-
Compteur de contenus
3 006 -
Inscription
-
Jours gagnés
1
Type de contenu
Profils
Forums
Blogs
Calendrier
Vidéos
Quiz
Movies
Tout ce qui a été posté par satinvelours
-
Se pose une autre question : la responsabilité narrative. Nous sommes toujours malmenés, pris en défaut. Dans Mercier et Camier des passages font très fortement penser à l’ironie de Diderot dans « Jacques le fataliste » qui malmène le lecteur qui voudrait bien savoir des amours de Jacques et ne le saura jamais. Dans Mercier et Camier le narrateur prétend avoir été le témoin de leur voyage. L’absence narrative oscille entre le témoin qui accrédite histoire, et en même temps l’histoire n’a pas lieu (ils restèrent chez eux). Il est impossible qu’une voix dotée d’une autorité narrative puisse penser. La voix dit une phrase qui est une forme verbale qu’il ne faut pas prendre au sérieux, qu’elle ait ou non une signification, et une autre phrase qui sera l’infirmation ou la négation de celle-ci qui peut, elle-même, être infirmée et enchaînera. On passe en permanence d’un seuil à l’autre, il est très fatiguant d’avoir des repères, et c’est ainsi jusqu’à la fin de l’œuvre. La question posée par Beckett sur le personnage dans le roman et sur le narrateur dans le roman, donc l’autorité du narrateur dans le roman, est une question transversale : qui voit dans le roman, à travers les yeux de qui sommes-nous susceptibles de lire l’histoire ? et la question du narrateur est qui raconte, qui parle ? Chez Beckett on est incapable de décider qui raconte, qui parle, puisque ni la première personne ni les autres ne peuvent coïncider avec un pronom qui les représenteraient. Il reste des simulations, des propositions qui s’enchaînent. Il dit que la phrase peut être poétique, mais aussi logique, mais n’aura jamais de fondement. Comment penser les fondements qui nous permettraient de vérifier que cette signification en est bien une ? La fuite est repartie jusqu’à l’infini. La signification est un essai possible de la phrase par lequel on ne doit pas se laisser séduire, se laisser leurrer. Peut-être, certainement, sans doute, les adverbes de modélisation émaillent le discours beckettien en permanence. Aucune formulation ne peut s’exposer sans être accompagnée de ces adverbes pour en atténuer la portée et mettre en doute la validité.
-
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
La métaphysique n’est pas autre chose qu’une maladie, une maladie qui s’est emparée de la pensée occidentale, qui l’a amenée à arracher à l’existence tout ce qui en fait la valeur pour conférer à l’existence une entité dont on pose à la fois qu’elle est réelle sans exister véritablement. Nous retrouvons l’exposé platonicien. La métaphysique, une production de malade qu’il convient de guérir au plus vite. Le nietzschéisme figure probablement l’une des voies ou l’une des brèches ménagées dans la métaphysique qui va ouvrir la porte aux philosophies existentielles. « Crépuscule des idoles » livre I, « Le livre du philosophe » partie III sont des textes où nous assisterons au procès de Platon, et nous trouverons que pour Nietzsche l’idée même d’essence n’est qu’une fiction. Pour Nietzsche le fait d’établir des fictions et de s’accrocher à ces fictions au point de se les transmettre pendant plus de deux mille ans révèle quelque chose que l’on ne peut écarter, de la même façon Sartre nous dira que nous révélons davantage dans nos mensonges que dans les vérités que nous prétendons dire. Ce n’est pas un divertissement. Dans cette façon d’assujettir la notion d’essence et d’assujettir la notion d’existence par rapport à cette notion d’essence au point de refuser de lui donner droit de cité, il faut y voir l’incapacité qui serait la nôtre d’exister pleinement, de prendre en charge notre existence, de l’assumer. Nous savons tous combien l’existence est quelque chose qui nous confronte à la contradiction, qui nous voue au conflit, à la perte des autres, de soi..., que nulle existence n’existe sans son lot de deuils et de peines, de douleurs, souffrances extrêmes à certains moments de la vie. Il y a aux yeux de Nietzsche une sorte de refuge dans ce monde idéal de l’essence en laissant l’existence exister seulement comme pâle reflet. Plus nous allons spéculer, c’est-à-dire plus nous allons nous réfugier dans une philosophie hautement idéaliste, hautement spéculative, type Hegel, plus nous allons d’une certaine façon fuir la vie. L’un des intérêts de toutes les philosophies dites existentielles, puis ensuite existentialistes, c’est de faire retour sur toute la philosophie d’une façon traditionnelle. L’antiquité grecque, en dehors de Platon et Aristote, est un heureux moment. Dans toutes les écoles socratiques il y a ce moment qui va durer très peu de temps dans notre histoire, où la philosophie s’attache à méditer sur l’existence concrète des gens et s’emploie à leur donner dans les mains, non pas des réponses et des solutions, mais des instruments pour peut-être lutter, se défendre mieux qu’il est possible devant certaines choses de l’existence qui peuvent être évitées, ou pour ne pas accentuer certaines souffrances. La philosophie dans notre culture est devenue une philosophie savante, inaccessible, qui explique pour beaucoup d’entre nous le peu de soucis que nous avons par rapport à cette matière. A quoi cela sert-il de lire Platon, Aristote ou St Augustin, ce n’est pas cela qui va m’aider à me positionner correctement dans l’existence. La métaphysique est en partie responsable de cela et cette mise à l’écart de l’existence est chargée de conséquences. Cela peut expliquer pourquoi en à peine un siècle, ce qui pèse lourd par rapport au poids de la tradition métaphysique, il y a eu tellement de philosophes qui sont parties de la notion d’existence, et pourquoi leurs travaux ont créé un engouement tous azimuts. Après la deuxième guerre mondiale et pendant un certain temps, la scène philosophique a été existentialiste. La dévalorisation, la condamnation de l’existence n’est qu’un symptôme qui signale une défectuosité de notre élan vital, une incapacité de vivre, d’assumer l’existence. -
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
L’essence comme simulacre de l’existence. (lecture nietzschéenne de l’Être- « Crépuscule des idoles »). Nietzsche entreprend de démolir totalement les fondements de la métaphysique pour en révéler le côté vain, totalement vide. La question qui se pose est celle du platonisme : comment une essence peut être à la fois réelle sans exister? (au sens où nous entendons ce terme d’une façon générale). Réponse de Nietzsche : ce n’est qu’une abstraction vide. Nietzsche écrit dans « Le crépuscule des idoles » que cette essence n’est pas autre chose qu’une existence dont on enlève progressivement, comme les pelures d’un oignon, tout ce qui est accidentel, toutes les qualités accidentelles, toutes les contingences couleur, taille, dimension, de sorte que l’on arrive avec quelque chose qui s’évanouit totalement. Autrement dit l’essence n’est proprement rien, dit Nietzsche. Nous retrouverons à peu près cette idée dans « L’être et le néant » lorsque Sartre dira que l’essence est un « néant d’être, un oxymore », c’est-à-dire cette figure de rhétorique qui consiste à conjoindre deux termes totalement contraires pour dégager une idée qui