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Tout ce qui a été posté par Marc Galan
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AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton
Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Plusieurs de nos chevaux, ceux d'allure la plus solide, furent atteints de morve. Nous n'avions aucune monture de rechange. Nous passions nos journées, entre nos massacres inutiles et désespérés, à nous lamenter sur notre sort. Où nos bêtes, notre seul atout, nous rendant plus prompts à l'attaque que l'ennemi et compensant le handicap de notre faible effectif, l'avaient-elles attrapée ? Kleworegs et les siens connaissaient ce mal. Ils en craignaient encore plus la contagion. Il frappait tant les animaux que les hommes. Il y a deux ans, il avait perdu ainsi son plus beau cheval. Pewortor s'en souvenait. Son roi avait pleuré ¿ autant que lui quand sa première femme était morte et à coup sûr plus que lorsque ça avait été la deuxième ¿ au moment où il l'avait mené se perdre dans une fondrière. C'était un crève-c¿ur d'abattre un si fidèle ami. Tous avaient compati. Les maladies du bétail étaient leur hantise, plus sans doute que les leurs. Ils se rembrunirent. Ils en avaient tous un mauvais souvenir, leur brûlant la langue. Il les prévint, imposa le silence. ¿ ... Au bout de quelques quartiers, nous en avions perdu un tiers. Nous devions leur demander de tirer nos chars à demi effectif. Même en alternance, ça leur était pénible. Nous avions d'ores et déjà perdu tout l'avantage que nous donnait leur possession. Nous n'avancions plus qu'à la vitesse d'hommes au pas. Comment courir sus à l'ennemi ? Nous avions assez à faire à songer à nous garder de lui, à l'éviter... ... Dernier coup du sort, le pire sans doute, nous vîmes un jour un camp ennemi. Il nous parut beaucoup trop gros pour nos faibles forces. Loin de songer à l'attaquer, nous l'esquivâmes, soulagés, malgré l'envie et l'insistance de notre chef, seul de nous tous à croire encore à notre succès. Mourir est beau quand Thonros est avec soi. Dans notre état, nous doutions de livrer un digne combat. Nos massacres nous avaient un peu endurcis. Nos malheurs avaient détrempé, comme pourri, l'étoffe de notre courage. Qui sait si, au moment de bien mourir, certains d'entre nous ne se seraient pas enfuis, et notre troupe ne se serait pas égaillée comme une bande de moineaux, préférant une vie de honte et d'opprobre à un glorieux passage vers les terres où Thonros entraîne les héros à sa suite ? Dans notre situation, quoi de surprenant ? Le mal rongeur était dans nos c¿urs et notre sang... -
AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton
Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
... Il cristallisa en nous cette volonté. Il voulut convaincre tous ceux en âge de se battre de venir avec lui. Tous eussent accepté, je ne serais pas ici à te conter notre triste histoire. Bon nombre furent sourds à son appel. Petitesse et peur nous coûtèrent cher. En comptant ces lâches, nous aurions été non loin de soixante. Les moindres éléments eussent au moins fait nombre, qui eût dissuadé nos ennemis. Il nous eût évité d'être exposé à leur assaut... Nous ne fûmes que la moitié. ¿ C'est vrai, à plus de cinquante, on ne risque pas de se faire attaquer, sauf en embuscade. é vingt ou trente, c'est la curée dès qu'on vous aperçoit. Chaque fois que nous avons trouvé un tas de cadavres en rase campagne, où l'on a le temps de voir venir les assaillants et de se préparer à leur assaut, c'était toujours autour de tels chiffres, jamais au-dessus. ¿ ... Aux premiers bourgeons, nous partîmes. Notre équipement était aussi piètre que celui de nos devanciers. Et pour vous dire à quel point nous étions mal engagés, nous n'avions, comme nos prédécesseurs, pas même une prêtre. Revêtus d'une cuirasse d'invincibilité, nous ne serions pas plus partis en vainqueurs. Notre avenir le plus probable sur cette terre était de n'en avoir aucun. Nous nous en moquions. Entre vivre en lièvre furtif et craintif, que le goulpil, la fouine et la martre dévorent, que le hérisson méprise (à preuve sa prière exaucée d'être couvert d'une piquante cotte afin de n'en souffrir la promiscuité), et mourir dans la gloire pour rejoindre aux combats de Thonros nos frères disparus, nul n'avait hésité... ... Nos débuts ne méritent pas le nom d'exploits. Pour commencer, histoire de nous faire la main, nous lançâmes quelques attaques-éclairs sur des camps sans défense. Nous nous livrâmes à un massacre, même pas, un abattage de vieillards paralysés par la surprise, de femmes épuisées par les travaux et les maternités, d'enfants à la mamelle. Encore eûmes-nous, au cours de ces raids sans gloire, un mort dans nos rangs, désarçonné par son cheval. Une femme avait jeté un tison ardent sur les naseaux de sa monture. Il était mal tombé. Il s'était brisé le cou. C'était une triste entrée en matière... ... Ajoutez-y un butin à pleurer : quelques volailles et moutons étiques, ne valant pas, de loin, nos efforts. Vous aurez une idée de notre moral. Cela ne suffisait pas. Une nouvelle calamité nous tomba dessus. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
« Et que fais-tu de la gloire d'Aryana ? Crois-tu digne de nous d'attaquer des paysans ou des pasteurs isolés pour leur prendre trois moutons ou quelques jarres de grain ? » ... ... Par courtoisie et pour ne pas violer l'hospitalité, il n'alla pas plus loin. Il ne lui fit plus aucun reproche, ne mit en cause ni son courage, ni le bien-fondé de ses décisions. Aucun de nos vrais guerriers, parmi ceux qui avaient entendu sa réplique, ne lui en tint rigueur. Ils partageaient son indignation. Ils l'auraient volontiers reprise. Ils attendraient la prochaine assemblée. Le plus indigné, si l'on peut étalonner l'intensité du sentiment qui nous accablait tous, était le second fils du roi. é notre commune douleur s'ajoutait son déchirement d'être à la fois le frère d'un héros et le fils d'un homme veule, pusillanime et sot. Cette double parenté lui était un mystère... sans doute Bhagos qui aime à se jouer des mortels l'éprouvait-il. ... Notre visiteur, écourtant son séjour, prit congé. Le second fils sut alors quel était son devoir, sinon son destin... ... La saison froide suivante fut la plus douce que nous ayons connue, sans même un jour de gel¿ Il était tout dans nos c¿urs, et d'autant plus cruel. Le soleil l'en chassa d'un coup lorsque le cadet, arrivé à son tour à l'âge de combattre et diriger un raid en terre ennemie, nous annonça sa décision. Il prendrait la suite de son frère. Il nous conduirait, après lui, sur la glorieuse voie du guerrier... ... Il partirait se battre contre les Muets, comme son aîné, et récolterait un copieux butin. Ensuite, leurs voies divergeraient. Il ne s'en retournerait pas vers les Loutres. Ce nom disait trop de faiblesse, de lâchetés, de honte. Il créerait un nouvel village, aux portes du fief de nos proies. Il en partirait chaque année, avec des hommes vaillants, pour fondre sur elles, les frapper de terreur, les dépouiller. Nous serions ces hommes, flambeaux de notre race, fléaux de ses ennemis. Nous nous associons tous à ses projets, brûlions de le suivre. Tant que son père y régnerait, et il était encore jeune, notre wiks serait de moins en moins celui de la loutre, de plus en plus celui du lièvre, bête lâche s'il en est. Quel guerrier voudrait en devenir roi ? La sagesse, l'honneur, nous imposaient d'en créer un nouveau... -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
