mort ?
  4. Malraux se pense comme un esprit religieux sans la foi et ne peut adhérer au christianisme en raison de la dimension sacrificielle que l’église a laissée paraître. Cette dimension de transcendance sacrée est capitale et donne un caractère de parabole à ses récits. Le roman lui paraît être un moyen efficace d’exprimer une notion de l’homme. La fiction mise en scène dans le roman est pour délivrer cette notion de l’homme ce que Malraux appelle « la part de l’homme qui cherche aujourd’hui son nom ». Et cette part de l’homme il la cherchera dans l’art. « Être agnostique veut dire qu’il n’y a pas de lien possible entre la pensée humaine et la transcendance absolue. Je ne pense pas que la transcendance n’existe pas. Je pense qu’elle existe fondamentalement et que les hommes ne sont les hommes qu’en liaison avec une transcendance très variable, pas forcément religieuse, mais les grandes figures de l’humanité sont toutes liées à une transcendance ». La part du sacré de la communauté révolutionnaire se déplacera vers l’art qui deviendra un anti destin et prendra la place de Dieu. La part de roman est relativement peu importante par rapport à la participation politique du personnage et par rapport à la méditation sur l’art, mais elle est cohérente avec le reste de son trajet. Il y a un mysticisme chez Malraux qui se transfère ensuite dans la méditation sur l’art.
  5. Malraux est très marqué par le cinéma. Il y aura une adaptation cinématographique par lui-même de L’Espoir, montage d’ailleurs lui aussi très elliptique. Il explique pourquoi son esthétique romanesque est une esthétique du montage syncopé, fracturé, choisissant les moments forts, essentiellement des moments discursifs où les personnages échangent des idées. Le dialogue est toujours dramatique puisqu’il nourrit l’action, il est en même temps dialectique puisque c’est dans le dialogue que les personnages échangent leurs idées politiques. « Il faut que je débouche sur une éthique plus rigoureuse, sur une notion de l’homme » écrit-il en 34. Il a l’idee que la fiction et le roman en particulier sont le meilleur moyen au XXe siècle d’exprimer le tragique. Cette fiction passe par la narration d’une histoire qui peut être réelle et historique, mais elle est surtout un moyen de concrétisation d’une interrogation philosophique qui doit déboucher sur une notion de l’homme. Le drame est toujours subordonné à cette notion de l’homme, cette injonction de l’humain. Dans Les noyers de l’Altenburg et Lazare, Malraux revient sur le traumatisme causé par la première guerre mondiale et commente le retour de cet épisode comme signifiant la dimension mythique et non pas strictement historique. C’est le moment où, pour la première fois en 1916, l’armée allemande a utilisé les gaz pour avoir raison du front russe sur la Vistule. Et cette attaque dans Les noyers de l’Altenburg revient dans Lazare comme une obsession. « Cette attaque exerce sur moi la trouble et puissante action des grands mythes du nom d’Antigone et de Prométhée. L’Humanité archaïque vivait ces mythes… » Dans Lazare, Malraux réfléchit sur l’obsession de cette attaque de la Vistule. Ce qui ne lui apparaît qu’au moment de Lazare justement c’est que cet assaut de la pitié–les soldats allemands revenant avec les corps de soldats russes gazés–qui répond à l’assaut militaire, donne une idée du sacré en pitié et du sacré en néant. Cette dimension sacrée fait comprendre Malraux.
  6. Cette attitude est l’attitude que décrira Sartre comme l’attitude de la mauvaise foi. Mais parce que nous avons recours à la mauvaise foi, nous démontrons notre condition d’être transcendants. Nous avons également ce curieux paradoxe de l’existence qui est tout et rien comme le dit Sartre. Tout puisque je tiens intégralement dans mon existence. En même temps l’existence ne se laisse pas saisir, ne se laisse pas déterminer, ne se laisse pas définir, tout le temps me dépasse et me condamne à un mode de vie que d’aucuns jugeront défaillant. D’où la tentation de la foi pour la partie chrétienne, en tout cas quelque chose qui ne peut se dérouler que sur le mode de l’angoisse, puisque je cours désespérément après un être dont je sais bien qu’à chaque domaine de ma vie je ne possède pas. D’où le thème de l’angoisse qui devient tout à fait central à commencer par Kierkegaard. Ce mouvement rétrograde du vrai va nous permettre de comprendre que c’est en se projetant hors de lui constamment et plus précisément en se projetant sur cet horizon propre à l’homme, à l’humain que constituent le temps, l’histoire et la mort qui forment une triade. C’est bien en se projetant sur cet horizon propre à l’homme que constituent le temps, l’histoire et la mort qu’il peut se ressaisir comme être pour le temps et être pour la mort. Cela n’est qu’en se vivant comme tel, en se ressaisissant comme tel qu’il s’accomplit précisément comme homme. Nous comprenons pourquoi toutes les philosophies existentielles vont poser la question du temps (être et temps Heidegger). L’existence est à la fois ce qui se tisse à partir d’un mouvement d’ouverture, intentionnalité, transcendance qui engage le devenir, mais aussi cette présence à soi qui doit s’éprouver au présent. Or, justement, force est de constater que nous sommes au creux même de l’existence dans une contradiction insoluble. Chaque aventure existentielle peut de ce point de vue représenter une tentative désespérée pour résoudre, ou en tout cas supporter cette contradiction sur une modalité particulière. Quelle est cette contradiction? C’est le fait que par mon existence je m’échappe à moi-même, grand thème sartrien, je ne puis donc ni la comprendre, ni la ressaisir. Je suis contraint à la vivre, mais toujours dans une situation partiellement aveugle. La philosophie est ce qui, par le souci de soi, la réflexion sur certaines choses, nous aide à ne pas faire n’importe quoi. Il y a un grand pessimisme dans ces philosophies. Nous nous éprouvons comme être existant mais l’existence elle-même, qui constituerait ce que dans la métaphysique nous aurions appelé notre essence, nous échappe. Cette existence je suis amené à la dérouler dans mon présent. Il y a deux idées : 1) être présent à soi-même, 2) si l’on découpe le présent en instant, il y a dans « instant » l’idée d’une instance, d’un appel qui déclenche le jugement.