nécessite des périphrases. Nietzsche traite les archétypes platoniciens, ces pures essences comme n’étant pas autre chose « qu’une fumée, la dernière vapeur de la réalité totalisée ». Cette démarche qui est en fait la démarche métaphysique dans son entier est coupable, aux yeux de Nietzsche d’être un symptôme, symptôme d’une culture décadente qui ne possède plus d’énergie vitale, de désir de vivre, va délaisser l’existence au profit d’une protection fantasmatique qui est l’essence. On va déserter l'existence pour Nietzsche, progressivement, avec une condamnation par le christianisme littéral de l’existence, puisque l’existence est frappée du pêché originel et de la culpabilité. Donc exister c’est forcément être coupable, c’est forcément être voué au mal et au péché. De la métaphysique traditionnelle jusqu’à la reprise qu’en fera le christianisme, nous avons une dévalorisation de l’existence, dévalorisation progressive, mise à l’écart de l’existence au profit de l’essence qui est le seul concept premier. Nietzsche place une métaphore pour une façon de philosopher : « il faut philosopher à coups de marteau ». Le coup de marteau est une métaphore à double sens. Non seulement c’est le marteau pour casser les idoles, les choses creuses et vaines que nous adorons, qui nous aliènent et nous empêchent de penser mais nous permettent de vivre, de faire de notre existence autre chose que du remords, de la culpabilité. Il faut aussi l’entendre comme une métaphore médicale. Le marteau c’est le marteau du médecin qui tape sur les côtes du patient pour entendre quel son ce marteau rend. Cette métaphore doit être utilisée dans les deux sens. Jouant au médecin Nietzsche s’arme de son marteau frappe quelques coups sur le corps de la métaphysique et le son qu’elle rend est extraordinairement inquiétant. Nietzsche va montrer que tout ceci peut effectivement s’interpréter. Nous sommes dans l’interprétation comme le signe d’une maladie très grave. -
Kafka le marque pour l’enfermement, pour l’inintelligibilité du monde. Il y a dans Molloy un personnage qui a l’énergie de mener une enquête qui ne mènera à rien. Beckett est très sensible à cette dimension angoissée et angoissante de l’œuvre de Kafka. Le versant de l’œuvre de Joyce qui correspond à sa sensibilité, pourra nourrir son inspiration, c’est la précarité, le roman de l’hypothèse, le roman de la certitude et de la relativité. Néanmoins il y a encore chez Joyce la croyance dans la capacité de la conscience, dans la puissance de la conscience qu’il n’y a plus du tout chez Beckett. Il n’y a pas ce que Joyce appelle des « épiphanies » qui sont des moments de grâce où le sujet entre en communion avec le monde. Chez Beckett le moi est séparé du monde extérieur. Dans un essai sur la peinture d’après guerre il dit que la peinture a la charge de montrer qu’il n’y a plus de rapport possible entre le sujet et l’objet. Cela correspond à une intuition intime, que lui fait à travers les personnages de fiction, de l’absence de rapport d’une possibilité entre le moi et le monde. De Proust il retient ce qui peut nourrir sa propre inquiétude, c’est-à-dire l’impressionnisme et le relativisme. Mais il y a un triomphe chez Proust–retrouver le temps perdu–qui est aux antipodes de la désespérance de Beckett. Il retient cependant cette impossibilité de s’assurer de quoi que ce soit. On a parlé à propos de ses écrits, de romans de la méconnaissance. Même lorsque le roman raconte une enquête, jamais la connaissance n’est envisagée comme une possibilité. Le rapport à la connaissance est évidemment très marqué par la culture biblique. Dans la première partie de Molloy le personnage dit je. Il est couché dans la chambre de sa mère qui semble être morte « peut-être », et ce personnage va raconter l’itinéraire et les errances qui l’ont mené jusqu’à la chambre de sa mère, jusqu’à un retour régressif dans le lit de sa mère. C’est une quête des origines. Il prend la place de sa mère et cette identification : moi–mère, provoque une interrogation sur le je et le support du je. Couché dans le lit de sa mère il raconte ses déserrances, au début il marchait, puis il a eu des béquilles, puis il a rampé. Dans la deuxième partie le personnage s’appelle Moran, anagramme de roman. C’est un enquêteur chargé par un certain messager Gaber–Gabriel–, qui lui-même est le messager de Youdi, d’enquêter sur Molloy. Le rapport à la connaissance est très marqué par cette culture biblique. Bien sûr l’enquête de Moran échoue, il ne retrouvera jamais Molloy mais finit par s’identifier à celui qu’il cherche au point de ramper. Cela se termine par cette phrase tragique « je ne supporterai plus d’être un homme, je n’essaierai plus ». Ce trajet, l’enquête, le rapport à la connaissance, l’impossibilité de connaître l’autre, de se connaître soi, la projection nécessaire entre l’autre et soi et la confusion générale entre l’autre et soi, tout cela est contenu dans la deuxième moitié du roman Molloy. En dehors des constituants et des ingrédients de la fiction, qu’advient-il du personnage ? Il n’est plus personne, il n’est plus capable de dire je. Qu’advient-il des aventures ? Il n’y en a plus.
-
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
L’existence est par essence un moindre être. Les conséquences sont très grandes puisque cela nous laissera jusqu’à maintenant la certitude, et ce sera un grand thème de l’existentialisme, que nous ne sommes jamais véritablement. Il y a de très belles pages dans « L’être et le néant » le chapitre : les relations concrètes avec autrui, sur l’amour, où Sartre dit : l’amour est ce qui nous justifie à exister, puisque nous ne pouvons pas fonder notre existence, puisque nous n’avons pas d’être. Nous allons en grignoter un peu dans l’amour que les autres nous portent. Toute ma vie je vais essayer de susciter de l’amour, d’être aimable, d’être aimé car c’est uniquement là que je vais me donner un simulacre de fondement ontologique. D’où la position très spécifique d’autrui. C’est l’autre qui me justifie pleinement. D’où l’hypothèse de l’autre dans la philosophie sartrienne, qui me tient lieu de fondement ontologique, nourrit mon narcissisme en permanence, et décide de ma liberté puisque le jugement : « je suis tel que » apparait à autrui. « Autrui est pièce maîtresse de mon univers » dira Tournier. Tout mon être défaillant ne peut arriver à se donner une consistance qu’à travers autrui, au travers de son regard, au travers de son jugement, puisque le regard est la métaphore du jugement, et je suis le jouet permanent des caprices d’autrui. Il n’est pas étonnant que Sartre soit pessimiste sur les relations entre autrui et moi. Je ressens autrui comme forcément tout puissant, et craignant sa toute puissance, je suis voué face à autrui, même et surtout dans les rapports amoureux, à inventer des stratégies très sophistiquées pour essayer de faire barrage à cette emprise. Ce primat de l’être, cette idée que par nature toute existence est défaillante, c’est cela que les existentialistes vont trouver pour essayer de nous tirer de la métaphysique. Y arriveront-ils ? La question est posée. Ne font-ils pas dans leur analyse que tirer ultimement les conséquences de ce que traditionnellement la métaphysique nous apporte? Cette position inaugurée par Platon n’est pas sans difficultés. 