... Il ne revinrent pas. Au début, nous en fûmes fiers. Cela ne signifiait qu'une chose. Ils avaient pénétré chez l'ennemi. Ils y perpétraient des raids sanglants et profitables. Arriva la fin de la canicule. Ils ne revenaient pas. Les moissons s'achevèrent. Ils ne revenaient pas. Les arbres avaient perdu leurs feuilles. Ils n'étaient toujours pas revenus. Nous dûmes, alors, enfin admettre ce que nous avions craint dès les derniers jours du temps des combats. Ils ne reviendraient jamais plus. Si nous nous réjouissions de les savoir chasser avec Thonros, leur perte ne nous en était pas moins pénible. Si nous avions été avec eux, nous serions tous rentrés, porteurs d'un riche butin... Nous avions honte... ... C'est au début de l'hiver que nous eûmes enfin le fin mot, par un guerrier venu troquer, de ce qu'avait été leur fortune. Leur groupe avait pris un butin énorme¿ butin, par son énormité même, disproportionné. Il le handicapait, le faisant tortue ou limaçon. Incapables de se battre et de garder leurs biens en même temps, ils perdraient, assaillis par un fort parti de Muets, et le fruit de leurs raids, et leur vie. Les amis du visiteur le leur avaient dit. Ils avaient pris un sourire contraint et navré. Ils devaient refuser, toute envie qu'ils en aient, de se joindre à leur troupe plus nombreuse. Thonros en eût été offensé... ... Cette rencontre avait eu lieu environ une lune avant la fin de la saison des combats. Notre hôte décrivit la splendeur de leur butin. Il en détailla avec envie les prises : bijoux mal ouvrés, mais superbes, nombreux captifs excédant de dix fois le nombre de nos hommes, gros bétail, chevaux, dont un parmi les plus beaux qu'il ait jamais vus. Son chef avait proposé au fils de notre roi de l'échanger contre deux, puis trois des siens. Il avait refusé. Qu'ils patientent ! S'ils en voulaient toujours, il serait à la saison froide dans les enclos des Loutres... ... Plus que des dépouilles ou le récit d'un témoin de leur fin, cette simple phrase confirma nos craintes. Ils ne reviendraient pas. Quand notre roi, son père, eut fini d'écouter, il resta immobile, comme saisi, un long moment. Il parut enfin comprendre. Il demanda à la cantonade : « Pourquoi n'a-t-il pas attaqué que des petits groupes, pourquoi ne s'est-il pas contenté d'un petit butin ? C'eût été tellement plus sage ! » -
Pour ma part, je préfère "Illusions perdues" (surtout la deuxième partie, la vie de Lucien de Rubempré à Paris) et "La cousine Bette"
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Il tendit les mains. Il la prit, précautionneux comme la jeune accouchée avec son enfant. Il la scruta avec la même attention aimante. Il examina son tranchant, l'éprouva, le caressa d'un pouce connaisseur. Enfin, il la saisit par le manche, la fit tournoyer. Malgré la peine que ce geste lui coûtait, malgré la douleur qui l'agrippait, il souriait. Toucher après si longtemps une aussi bonne arme était un bonheur sans pareil. Il eût trouvé une volupté rare à tomber mort, d'un coup, cette masse à la main. La nécessité, l'urgence absolue de faire revivre le souvenir des fils du roi, le retint. ¿ Ah ! Sentir entre ses mains arme aussi noble... et se rappeler les leurs. L'aspect et la qualité des glaives du fils et de ses proches passaient encore, mais le reste avait des cuivres mal dégrossis et à peine terminés. Il s'en justifia. Il serait stupide de confier de bonnes lames à de tout jeunes guerriers. Certains rejetèrent cet argument. Il ajouta qu'il fallait, par piété, garder les meilleures pour orner la tombe de ceux qui viendraient à partir dans l'au-delà. C'était, c'est toujours, son idée fixe. Il veut être inhumé avec beaucoup de belles armes, qu'il garde avec un soin jaloux¿ Sait-il encore s'en servir ? Il croit que Thonros, le voyant arriver ainsi équipé, le prendra pour un très grand guerrier. ¿ Plutôt ton livreur, Pewortor ! ¿ Pas de blasphème ! ... Continue, je te prie. ¿ ... Ils partirent. Dix mains d'autres guerriers, dont j'étais, les saluaient, rage au c¿ur. Ils regrettaient de ne pouvoir les accompagner. é moins d'une particulière protection des dieux, ils partaient à l'échec ou à la mort. é peine le dernier hors de vue, notre roi déclara à ses proches (Mais je l'ai entendu, un peu par hasard.) qu'en leur offrant d'aussi mauvaises armes et en les forçant à partir à si peu, il espérait les décourager et les voir revenir sans tarder, mine penaude, pleins de raison, prêts à renoncer à la voie du guerrier héroïque pour celle, plus raisonnable, du seigneur terrien : « En mauvaise posture, quand Thonros n'est pas avec soi, faire retraite n'est point honte. » Son fils partait pour laver une honte. En pareil cas, ce précepte ne s'applique plus... -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
... Tous deux le savaient. En deçà, une expédition n'est qu'une suite de coups d'osselets. En excluant les lâches et les bancroches, d'esprit ou de corps trop faible, nous étions quatre-vingts. Le fils lui en fit mainte fois la remarque. Il ne lui en accorda que trente. Encore ne fut-ce qu'après des heures, sinon des jours, d'acerbes discussions. Il avait besoin de nombreux guerriers pour nous protéger des Muets. Il ne pouvait lui en laisser que vingt. Comme il se vantait tous les jours du calme exceptionnel, cet argument tomba à plat. Il persista. Nous ne pouvions rester sans défenseurs. Les loups n'avaient pas attaqué, les porcs sauvages n'avaient pas saccagé et dévasté les récoltes, depuis longtemps. Ils viendraient bientôt¿ Ils arrivaient ; ils étaient là ; ils guettaient leur départ. Il devait enfin prévoir des chasses au cas où le raid serait un échec. Pour ces traques et battues, il fallait des guerriers, et nombreux... ... Enfin, chacun marchandant ¿ Je calomnie le fils. Il défendait notre renom ¿, il mit sous sa bannière le tiers des guerriers. Par le nombre, cette troupe était dérisoire. En ne désignant que les plus tendres, retenant, malgré leurs protestations, les vétérans et les meilleurs pisteurs, il voulait en accentuer l'aspect puéril. Ce fut le cas aux yeux des couards, à commencer par les siens¿ Pas de ceux qui auraient voulu les assister et les soutenir. Ils admirèrent du fond du c¿ur, priant Bhagos puisque tout en dépendait, ces trente jeunes pleins de fougue, pour certains à peine sortis de l'adolescence, avides d'aller au combat et d'en ramener butin et trophées. Leur inexpérience ne fut pas sujet de moquerie. Ils portaient notre honneur. Nul ne doit rire de ce qui y touche... ... Des novices, en nombre réduit. Il aurait pu, pour compenser leur impréparation, leur confier de belles armes, légères mais solides. C'était mal le connaître. Même cet effort, il ne le fit pas. Pourtant, à l'époque, nous n'en manquions pas. Notre armurier, mort peu avant, avec ses fils, dans l'incendie de sa forge et sa maison attenante, avait fondu pour le clan de fortes haches, bien que minables à côté des vôtres... Elles sont superbes. C'est un plaisir de les admirer. ¿ Tiens, prends la mienne, regarde-la ! -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