  7. Dans La Condition humaine cette communauté sacrificielle est animée par un sens de la fraternité humaine : par exemple le don du cyanure à un de ses camarades pour échapper aux souffrances. Cette dimension de don de la souffrance et d’offrande illumine tout le roman. L’Espoir tient du reportage sur la guerre d’Espagne à laquelle Malraux a participé et la vision de l’histoire a une incidence sur le roman. Ce qui caractérise aussi bien La Condition humaine que L’Espoir d’un point de vue littéraire est une écriture elliptique, concentrée, pas très facile, qui correspond pour Malraux à la volonté de sélectionner les temps forts de l’histoire au détriment de la pulpe du roman. Il n’y a pas beaucoup de chair romanesque. Les moments sélectionnés correspondent à des instants dramatiques au cours desquels le personnage a un choix à faire politique et philosophique. Ce qui est présenté du point de vue historique est toujours articulé à une interrogation de type philosophique ou éthique. La valeur de la vie est une question fondamentale qui habite chacun des personnages. « Il est facile de mourir quand on ne meurt pas seul ». La question de la valeur est en permanence posée aux personnages malraussiens, et la valeur est donnée par le rapport entre l’individu et la communauté. La fraternité ou l’inscription dans une communauté révolutionnaire est une façon pour l’homme de dépasser sa condition ontologique d’être seul face à la mort. Il y a des passages de La Condition humaine qui font fortement songer au développement des Pensées de Pascal sur le caractère intolérable de la mort pour l’homme. Nous sommes dans l’incapacité de considérer en face ce qui nous attend. L’écriture aphoristique, elliptique, l’abstraction ou la désincarnation caractérisent le roman de Malraux avec une concurrence du récit par le discours. Ce choix qu’il fait de laisser plus de place au discours, par exemple L’Espoir, correspond à l’influence cinématographique sur l’écriture littéraire.
  8. Cette idée bergsonienne est l’idée que, au fond, on ne peut découvrir la vérité que dans un mouvement rétrograde du vrai. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que c’est toujours dans un mouvement rétroactif que nous découvrons la vérité des choses. Par exemple, si nous prenons le temps, c’est toujours du présent que nous nous tournons vers notre passé. Ce mouvement rétroactif produit une illusion nécessaire. Cette illusion nécessaire nous porte à attribuer aux choses, au passé, des qualités, des déterminations qui ne lui appartiennent pas mais que nous rétro-projetons sur eux. Cela donnera chez Bergson une célèbre méditation sur « Le possible et le réel » (coll. Quadrige. PUF). Bergson démontrera que nous sommes habitués à penser le possible avant le réel, et bien, par ce mouvement rétrograde du vrai, il faut inverser les choses. Ce que nous connaissons, enfin le moins mal, c’est le réel. C’est à partir du réel que nous échafaudons un possible, mouvement rétroactif du vrai. Si nous revenons à l’existence, nous pouvons dire que ce mouvement de sortie de soi, constitutif de la conscience ou de l’être conscient, va nous enfermer dans le même type d’illusion. Nous en voyons les effets d’une façon existentielle lorsque nous réfléchissons à nos existences et que nous nous désolons de ne pas avoir su prendre telle décision, ou trop tardé à la prendre. Finalement toutes les philosophies existentielles vont s’employer, chacune avec un biais particulier, à nous décaler. Cette façon-là est inappropriée, inadéquate. Pourquoi? Parce que là justement, nous sommes pris dans ce mouvement rétroactif du vrai, c’est-à-dire nous projetons un savoir qui est le nôtre ici, maintenant, qui n’était certainement pas le nôtre au moment où nous vivions ces événements, et qui projette une lumière sur ces événements qui va déclencher des jugements, en général moraux, va produire de la souffrance, du remords, de la culpabilité, de la perte de l’estime de soi…, et qui est bien le produit de ce mouvement relativement perverti. Il convient bien de comprendre l’importance de cette idée de sortie de soi, échappée de soi que l’ensemble des philosophies existentielles posent. La proposition de départ est qu’il ne saurait y avoir véritablement de contrôle de soi, de maitrise de soi. Prétendre le contraire serait, comme le dit Sartre, nier notre transcendance, serait se réfugier dans la facticité. Cela voudrait dire renoncer à notre liberté parce que nous ne voulons pas en assumer la responsabilité et donc nous nous transformons en choses.