1ère difficulté : Si on admet la théorie de la participation, c’est-à-dire les choses existent et nous existons mais seulement comme résultat d’une participation à une essence, est-ce que l’essence puisqu’elle est participée ne risque pas de perdre sa pureté ? Ne va-t-elle pas être altérée, dénaturée? 2ème difficulté : Cette participation ne va-t-elle pas compromettre l’unité, l’identité de l’essence en introduisant la division, la multiplicité, c’est-à-dire toutes les caractéristiques des phénomènes ? 3ème difficulté : C’est celle que l’on retrouvera avec St Augustin. Comment une essence peut-elle être à la fois participée, c’est-à-dire forcément unie à un phénomène, une chose qui en retire des caractéristiques, et en même temps séparée? Car si elle n’était pas d’une certaine façon séparée, elle finirait par se dissoudre au travers des choses. D’où cette théorie de la participation est tout à fait problématique, et c’est la dernière question que nous allons retrouver. La doctrine de la participation constitue le cœur de la doctrine platonicienne, et montre bien le côté marginal de la notion d’existence qui n’existe pas en elle-même et par elle-même. C’est toujours référé, référable à la notion d’essence. Cette doctrine nous laisse en héritage des questions qui ont traversées toute la période médiévale. L’arrivée du christianisme ne va pas simplifier les choses. Il va falloir régler ses comptes avec le platonisme, faire le choix d’Aristote, l’adapter aux nouvelles exigences du christianisme, autour de l’essence et l’existence. Tant que certaines choses ne seront pas réglées, on comprendra pourquoi l’existence ne peut apparaître en elle-même, pour elle-même, ce qui peut surprendre tant nous avons l'impression que c'est une question évidente. -
L’Innommable est une succession de questions : où maintenant, comment maintenant, qui maintenant. Dire je sans le penser, appeler ça des questions, des hypothèses, aller de l’avant, dire cela sans savoir pourquoi. J’ai l’air de parler ? Ce n’est pas moi. Comment vais-je faire ? Que dois-je faire ? Dans la situation où je suis comment procéder par pur aporisme ou bien affirmation et négation infirmées au fur et à mesure, ou tôt ou tard. Il y a une sorte de résumé du fonctionnement de la fiction chez Beckett. Il utilise les questions de la rhétorique : qui, quoi, où, quand, comment, les décline, sans que jamais aucune réponse satisfaisante, ni définitivement validée, ne soit accordée ni à lui, ni à nous, et joue avec ces questions. Il remet en question le support de la pensée et de l’énonciation. Dire je sans le penser. Qu’est-ce que je ? C’est ce que pose Compagnie de façon radicale. Comment puis-je adhérer à ce je qui est définitivement appréhendé par Beckett comme une fiction de la communication. Pour communiquer nous sommes obligés de dire je, mais je est une pure forme qui ne correspond à aucun substrat psychologique ni anthologique. Très couramment chez Beckett, de façon ironique et malicieuse, on trouve l’usage du vocabulaire de la logique par pur aporisme ou par affirmation ou négation. C’est très lourd, car tout ce qui peut être attendu de la littérature de fiction, pas nécessairement philosophique, est déceptif. Dans une pièce de théâtre « Not I », très impressionnante, la sténographie de la pièce présente un personnage sur le devant de la scène qui n’est pas identifiable, ni même textuable, recouvert d’une djellaba, et sur un écran au fond de la scène il y a une bouche filmée. Cette bouche raconte des « aventures » qui seraient arrivées à une certaine Elle. L’impossibilité de dire je. La bouche refuse de dire je, c’est-à-dire de savoir qui est dans ce je, « tu n’utilisera jamais la première personne, la première personne ne fait pas partie de ton vocabulaire » (Compagnie). Le caractère massif et radical du bouleversement opéré part Beckett l’est par sa bibliothèque intérieure. Il est très marqué par Kafka, Joyce et Proust. Ce qu’il retient de ces trois noms c’est ce qui peut nourrir cette inquiétude fondamentale qui est la sienne : comment dire je, comment penser ?
-
Cette épreuve qui demande un travail mental certain est, pour Beckett, requise par ce qui est notre lot : le chaos et la confusion. Ce n’est pas du tout le signe d’une pathologie personnelle. On pourrait imaginer que cette souffrance originelle existentielle lui apparaît en propre, mais aux yeux de Beckett la confusion et de chaos sont partout, il suffit d’ouvrir les yeux pour les voir. Il faut donc trouver une forme qui dise le chaos, qui coïncide avec cette nécessité d’exprimer un état très particulier de l’homme dans l’histoire, à l’issue de la guerre et de tout ce qu’il l’a accompagnée. Le chaos c’est en particulier le chaos de la pensée. Une question récurrente chez Molloy : comment savoir, comment penser ? C’est la crise de l’esprit qu’il veut dire, qu’il reflète en parlant du chaos et de la confusion. Beckett ne s’attaque pas à une matière historique, comme Claude Simon, qui nous permettrait de retrouver quelque chose qui appartienne à une mémoire collective. La mémoire qui est en cause, quand il y en a une, c’est sa mémoire personnelle : le vendredi saint, le rapport à sa mère, ce n’est pas quelque chose qui participe à une mémoire collective, mais en revanche il tente de dire ce sentiment commun de chaos. Il a fini, en dépit du caractère exigeant de son œuvre, en terme d’écriture et pour le lecteur, en dépit du caractère stupéfiant et sidérant qu’a eu Molloy auprès du lecteur–Georges Bataille et Maurice Blanchot ont immédiatement signalé l’importance capitale de Beckett–, par incarner la littérature à lui tout seul, une écriture neutre, une écriture blanche. Il a décloisonné les genres, repris des éléments narratifs dans le théâtre, tous les éléments dialogaux mis dans le roman. Il a répété la même chose mais dans un art combinatoire différent, et a fini par s’identifier à la littérature. Impossibilité de raconter quelque chose puisque les personnages très vite ne peuvent plus bouger. « Ô les beaux jours », le personnage s’enfonce et s’enlise, « Molloy », le personnage a d’abord des béquilles puis est condamné à ramper. En général les personnages sont physiquement mutilés et réduits à un grave état d’impotence, il ne leur reste que la tête. Cette tête pense en inventant des fables plutôt qu’en se préoccupant de la logique du terme. Ce qui demeure c’est la parole, c’est l’impossibilité de se taire. Dans « L’Innommable » il y a cette phrase du personnage qui dit je et qui est à la fois le narrateur : « dans ma vie il y eut trois choses : l’impossibilité de parler, l’impossibilité de me taire et la solitude physique bien sûr » . L’impossibilité de parler c’est l’impossibilité de parler pour dire quelque chose [Beckett était lui-même quelqu’un de très silencieux, alors que ses personnages sont intarissables, même pour ne rien dire]. Faute de parler on va dire. Lorsque les personnages échangent des phrases, ils échangent beaucoup plus des formes verbales que des propositions logiques. Impossibilité à dire quelque chose, impossibilité de se taire, donc condamnation à dire toujours, mais à dire le rien à dire. C’est cette clé de l’œuvre qui explique le caractère intarissable, et en quelque sorte hémorragique, de la création chez Beckett.