C'est en une de ces occasions qu'il expliqua à ses fils, devant nous, que nous n'en aurions, Dieux merci, jamais usage. Les Muets avaient été repoussés et ne reviendraient plus... Quant aux têtes brûlées qui leur courraient sus, tant pis si elles y laissaient la vie. L'avenir du guerrier était de gérer son domaine et de posséder un troupeau et des bois. Ils assurent viande et gibier quotidiens... Le reste n'était que gloriole... ... Vous en restez bouche bée. Certains de nous avaient encore des parents très âgés, les ayant élevés dans la loi de Thonros. Ils réagirent comme vous. Nous continuâmes cependant, tout en en ressentant l'inanité, à nous entraîner. Les deux frères devinrent de puissants guerriers. C'était la meilleure preuve, et même leur père ne put la contester, que l'esprit de Thonros était en eux... ... Vint l'année où l'aîné fut en âge de guerroyer. Bien qu'un père ait autorité sur ses enfants jusqu'à sa mort ou à la renonciation à son pouvoir paternel, il ne peut sans sacrilège les empêcher de partir combattre. Ses exhortations à opter pour la médiocrité où il se complaisait, malgré sa visible répugnance à lui répondre chaque fois qu'il l'entreprenait sur ce raid le laissèrent froid. Il dut le bénir et l'équiper pour l'accomplir et le mener à bonne fin... ... Une dernière fois, il le morigéna. Il serait plus sage de laisser les paysans cultiver la terre et payer leur tribut que d'aller se battre. Devant son indignation, il lui suggéra d'organiser une battue, elle aussi repoussée. é la fin, il céda. Il lui dévolut son titre de chef de guerre. Il aurait toute autorité sur les guerriers dans le cadre et pour la durée de l'expédition. Puis, toujours déterminé à le détourner d'une ambition qui l'effrayait, il lui demanda ce dont il avait besoin, en hommes et en armes... ... Pour un raid chez les Muets, il faut être environ soixante. En dessous, on sort des mains de Thonros pour tomber dans celles de Bhagos. é soixante, on forme une bonne troupe. On peut avoir des malades et commettre les novices à la garde des captifs et du butin. é moins, il faut choisir entre vivre sans rien garder de son butin, ou périr en défendant les fruits de son équipée. é quoi sert une telle expédition, sans objet ni sens ? On se rabat sur le vol de petits troupeaux isolés, en se gardant de ne pas s'éloigner du territoire-sanctuaire d'Aryana. Peut-on tomber plus bas ? Ce butin ne méritera pas le nom de prise de combat, mais de pillage à la mode des brigands. On n'en tirera nulle gloire, que honte et mépris... -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Quand il s'agissait de cultiver, et bien qu'il n'eût à s'en mêler, il fallait aussi qu'il intervienne. Il harcelait les paysans pour qu'après avoir semé juste le grain nécessaire à la prochaine récolte, ils transforment le reste en semoule. Il s'en méfiait. Possesseurs de trop de réserves de semences, ils les répandraient sans rigueur et s'y prendraient à trois ou quatre reprises, au gré de leurs caprices ou de la pousse. Au lieu de protester, ils devraient le remercier. Semer une seule et bonne fois les obligerait à faire, d'emblée, des semis parfaits et leur éviterait la fatigue de les répéter en cas d'échec. Il ajoutait, devant leur stupéfaction, qu'il avait appris que la semoule se conservait mieux et attirait moins la souris que le grain, presque toujours sujet à germer, en plus, si le temps se mettait à l'eau. De toute cette sollicitude, ils se moquaient. Loin de l'écouter, ils cachaient leurs céréales et lui témoignaient une noire ingratitude... ... Ce ne sont que fautes mineures. Si seule l'ingéniosité et les ruses des paysans nous sauvèrent à plusieurs occasions de la disette, cela arrive là où les guerriers se mêlent des cultures. Ils doivent obéir aux Jumeaux de la nature plutôt qu'à leur roi. Je compterai pour plus important les deux frères tués par des mange-miel, qui se rirent de leurs gourdins. Mais ce sont les pires fauves, contre qui le glaive n'assure pas la victoire. Non, son grand crime fut tout autre, mais dans la droite ligne de sa crasse, et frappa ses deux fils. Sache d'abord, avant tout, de quelle manière stupide il les traitait. Ici, il les couvrait de beaux vêtements dignes de leur naissance. En dehors, il ne les vêtait que de peaux râpées. Peut-être craignait-il un de ces défis qu'attire souvent une splendide fourrure. Nul ne provoque un loqueteux. Tu devines notre prestige... Peut-être s'en moquait-il... ... Plus stupides encore, criminelles, étaient ses interventions au cours de nos entraînements. S'il supportait de bon c¿ur que nous combattions comme des brutes avec nos armes de bois, pleines de vertus pour se préparer et étudier tous les mouvements de l'assaut, il nous interdisait l'usage des vraies au prétexte que, même protégées par un fourreau ou une gaine pour éviter que nous nous infligions des blessures trop graves, nous risquions de les ébrécher ou les briser. Comme si on lutte bien si on n'a pas senti au bout de son bras le poids du métal ! Nous devions ruser pour nous en servir. Plusieurs fois surpris à les utiliser en cachette, nous reçûmes des corrections à nous coucher un quartier ou plus. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
¿ C'est toi qui craches ! Comment peux-tu parler ainsi ! ? ¿ écoute-moi, et comprends ma colère. Elle bouillonne depuis si longtemps. ¿ Vas-y, je suis tout ouïe ! ¿ Il y a neuf ans... dix saisons de combats, ce village était le même. Nous avions le même roi. é l'époque comme aujourd'hui, la même petitesse, la même pauvreté d'ambitions, la même incapacité à voir au-delà du quotidien, plus loin que son ventre, guidaient ses pas... ... Il avait deux fils. Deux fils si différents de lui, bien qu'ils aient eu un peu son allure, que des esprits mal intentionnés, une race qui ne manquait pas et qui ne va pas disparaître, insinuaient qu'ils n'étaient pas de lui. Si quelqu'un avait dégénéré, ce n'étaient pourtant pas eux, vrais fruits de nos branches guerrières, mais celui qui leur avait donné son nom. Il était loin d'être un mauvais père mais était, vice indigne de sa caste, inapte à saisir leurs désirs. Son rêve, ce vers quoi tendaient tous ses efforts, était de leur garantir un joli domaine, des terres bien cultivées, des paysans dociles et soumis. L'idée de risque et d'héroïsme, notre guide, lui était étrangère... ... Notre village allait s'appauvrissant, jarre fêlée qui se vide sans qu'on n'en voie ni qu'on n'y puisse rien. Notre bétail ne se renouvelait pas. Nos terres, à peine effleurées par l'araire, ne donnaient qu'au gré de la bonté, par bonheur grande ces derniers temps, des dieux... Il ne travaillait qu'en demi-mesures. Tout l'effrayait. Chasses, semailles quand il s'en mêlait, hospitalité, tout était mesuré, calculé, congru, souvent, même, trop juste... ¿ C'est vrai, à part la bière, on n'a pas été gâtés. Aujourd'hui, on n'a même pas été invités à banqueter. C'est l'usage, pourtant. Kleworegs lança un regard noir au perturbateur. Il fit signe au guerrier de reprendre. ¿ Ton voisin a donné un exemple parfait de sa mesquinerie. La loi, rien de plus, pas un geste de ner... Encore est-ce la bière des paysans, l'hospitalité à leurs fêtes et sur les couches de leurs servantes, plutôt que les siennes, dont vous avez joui. J'en ai bien d'autres. Pour chasser, il nous ordonnait de prendre des bâtons, bien suffisants contre le gibier rencontré d'habitude, mais on en trouve parfois qui se rit de ces armes trop faibles. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