  9. Je reprends l'étude. 3°) Ce n’est qu’au XXème siècle, et notamment à partir de la réflexion de Heidegger, que le terme existence accueillera un sens nouveau, attesté et repris par l’ensemble des existentialistes. C’est le mouvement par lequel l’homme s’arrache en permanence à lui-même, mouvement de sortie de soi. Cette sortie de soi se fera soit sur le mode de l’intentionnalité, soit sur le mode de la transcendance. (Ek-sistenz : il s’agit de séparer les deux éléments constitutifs du terme pour insister et nous rappeler qu’il y a enfoui à l’intérieur cette idée de mise à l’extérieur, d’une sortie de quelque chose et particulièrement de soi) Ek-sistenz…..sortie (de soi)….intentionnalité (phénoménologie) Ek-sistenz…..sortie (de soi)….transcendance Essayer de penser l’existence correspond à ce projet de la saisir, de la comprendre, de trouver sa vérité, de la diriger. Dans cette évolution du terme existence, nous allons de plus en plus prendre conscience du sens que Heidegger lui donnera. Dans l’existence il y a toujours cette idée de sortie de soi. Il y a une quête intérieure, la quête de la vérité de soi en supposant bien évidemment qu’elle existe. La vérité de soi est bien le projet avoué ou non avoué d’une réflexion sur l’existence. Avec les philosophies de l’existence peu à peu va tomber une certaine illusion qui consiste à renoncer progressivement à l’idée qu’il suffit d’ouvrir une boîte pour y trouver la vérité. Nous avons tous été formés avec l’idée que la vérité est immanente, inhérente à quelque chose. Il suffit d’étudier la chose, d’ouvrir la boîte et la vérité se révèle, qu’il y ait des emboitements ou pas. Ce grand schéma avoué ou non avoué de la vérité c’est celui que nous avons porté quasiment jusqu’à la fin du XIXème siècle. L’intérêt des philosophies de l’existence, à partir de Heidegger, va être de nous contraindre à renoncer à ce schéma. S’il existe une vérité de nous, ce n’est pas sur ce mode que nous pourrons envisager de la trouver, mais au contraire, c’est dans le mouvement même qui me porte à chercher, à poser quelque chose que j’apprends de ma vérité. Il n’y a pas moi d’un côté, et la vérité de l’autre, ou ma vérité à l’intérieur de moi dont je serais absolument coupé, mais je suis moi-même une sorte de démiurge qui enfante sans arrêt ma vérité. Ma vérité est liée aux modalités que je choisis pour la chercher. Peu à peu l’espace se réduit entre la conception métaphysique de la vérité, et la conception scientifique. L’explosion des sciences et particulièrement les grandes mutations, révolutions de la nature à la fin du XIXème siècle, la découverte du monde infiniment petit, les premiers calculs faits en microphysique attirent l’attention sur une chose, totalement nouvelle, on ne peut observer le réel sans induire des effets sur le réel. L’observateur perturbe l’objet observé. Cette découverte qui semble très ponctuelle, n’affectait que les sciences de la nature. En définitive, sur le plan épistémologique elle va affecter la philosophie, notre façon de penser. Nous allons changer peu à peu le schéma, nous allons peu à peu découvrir que c’est nous qui sommes désireux de posséder une vérité sur le monde des choses, des autres, nous-mêmes. C’est notre projet, la vérité n’est pas dans les choses. Les choses sont (da sein), c’est nous qui avons besoin qu’elles soient vraies. C’est nous qui fabriquons cette valeur, nous qui nous arrangeons pour qu’en l’appliquant sur le réel, comme toute application, nous modifions le réel. Et ce que nous trouvons contient forcément ce que nous y avons mis. Cet ultime sens qui va tellement enrichir les philosophies de l’existence, qui va même leur donner leur soubassement, c’est-à-dire cette idée que l’existence nous confronte à quelque chose d’ouvert, qui va s'opposer d’ailleurs à l’essence, qui, elle, est nécessairement fermée, croise une idée que Bergson a soutenue.
  10. Malraux a fait des études de langues orientales, une formation d’autodidacte, et se manifeste d’un anarchisme assez libertaire en partant jeune au Cambodge en 1923 à la recherche des temples Khmers. Il sera condamné pour spoliation à trois ans de prison réduits à un an. Il séjourne ensuite en Indochine (séjour qui aura une incidence sur son œuvre), dénonce le colonialisme et écrit un récit « La Tentation de l’Occident » en 1925. Il expose à travers de personnages fictifs la tentation que subit l’Occident de l’Orient et inversement. À partir de 1927 il rentre en France et s’engage contre le fascisme. Il part en Espagne organiser l’aviation républicaine en 1936. Il rejoint la résistance en 39-40 et commande la brigade Alsace-Lorraine en 45, devient ministre de l’information du général de Gaulle en 45-46. Il reviendra à ses côtés en 58 où il sera ministre des Affaires Culturelles jusqu’en 1969. Vie publique et politique qui a évidemment une résonance sur son œuvre. On a opposé un premier moment de l’écriture romanesque de Malraux correspondant aux deux romans : « Les Conquérants » en 1928 et « La Voie royale » 1930 considérés comme des romans de l’individu, par opposition à ce qui advient au-delà des années 30 dans « La Condition humaine » prix Goncourt 1933, « L’espoir » 1937 ( un roman intermédiaire « Le temps du mépris 1935), où ces romans sont des romans de la communauté humaine. Les Conquérants et La Voie royale racontent une ambition ou une entreprise menée par le personnage, très inspiré par la vie de Malraux. Il y a une exaltation du surhomme mais considéré dans une initiative personnelle si noble soit-elle. Alors qu’à partir de 1933 jusque pendant la guerre c’est le rapport de l’individu et de la communauté, donc l’inscription de l’individu dans une collectivité humaine qui intéresse André Malraux. L’héroïsme révolutionnaire qu’il met en scène est toujours présenté comme une manifestation de la vision de l’homme et, ce qu’il appellera plus tard dans « Les noyers de l’Altenburg » et dans « Lazare », une visitation de l’humain. La pensée que construit Malraux à partir de l’histoire ne se limite pas au champ politique mais va s’incarner à travers un comportement politique dans un premier temps. Ce qui l’intéresse c’est le face-à-face entre les personnages et la condition humaine métaphysique.
  11. Le roman philosophique Malraux–Sartre–Camus Il y a des points communs idéologiques entre ces trois figures–c’est pourquoi on les associe spontanément– idéologiques et éthiques. Ces trois figures ont condamné, combattu le fascisme et développé une idée de l’homme, une éthique de l’homme, et c’est là que les divergences apparaissent. Malraux est habité par une vision de l’humain quasiment mystique du terme et d’ailleurs il quittera le champ du roman, la méditation sur l’art prendra le relais de l’expérience romanesque. Sartre est plus possédé par une idée de l’homme ce qui est différent. On est dans la sublimité. Quant à Camus il propose un humanisme de l’humilité, que Sartre lui a justement reproché, et se tient davantage du côté de la terre, des humbles en subordonnant les grandes idées, les dogmes à une certaine intuition de la fraternité.