-
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
Seules les pures essences, le beau en soi, le pur en soi, le vrai en soi, le juste en soi..., existent véritablement, c’est-à-dire là où une essence et existence sont jointes, archétypes du sens. Les existants que nous sommes, tant les choses matérielles et sensibles, inanimées que évidemment les êtres animés et même les êtres animés possédant une âme véritable, une conscience, que nous sommes, ne sommes quand même que des reflets de ce monde purement intelligible. Pour Platon la réalité n’est pas dans le monde réel, elle est au-delà du monde réel, transcendance, elle ne désigne que le monde des pures idées, des pures essences et ceci va décider d’une conception métaphysique du monde. En posant les choses comme cela Platon nous lègue un certain nombre de difficultés. C’est cela la théorie de la participation. Dans cette théorie, ou au travers de cette théorie, l’existence est quelque chose de totalement défaillant. -
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
Toute existence est cernée par ces deux mystères. Il ne tient qu’à nous, soit de faire de notre existence un enfoncement dans les ténèbres, soit de l’illuminer par quelque chose. Pour G. Marcel c’est Dieu qui va pouvoir nous éclairer, ne pas nous laisser dans les ténèbres et nous allons peu à peu récupérer la lumière divine. Si nous ne voulons pas de cette solution, il y en a d’autres. Que pouvons-nous retenir de cela ? Nous ne pouvons nous dispenser de l’être qui confère intelligibilité à toute chose mais comprenons que par rapport à l’être ou par rapport à ces essences, au sens platonicien du terme, l’existence des phénomènes, les phénomènes étant des manifestations de choses existantes, ne peuvent constituer que des dégradations de cet être, autrement dit des altérations (Platon- Le sophiste. La république- Heidegger). Platon va nous expliquer que si les choses que nous appelons sensibles ont pour nous un certain degré d’existence, c’est parce qu’elles ne sont que le reflet, à des degrés variables, de ces essences. Il faut se reporter au mythe de la caverne (République- fin du livre VI-509- et début du livre VII) où Platon explique deux choses qu’il nous faut absolument croiser. Si nous n’y prenons pas garde et si nous n’éduquons pas notre âme par le moyen de la philosophie, nous allons rester prisonniers d’un préjugé, d’une croyance et d’une illusion, les trois choses en même temps. Ce préjugé, cette croyance et cette illusion sont que l’existence réelle c’est l’existence matérielle et sensible des choses, c’est-à-dire que pour nous les choses n’existent que sous leur forme matérielle, leur matérialité. Pour nous, le monde sensible est le monde existant, et nous sommes comparables à ces malheureux prisonniers enfermés dans une caverne, enchainés, qui ne voient que des ombres défiler sur les murs de la caverne, qui ne sont que des ombres projetées de gens réels qui défilent dans cette caverne et qui sont éclairés par un feu qui brûle derrière eux mais dont ils ne connaissent rien, puisqu’ils ne peuvent pas tourner la tête. Dans cette situation ces ombres constituent la réalité. Que se passe-t-il si quelqu’un vient délivrer un prisonnier ? Il va lui permettre de renverser les choses. Le prisonnier va découvrir qu’il y a des gens véritables qui marchent sur un petit chemin de la caverne, que ces ombres projetées qu’il voyait et qu’il croyait être la réalité, la vérité, ne sont que des ombres. Mais cela il ne peut le savoir que lorsqu’il a vu le feu qui éclaire les véritables personnes. Il comprend que ce qu’il pensait être la vérité n’est qu’une ombre, un reflet. Si on le traine dehors il va voir que ces gens qu’il voyait très mal parce que le feu ne jette pas une lumière très puissante dans cette caverne, quand il arrive à l’extérieur, il est complètement ébloui, il va peu à peu découvrir l’existence du monde extérieur illuminé par le soleil. Il va voir que ce qu’il croyait être la réalité dans la caverne ne l’est pas. Dans la caverne il est dans un monde d’ombres et de reflets d’un monde extérieur qui est beaucoup plus vrai et beaucoup plus réel. A un certain moment celui qui va délivrer le prisonnier va, par les cheveux, lui tirer la tête le contraignant à regarder un moment le soleil. Il y a alors une analogie feu-soleil, le prisonnier va comprendre qu’il pouvait voir des ombres parce qu’il y avait le feu, cause, qui éclairait les personnages, de la même façon, il y a de la lumière qui vient du soleil qui éclaire toutes choses. Là enfin le monde bascule. Il faut attendre tout cela pour que les choses soient totalement renversées. La métaphysique est un renversement des choses. Ce que nous prenons au départ pour de la réalité n’est pas. Le monde sensible et le monde matériel ne sont que des reflets d’un monde beaucoup plus vrai, beaucoup plus réel, et ce monde vrai et réel qui confère une existence absolue à ces choses-là, nous ne le trouvons pas dans le sensible, nous le trouvons dans l’intelligible. A partir de ce moment le prisonnier comprend que ce qui permet d’éclairer toute chose, de rendre visible les choses, c’est le soleil. C’est le mythe du sens du vrai, du bien dans le domaine éthique. -
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
Ce dessaisissement de soi commence avec Montaigne. Montaigne montre que si nous ne pouvons pas supporter le dessaisissement de soi, nous pouvons nous attacher à construire le monde. L’écriture repose sur un plan strictement existentiel, celui où nous essayons de reconstruire une partie de nous pour trouver une cohérence et une substantialité. Toute vie humaine, même la plus réussie, est vouée à cet aspect chaotique, elle va nécessairement tout induire d’un point fixe, ce que traditionnellement on appelle l’être. [Qu’est la réussite ? Est-ce quelque chose qui est défini socialement d’abord ? « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? » Luc Ferry. La réussite est une notion qui est une valeur, et comme toute valeur la question est : d’où nous évaluons ?]. Ne cédons-nous pas à la même tentation, poursuit G. Marcel, lorsque nous pensons comprendre Cézanne ou Van Gogh au prétexte que nous avons vu une exposition qui a rassemblé les toiles de l’artiste, c’est-à-dire l’œuvre. Or, les pages qui suivent nous mettent aux prises avec un paradoxe incontournable, que nous vivons tous, et que G. Marcel appelle le mystère. Ce paradoxe sur lequel toute existence humaine repose, à partir duquel toute existence humaine est faite, nous pouvons le résumer de la façon suivante : D’une part nous devons vivre notre vie, la dérouler dans le temps, essayer de la constituer comme œuvre, ne pas la juger, elle n’est pas forcément belle, bonne. Au sens nietzschéen si nous prenons conscience que notre vie est notre œuvre, essayons d’en faire une belle œuvre. Essayons de faire de cette existence une œuvre au sens plastique, esthétique. Voilà d’un côté quelle est la contrainte qui attend toute vie humaine, ce que justement nous appelons l’existence, la vie n’est que le processus biologique qui porte l’existence. L'existence est ce qui est traversé par la signification, la connaissance, la créativité. D’autre part, paradoxe, nous constatons tous que l’œuvre n’est pas la vie, que la vie échappe à l’œuvre, et que par définition aucune œuvre ne saurait jamais totaliser une existence. L’existence refuse absolument d’être synthétisée, unifiée. C’est bien pour cela encore une fois, que nous sommes voués à vivre dans un double mystère. Ce double mystère est le mystère même de l’existence puisque toute existence est sous-tendue à ce paradoxe, et met en œuvre ce paradoxe, à la fois cette volonté de codifier, pour peut-être la contempler, la connaître, parce qu’une œuvre se donne aussi à contempler, c’est la première chose, mais en même temps le constat que tout le monde fait, sous une forme, ou sous une autre, est qu’aucune œuvre n’est de nature à totaliser notre existence. Ce mystère de notre existence propre va être redoublé par ce que G. Marcel appelle le mystère de l’Être, sauf que l’Être lui-même est un mystère. -
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