LES MORTS VICTORIEUX Kleworegs leur avait souhaité une bonne nuit. Il se dirigea tout droit, sans perdre un instant, refusant même une dernière cervoise, vers la maison d'hôtes. Son témoin l'y attendait. Il avançait d'un pas vif, faisant tressauter son torque et ses bracelets. é peine entré, il interrogea ses hommes : ¿ Vous l'avez eu ? Une voix inconnue lui répondit. Il en apprécia d'emblée le ton. ¿ Je suis là, Kleworeg reg e ! Il s'en approcha, l'examina. La lueur des torches accentuait ses traits volontaires et désenchantés. Un héros à qui la gloire s'était refusée, et qui le savait. Il remua à nouveau les lèvres. Il désigna les guerriers à son chevet. ¿ Toute la journée, ils m'ont abreuvé de tes actions d'éclat et de leur joie d'être avec toi. Ma longue attente est finie. Enfin, je peux tout raconter. Vous entendrez. Vous comprendrez. Tu décideras comment laver la honte et rendre l'honneur. (« Il a raison. C'est la fin de sa longue veille... sans doute, aussi, de sa course. ») Kleworegs s'arrêta, accablé. L'estropié le suivait des yeux. Il releva la tête. ¿ Parle. ¿ Aidez-moi à m'asseoir. Sa voix, faible, était très claire. Il irait jusqu'au bout, sans faillir. ¿ Roi, tu as vu hier ces femmes laides, couvertes de joyaux précieux, le regard qu'elles jetaient aux guerriers, et le visage rouge de honte qu'ils arboraient¿ Cette nuit-là, ils se rappellent. Cette honte ne dure pas. Le lendemain, ils l'oublient. Ils n'en donnent pas la raison à ceux qui arrivent à l'âge de combattre. Pire, dans quelques jours ¿ tu seras alors parti ¿ ils se pavaneront, tout fiers de leurs récoltes et du calme. Ni les unes, ni l'autre, ne viennent d'eux. Ils s'en attribueront pourtant le mérite... ... Notre histoire ne se conte qu'en récoltes, bonnes ou mauvaises. Si encore nous étions un wiks où ne vivent qu'un prêtre ignorant et des paysans, ce serait conforme au plan divin. La fierté de ses membres serait légitime. Mais il a toujours eu des deuxième caste... ... Pourtant, depuis que je suis en âge de juger, il n'a été que deux ans, deux ans, pas plus, un clan de guerriers, dont on pouvait être fier d'être. Le reste du temps, mon wiks... J'ai honte de l'appeler ainsi, une gueuserie le mérite plus, a été une tourbe, crachat à la face de Thonros. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Sitôt changé, le grabataire fit signe à ceux qui l'entouraient. Ils le prirent chacun sous une épaule et le soulevèrent. Il n'était pas lourd, mais ses jambes flanchaient à tout moment. Ils n'étaient pas trop de deux pour lui permettre d'avancer sans peine. é peine sortis, un guerrier de sa taille prit le relais de la femme pour éviter le déséquilibre. Soulagée, elle s'éclipsa, si vite qu'on eût pu douter qu'elle ait existé jamais. Ils continuèrent leur chemin. Parfois, ils sentaient sur eux un regard. Il pouvait être fier ! Se saouler à ce point. Pas étonnant qu'il se soit tordu les chevilles dans les ornières. éa lui apprendrait. La prochaine fois, il n'aurait pas les yeux plus grands que la panse. Il joua le jeu. Les oreilles indiscrètes en eurent pour leur bétail. Le petit groupe arriva, dans la discrétion voulue, à destination. On le déposa sur une couche. Un guerrier lui apporta de l'hydromel. La longue et pénible marche lui avait arraché force plaintes. Cette liqueur était la bienvenue. Il le fit savoir. La première corne vidée, on la lui remplit. Désaltéré, il releva la tête. Qui d'entre eux était Kleworegs ? ¿ Aucun. Il n'est pas ici. Je vais t'expliquer. L'homme lui exposa son plan pour le rencontrer et entendre de sa bouche le secret du wiks. Après une nouvelle corne (« éa me change de leur foutue cervoise ! »), l'estropié reconnut à Kleworegs, en plus de la vaillance, de la ruse et de l'esprit. Il était conquis. Il lui dirait tout. Les dieux l'inspireraient pour punir le village de sa lâcheté et le remettre, si c'était encore possible, sur la voie de l'honneur. Il déclina l'hydromel offert avec libéralité. Il l'attendrait. Il les pria en revanche de raccourcir cette attente en lui narrant ses triomphes. Leurs <em>neres</em> leur avaient, tout le jour, fait les honneurs de leurs domaines. Comme Kleworegs en avait décidé, ils s'étaient extasiés et récriés d'admiration devant tout ce qu'ils leur montraient, les retenant en se faisant tout commenter. Devant des visiteurs aussi complaisants, ils n'avaient aucun scrupule à ce faire. Ils leur avaient fait découvrir, motifs à s'enthousiasmer à chaque instant, la qualité des champs et des emblavures, la richesse des prés à l'herbe grasse, la beauté du petit bétail représentant l'essentiel de leur cheptel. Le soleil était déjà bas quand ils revinrent. Sa petite équipe avait eu tout le temps de régler le problème de l'estropié. Et nul ne les dérangerait. Les siens avaient saoulé de bon hydromel ceux qui les avaient saoulés de leurs piètres prouesses. Il était d'excellente humeur. Les Loutres tout autant. Quelques femmes s'étaient étonnées du manège de l'après-midi et leur en avaient fait part. Les ennuyer de broutilles quand ils étaient tout occupés à raconter combien leurs hôtes avaient apprécié leur courage, leurs actions et leur prospérité. Ils les avaient rabrouées avec rudesse ou ne les avaient pas écoutées. Avant de s'écrouler, éméché, sur sa couche, aucun ne conçut le moindre soupçon. FIN DU CHAPITRE 6 -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
La diversion comme le transfert du grabataire devaient se dérouler à l'insu des Loutres. Kleworegs avait gratté là où ça démangeait. Leur roi et ses guerriers s'interrogeaient. Ceux du Cheval ailé avaient-ils remarqué leur gène de la veille ? Si jamais, ils la leur feraient oublier. Montrer où avait eu lieu le combat avec les loups, leur seul exploit depuis des lustres, y contribuerait. Ils s'y appliqueraient tous. Ils accueillirent sa demande avec enthousiasme. Il n'en manqua pas un pour l'accompagner. Tous firent de longs récits qui les occupèrent la journée entière. Les loups y prenaient des allures de monstres. Les battues y devenaient des actions dignes des épopées célébrant Sek le chasseur. Kleworegs et les siens n'étaient guère amis de la vantardise. Ils n'en montrèrent rien. Elle servait trop bien leurs projets. Au contraire, ils l'encouragèrent. Leurs hôtes savaient raconter. Autant goûter le miel de leur beau récit et oublier l'absinthe de leur fausse parole. Ceux chargés de s'occuper du guerrier partirent, en compagnie de la vieille, vers sa hutte. L'unique rue du village était vide. Le seul risque d'être remarqué serait une sortie inopinée. Medhwedmartor avait trouvé moyen d'y parer. Il avait interrogé la femme. Il avait pris leur vêtement le plus criard et l'avait passé sur le dos de l'homme dont l'aspect était le plus proche de celui de l'invalide. Si on l'apercevait, on ne se souviendrait que d'une silhouette et d'une tunique. Ils arrivèrent devant la cahute. Elle se pencha, chuchota vers une forme visible d'elle seule. Elle était de retour avec les gens de Kleworegs. Ils étaient prêts à le soutenir, voire le porter, jusqu'à la maison d'hôtes. Le grabataire l'invita à entrer avec l'un d'eux. Medhwedmartor envoya le guerrier à la tunique voyante. Il savait quoi faire. Il ne perdit pas un instant. Il ne salua l'estropié que d'un vague signe de tête, invisible dans la pénombre du taudis. D'emblée, il lui dit leur plan. L'homme se redressa, prêt à se revêtir de la défroque. Il l'ôta et la lui tendit. Pourvu qu'elle ait bien estimé leurs corpulences respectives ! Hasard ou savoir, on l'aurait crue taillée pour lui. Ce petit signe amical de Bhagos laissait présager des révélations pleines d'intérêt. -
AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton
Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