  12. C’est une œuvre réaliste car tout ce qui est raconté sort de la presse quotidienne en 31 langues du monde, sollicité et désiré par Olivier Rolin. L’œuvre de Sylvie Germain est délirante, celle d’Olivier Rolin est délirante mais ce n’est pas le même délire. Il s’agit d’envisager à l’articulation des deux millénaires le monde comme réseau, et la place de l’homme dans ce monde. La simultanéité des événements qui se passent à divers endroits du monde, le jour de l’équinoxe du printemps 99, peut-être interprétée en terme de coïncidence fortuite, hasardeuse, en terme de causalité par réseau difficilement vérifiable. Ce que veut produire Olivier Rolin c’est une sorte de vertige cosmique, une interpellation au lecteur. Le lecteur est constamment pris à partie, interpellé par le narrateur–qui n’est qu’un narrateur secondaire puisqu’il ne raconte que ce que les journaux ont déjà raconté–pour poser la question de la place dans le monde, de la mise en réseau et de la relation à ce réseau. L’idée, sur un plan littéraire, est que le monde perd de sa solidité, de sa substance. À force d’être partout il est nulle part. Le monde se dilue et notre relation au monde, notre présence au monde est une présence beaucoup plus problématique qu’elle ne l’était pas rapport à ce réseau. « Le monde, ce nuage de simulacre, cette agitation de fable, cette simultanéité affolante ne menaçait plus les livres ». Le livre redevient, et en particulier L’intervention du monde, le bénéficiaire de la farce puisque le monde s’étant réduit à une agitation affolante, le livre peut reprendre sa place. « Profitant de la faiblesse peut être passagère du monde c’étaient aux livres de prendre leur place ». Au-delà de la performance que représente cette écriture là, ce qui semble intéressant du point de vue du questionnement c’est la mondialisation : ce que veut dire une expérience bien évidemment virtuelle par délégation, par procuration indirecte mais mondialisée et le type de vertige dans le rapport à l’espace, dans le positionnement par rapport au monde, qui peut être induite par le sujet. C’est pour cela que l’on parle du roman du monde à propos de Sylvie Germain et d’Olivier Rolin, mais on n’est pas dans le même monde, ni cosmique ni poétique. Ce sont deux mondes différents.
  13. Olivier Rolin entend, lui, prendre le monde dans son horizontalité et non dans sa verticalité, entend rendre compte du monde horizontal. « Le tigre en papier » 2002, est un discours, un bavardage adressé, à la première personne, à la fille de son meilleur ami mort. Il y a un décalage de génération entre celui qui parle et la jeune femme à qui il s’adresse qui a 20 ans et n’a aucune mémoire par définition, ni même aucune connaissance du type de questions, ou du type d’actions que pouvait mener la gauche dans les années 70. Il s’agit pour Olivier Rolin de rappeler, d’expliquer à cette jeune femme, à qui mai 68 est radicalement étranger ce qu’a pu représenter, pour la génération à laquelle son père décédé appartenait, cet épisode et ce rêve d’une autre société. Il s’agit aussi de faire une sorte de bilan sur ce rêve et sur ce qu’il en reste. C’est un texte qui se termine sur des accents assez subjectifs et assez émotifs par rapport aux autres textes d’Olivier Rollin. À ce niveau le monde se réduit à mai 68. Ce filtre là explique que c’est le monde dans son extension horizontale, ce n’est pas le monde de Sylvie Germain qui est un monde prolongé par une aspiration vers le ciel. Cette extension horizontale se manifeste de façon spectaculaire dans un livre qui justifie l’appellation « L’invention du monde » 93, comme « Port-Soudan ». L’invention du monde est une performance, Olivier Rolin s’en explique dans le paratexte qui accompagne le roman. Il tente de présenter une journée, la journée de l’équinoxe de printemps 1999, dans le monde. Il s’agit sur un plan littéraire d’une recherche simultanéiste encore que le simultanéisme se réduise à juxtaposer des séquences qui correspondent à différents endroits du monde. Il s’agit de rendre compte de la totalité géographique du monde et surtout de montrer qu’elle peut-être la place de l’homme, et le déplacement de l’homme dans cette expérience de mondialisation. L’invention du monde est une naissance de mondialisation littéraire. Il s’est fait envoyer par différents organismes de presse, dans 31 langues différentes, les quotidiens correspondant à cette journée de l’équinoxe du printemps 99. Après avoir sélectionné il a proposé un montage. Il y a une sorte de réécriture du tour du monde en 80 jours de Jules Verne.
  14. Ce souci spirituel est lisible dans le fait qu’elle a choisi d’appeler la fameuse dynastie maudite dont on suit les descendances au fil du temps dans Le livre des nuits et Nuit d’Ambre : Péniel. Peniel est le nom du lieu de la lutte de Jacob avec l’ange. Elle prend comme nom de famille des personnages le nom renvoyant à la lutte de Jacob avec l’ange, c’est une sorte de clé d’entrée dans son œuvre romanesque et dans le questionnement quelle adresse aux lecteurs. Le merveilleux n’est pas pour autant nécessairement chrétien. Évidemment la lutte de Jacob avec l’ange renvoie au fond judéo-chrétien mais il y a toute une présence du merveilleux païen : L’enfant méduse, la figure d’Orphée, Demeter sont des figures de la mythologie collective donc de la mythologie païenne très présente dans son œuvre. Le merveilleux n’est pas accaparé, capté par le christianisme. Ce qui est important c’est cette aptitude à se laisser étonner, émerveiller par l’invisible. C’est une œuvre qui rend sa place au sacré. Autant le roman à un moment très fort de son histoire a marqué le dégagement par rapport aux questions de l’Histoire, par rapport au personnage, à l’humanisme et a fortiori par rapport au sacré, au contraire dans cette nouvelle fiction se lit l’importance du personnage de l’Histoire à l’intérieur de l’Europe, de la question de l’autre, de la question et l’expérience du sacré qui renvoient à la visagéité de Levinas. Dans l’œuvre de Sylvie Germain il y a toujours un personnage qui peut changer de visage et qui incarne l’autre qu’on ne veut pas, désigné pour être le bouc émissaire idéal de la communauté, celui qui va s’unir sur son sacrifice qui, dans La chanson des mal-aimants est une mendiante albinos, qui, dans Le livre des nuits est Nuit-d’Or-Gueule-de-loup dont le corps et celui de ses enfants est marqué par l’etoilement de ses yeux, une différence perçue comme maléfique. Nuit d’Or Gueule de loup est le nom romanesque de Victor Flandrin. Il s’appelle gueule-de- loup parce qu’il renverse la peur de l’autre, la peur de l’étranger c’est-à-dire la peur du loup qui emblématise, qui synthétise le monstrueux. Il renverse cette peur en force. Lui-même devient une sorte d’allié du loup. Il porte en dehors de ses yeux la peau du loup qu’il a tué dans un duel qui rappelle étrangement la lutte de Jacob avec l’ange. Il devient un personnage mythique. C’est une œuvre qui entend réconcilier le haut et le bas, le ciel et la terre, l’esprit et le corps et postule une verticalité. Postule que l’incarnation et la perception du monde visible est nécessairement prolongée, complétée par l’intuition, la doublure du visible (référence à Merleau-Ponty) c’est-à-dire d’un univers que nous ne percevons pas et que nous devons deviner ou rêver, ou que des voyants peuvent prophétiser.