L’une des possibilités c’est précisément d’essayer, de mettre un peu d’ordre, d’introduire de la signification. Il faut penser le monde. Il va falloir enfermer toutes ces qualités, tous ces milliards de chatoiements qu’ont les choses, ne serait-ce que sur le plan affectif, les faire rentrer de force dans des cadres constitués que nous appelons les concepts. Si nous ne faisons pas cela, nous ne faisons rien du monde. Nous ne pouvons pas penser, nous ne pouvons pas transformer, nous ne pouvons pas vivre, tout simplement. Cette tentation est celle-là même du journal. Nous aurions envie de nous poser un moment et de dire ma vie a été invraisemblable, essayons d’écrire tout cela et j’y mettrai de l’ordre. Quand je relis, toutes les notes accumulées sont reprises, retravaillées pour donner quelque chose qui est autre que la vie réelle. G. Marcel dit je cède à cette tentation de faire un peu d’ordre, synthétiser, unifier les choses, et quand je me ressaisis de ce qui est ce matériau, d’abord je ne me souviens de rien, la trahison de la mémoire est cette image chaotique, de sorte que je me retrouve avec une chose qui même passée par l’écriture, ressemble davantage « comme un amoncellement de déchets », qu’autre chose. Cela sert-il de tenir un journal ? se demande G. Marcel « Dès lors ne suis-je pas tenu de m’appliquer à découvrir ce qui demeure malgré tout, ce qui ne se laisse réduire ni à une fumée ni à un rebut ? » Il nous laisse sur cette question, c’est-à-dire cette espèce de nostalgie de l’Être que nous avons tout le temps dans le moindre repli de notre existence. A la fois, il faut l’assumer comme un flux, un kaléidoscope où toutes les qualités sans cesse se remplacent mutuellement l’une l’autre. Ceci est une expérience qui est davantage de l’ordre de la perte que de l’ordre de la saisie de soi (littérature contemporaine : Blanchot, Bataille…ne cessent de dire ce dessaisissement de soi et cette perte.) -
Ce qu’opère Beckett au niveau général de la littérature c’est un décloisonnement des genres. Jusqu’ici le théâtre est toujours associé au dialogue, un échange dialogal parotique, et le récit à la narration de fiction avec la présence et l’activité d’un narrateur. Beckett bouscule tout cela et relance l’idée en interrogeant la spécificité de chaque genre, en interrogeant Aristote et la poétique classique. Il a toujours signalé qu’elle était la nature de ses œuvres. Il donne des titres à ses textes de théâtre, même lorsqu’ils sont très narratifs, qui annoncent bien qu’il s’agit de théâtre, et que ce sont toujours des dérisions. Il indique le genre pour mieux signifier le bouleversement auquel il s’adonne. Autre élément matriciel dans Mercier et Camier c’est la présence des objets. Mercier et Camier se donnent rendez-vous pour faire un voyage qu’ils ne feront jamais. Ils restent chez eux, tournent en rond. L’éternel itinéraire chez Beckett consiste soit quitter la ville pour aller dans la lande, soit laisser la lande pour revenir vers la ville, il n’y a que cet espace là. Ils tournent en rond autour de la ville, ne sachant où aller sous peine de désastre, et ils bavardent. Ils ont les mêmes accessoires–sac, chapeau, bicyclette–que l’en retrouvera dans certaines pièces. Le monde est réduit et raréfié à deux personnages et quelques objets dans un espace complètement symbolique. Les personnages de Mercier Camier donnent lieu à la trilogie de Molloy. Les personnages de son œuvre deviennent alors les personnages de ces personnages. Cela rejoint l’idée qui traverse toute son œuvre à savoir que l’homme est condamné à se raconter des histoires. « Ce dont j’ai besoin c’est des histoires pour meubler le néant ». Le roman beckettien est très difficile, c’est une épreuve, cette absence de respiration par rapport au théâtre où la parole circule. Dans le roman il n’y a qu’un personnage qui s’invente des histoires pour supporter la solitude, est incapable de savoir si ce qu’il a inventé il l’invente complètement ou si c’est un souvenir. Il est incapable de dire qui est ce « je » en lui qui invente l’histoire. Cela donne un texte qui ne cesse de progresser et de reculer. C’est une épreuve par rapport à nos attentes habituelles de lecteur qui fait que les phrases sont censées progresser vers davantage d’informations, le long d’une ligne logique qui reste pertinente et cohérente. Là quand une phrase propose justement une proposition, la phrase suivante la relativise ou l´infirme, tant et si bien que ce qu’on avait cru prendre au sérieux à la phrase 1, il n’est plus possible de le croire à la phase 2.
-
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
Cette nécessité, cette tentation de dépasser les pures apparences et de nous réfugier dans ce que nous appelons traditionnellement de l’être pour justement unifier, synthétiser, arrêter d’une certaine façon ce flux dont nous ne pouvons nous repérer, G. Marcel l’a illustré dans l’exemple du journal intime. En effet nous retrouverions la trace de cette conception dans nos quêtes multiples et personnelles, où nous manifestons à certains moments de notre vie, le désir d’essayer un peu de nous comprendre. Évidemment nous comprendre nous amenant à cette idée d’arrêter de nous défaire dans le temps, mais au contraire de nous reconstituer, c’est-à-dire de nous constituer une deuxième fois solidement. Allons-nous pouvoir dans nos vies respectives dégager une unité, une permanence ? La tentation que beaucoup ont connue, c’est la tentation du journal intime, tentation qui résumerait cette possibilité que je veux me donner, résumer ma vie, la transformer en objet que je pourrai ainsi contempler comme de l’extérieur. Mais ces multiples cahiers qui sont censés contenir ce que j’appelle mon existence, que je contemple devant moi, sont évidemment des choses nulles et non avenues. « Ce journal que je relis avec la masse de détails qu’il renferme, dégage pour moi une impression chaotique. Ma vie a-t-elle été ce chaos ? Si vraiment elle a été cela je ne puis absolument plus rien en dire. Ce n’est plus qu’une sorte d’amoncellement, de déchet » Nous nous retrouvons devant une impasse et une aporie. Nous le comprenons sur le plan logique. Pour ressaisir quelque chose qui passe nous avons besoin d’un point fixe. L’être assure la logicité du monde. Si le monde est pensable, c’est à ce prix-là, et nous allons nous arranger pour qu’il le soit. La pensée elle-même est une sorte de coup de force. Les féministes des années 70 disaient la logique est une affaire d’homme. Il y a là un acte guerrier, on donne assaut au monde qui est un chaos d’enchevêtrement dans lequel il n’y a aucune signification et encore moins du sens, mais il faut bien faire avec ce monde pour tenter d’y vivre. -
À partir des années 20, après avoir circulé à travers l’Europe et s’être beaucoup intéressé à la peinture, il arrive comme lecteur à l’ENS de la rue d’ULM avec cette thèse consacrée sur Baudelaire, fréquente Joyce et entre dans son intimité. Entre 34 et 45 Beckett écrit des poèmes en anglais puis des nouvelles : « Bande et sarabande » traduite en français tardivement, censurée par l’église catholique irlandaise. Il est très marqué par cette censure. À partir de 46 il écrit en français et sera son propre traducteur. Avec « Mercier et Camier » il choisira la langue de l’exil. Pendant les années de guerre il entre en résistance. De 42 à 45 il sera retranché à Roussillon après avoir échappé à une rafle de la Gestapo. Pendant ces trois années il écrit pour se faire la main. C’est une sorte de discipline, d’exercice, tous les jours sans aucun projet éditorial, et c’est à ce moment que prend forme « Mercier et Camier ». Il y a en germe dans ce texte deux développements : le développement dramatique et le développement narratif. « Molloy » paraît un 51, c’est le premier de la trilogie « Malonne meurt » puis « L’Innommable » en 53 publiée par Jérôme Landon aux éditions de minuit. Cette œuvre romanesque produit un effet sidérant sur le monde de l’édition. Il se trouve dans la prose de Beckett un certain nombre de questions qui sont vite récupérées par l’étiquette nouveau roman que Robbe-Grillet suggère à Jérôme Lindon pour un certain nombre de romanciers que l’on n’arrive pas à classer. L’étiquette de nouveau roman va fédérer tous ces romanciers. Mercier et Camier représente d’emblée la triple crise qui caractérise le roman de Beckett. –La disparition de l’histoire : le roman ne raconte plus rien –La crise du sujet : le héros est totalement défait et n’est même plus un personnage –La crise de la pensée C’est trois crises seront fondamentales dans l’œuvre de Beckett et dans l’ensemble du nouveau roman. Il y a un narrateur qui raconte une histoire qui n’en n’est pas une, au sens romanesque du terme, et ces deux personnages–Mercier et Camier–comme ils ne font rien puisqu’ils n’ont pas d’histoire, passe leur temps à parler pour se dire qu’ils ne savent plus comment poser les questions. On a l’invasion du récit par le dialogue, et des dialogues entre les personnages comparables aux dialogues que Beckett attribue à Vladimir et Estragon de En attendant Godot. Ce sont les mêmes dialogues avec les mêmes questions : l’impossibilité même de poser une question. Plus d’histoire, plus de sujet. Le roman s’achemine de plus en plus vers une forme dramatique théâtrale qui est le dialogue. Et dans le théâtre plus tardif de Beckett, dans les années 70/80, il n’y aura plus de dialogue. Les personnages qui sont des voix et qui tiennent la réplique sont des voix de narrateur. Le roman s’ouvre à quelque chose qui n’a rien de narratif, le dialogue, qui prend une place considérable au détriment du récit. Le théâtre deviendra de plus en plus narratif sans échange, sans dialogue au fur et à mesure que l’œuvre se construit.