¿ S'il faut en passer par là !.. éa va être difficile. Comment l'amener ici en silence, plus, en secret ? ¿ Medhwedmartor avait la solution. ¿ C'est vrai ! Eh bien, vous, là, allez trouver le roi et demandez-lui de vous montrer où il a vaincu ses loups. Ensuite, priez-le de vous faire visiter son domaine. On aura le temps de le récupérer et de l'amener au camp. ¿ C'est ça ! On va s'***** à visiter ce village minable et à écouter sur la chasse aux loups des banalités, et rater le récit de son secret. Nous ne le saurons qu'après, de seconde main. Entendre un exploit de la bouche d'un héros, ou une vilenie de la bouche d'un témoin, te met à sa place. D'autres lèvres, c'est nous servir de la bière recrachée. Toi-même, ne tiens-tu pas à nous conter toutes tes actions afin de faire de nous des guerriers à rivaliser avec toi ? Kleworegs dévisagea le protestataire. Une des rares sentinelles à avoir su réagir en combattant aguerri le jour où il avait mis à l'épreuve leur vigilance. Il avait apprécié son attitude. Le jeune homme au nez trop long, dos tourné vers l'arbre, corps bien dans l'axe de sa lance, avait scruté par-dessus son bouclier d'où pouvait venir un nouveau coup. Ce serait injuste de le frustrer, lui et ceux chargés de détourner l'attention des villageois, de la révélation. ¿ Tu as raison. Voilà mon plan : Nous rendrons visite ensemble au roi et nous nous ferons montrer où étaient les loups. Après, chacun essaiera de retenir tous ceux qu'il peut autour de lui. Parlez-leur de vos cochonneries de cette nuit, c'est ce qui aura le plus de succès. Pendant ce temps, quelques-uns iront me le chercher et me le ramèneront au camp. ¿ Il vaudrait mieux que ce soit ici, à la maison des hôtes. Nous aurons moins de chemin à faire, et ceux du village ne peuvent y entrer que sur notre invitation. Par contre, pendant les trois jours d'Aryamenos, ils sont comme chez eux dans notre camp. Ils risquent d'y venir et de tout découvrir. ¿ Oui, c'est vrai ! On fait comme ça ! Dis-moi, femme, ils ne vont pas vérifier s'il est chez lui ? ¿ Non, y l'évitent. Vous avez pas à vous inquiéter ! -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
¿ Va le chercher, et ramène-le moi ! ¿ C'pas possible. ¿ Un chevreau, peut-être un agneau... ¿ C'pas d'la mauvaise volonté. J'veux bien aller l'chercher, mais j'peux pas vous l'ram'ner. ¿ Voyez-vous ça ! ¿ Mais y peut pas s'déplacer. Y va comme une limace ! L'est si estropié qu'y lui faudrait la journée pour venir. Tu comprends ? ¿ Je ne peux pas aller chez lui comme ça, ce serait violer l'hospitalité. ¿ J'vais aller l'voir, uy dire qui t'es, tes exploits. J'uy dirai qu'tu veux l'voir. Si y t'trouve assez bien, y t'parlera. éa s'rait bien qu'il accepte, même si qu'ça va nous valoir d'gros ennuis. C'est un gars bien, l'seul homme ici. ¿ Eh bien, va ! Et sois éloquente¿ Euh¿ Fais-toi comprendre ! Elle avait pénétré dans la hutte. La discussion avait l'air de s'y éterniser. Kleworegs, avec sa notion particulière et très subjective du temps, s'impatientait. Le court moment depuis lequel elle était à l'intérieur de la demeure du « seul homme ici » s'étirait à l'infini. Enfin, au bout de ces instants d'éternité, elle sortit. Elle revint en courant, prenant grand soin de passer inaperçue, dans la maison d'hôtes. é peine arrivée, hors d'haleine, elle lui signifia l'accord de l'infirme. Il avait su sa renommée. Il lui apprendrait le secret du clan. ¿ Tu sais, il est l'seul à pouvoir t'parler sans crainte d'la honte qui rôde ici. Lui seul, ici, n'en est pas couvert. Il est not'seul deuxième caste digne d'sa naissance et d'son rang. Tous les autres, pfff... J'suis peut-être qu'une vieille à qui on confie à déniaiser les garçons trop laids ou trop sots pour plaire à une jeunesse, j'suis bien sûre que j'vaux mieux qu'eux ! Medhwedmartor refréna un haut-le-c¿ur : ¿ Eh oh, la vieille, payer un agneau, c'est encore dans mes moyens ! Kleworegs s'interposa : ¿ Mon gardien d'armes plaisante. Reste que tu n'as pas à parler de neres comme ça. S'il y a une honte sur eux, c'est à nous, guerriers, non à toi, qu'il incombe de voir quoi faire, et d'agir. ¿ Qu'ton gardien d'armes s'contente de plaisanter, si tu veux connaître la fin d'mon message ! ¿ Vas-tu parler ! On m'appelle Kleworegs le pieux, pas le patient ! ¿ Oui, oui... Bon, alors, y veut bien vous parler, c'est parfait d'ce côté, mais y veut pas vous recevoir. Y veut raconter l'histoire du wiks qu'entouré d'vrais guerriers, et y a tant de héros parmi vous que sa hutte sera trop petite. Y veut que vous l'emmeniez à la maison des hôtes ou à vot' camp. Y s'y sentira en bonne compagnie. C'est tout c'ki veut. ¿ Qu'en penses-tu, Kleworeg ? -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Sa quête fut brève. La verruqueuse était chez elle. Elle s'apprêtait à partir, un panier de linge sale sur la tête, vers un des rus servant de lavoir avec leur eau fraîche et claire. Il n'eut aucun mal, après quelques protestations symboliques ¿ Elle avait du travail ¿, à la persuader de le suivre. Elle avait un faible pour les hommes enrobés. Ses ¿illades avaient fait de l'effet, à retardement, sur ce garçon bien enveloppé (il n'avait toujours pas maigri de façon sensible, malgré le régime sévère qu'il s'était imposé. Au bout de trois jours, c'était à désespérer). Aussi discret que possible ¿ Dieux merci, personne ne leur prêtait la moindre attention ¿ il l'amena parmi les siens. Surprise de se retrouver en compagnie de farouches gaillards plus disposés à la sévérité qu'à la bagatelle, elle se tourna, furieuse et inquiète, vers lui. Il avait disparu. Au lieu de sa voix, c'était celle de Kleworegs qui s'élevait, brûlante, inquisitrice, effrayante. ¿ Femme, il y a un mystère dans ce village. Hier, toi et tes compagnes défiliez, parées comme des princesses ou les courtisanes des pays du soleil haut, là où les femmes échangent le plaisir contre des joyaux. Vous regardiez les guerriers avec superbe et insolence, comme nous ne regardons pas nos serviteurs, des Muets qui ne valent guère mieux que la bête. Nous ne comprenons pas. Explique-nous ! Elle le regarda. Elle avait la bouche ouverte des carpes tirées de l'eau, et se tenait la poitrine. Elle prit un ton effrayé et buté : ¿ J'sais rien, rien du tout, j'suis qu'une pauv'paysanne ! ¿ C'est bien vrai, ça ? ¿ Oui, j'suis qu'une femme, alors, j'peux pas jurer, mais c'est tout c'qui y a d'plus vrai. ¿ Donc le prix de ton sang doit être bas, peut-être même nul. Ce beau jeune homme que tu n'as cessé d'importuner comme une chèvre lubrique aura jugé bon, outré par ton impudence et ton impudeur, de te passer son glaive par le corps. Il acceptera de payer un goret, ou plutôt un biquet, pour son geste de colère bien compréhensible... Il ne voudrait pas commettre une injustice. Ses réticences tombèrent d'un coup. ¿ Mais quelqu'un sait. Regardez là-bas. Elle le saisit par le bras, l'entraîna vers la porte, vérifia qu'il n'y avait personne : ¿ Il est dans cette hutte, et s'y vous en juge digne, y vous dira tout. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