  15. Dans un certain nombre d’autres roman « Eclats de sel » « Immensités » « La pleurante des rues de Prague » le champ de l’interrogation se déplace vers l’Europe de l’Est. Il y a une réflexion sur l’histoire de l’Europe de l’Est et Prague sert de lieu aux fables. C’est une œuvre baroque, très démesurée, mais l’histoire donne un ancrage irréfutable au type d’interrogations que Sylvie Germain adresse à ses lecteurs. Bien sûr entre la guerre de 70 et la guerre d’Algérie il y a eu la deuxième guerre mondiale et l’holocauste. Bien sûr la question de l’extermination juive est importante dans cette œuvre mais traitée de façon elliptique et nous est adressée à travers la question de l’autre. Si roman du monde il y a dans l’œuvre de Sylvie Germain c’est précisément que le roman prend en charge l’histoire collective, la raconte comme notre histoire collective européenne en l’occurrence, et prend en charge aussi le visible et l’invisible, ce qui est de l’ordre de la perception et ce qui est de l’ordre de l’intuition. Aucun contact de la vraisemblance n’est établi entre le lecteur et Sylvie Germain. Il faut que le lecteur admette ce passage permanent, se laisse séduire par ce passage permanent entre le visible et l’invisible, ce qui est de l’ordre de la perception, de l’intuition, de la vision voire de la prophétie. Cette œuvre est du monde puisqu’elle prend en charge le cosmos immanent et transcendant, et qu’elle associe la présence de l’incarnation, la présence de l’âme et du tourment de l’âme. À propos du roman « La chanson des mal-aimants » dans lequel la question de l’exclusion sociale, de la fragmentation du lien social est représentée, elle dit que ce roman lui a été soufflé par la répétition intime, intérieure d’un verset qui restait à sa mémoire « Reste avec nous, le soir tombe… », un verset biblique (Luc : 24-29). L’écriture romanesque est toujours soufflée par la question de l’autre et le désir de Dieu. Ce n’est pas une œuvre qui est habitée par Dieu mais par le manque de Dieu et l’absence de Dieu. Le tourment vient de là. Cette transmutation, cette vision, cette respiration donne lieu à une vertu réclamée à l’homme, et au premier chef au lecteur, c’est la capacité de renoncer à son scepticisme, la capacité de se laisser émerveiller. Dans l’inquiétude que l’on peut lire chez Bergounioux, chez Millet et le tourment chez Sylvie Germain il y a cette même sensibilité à la discordance de l’homme moderne, la solitude de l’homme moderne, à la séparation. Cette question de l’intégration, de l’insertion ou au contraire de la désinsertion, de l’exclusion, va au-delà des différences entre les hommes en particulier les différences de ton, les différences de style. C’est une question de nostalgie, la nostalgie d’une union, d’une communion entre les hommes, entre les hommes et Dieu, entre le ciel et la terre.
  16. Sylvie Germain est née en 1954. Elle écrit « Le livre des nuits » et « Nuit d’Ambre ». Ces textes datent de 85 et 87 et Le livre des nuits a été primé et remarqué unanimement par la critique. Dans les années 90 elle publie « Jours de colère » 89, « l’Enfant Méduse » 91, « Immensités » 93, « Éclats de sel » 96. Une réécriture du livre de la bible Tobie : « Tobie des marais » 98, « La chanson des mal-aimants » 2002. Elle publie aussi des essais de spiritualité qui sont soient des fables, sortes de paraboles, soient des tentatives poétiques sur la réflexion spirituelle. « Les échos du silence » 96, « Céphalophores » 97, « Mourir un peu » de 2000. Sylvie Germain a une formation philosophique. Elle n’écrit pas des romans de philosophie, elle ne réclame pas de son lecteur d’avoir une culture philosophique pour pouvoir lire ses histoires car il y a une puissance romanesque et une puissance imaginaire impressionnantes dans son œuvre. Mais cette formation philosophique est inscrite dans l’imaginaire qu’elle déploie. Elle est marquée par la phénoménologie de Merleau-Ponty et fait un doctorat de philosophie sur le visage et le concept de visagéité qui est le concept qu’Emmanuel Levinas a élaboré pour dire ce qui était, à son sens, l’essence même de l’expérience éthique. Emmanuel Levinas est un philosophe juif, il a une formation de phénoménologie puis s’est orienté vers une réflexion de type théologique. Il a créé un néologisme pour renvoyer à cette expérience éthique essentielle, la transcendance de l’humain qui se lit dans l’exposition du visage. Au sens étymologique envisager quelqu’un, regarder quelqu’un signifie pour Levinas prendre la responsabilité de ce quelqu’un non seulement lui répondre, mais répondre de lui. Que Sylvie Germain soutienne une thèse de philosophie sur le visage en ayant une spécialisation en phénoménologie, particulièrement levinatienne, a une signification. L’orientation spirituelle de l’œuvre est en cohérence avec les interrogations, les inquiétudes, les tourments qui l’habitent et la réflexion sur laquelle elle a travaillé en philosophie. Un mystère sur quoi aussi bien René Girard de son point de vue de chrétien, qu’Emmanuel Levinas de son point de vue de juif, que Sylvie Germain de son point de vue de tourmentée interrogent sans cesse, le mystère de l’incarnation. L’écriture romanesque lui offre la possibilité d’incarner pas des histoires et par des personnages qui ont une présence et une puissance phénoménales des questions d’ordre historique et d’ordre éthique. On peut lire l’œuvre en voyant l’inscription de l’histoire de l’Europe, l’histoire collective de l’Europe. Dans Le livre des nuits et Nuit d’Ambre s’écoule l’histoire d’une dynastie maudite la famille des Péniel. On épouse le destin de cette famille depuis la guerre franco-prussienne de 1870 jusqu’à la guerre d’Algérie.