-
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
La métaphysique pose l’être comme un principe, comme une nécessité, une nécessité logique qui va assurer la pensabilité des choses. Donc l’être est un requisit, une nécessité d’abord d’ordre logique, puis épistémologique, c’est-à-dire qui va concerner l’existence des sciences, puis gnoséologique qui va concerner la possibilité même de la connaissance. L’être est cette catégorie première. Platon va poser l’être comme cette catégorie absolument nécessaire pour penser quelque chose, puis connaître toute chose. L’être va être représenté par les essences, les idées ou les archétypes. En dégageant la nécessité absolue de l’être, particulièrement de ses essences, le beau, le bien, le vrai, Platon manifeste une ambiguïté fondamentale: l’ambivalence du langage. Le langage véhicule de la pensée, est pris dans les rets du devenir puisque parler, produire un discours, c’est nécessairement enchainer selon l’antérieur et le postérieur, comme dit Aristote, des éléments du discours, des mots, des outils grammaticaux qui permettent de les articuler. Parler atteste de mon devenir. Je suis un être qui, y compris dans mon discours, est voué au devenir. Si je veux comprendre une phrase je suis obligé d’en passer par le début, le milieu, la fin. Le langage m’enracine dans le devenir, montre que tout en moi est devenir y compris ma pensée. Mais de la même façon, d’où son ambivalence, le langage révèle et dévoile qu’à l’intérieur même des mots, qui finalement épousent le devenir mais aussi la multiplicité des choses, des phénomènes, se lit l’exigence de quelque chose qui échappe à ce flux, à ce devenir, à cette multiplicité. L’existence, le cheval, la pluie, la terre sont autant de termes génériques, même si nous n’en n’avons pas toujours conscience. A l’intérieur même du langage, sans que nous nous en rendions compte, nous avons deux choses : 1°) La tentative des mots d’épouser la labilité, la fluctuance, le devenir auquel tout phénomène et nous-mêmes sommes soumis. 2°) L’emploi constant de termes génériques, même quand nous n’en n’avons pas la pleine clairvoyance, nous montrons que nous avons cette exigence de poser de l’être, c’est-à-dire de poser une essence. Il faut que le cheval existe, que la pluie existe. Il faut que dans mon esprit je puisse recourir à l’existence d’un concept, d’une essence au moyen desquels ensuite je vais pouvoir comparer les choses, les identifier, donc me les approprier, les saisir, les comprendre et dans un deuxième temps les connaître. Comprendre n’est pas forcément connaître. Nous pouvons comprendre une chose sans la connaître, et la connaître sans la comprendre. A chaque fois ce sont des opérations différentes mais possibles. Platon l’a bien compris. La métaphysique est l’aveu de la compréhension de cette nécessité, une nécessité humaine, qui ne nous dit pas ce que sont les choses, mais ce qu’est l’âme humaine, ce qu’il lui faut pour qu’elle puisse fonctionner. On comprend qu’il devient nécessaire de poser l’être, se confondant chez Platon avec les pures essences. Pour que le changement, le multiple, le variable me soient compréhensibles, en tant que tels, il me faut disposer de quelque chose qui soit permanent et identique c’est-à-dire l’être. Cette trace on peut la suivre dans toute l’histoire de la métaphysique, mais on la retrouve aussi dans les philosophies existentialistes, d’abord dans l’existentialisme chrétien qui est beaucoup plus attaché à la métaphysique que l’existentialisme athée, particulièrement G. Marcel « Le mystère de l’Être » (Ed. Présence- chapitre Ma vie p.172). -
Un exilé volontaire Beckett Samuel Beckett naît en 1906 en Irlande dans une famille de garçons, un vendredi saint le jour où « le sauveur cria et mourut ». Chaque fois que Beckett parle de sa naissance cette mention apparaît. Il est très marqué par une culture protestante, par une culture biblique très sensible qui transparaît dans son œuvre. « En attendant Godot », les deux personnages, qui ne sont pas à proprement parler des philosophes, Vladimir et Estragon s’interrogent sur la cohérence qu’il y a entre deux Évangiles à propos des larrons, où un Évangile seulement dit qu’un des larrons a pu être sauvé. Cette interrogation renvoyant à une culture de la faute originelle est toujours omniprésente dans son œuvre, même dans la clownerie, comme il appelle lui-même, de En attendant Godot jusqu’au dernier texte de sa production. Sa mère est un personnage particulier par la façon dont elle marque son rapport à la vie. Elle considère que l’éducation tient davantage du dressage que de la formation. Lui-même dit, en dehors de l’unique question et de la façon dont l’imagination a été nourrie de la culture évangélique et biblique, qu’il a été contraint à une vie religieuse pratiquante. Le père en revanche est une figure plus aimante et plus proche du fils. Il est géomètre. Et souvent dans ses œuvres –Molloy et pièces de théâtre– les personnages se mettent à arpenter et à mesurer l’espace dans lequel ils se meuvent. Beckett très proche du père a une relation difficile avec sa mère et le sentiment de la faute d’être né l’emporte. « Nous passons notre vie à expier le crime éternel et originel d’être né » (ouvrage consacré à Proust ). Le sentiment de la faute, du péché d’être né et du péché qui il y a à exister est absolument ancré et enraciné dans son enfance et dans sa culture. C’est un étudiant brillant très intéressé par les littératures–Dante–Proust–Baudelaire–la littérature allemande. Il a une fascination pour les langues et pour le miracle des mots indépendamment de leur signification. La musique des mots le fascine, les formes, c’est-à-dire les phrases que l’on peut créer avec des mots et les figures que l’on peut combiner à partir des mots. C’est ce qu’il ne cessera de faire : combiner des mots dans des formes différentes du point de vue générique. Il écrit des poèmes, au début et à la fin de sa vie, du théâtre, de la narration et de la fiction. Ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent et ce sont des combinaisons et des variations de mots autour de ces questions. Il aime les formes, les figures que l’on peut créer à partir des mots.
