Le tour du lac
Rester cloîtré des mois à rien branler
Contre toute attente n'est pas si chouette,
Ça soumet l'amour-propre et la silhouette
À des ennuis qu'on n'a pas calculés.
Mes fringues ont l'air d'avoir rétréci,
Je suis même à l'étroit dans mes godasses
Donc soit mon moral y prend trop de place,
Soit mes pieds ont dû enfler eux aussi.
Fini de manger comme quatre porcs,
Surveiller sa ligne, ce n'est pas digne
Que des pêcheurs et des juges de ligne,
Et dorénavant je me mets au sport.
À l'aurore, je mets un placard à sac
Pour en extraire un survêt' et des grolles
Que j'enfile sûr de tenir parole
Et d'enquiller pénard les tours du lac.
Mais c'est à peine si je sais courir
Et, le cœur en avance sur son âge,
Après un quart de tour je suis en nage,
Je halète, j'ai mal, je veux mourir,
Je suis même sur le point de coter
Cette résolution « échec ultime »
Au moment où je crois être victime
D'une attaque, en cardiaque patenté.
La faute à une joggeuse au minois
Transpirant l'effort dans une grimace
Qui peine à en dénaturer la grâce
Cependant qu'elle galope vers moi.
Soudain gonflé d'allégresse, je feins
De ne pas avoir les jambes en mousse,
Persévère pour revoir sa frimousse
Et de nouveau respirer son parfum ;
La recroise trois quarts de tour après,
Et le jour d'après, et les jours qui suivent,
Elle est pour moi comme une coach sportive,
Mais sans m'engueuler et sans faire exprès.
Aujourd'hui, presque un mois s'est écoulé
Depuis que j'ai quitté mes pantoufles,
J'espère avoir bientôt assez de souffle
Pour ne stopper qu'afin de lui parler.