  17. Le roman du monde Sylvie Germain – Olivier Rolin Dans les années 80 s’observe sur un plan général aussi bien en matière de politique qu’en matière de philosophie cette relégitimation du spirituel ou du phénomène religieux. En littérature cela se vérifie avec un certain nombre de fictions. Relégitimation du phénomène religieux veut dire que sur un plan factuel, en dehors du champ littéraire, l’importance politique de l’église se vérifie en Amérique du Sud, en Europe de l’Est comme puissance de résistance. Dans le champ de la philosophie un certain nombre de penseurs s’impose. René Girard impose sa pensée sur le christianisme en proposant l’hypothèse que le christianisme est une anthropologie radicalement révolutionnaire qui a inventé une façon de sortir de la violence, dans un essai intitulé « La violence et le sacré ». La philosophie d’Emmanuel Levinas prend le devant de la scène. Aussi bien sur un plan factuel et politique que sur un plan philosophique le phénomène d’une expérience spirituelle se vérifie. Importance aussi sur un plan scientifique, sur un plan intellectuel et conceptuel, de la phénoménologie psychique c’est-à-dire de la pensée de Jung. Jung s’est intéressé à l’expérience religieuse et à la fonction religieuse comme une des fonctions psychiques de l’esprit. Il s’y intéresse en tant que scientifique en postulant qu’il existe un phénomène, la foi, qui est un phénomène psychique. Il tente de rendre à l’âme, la psyché, la totalité des phénomènes qui lui appartiennent et tente de rendre compte de cette expérience religieuse. Il y a un impact de la philosophie herméneutique, la philosophie de l’interprétation, et le déplacement de la catégorie d’une proposition de vérité, dans laquelle la philosophie pouvait être enfermée, vers une proposition d’interprétation. La définition de la philosophie herméneutique est qu’il s’agit de livrer des propositions d’interprétations prenant en compte éventuellement des hypothèses religieuses sur le monde. La philosophie herméneutique en France est marquée par une sympathie pour la théologie et c’est là que s’inscrivent les noms de Paul Ricoeur et d’Emmanuel Levinas qui forment l’environnement intellectuel et spirituel des années 80. Le discours de des Forêts annonce de façon synthétique ce que peuvent suivre certains romanciers. Il le dit de façon théorique mais comme vérification poétique, et un certains nombre d’œuvres vérifie cette hypothèse
  18. Jean Rouaud a été propulsé sur le devant de la scène par son livre « Les champ d’honneur » qui a obtenu le prix Goncourt en 90. Depuis Rouaud ne fait que décliner les figures familiales à partir du grand-père décrit dans Les champs d’honneur en passant par le père jusqu’à la mère. En 93 il écrit « Des hommes illustres » consacré à une généalogie d’hommes obscurs, c’est-à-dire des vies minuscules mais auxquelles il rend le lustre des hommes illustres, mouvement de restituer une importance à des vies singulières et ordinaires par le biais d’un roman familial. En 99 il publie un livre « Sur la terre comme au ciel » ou il reconstitue le discours que lui adresserait sa mère d’outre tombe après avoir lu « Pour vos cadeaux » qui lui est consacré. C’est toujours de la spéculation, de l’hypothèse, de l’imaginaire, de la rêverie sur des histoires réelles mes inconnaissables. Elles sont inconnaissables mais nourrissent notre imaginaire et donc le récit. Le roman de soi peut donc passer par le roman d’autrui
  19. Que reste-t-il comme place pour la subjectivité, pour la question de la filiation dans la fin du XXe siècle ? C’est une question qui obsède Pierre Bergounioux. Il est issu d’une famille profondément rurale, devenu prof puis écrivain. Il est marqué par le suicide de son père très dépressif. « L’orphelin » 91, qui est écrit à la première personne se pose la question du rapport entre les parents et les enfants mais à travers l’ethnologie. Il utilise la griffe de Lévi-Strauss sur l’analyse de la parenté. Que veut dire la filiation en 1990 en Occident ? Il essaie d’imaginer à partir de sa propre expérience de deuil un modèle de relation filiale, une allégorie de la relation filiale qui pourrait être mise en parallèle avec d’autres modèles de relations filiales dans d’autres cultures. Il s’agit de replacer le sujet au centre d’un croisement d’énergie, de conditionnement et de déterminisme culturels, sociaux, économiques, au lieu de déduire ce que l’on avait déduit des philosophies dites du soupçon que le sujet est une victime de l’histoire. Il ne peut être sujet actif, il ne peut pas se reconnaître soi-même. La perspective a changé. Le sujet ne peut pas se connaître soi-même, il peut s’imaginer, il ne peut pas être un acteur puissant de l’Histoire et agissant dans l’Histoire. Admettons qu’il en soit un produit mais on peut réfléchir à ce que signifie ces croisements entre des données biographiques, économiques, culturelles et géographiques. Dans toutes les œuvres de Bergounioux la part de la nature, du rapport à la terre, aux arbres est prédominant. « Le premier mot » évoque son entrée en écriture du fond de cette ruralité, le saut qu’a représenté pour lui ce déplacement, non seulement social et culturel, d’entrer d’abord à Normale Sup’ puis en écriture. Puis la part d’inhibition qui a pesé sur lui, qui pèse sur tous les êtres qui ne sont pas nés pour être programmés pour entrer à Normale Sup’ par exemple, l’effort qu’il faut faire non seulement en terme de labeur mais l’effort psychique que cela demande. Le premier mot évoque le premier jour où Bergounioux a pris une feuille et un stylo et s’est mis à écrire et à reconstituer ce trajet comme trajet psychique. C’est une autobiographie qui ne concerne pas seulement un sujet singulier, mais un sujet social et donc peut parler pour les autres. Olivier Rolin dit à propos de la fiction de la fin du XXe siècle : c’est une fiction élucidante ou une fiction diagnostique. Raconter sa propre histoire n’a pas d’intérêt en soi, mais un intérêt pour tenter de comprendre le réel dans lequel on est pris, la réalité historique, l’ensemble des mutations sociales et comme diagnostic pour une collectivité à la fin de ce siècle .