-
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
L’existence comme participation à l’être (Platon). Platon hérite de ce problème que lui lègue Parménide. Il va tenter de répondre à ce problème par la théorie de la participation des choses existantes à l’être. Deux grandes résonances : Phédon et Parménide. Platon va nous montrer puisque nous ne pouvons renoncer à l’être, fondement de toutes choses, sans lequel rien ne serait pensable, mais qu’en même temps on ne peut confondre les choses existantes avec l’être, introduire dans l’être des choses compatibles avec l’être, comme le devenir, le changement, qu'il faut trouver une voie médiane, une troisième voie comme dit le Sophiste (dialogue). Cette troisième voie c’est la voie participative. Il va falloir comprendre que l’être existe, pur, qu’il se décline sous les Formes, ces formes pures que Platon nomme idées (leidos), ou encore les archétypes qui sont de pures essences, des absolus invariables, identiques, tel que le bon en soi, le vrai en soi, le juste en soi… Dans le « Lachès » il est question de courage. Qu’est-ce que le courage? Lachès est un stratège qui ne comprend pas la question et dit : " moi je sais ce que c’est, sur les champs de bataille etc."… Socrate lui répond ce n’est pas ce que je te demande. Je te demande l’essence même du courage. Qu’est-ce que le courage? Platon pose que si nous pouvons déterminer que tel acte est courageux, telle conduite est courageuse, c’est que dans notre esprit nous savons ce qu’est le courage. La philosophie pour Platon, c’est cette recherche de l’essence. Il existe une essence, une entité qui s’appellerait le courage. Que contient cette idée : l’essence, la forme du courage. C’est parce que nous sommes capables de définir le courage en soi, le définir d’une façon invariable, de saisir l’idée en soi, qu’ensuite nous pouvons revenir au monde changeant, et nous pourrons nous repérer dans ces mobilités. Les choses existantes, toutes les choses existantes y compris nous, sont notre vérité, nous la tenons du degré de participation à l’être. Nos vertus sont la résultante du degré de participation que nous entretenons avec les purs esprits. Dans le système métaphysique la philosophie c’est cette discipline qui doit nous révéler cette théorie de la participation pour augmenter cette participation. Plus nous allons participer à l’être, plus nous allons nous modifier, devenir plus justes, devenir meilleurs. Il va falloir gagner des degrés d’être. Nous ne pouvons exister que par participation à l’être. Toutes ces solutions vont être revues et rejetées par l’existentialisme. -
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
Donc à partir de Parménide une coupure se fait. L’être convient à qui échappe au devenir, au changement. Tout ce qui devient change. Nous qui sommes soumis au devenir, forcément nous sommes exclus de l’être. Ceci va nous enfermer dans un certain nombre de problèmes. Parménide met en garde et dit celui qui veut mesurer l’être à l’aune de son existence s’égare sur la voie de l'opinion. Ne permutons pas l’ordre des choses, nous ne pouvons pas évaluer l’être et nous définir à partir de l’existence. Nous ne pouvons pas trouver l’identité, comprendre ce qu’est l’identité en partant de choses qui par définition ne sont jamais identiques à elles-mêmes puisque soumises au temps. L’existence ne peut rien nous dire de l’être. Le propos parménidien dit : "si tu jettes les qualités des choses qui existent, c’est-à-dire deviennent (exister ici veut dire devenir), si tu transfères les qualités propres des choses qui sont soumises au devenir, qui sont donc périssables, qui vieillissent, qui meurent pour le vivant par exemple, qui s’altèrent tout simplement pour l’inanimé, si cela tu le confères à l’être parce que toi tu vis dans ce monde changeant (« Tu ne peux pas descendre deux fois dans les mêmes fleuves, car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi.» Héraclite), alors tu rateras la réalité, tu n’obtiendras aucune vérité et tu t’égareras. Sache que tu t’égareras dans la voie obscure de l'opinion". Pourquoi Parménide dit cela? Parce que l'opinion par définition plaque et colle aux choses. Elle ne peut être que changeante, relative et donc nous donner des vérités qui sont toujours partielles, partiales, et la philosophie ne les retiendra pas comme étant des vérités. L’être est, mais il ne saurait pénétrer les choses dans l’ordre de l’existence. C’est en raison de ce paradoxe qu’il faut poser l’être au moins comme principe ou plus exactement comme fondement des choses tout en se disant que de l’être à l’existence, de l’être comme fondement des choses qui en dérivent il y a un abîme qui les sépare. La question est de savoir comment les choses, d’une certaine façon, sont. Car dans l’existence il y a tout de même un petit peu d’être. Allons-nous exclure l’existence de l’être? Mais si nous renonçons à l’être rien n’est pensable. Comment comprendre les rapports? Il faut nécessairement les séparer, les opposer. Comment? -
Il y a une réconciliation du personnage avec lui-même, qui vérifie l’hypothèse que le bonheur et l’absurde sont compatibles ( L’homme révolté– Le Mythe de Sisyphe). Camus dit dans L’Homme révolté c’est un homme qui dit non à quelque chose et s’il refuse ou renonce à quelque chose c’est parce qu’il dit oui à la vie. Ce vitalisme de Camus est isolé par rapport à Sartre et Malraux. Dans L’homme révolté les personnages font face à l’absurde. Camus croit dans l’humanité, la charité extraite d’un contexte chrétien, la fraternité qui place l’homme à la place de Dieu. L’homme est la valeur qui, dans tous les cas, justifie la vie. « Le monde n’a pas de sens supérieur mais quelque chose a du sens, et c’est l’homme, parce qu’il est le seul à exiger d’en avoir ». La Peste et La Chute présentent cette exigence de sens. Dans L’Etranger c’est l’absence de l’exigence du sens qui est exposée. La grandeur de l’homme vient qu’il exige du sens tout en sachant qu’il n’a pas les moyens de le trouver.
-
[ L’existence est fondamentalement dépourvue de sens. C’est le thème de l’absurde chez Camus où il va montrer qu’il faut en passer par ces « Fourches Caudines ». Si on ne s’est pas confronté à la déréliction on ne peut pas véritablement se construire. D’où la tentative du suicide chez Camus, le suicide philosophique.]
-
Il y a chez Camus un lyrisme, une dimension solaire d’attachement à la vie charnelle. « Dans le premier homme » Camus raconte son enfance et le rôle joué par son instituteur pour le sortir d’une famille et de l’amour d’une mère illettrée. Il passe aussi par la philosophie, c’est un élève de Jean Grenier à la Sorbonne. Il est marqué par une expérience familiale algérienne différente de celle de Sartre. Camus entre en 35 au PC mais le quitte en 37 et ne cessera de dénoncer la façon dont le PC accapare le socialisme. Le dogmatisme de Sartre s’oppose face a la liberté de Camus. Quand Sartre est professeur de philosophie, Camus est journaliste. Il commence sa carrière journalistique en faisant des reportages en Kabylie puis, rentré en France, deviendra rédacteur en chef du journal Combat en 44. C’est un pacifiste. Au moment de la guerre il écrit des textes à un ami allemand, mais, néanmoins, prendra part à la résistance en 43 malgré sa culture pacifiste. Du fait de son honnêteté intellectuelle et de son antidogmatisme, Camus est animé par l’espoir, et croit après la guerre à la vertu des résistants qui devraient gouverner innocemment. Très vite la façon dont est menée l’épuration le convaincra que résistance ne rime pas nécessairement avec vertu, ni innocence. Jean Paulhan qui vient lui-même de la résistance écrit une lettre aux directeurs de la résistance en 1951, Camus se joint à lui dans l’idée que ces directeurs se sont transformés en directeurs de conscience. Les tribunaux d’exception mis en place ne font pas honneur à la résistance ni à l’idée de la légitimité. Cette distance critique de Camus agace Sartre. D’un point de vue littéraire, en dehors des textes « Noces » et « L’Eté » consacrés à la dimension solaire de l’Algérie, Camus écrit trois romans importants : « L’Etranger » en 42 « La Peste » en 47 « La Chute » en 56. Dans La peste et La chute il y a l’obsession du mal sans rédemption. L’Etranger est un livre absolument capital par le bouleversement qu’il a opéré dans la présentation du personnage, du rapport du personnage à soi et du rapport du personnage au monde (annonce Beckett et « Molloy »). Ce qui est important c’est la neutralité du personnage par rapport à l’événement tragique, pathétique qui arrive. L’implication du personnage n’est pas possible et ce non-savoir deviendra après la guerre, 10 ans plus tard chez Beckett, non seulement « je ne sais pas », mais « je ne peux pas » savoir et n’aurai jamais les moyens de savoir. Ce roman propose un exposé neutre, dans un style oral, télégraphique, très parataxique avec très peu de phrases complètes, et présente l’opacite du monde et de soi. Dans la deuxième partie le personnage va commettre un meurtre sans savoir pourquoi exactement, sauf qu’il a été ébloui par le soleil, et refuse la visite de l’aumônier et la confession.