¿ Taisez-vous ! ... ¿ Regardez-vous, tout avachis ! Lourds appas, couches épaisses, le mou vous a amollis ! Ils se redressèrent. ¿ Fini de dégoiser ! Passons aux choses sérieuses. Vous ¿ enfin ceux qui n'étaient pas trop à la boisson ou à la baise ¿ avez remarqué la curieuse attitude de ces femmes parées, celle plus curieuse encore de ces guerriers ? ¿ Curieuse ? Inimaginable ! De simples paysannes, des plus laides, pas du tout le genre à partager la couche des chefs et à le faire savoir, toisant et méprisant leur roi. Dans un village digne de ce nom, on les aurait... Rien du tout. éa n'aurait jamais existé ! ¿ Et si nous avions rêvé ? L'ivresse nous l'aura suggéré. Saleté de bière ! ¿ Je n'ai presque rien bu. Moi aussi, j'ai vu ces mégères gonflées d'arrogance et ces guerriers courbant la tête. Je veux savoir pourquoi. ¿ C'est tout simple, demandons-leur ! ¿ Tu n'aurais pas dû autant boire, et passer ensuite la nuit avec les femmes. D'abord, le lendemain, tu en parles à faire rougir ceux qui palpent les bourses des taureaux. En plus, tu perds le sens. Comme si, honteux de ses actes, on en parlait à des étrangers ! Nous avons beau être leurs hôtes, ils s'en garderont bien. Et la loi nous commande de ne pas les interroger à ce sujet... Oui, Medhwedmartor ? ¿ Une de ces hideuses mémères pourrait nous confier ce secret. Il faut le découvrir. Pour qu'ils ressentent une telle honte, il doit être bien laid. ¿ Excellente idée, mais comment vas-tu les reconnaître ? ¿ Déjà, parmi les plus laides et les plus décaties du wiks... Si les guerriers ont payé leurs faveurs de ces bijoux, je conçois leur honte... Ce serait trop facile. Hier, j'en ai repéré une qui me faisait de l'¿il, pendant leurs danses. Elle avait sur la pommette... Attends, celle-ci... ¿ La droite. ¿ C'est ça, la droite, une énorme verrue avec une aigrette. Tu parles si je m'en souviens ! éa m'a coupé l'envie. Je suis allé dormir. Rien que pour ça, je la reconnaîtrais entre mille. Je te la retrouve et je te l'amène ? ¿ Oui, mais sois discret. Nous ne savons encore rien. N'ayons aucune querelle avec nos hôtes ! ¿ On pourrait les occuper un peu, leur faire montrer à nos chasseurs de loups où a eu lieu la bataille où ils en ont tué quinze, par exemple ? ¿ Parfait, on le fera si besoin est. Je crois que j'ai eu raison de te sauver quand Bhagos te réclamait. ¿ Tu as eu raison dès le début, quand tu m'as laissé ma chance. ¿ Ne me le fais pas regretter. Trouve-moi ta promise au trot ! -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Le parallèle était évident. Elle le reconnut comme toutes les victimes de la griffe, du croc ou du glaive, et les témoins de leur malheur. Seuls parfois des paysans s'étonnaient qu'on ne puisse récolter du minerai après chaque labour, où la terre est griffée par les houes et les araires. Il y avait toujours eu réponse. Il leur avait représenté le monde infini et leurs sillons infimes. Ils étaient chaque fois repartis tête basse, honteux de l'avoir formulée, plus encore d'avoir été incapables d'y répondre. Il n'en dit pas plus. Il ne lui avait confié que ce qu'il voulait laisser connaître. Cela suffirait. Même s'il avait été plus prolixe, elle ne s'en serait pas sentie plus sage. Il y avait ce qu'il lui avait dit, et les secrets qu'il échangeait avec ses compagnons. Il y avait un abîme de l'un à l'autre. Qu'importe, pendant quelques jours, elle aurait aux yeux de ses amies l'aura de l'initiée à de redoutables mystères. Contente de toutes ces explications écoutées bouche bée et avec ferveur, elle voulut le remercier et satisfaire sa curiosité. Toujours désireuse de découvrir la couleur de son interlocuteur, elle lui montra quelques couples qui se formaient à mesure que décroissaient les flammes. Il accepta l'invite, l'entraîna à l'écart, lui donna l'occasion de s'instruire. Ils n'étaient pas les seuls à agir ainsi. é entendre les cris et les gémissements retentissant par tous les coins sombres, cette fête d'équinoxe, dédiée aux moissons et à la fécondité, honorait surtout cette dernière. Elle tournait à l'orgie. C'était le sort commun à toutes ces festivités. On ne les appelait de plus en plus souvent que fêtes de la fécondité, tant les résultats en étaient probants en début de saison chaude. Ce n'était pas toujours aussi réussi pour les récoltes. Le matin, de nombreux couples se réveillèrent et se découvrirent. Un pas de Sawel après, on eût dit que rien ne s'était passé. Les guerriers ¿ les plus sensibles aux femmes, jambes coupées par une douce fatigue ; ceux qui avaient préféré les charmes du sommeil à ceux de l'étreinte, reposés ¿ échangèrent leurs commentaires. Ceux qui avaient lutiné les villageoises racontaient leur nuit. Leurs appréciations volaient à croiser les taupes. Il est heureux que leurs partenaires, qui en faisaient l'objet, n'aient pas été là. Elles n'auraient guère été flattées en entendant les réflexions de leurs fugaces amants (peut-être en disaient-elles autant d'eux). Ceux qui avaient dormi jouaient des muscles, dispos, pleins de vigueur, mais vautrés. Les autres, vidés, installés tant mal que bien, continuaient à parler. Ils en rajoutaient. Kleworegs fut vite las de leurs prouesses. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Cette attirance semblait réciproque. Ses yeux brillaient. Son souffle était court, précipité. Le guerrier ¿ parti avec son amie ¿ installé à son côté était assez à son goût. Il évoquait, par sa seule fonction, l'odeur et le fracas des batailles. Un forgeron, c'était plus. Il y avait chez eux une part de sacré au moins égale à celle des bhlaghmenes, épicée d'un zeste de mystère et de scandale tenant à leur commerce avec les forces sous la terre. Il les rendait encore plus excitants. On a raconté aux jeunes filles pendant des siècles, et cela durera bien encore aussi longtemps, des histoires où les démons venaient les séduire. Elles les ont écoutées, mi-tremblantes, mi-émoustillées. Egnibhertor, bien qu'un peu frêle, n'était pas le moins séduisant démon. Les maîtres des forges sont liés aux profondeurs mystérieuses et inquiétantes et à leurs dieux. Ils étaient, pour ceux qui ¿ comme la fille née dans un village trop pauvre et peu porté à rechercher la gloire des combats ¿ ne les avaient jamais vus, les plus proches de ces créatures que la sagesse des humbles sait perverses et ourdisseuses de noirs complots. Pourquoi, sinon, se cacheraient-elles de la lumière de Dyeus Pater pour qui il n'est point de secret ? Les forgerons, ouvrant loin des yeux du profane un produit issu des entrailles de la terre et transformé par le feu indomptable, étaient une énigme pour la majorité des hommes, un fascinant mystère pour bien des femmes. Amants du feu, accoucheurs du métal, ils participaient, malgré leur moindre caste, du sacré. Ne tiraient-ils pas du sang des pierres et de la terre ? Ce qu'ils appelaient entre eux roudhos, métal rouge, n'était-ce pas, écarlate comme lui, la sève de la terre, solide la plupart du temps, parfois, sous l'action de la plus ardente flamme, aussi fluide que celle de l'homme ? Il lui raconta, tout en fouillant sous sa jupe, certains de ses secrets. Des cailloux que seuls les siens savaient reconnaître et traiter devenaient dans leurs foyers sang incandescent et lames tranchantes. Le cuivre coulait comme du sang dans les entrailles de la Terre. Il ne se transformait en pierre verte, mère du métal, que lorsqu'il jaillissait de son corps ou sourdait à sa surface, comme la sève du héros blessé. De nombreux villageois avaient souffert de l'attaque des fauves. Elle avait vu la liqueur vermeille, au sortir de leurs corps, durcir et devenir noirâtre. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Une des paysannes, à la chevelure épaisse et crêpelée, commenta la scène à son voisin. C'était, malgré son air placide et avachi qui trompait son monde, un des plus solides guerriers de Kleworegs. ¿ L'hiver dernier, les loups ont menacé notre cheptel. Le chef chevreuil et nos hommes sont allés à leur rencontre et en ont tué quinze ¿ elle recompta sur ses doigts ¿ oui, c'est ça. Nous en avons gardé les peaux pour en faire des manteaux. ¿ La fourrure du loup est idéale pour se protéger des rigueurs de l'hiver. Elle l'est aussi comme vêtement d'apparat pour honorer ses hôtes. Ton roi aurait pu s'en passer une sur le dos, au lieu de sa défroque ! Est-il digne d'avoir du mouton sur les épaules quand on souhaite la bienvenue à un héros comme Kleworegs... et à ses guerriers ! ? ¿ J'en sais rien, c'est déjà pas facile de savoir qui est qui, et comment le saluer, rien qu'au village. ¿ Vous avez déjà tué des mange-miel, ici ? ¿ Nous tuons les porcs qui viennent piétiner les récoltes ; les goulpils, aussi. Non, nous n'avons pas eu affaire aux mange-miel depuis longtemps... Oh, pas si longtemps après tout, pas depuis ma naissance. Tant mieux ! Nos gourdins ne pourraient rien contre eux, ni même nos pauvres épieux et nos vieux glaives... Ici, depuis l'incendie de sa forge, je n'étais encore pas née, il n'y a pas de fabricant d'armes... Dis-moi, c'est vrai qu'ils ont le corps noir de suie, comme le cul d'un chaudron, et qu'ils peuvent vivre dans les flammes ? Même s'il l'avait trouvée à son goût, il ne lui aurait pas répondu là-dessus. Il lui aurait plutôt raconté ses victoires contre ces mange-miel qui l'impressionnaient tant. Il ne lui dirait rien du tout. Son autre voisine, qui avait tout écouté, lui semblait plus digne de son intérêt. Il se tourna vers elle. Il saurait la charmer par ses récits de hardi chasseur. Il héla le premier forgeron à portée de voix. ¿ Oh, Egnibhertor, cette petite s'intéresse à vous, si vous vivez dans le feu, si vous avez les fesses noires... Tu pourras toujours le lui montrer. ¿ Alors, petite, que veux-tu savoir ? ¿ Ah, tu es forgeron ! ? C'est vrai que vous vivez dans le feu et que vous êtes tout noirs ? ¿ Une seule question à la fois, veux-tu ! Il regarda la curieuse. é part ses cheveux crêpelés, elle ne différait guère des autres. Sa peau, pour une troisième caste, était claire. Elle avait de bonnes joues rondes, un peu rougies par l'excitation ou le feu proche, des seins lourds, la taille peu marquée. Cependant, et cela lui plut, elle était bien moins grassouillette que la plupart. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Ils s'y employaient déjà. On chuchota à l'oreille de Kleworegs. Si ce village s'était enrichi par l'assassinat de ses hôtes ? Ils pourraient être les prochains. « Ah oui ? é moins de cinquante contre deux cents ! Leur bière t'est montée à la tête ? » La procession était arrivée près d'un énorme tas de bale et de bois. La bale bouterait le feu au bûcher, le bois l'entretiendrait. Le prêtre-chevreuil versa sur l'énorme tas de branchages un peu de bière nouvelle. Il en fit libation à l'orient, d'où jaillit la lumière de Dyeus, au midi, où elle est au plus haut, à l'occident, où elle se couche, au septentrion, où elle se repose et reprend ses forces. Il donna le cruchon vide à un acolyte. Il en reçut une torche enflammée. Il alluma le bûcher. Les flammes s'élevèrent. Des étincelles jaillirent vers le firmament. Elles tentaient, un bref instant, de rejoindre les brillants joyaux scintillant au sein de la voûte nocturne. Punies de leur orgueil insensé d'avoir voulu s'égaler aux bijoux divins et rivaliser avec leur splendeur, elles mouraient et retombaient en cendres. Les paysans s'ébranlèrent. Ils firent un long cortège pour défiler près du brasier. Arrivé à sa hauteur, chacun y jetait une petite poignée de grain, en chantant, en don aux dieux de la nature. Les femmes avaient formé un cercle autour du feu. Elles soutenaient les hommes en cadence. Elles invoquaient, en répons, la déesse-mère, maîtresse de la fécondité. Les hôtes les regardaient chantant et battant des mains tout autour du foyer. Elles semblaient s¿urs : jambes courtes, souvent torses, attaches lourdes, formes amples, petite taille, comme formées de la glaise qu'elles travaillaient. Toutes étaient aussi bien dodues. Il n'y avait eu depuis bien des années, ni famine, ni simple disette. Les paysans étaient, eux aussi, râblés, pleins de force... si mornes, pourtant. Retentit soudain, sonore, un roulement de tambours. Ils sursautèrent. Ces minuscules instruments, aussi bruyants ? ! Deux nouveaux hybrides apparurent sur la grand place. Vêtus à l'imitation de l'homme-chevreuil, avec une tête et une peau de loup, ils dansèrent à leur tour devant les flammes. Leur lueur les rendait vrais. Ils ne furent, un moment, pas loin d'y croire. Les deux gaillards et l'homme-chevreuil entamèrent un simulacre de lutte. Il dura longtemps, devant les cris d'admiration et de frayeur mêlées. Enfin la paire d'hommes-loups tomba sur le sol, bras en croix. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Dyeus le ciel diurne céda la place à Akmon le ciel de nuit, voûte de pierre perlée de joyaux brillants et immuables. Kleworegs et ses hommes montrèrent à leurs hôtes une partie de leur butin et leur firent admirer le coffret ¿ C'était bien suffisant, ils n'étaient pas dignes de voir la Pierre ¿. Ils remarquèrent les éclairs dans les yeux des guerriers des Loutres. Jalousie, envie, et quelque chose d'autre. Cet autre était inconnu, obscène, surtout dérangeant. Trop tard pour s'y attarder. La fête commençait. Les villageois, à leur tête un prêtre recouvert d'une dépouille de chevreuil, se mirent en file. Sur le sommet du crâne il portait la tête aux bois courts, mais puissants, et le fauve pelage de la bête sur ses épaules. Il avait une cagoule, de teinte plus claire, provenant de son ventre. L'ensemble était cousu et ajusté sans défauts. Kleworegs et ses guerriers, un instant, crurent à un hybride d'homme et de chevreuil. La chimère était suivie d'une petite troupe de paysans porteurs de minuscules tambours de peau. Elle tenait à la main un pot empli à ras bord d'une bière à la mousse débordante. Pewortor l'admira. Un seul et rapide coup d'¿il lui avait suffi. Il n'avait pas été ouvré dans ce village, ni même en Aryana. Magnifique poterie cordée quand les siens incisaient la glaise en guise de décoration, il provenait d'un pillage, chose guère crédible vu l'allure du village, ou d'un troc, aussi improbable. Cette pièce n'était pas à sa place ici. Il en éclaircirait les origines. Espérant y trouver un indice, il examina mieux le défilé. Certaines paysannes, les plus laides et les plus mal bâties, arboraient des pendants d'oreilles et des pectoraux de grand prix. L'éclat de ceux, splendides, qu'il avait offerts à sa première épouse à l'annonce de sa grossesse, palissait à côté. Dans les petits wikos, on s'habille sans apprêt ni coquetterie. La richesse de ces travailleurs de la glèbe était admirable, plus encore étonnante. Leur présence était contraire à toute logique. Ces maritornes détonnaient au milieu de cette foule, peu nombreuses et parées à l'excès quand les plus belles n'avaient que des vêtements tout simples. Leurs visages mafflus exprimaient envers leurs guerriers un dédain insolent, explicite. Pourquoi, ainsi toisés et méprisés, ne réagissaient-ils pas, ou même baissaient-ils la tête pour éviter de croiser leurs regards ? Kleworegs, et d'autres avec lui, avaient eux aussi remarqué ce manège. Ils élucideraient ce mystère. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