  20. 2°) Evolution du sens exister. Il faut attendre le XVIIème siècle pour que le verbe exister se vulgarise. Il va acquérir une fonction pragmatique puisque exister va signifier une certaine modalité pour l’être, d’être. Exister va permettre de mettre l’accent pour la première fois sur quelque chose que le verbe être tout seul ne dit pas, à savoir une certaine modalité de l’être. Sur quel mode l’être est possible. Exister signifiera donc à partir de ce moment-là, être réellement. L’accent se déplace maintenant sur la réalité. Cet accent qui est mis sur la réalité de l’être [exister veut dire être dans le monde des choses réelles, donc sujettes à l’expérience et non plus seulement dans le monde des idées, de la pensée], se retrouverait chez Descartes qui, au terme du doute, est amené à découvrir cette première vérité fondamentale qu’est le cogito. Il va éprouver le besoin d’écrire « je suis, j’existe ». Il met bien l’accent sur le fait que son être s’inscrit aussi dans la réalité. Cette émergence que nous constatons dans le terme exister, employé de plus en plus couramment, ne doit pas nous laisser croire que désormais l’existence devient une catégorie fondamentale, une catégorie première. Certes il y a une inflation au niveau du langage mais cela ne change rien fondamentalement puis que l’existence continue à exprimer une des modalités de l’être. La catégorie qui reste malgré tout première est bien l’être par rapport à l’existence, qui, elle, est toujours seconde. D’où l’idée de contingence qui va très vite être découverte, alors que ce terme est tout le temps présent, et qu’en même temps au niveau de la pensée, de la logique rien n’est modifié. L’être est toujours premier. Il semblerait que l’on ait pressenti les enjeux. Quels sont-ils ? Assurer la pérennité de la métaphysique. Il faut bien comprendre le problème suivant : si (pure hypothèse puisque l’histoire montre que cela n’a pas eu lieu) l’existence était venue recouvrir l’être, c’est-à-dire que finalement elle devienne la catégorie première, que l’être soit non seulement recouvert par l’existence mais occulté, cela en aurait été fini de la métaphysique qui ne se fonde que comme science de l’être. La discipline première de l’être, et en même temps la discipline la plus achevée, c’est l’ontologie, la science de l’être en tant qu’être. Oui, l’existence est de plus en plus employé, mais d’une façon paradoxale elle ne modifie rien quant à la place de nos catégories de pensée. Il en va de la survie de la métaphysique. Cela nous permet de souligner que toute la métaphysique occidentale (et en cela les occidentaux sont uniques, il n’y a pas d’équivalence dans d’autres systèmes de pensée, d’autres philosophies) est le produit de l’existence de ce verbe être dans la langue grecque qui a, grammaticalement parlant, été progressivement nominalisé. Au lieu d’utiliser simplement « être » comme verbe, et particulièrement comme copule, c’est-à-dire servant à lier des éléments du discours, on a peu à peu distingué l’être en tant qu’être. Du verbe qu’il était, il est devenu véritablement un substantif, et du verbe être on passe à l’être. La discipline maîtresse qui va régner pendant 2500 ans en philosophie pour l’occident, la métaphysique, est construite autour de ce qui n’est qu’une particularité linguistique propre au grec ancien. On ne peut pas manipuler ces catégories. Il suffit de changer leur rapport mutuel, de permuter leur place pour que tout un domaine de la philosophie, ce domaine avec lequel la philosophie se confond pendant la totalité de son existence pour nous, s’effondre totalement. Si l’on se permettait une comparaison nous pourrions dire que l’emploi nominal du verbe être c’est notre « big-bang ». L’origine de la métaphysique c’est quelque chose qui est le produit d’une cristallisation autour des propriétés au fond d’un verre.
  21. « La place » Annie Ernaux, 84, est un récit dans lequel elle rend hommage, sans aucun pathos, à la figure de son père, puis « Une femme » où elle rend hommage à la figure de sa mère. La place renvoie à la place du café que tenait ses parents et à la question de la place qu’on occupe dans la société. Elle tente à partir d’une expérience individuelle, de réfléchir à un fonctionnement social. C’est à la fois son histoire et l’histoire de tout le monde placé dans la même situation. « Journal du dehors » est consacré à une intimité ou une intériorité. Elle exhibe que le sujet ne peut plus s’envisager comme une monade isolée réfléchissant sur les émois intérieurs mais qu’il est à l’interface entre l’univers extérieur et son intériorité. Se placer dedans pour écrire un journal et dehors pour rendre compte du dehors et de la place du sujet dans ce dehors. Il n’y a pas dans le déploiement autobiographique un culte narcissique de soi. Il y a un recentrage sur le sujet, après la destitution que le sujet a souffert par le biais du structuralisme et de la psychanalyse. Le retour au sujet se fait par le biais de l’ethnologie.