-
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
Je ferai intervenir Nietzsche dans la suite de l'étude. L’existence comme modalité de l’être (Parménide) Nous pourrions prendre Parménide comme fil conducteur et partir du constat que l’existence est toujours présupposée. Présupposée par notre pensée et chacune de nos expériences. Mais comme le souligne Gabriel Marcel dans son journal métaphysique : « L’esprit se doit d’oublier l’existence, s’il veut s’attacher à tel ou tel objet ». Nous voyons tout de suite où est le paradoxe, l’existence est bien la condition de possibilité de la pensée, mais elle se dérobe à la pensée. C’est pourquoi nous pouvons toujours dire avec Gabriel Marcel que le commencement de la pensée correspond au commencement de l’oubli de l’existence. L’existence est le fondement de la pensée. Elle est première non seulement au sens chronologique, mais au sens logique. Cependant elle ne saurait véritablement être un objet pour la pensée. Sans doute parce que pour la pensée il nous faudrait un point fixe sur lequel prendre appui. Nous ne pouvons penser l’existence que si nous parvenons à lui trouver un fondement, c’est-à-dire quelque chose de stable, fixe, invariable, contrairement à elle qui n’est que fluctuation, écoulement, flux donc changement. L‘existence est la négation de la notion même d’identité. Si nous voulons assurer la pensabilité de l’existence, il suffit de lui trouver un fondement (G. Marcel). Cette recherche du fondement est menée en premier lieu par Parménide et ce fondement de l’existence ce sera précisément l’être. Si Parménide pose que l’être est au fondement de tout ce qui existe, c’est donc de l’être et de lui seul dont il faut s'occuper. La pensée ne peut être que penser de l’être. Sous ce terme « être » il y a cette exigence propre à notre pensée qui est que quelque chose demeure identique à lui-même. Il faut donc poser l’existence de quelque chose qui demeure identique à lui-même pour pouvoir ensuite étayer le devenir, étayer ce qui toujours change, l’existence elle-même. Mais en même temps si l’être est précisément ce qui demeure identique à lui-même, nous devons refuser le terme d’être à tout ce qui est en devenir, à tout ce qui change. Si nous nous souvenons qu’être c’est être identique à soi-même, mais aussi être adéquat à son concept sur le plan logique, l’être ne peut être donné : «à tout ce qui nait et meurt, à tout ce qui cause ou est causé, à tout ce qui devient et change, c’est-à-dire à tout ce qui apparait d’abord comme doué d’une existence empiriquement constatable ». -
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
(Je poursuis) Première question. Puisque l’existence n’a pas d’autonomie, qu’il faut toujours la référer à l’être, est-ce que l’existentialisme constitue une sortie de la métaphysique, est-ce qu'il propose une façon de penser autre, ou est-ce au contraire une prolongation de la métaphysique, un chapitre nouveau de la métaphysique qui s’inscrit ? Deuxième question. Si nous regardons le titre du manifeste de Sartre « L’existentialisme est un humanisme » nous pourrions nous demander quel sens conférer à l’humanisme si par définition il n’existe pas d’essence générique propre à l’humanité. Si l’existence précède l’essence cela veut dire que ceci intéresse aussi bien le sort de l’individu que le sort des hommes, c’est-à-dire de l’humanité en tant que telle. S’il n’y a pas d’être, s’il n’y a pas d’essence propre à l’humanité, thèse sartrienne, si celle-ci n’est jamais que ce qu’elle se fait exactement comme chacun et chacune d’entre nous se font, est-ce qu’il ne faudra pas comprendre l’être-même, l’être comme ce qui est, le masque de la valeur ? Il y a une possibilité de croiser le chemin de Nietzsche. Ainsi Heidegger dans sa propre démarche consacre un énorme texte à Nietzsche. Pour Nietzsche, il n’y a pas d’être. L’être est dénoncé comme une sorte de simulacre qui renvoie à la valeur. Nous avons nous les êtres humains besoin d’évaluer, dire si les choses sont belles, laides, bonnes ou mauvaises, utiles, inutiles…Nous proférons sans cesse des jugements. Nous ne pouvons exister sans juger, et juger c’est peser. Cet acte est au fondement de notre existence. Le vrai cela n’existe pas, ce qui existe c’est du vrai comme valeur. Cette valeur il convient de se demander comment je la pose, à partir de quoi et sur quel critère je m’appuie pour juger. C’est ce que Nietzsche appelle la généalogie des valeurs. Toutes ces questions forment une énorme problématique et formulent la richesse de ce terme existence sur le plan philosophique. -
Naissance du concept d’existence
satinvelours a répondu à un(e) sujet de satinvelours dans Philosophie
Il peut y avoir certains malentendus avec le langage. Si l’on se rapporte au Littré exister signifierait simplement « être, se trouver, avoir lieu actuellement ». Mais le mot latin dont il dérive avait un autre sens. Sistere peut avoir bien des sens, notamment être placé, se tenir, se maintenir, subsister. Ex-sistere signifie dans l’usage latin le plus constant moins le fait même d’être que son rapport à quelque origine. L’existence signifie le fait brut qu’une chose soit, l’essence concrètement actualisée par l’être marque la nature de la chose. L’existence sert à désigner comme le fait l’existentialisme le mode d’être propre au devenir. Le sens existentiel du verbe être à été souvent obscurci. On a eu recours au mot qui désigne l’acte au nom duquel les sujets donnés de notre connaissance empirique mérite le titre d’êtres, le verbe exister -
Il y a l’influence très marquée de Kierkegaard qui a nourri la pensée phénoménologique en insistant sur l’angoisse comme la première donnée immédiate de la conscience, l’angoisse par rapport à l’opacité du monde, l’étrangeté du sujet au monde. Comment s’affranchir de cette angoisse, comment dépasser l’absurde et comment donner un sens à sa vie ? Pour Sartre c’est davantage donner un sens que donner une valeur. Ce qu’il appelle l’authenticité par rapport à l’inauthenticité des « salauds » c’est le courage qu’il y a à assumer cette angoisse et à la dépasser soit par l’action soit par l’art. Ce sont les réponses existentielles par lesquelles l’homme peut dépasser l’absurde. Mais pour le dépasser il faut d’abord accepter d’en prendre conscience. Sur le plan esthétique Sartre refuse que le récit raconte des événements. Le récit a lui aussi un caractère contingent. Cette mission assignée à la littérature sera représentée dans un ensemble de trois romans, de 45 à 49, « Les chemins de la liberté ». Il s’agit de représenter l’homme en situation faisant usage de sa liberté. Là le roman paraît philosophique voire roman à thèse. Dans le théâtre il faut montrer un caractère en train de se faire, puisque nous sommes la somme de nos actes : « Huis clos ». La culture occidentale est tellement bouleversée, on ne peut plus que proposer des décisions qui sont représentées comme des choix de personnages. Ce qui est fondamental c’est que l’homme fasse le choix. Il faut faire du lecteur ou du spectateur le témoin d’une prise de responsabilité. Il y a entre Sartre et Camus, par rapport à cette angoisse existentielle, l’étrangeté du monde et du sujet, un terrain commun. La polémique éclate entre eux à la réception de « L’Etranger » et repose sur la volonté farouche de Sartre de dépasser l’absurde et d’être incapable de penser une chose à quoi tient Camus jusqu’au bout : le bonheur. Sartre parle, à propos de Camus, de son humanisme étroit et têtu, et dit au sujet de L’Etranger « l’homme est un humaniste, il ne connaît que les biens de ce monde ». Sa rage pour Camus vient du fait que celui-ci n’a jamais envisagé que l’on pouvait dépasser l’absurde. On est condamné à l’absurde. On doit prendre conscience de cet absurde, dans une hypothèse, l’hypothèse de l’agnosticisme, et y faire face mais « il faut imaginer Sisyphe heureux ». L’absurde et le bonheur ne sont pas incompatibles. L’absurde peut s’accompagner chez Camus, alors que chez Sartre l’absurde ne peut que se dépasser.