Il n'y avait aucun risque de cette sorte, ni même d'une simple bagarre. Au village des Loutres, on n'avait jamais vu de cheval ailé, en tout cas pas depuis sa fondation. Il serait douteux qu'un apparaisse cette nuit. Encore plus qu'alors un villageois le blesse ou le tue. Le prêtre de Kleworegs sourit. Le hasard serait en effet bien grand, bien malicieux. Il le rassura. Les siens n'étaient pas des pêcheurs. Ils n'avaient aucun sujet de querelle avec elles. Elles vivaient assez loin de l'enclos, dans les rivières et les rus qui l'entouraient, pour que même le guerrier le plus imbibé n'ose sortir, seul dans la nuit où rôde la peur, accomplir un sacrilège. Tout laissait prévoir des relations satisfaisantes... Les clans sympathisaient. Revoir un wiks après leur long périple réjouissait leur c¿ur. Ils avaient été contraints à l'austère vie des nomades pendant la longue saison des combats. Cette joie avait effacé leur dédain. Elle les éloignerait de toute friction. Les villageois montrèrent l'endroit où ils préparaient leur bière : une grotte à flanc de coteau creusée profond et aménagée. Ils mettaient la dernière main, en la soutirant, à sa préparation. Experts dans cet art délicat, ils avaient à peine fait griller l'orge, tout juste germée, récoltée au début des moissons, puis l'avaient pilée et mélangée à de l'eau claire et à une poussière crème, résidu de la bière précédente. Cette mixture peu engageante, en fermentant, avait donné une liqueur mousseuse à souhait, propre à rafraîchir les gosiers les plus altérés. Ils la trouvèrent délicieuse. Ils en redemandèrent. L'extrême pureté de l'eau des sources de la région y était pour quelque chose, mais cette bière avait surtout un arrière-goût que seuls de vrais amateurs pouvaient pénétrer : la saveur du travail et de l'amour de la terre de ceux qui en avaient récolté l'orge, et le parfum de leur dévotion sincère aux dieux qui avaient sanctifié leur tâche en favorisant les récoltes. On les comblait de cette boisson presque aussi savoureuse que leur bien-aimé hydromel. Ils en goûtaient le bouquet, sans pouvoir le définir. Neres, ils morguaient les paysans. Là, ils fraternisaient.. On les pria de cracher dans la cuve où elle fermentait. Leur salive de héros la rendrait plus forte et goûteuse. Ils s'exécutèrent volontiers. -
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Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
En s'installant au village, même pour une brève période, les hôtes devaient en respecter les lois et les interdits. Plusieurs guerriers avaient de somptueuses peaux de loutre. La sortie du prêtre revêtu de sa dépouille, en vue de les informer de son totem, leur signifiait d'abandonner, tant qu'ils y resteraient, leur fourrure de dilection. Ils allèrent les cacher parmi le butin et prirent la première tunique venue, pas toujours à leur goût, ni à leur taille. Même les plus mal attifés se consolèrent de leur allure ridicule. Elle était provisoire. Ils reviendraient chercher vêtement plus convenable. En réponse, il informa ses ouailles de leur totem. Elles seraient tenues de le respecter pendant trois jours. Leur séjour ne serait pas plus long. Mais le droit d'hospitalité est le signe distinctif des hommes. Cheval ailé, animal des légendes ; loutre, gibier à la chair insipide. Ils s'équilibraient. Aucun des interdits réciproques ne serait pesant. C'était, ils en tombèrent d'accord, une bonne chose. Des clans en venaient aux mains pour ça à l'occasion de festivités trop arrosées. Pour un mot de trop, souvent une vantardise (les loups gris, j'en vois douze, j'en tue cinq et j'enfile les autres, ou autres amabilités), une bataille rangée éclatait avec la soudaineté de l'orage. Il n'y avait pas de morts ¿ les armes restaient sous la garde des première caste ¿ mais, le calme revenu et dissipée l'ivresse, nez cassés, dents brisées, côtes fêlées ne se comptaient plus. Ils n'en voulaient pas. Il y avait déjà trop de clans ¿ par chance, de petit lignage ¿ séparés pour une telle dette d'honneur par des querelles inextricables et des haines rancies. Elle empêchait alliances et mariages profitables. Il y en avait même qui se faisaient la guerre depuis le début du monde. Au cours d'un banquet où l'hydromel avait trop coulé, un ivrogne avait massacré l'animal (gibier trop délicieux ou prédateur trop détesté) vénéré de ses hôtes. Le clan sacrilège n'avait voulu ni livrer, ni punir le provocateur. Il avait refusé de payer l'amende du sang pour les animaux sacrés abattus. Depuis, ils se haïssaient. Leur combat, même codifié par la loi interdisant la bataille en armes et par les nécessités de la survie, n'en était pas moins inexpiable. Plusieurs fois déjà le conseil des prêtres avait dû décider, au vu de récits d'au-delà de la mémoire, qui était coupable. Ils avaient menacé de le déclarer loup. Certains conflits, dangereux pour l'existence même du peuple, s'étaient ainsi calmés sans s'éteindre jamais. -
AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton
Marc Galan a répondu à un(e) sujet de Marc Galan dans Littérature
L'invitation transmise, les cavaliers mirent pied à terre. Il les invita à se réjouir. La fête des moissons, à en entendre les préparatifs, serait plaisante. Fête des paysans, ces réjouissances admettaient sans réserve aucune la présence des neres, quand la réciproque n'était pas souvent vraie. Ils promirent d'y assister. Guerriers et a fortiori prêtres peuvent assister à toutes les cérémonies, sauf certains cultes féminins de la fécondité, même si leur présence y pèse... Aujourd'hui, ils étaient les bienvenus. C'était toujours le cas pour la fête des moissons. Quand elle était réussie, les neres renvoyaient la pareille en invitant les wiroi aux festins célébrant la fin des chasses. Ils ne rateraient pas une telle occasion de se régaler plus tard de beau gibier. Ils entrèrent dans l'enclos. Les paysans s'affairaient à diverses tâches préludant à la fête. Leur rumeur les avait alléchés. Leur vision les passionna. Ils contemplaient tout. Les monceaux de bale, qui brûleraient pour alimenter les feux de joie nocturnes, étaient des indices évidents, à moins d'épis vides, d'une plantureuse récolte, partant d'une soirée mémorable. Les longs va-et-vient des femmes portant sur leur tête des cruchons de bière ne l'étaient pas moins. Elles les recouvraient de linges humides. En séchant, ils allaient la rafraîchir et en conserver cette fraîcheur tout au long de la nuit. Un peu à l'écart, des jeunes gens s'essayaient à quelques pas de danse. Tout sentait la fête. Tout laissait présager qu'elle serait réussie. Ils n'en tiquèrent pas moins. Il y avait chez leurs hôtes, en particulier les rares neres, une lassitude innée. Ils en furent choqués. Une telle attitude ne s'accordait pas avec leur naissance. Le sacrificateur les avait abandonnés. Il pénétra dans sa maison. Cette hutte n'avait rien, en taille et en beauté, d'une demeure de bhlaghmen. Il en sortit peu après, sur la tête une dépouille de loutre au lustre magnifique. Il y avait tout autour du village, l'irriguant et contribuant à la richesse de ses récoltes, des ruisseaux à l'onde claire et pure où elles s'ébattaient, tout à leur aise, sans risque d'être chassées. La loutre, son animal tutélaire, était protégée par son statut de totem, ancêtre du clan installé dans les parages. La blesser ou la tuer était aussi sacrilège et criminel que de porter la main sur un prêtre. Ce serait châtié, si cela arrivait, avec la même sévérité. Un tel forfait restait bien improbable. De mémoire de plusieurs générations, il n'avait jamais été commis.