  22. Pierre Bergounioux, Annie Ernaux et Jean Rouaud sont aussi représentatifs du roman de soi. Ces romans-là sont des récits autobiographiques mais qui ne s’interrogent pas simplement sur le trajet d’une vie ou la cohérence d’un destin ou la lisibilité d’une biographie, mais qui tentent de réfléchir au sujet en tant que sujet social. L’écriture autobiographique des années 80/90 est différente des entreprises autobiographiques antérieures au sens où l’on sent qu’elle a été travaillée de l’intérieur par l’ethnologie, par la culture structuraliste des années 70. Cette culture est dépassée mais elle a laissé son empreinte. Une question commune à Bergounioux Ernaux et Rouaud est comment peut-on être le fils, non pas de ses parents, mais le descendant d’une France profondément rurale ou comment peut-on devenir un intellectuel, un écrivain en restant le fils d’un cafetier ou de quincaillier. L’idée est de réfléchir en terme d’ethnologie sur la place du sujet dans un système social. Ce n’est pas simplement d’écrire une autobiographie centrée sur le trajet d’une vie ou le déploiement d’une affectivité, mais prendre en compte le fonctionnement sur les mutations sociales de la deuxième moitié du XXe siècle. Comment peut-on conserver la mémoire de cette ruralité, présentée par Bergounioux comme une forme de primitivité, et être moderne ?
  23. Il est des jours où tu es très en verve !
  24. Un autre nom illustre ce dialogue c’est celui de Pascal Quignard. C’est une œuvre très évolutive de plus en plus tournée vers l’essai. Il a publié en 84 un journal imaginaire « Les tablettes de buis d’Aponenia Avitia ». C’est le nom d’une patricienne romaine du Ve siècle qui écrivait son journal sur des tablettes de buis. Quiniard imagine ce que cette patricienne romaine pouvait déposer sur ses tablettes de buis. Comme dans toute écriture de journal il y a des catégories et des rubriques et des tons très différents. Aponenia évoque aussi bien ce qu’elle doit acheter, qui elle doit inviter, quelles sont les amis qu’elle a fréquentés que les circonstances politiques et en occurrence la multiplication des conversions plus ou moins forcées des païens au christianisme et l’évocation de la violence du christianisme à Rome au Ve siècle. Tout cela forme une sorte de rêverie sur ce que pouvait bien-être la vie intérieure d’une patricienne romaine au cinquième siècle ressuscitée par Quignard. Au-delà des différences de style il y a un intérêt pour le passé et pour des figures du passé même si ce ne sont pas des figures héroïques. C’est tout à fait singulier par rapport aux années 70. C’est ce qui correspond au passage de la modernité à la postmodernité Quignard est typique de ce point de vue parce qu’il n’a cessé de s’intéresser à la Renaissance, à l’Antiquité. Ce mouvement là, le cas Modiano mis à part, est assez inconcevable dans les années 70. À côté de ces biographies imaginaires il y a aussi un déploiement de l’autobiographie qui correspond à une revanche par rapport un moment où le sujet était en mauvaise posture.
  25. Je vais reprendre l'exemple des thalers. L’existence cela se constate c’est toujours extérieur à. Exemple kantien des thalers : il n’y a aucune différence entre 100 thalers réels et 100 thalers fictifs. Bien sûr il y a une différence, mais sous cette boutade, il y a un problème, le problème de la possibilité ou l’impossibilité de prouver l’existence. Kant veut dire qu’il n’y a rien de plus dans les 100 thalers réels que dans la simple idée de la somme de 100 thalers. Le réel n’ajoute rien au possible. Les 100 thalers réels ont simplement l’existence réelle en plus. Si on prend le concept de l’unité monétaire en tant que tel, ou le concept numérique de 100, que l’on soit dans la réalité ou dans un monde virtuel, on trouvera la même chose. Le concept ne variera pas. En définitive nous dit Lagneau l’existence n’est jamais contenue dans le concept d’une chose. Nous n’avons pas besoin qu’une chose existe dans la réalité pour pouvoir concevoir la chose. En linguistique, dans le signe il y a deux entités indissolublement liées, le signifiant et le signifié. Or le signifiant c’est ce qui intéresse le son, pas celui produit par la phonation, celui qui a une matérialité, l’image acoustique de quelque chose. Quand nous pensons sans prononcer intérieurement les mots de notre langue, nous en avons une empreinte psychique. Bien sûr l’idée a une existence, non pas une matérialité. Sans matérialité elle a une réalité et une existence qui lui est propre. La seule pensée fait défiler des mots, autant d’empreintes dans le psychisme. Nous n’avons pas besoin que les choses existent dans la réalité pour qu’elles existent. Le seul fait de pouvoir se les représenter, les penser, d’en construire le concept (100 thalers) confère leur existence. Tout le problème est de savoir si lorsque je vais dire qu’une chose existe, je lui enlève ou lui rajoute quelque chose. Dans la logique qui était la nôtre, si nous parlons de ex aliquo d’où proviendrait le sens très fort et premier de existere, exister, nous comprenons pourquoi il est inadéquat de dire que Dieu existe, puisque Dieu existe voudrait dire : - Qu’il a son originalité à l’extérieur de lui-même, comme tout être. - Qu’il a lui-même la contingence. C’est toujours à l’extérieur du concept de Dieu que je trouverai son existence. Que doit-on dire? Dieu existant ou pas, nous voyons le danger que cela représente. Nous voyons justement comment l’existence va nous apparaitre comme défaillante, comme toujours relative à l’être, et comme signification de l’être, n’ayant aucune autonomie, ne se pensant pas sans l’être. D’autre part va-t-on dire Dieu est ? Est-ce mieux ? Deux réponses possibles. - Oui si l’être excède l’existence. La métaphysique le montre. - Non si l’être désigne simplement une nécessité logique. Dieu serait alors assimilable à un pur objet mathématique. Il n’aurait d’existence, il n’aurait de réalité que celle du triangle et du cercle. Nous aboutissons à l’idéalisme le plus total, à la formulation que Dieu n’est que l’idée de Dieu. Tout ceci constitue l’héritage dont nos penseurs vont s’emparer. Les différentes significations du terme exister. Il y a toujours une interaction sur le plan sémantique, le plan de la signification des mots, entre le plan du langage, les idées et les notions philosophiques qui définissent plus particulièrement la métaphysique. Toute la métaphysique qui tourne autour de la notion d’être est une conséquence d’un phénomène grammatical qui va déraper et permettre de poser une notion qui n’existait pas, qui est celle de l’être. C’est un réservoir où s’accumulent les significations qui vont permettre de comprendre les questions.
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