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La Vieille et la Mandragore


Loopy

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I. La Mandragore

La Lune, Rousse, éclaire majestueusement la campagne des environs. Une chouette ulule seul affront au calme qui règne depuis longtemps déjà. Glissés sous les chuchotements du vent caressant l'herbe et le feuillage, quelques pas feutrés, étouffés s'approchent.

C'est une horrible vieille, petite, courbée, ployée, rabougrie, estropiée, boitant, sale et odorante, qui marche à reculons avec un rictus infâme. Si elle ne s'aidait pas d'une canne, sans doute s'écroulerait-elle contre terre, entraînée par le simple poids de ses hardes sombres... l'inconnu qui irait la secourir alors, soulevant le grand tissu de voile, ne verrait rien en-dessous. La poussière retourne à la poussière. D'une démarche louvoyante, elle recule vers le carrefour oscille vaguement un pendu aux lèvres plus trè frais, ancienne décoration des lieux dont les braves gens se sont lassés.

Son odeur de charnier et son visage dévoré par les insectes sont révulsants. Le cadavre en décomposition, déformé sous son propre poids, a laissé au sol une flaque visqueuse de sang pourri. Personne ne pourrait devant se spectacle rester de marbre. Pourtant, presque aussi laide que lui, la sorcière se penche sans sciller et attrape une curieuse branche au-dessous du cadavre qui, pourrissant, a fertilisé la terre morte. D'un coup sec, elle arrache la mandragore en poussant un cri. Un liquide rouge vif coule sude sa main— Tout saigne.

II. La Vielle

On l’avait attrapé, cette fois, et on l’avait battu, insulté. Il avait eu peur, il avait eu mal. Puis, on l’a emmené ici, dans un noir naissant. Il se souvint de celui-ci, le simplet qui le confondit sans avoir vu son visage. Il se souvint de cette seigneurette désinvolte, qui portait le jugement. Et de cet homme d’église, acquiesçant la sentence, qui lui offrait de se confesser. Puis tout est devenu rouge, puis tout est devenu noir. Et après ? … Il se sentait bien, léger, sain, heureux, propre, il n’avait pas froid, il n’avait ni faim ni soif.

Au dessus, au bout d’une corde craquant sourdement, funestement, son corps pendait. Qu’avait il fait ? … Qu'importe. Un vent fit vaguement osciller son ancienne ressemblance d’où le sang perlait encore. Il n’était plus. Il était mort.

Il se senti soudain extraire à son bien être douloureux. Une force qu’il ne connaissait pas, un être l’arrachait à la Mort comme plutôt on l'arrachait à la vie. C’était une horrible vielle souriante, une sorcière de la fôret, de celle qu'on brule sur les buchets. Dans un cri, tout saigne.

III. La distribution

— Je voudrais un philtre d'amour qui le fasse revenir, dit la châtelaine.

L'horrible vieille aux cent verrues lui tendit d'une main olivâtre un petit flacon en verre. À l'intérieur, quelques gouttes à peine d'une substance capiteuse — une huile? Noire en était la couleur, brune la coloration du verre, d'œufs la fragrance.

— Je voudrais un élixir me stimulant le cœur et l'esprit, dit le petit prêtre tonsuré.

L'acariâtre matrone sortit d'une étagère, derrière un crâne de bouc et des monticules de poussière— dans un cliquetis de verre — un petit flacon rempli d'une huile noirâtre. L'odeur de soufre qui s'en exhalait empuanta la pièce dès qu'elle en ôta subrepticement le bouchon.

— Je voudrais une décoction triplant de volume ma virilité intime, dit le jeune, beau et grand berger.

La sorcière puante marmonna pour elle-même d'une voix éteinte et malfaisante des mots sans queue ni tête ; durant cette glossolalie, elle tira d'un coffre une petite flasque contenant une larme d'essence graisseuse et sombre. Dans l'odeur de renfermé de son laboratoire on discernait une vague odeur aigre-douce de pourriture.

Trois maux, un remède.

IV. L'effet Papillon

- La châtelaine vit son chevalier revenir sale et ensanglanté. La guerre faisait rage encore au loin, mais il était là.

"Ô , mon chevalier, mon roi, mon empereur, vous qui jadis avez si bien embrasé mon coeur, et qui aujourd'hui préfèrez aux douceurs de ma couche, les larme et le sang de votre guerre, je vous en conjure, restez que je vous vois, car si je ne fais plus votre bonheur, vous gouvernez encore mes joies"

Une flèche venue de nulle part fusa alors, traversant le coeur du chevalier. La vieille sorcière l'avait murmuré, la mort l'empèchera de bouger.

- Le prêtre retourna dans son église. Heureux. Il s'agenouilla devant la croix de son Dieu. Ses larmes témoignaient de l'émotion presque parfaite. "Mon Dieu, je vous ai tout offert, mon coeur et mon esprit sont à vous... Dussent elles être impénétrables je les souhaite pour seules guides, faites moi entendre vos voies"

L'église fut emplie d'un vacarme soudain. Des hurlements, des craquements qui semblaient provenir de tout, de la gravure à la statuette, l'église vibrait des cris torturés de toutes les choses, ponctués par ceux du prêtre... Il pressa ses oreilles si fort pour ne plus les entendre, qu'il s'écroula, mort, sans que personne ne l'entende.

La vieille sorcière l'avait pourtant murmuré. C'est folie de se croire Dieu, car seule la folie pourra guider cette route.

- Fort d'une virilité de cheval, le jeune, grand et beau berger retourna voir l'élue de son coeur. Il la trouva se morfondant sur la dépouille de son chevalier, coeurs brisé, percé de part en part. La fraicheur de sa naïveté le fit alors espérer. "Ô mon amante, maintenant qu'il n'y plus de barrière à notre amour, que votre rang gît à nos pied, prennez ma main pour vous relever et mon coeur pour vous consoler" Il n'eut pour réponse qu'un cri, des larmes, et cette dague plantée dans sa poitrine.

La vieille sorcière l'avait dit. Si tu lui donne ton coeur, alors, elle le prendra.

En sortant de la ville, la vielle se retourna. Elle sourit. Un point noir tombait de la plus haute tour du château. L'espace d'un instant, ses oreilles fripées crurent entendre autre chose que le battement du coeur de la mandragore qu'elle tenait serrée contre elle. On aurait dit le bruit sourd des os qui se fracassent contre le sol. Elle rit. Puis, forte de sa victoire nouvelle, porta sa puanteur jusqu'à la ville voisine.

Un mal, sans remède.

V. Moralité

En ce monde, l’injustice est affaire quotidienne. Mais prudence. A faire couler en remède le sang des autres, en guise de salaire coulera le notre.

2 Commentaires


Commentaires recommandés

Je crois que tu as réuni en un texte tous les principaux thèmes que j'ai eu l'habitude de lire chez toi, globalement.

Avec je trouve une touche de Villon. Je ne sais pas trop pourquoi je pense à lui. Ce doit être un peu en raison du vocabulaire de certains mots que je n'ai pas l'habitude de voir.

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