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La région de Gafsa "en état de révolution"


Black Survitual

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Interview

La région de Gafsa "en état de révolution"

7_tunisie.jpg

La révolte commence le 5 janvier 2008, jour où sont publiés les résultats, jugés frauduleux, du concours d'embauche de la Compagnie des Phospha-tes de Gafsa (CPG), l'unique employeur de la région. De jeunes chômeurs occupent le siège régional de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), dont le dirigeant corrompu possède une entreprise sous-traitante de la CPG, à Redeyef. Ils sont rejoints par les veuves des mineurs et leurs familles, qui installent leurs tentes devant le bâtiment. Le mouvement s'étend rapidement. Ouvriers, chômeurs, lycéens et habitants multiplient les grèves, les actions et les rassemblements. Sur fond de grande pauvreté et de flambée des prix, tous protestent contre la corruption et contre une politique de l'emploi injuste. Les Redeyefi de Nantes qui luttent en France, comme leurs frères de Tunisie, contre la pauvreté, l'injustice et la répression, réclament l'évacuation immédiate des troupes policières, la libération de Seghaier Belkhiri et de l'ensemble des personnes arrêtées, la reprise de négociations pour alléger d'urgence la situation de pauvreté et d'injustice que subit la population de la région, la levée du blocus à Redeyef, et la mise en place des conditions d'une enquête indépendante afin de faire la lumière sur les violences policières meurtrières. L'interview qui suit a été réalisée à Nantes à la fin du mois d'août.

7_gafsa.jpgComment expliquez-vous que le mouvement ne donne pas de signe d'essoufflement après 7 mois de lutte ? Redeyef a des traditions de lutte, d'auto-organisation ?

A (Adel) : C'est simplement à cause de la répression : 486 personnes emprisonnées, des enseignants, des jeunes, des chômeurs, des syndicalistes. En fin de compte, l'agitation est permanente. Tous y prennent part, les vieux, les enfants. D'autres participent de façon plus discrète ailleurs en Tunisie. Des gens sont réfugiés partout, dans les montagnes. En fait, c'est le pouvoir qui fout la merde. On n'a pas le droit de s'exprimer, c'est interdit au bled¿

N (Nasser) : Il n'y a pas de démocratie, c'est complètement verrouillé. Sept mois de lutte, de manifestations, des morts, des blessés¿ Ils rentrent chez les gens et tirent des balles dans les genoux¿ Pour le déverrouillage, nous on comptait sur la France. Mais malheureusement, avec les affaires et le commerce du phosphate, je ne crois pas que la France va bouger. Et c'est pas le problème de la démocratie ou de l'organisation du mouvement. Quand on a faim, on ne pense pas à la démocratie.

A : En fait, c'est les deux en même temps, la faim et l'organisation. Ils sont organisés, ils prennent le droit de s'exprimer. Ils arrachent ce droit par la force, alors qu'il y a des morts, des arrestations partout, des enlèvements. Une fois relâchés, les jeunes oublient tout. Ils sont dans un état de révolution, vraiment une révolution totale. Le pouvoir ne veut pas résoudre le problème parce qu'il a peur que ça s'étende à d'autres villes. Faut pas que cette révolution le gêne dans les futures élections présidentielles de 2009, pour son cinquième mandat¿ Malgré tout, d'autres villes ont bougé. Mais ils s'en foutent de la population. Ils laissent les déchets chimiques couler dans la vallée. L'eau n'est pas potable. Des gens sont malades du cancer, même des enfants¿

7_redeyef.jpgQuel est le rôle des femmes dans le mouvement ?

A : Il y a des morts, des arrestations, et d'autres sont recherchés. La plupart ont pris 6 mois à trois ans de prison. C'est risqué pour les hommes (¿). Et toutes les femmes qui sont restées au bled, elles ne peuvent que manifester, parce que leur mari, leurs enfants sont emprisonnés. Un samedi, la préfecture de Gafsa avait organisé une manifestation de soutien à Ben Ali pour lui demander de se représenter aux présidentielles. Et le dimanche, les femmes ont organisé la contre-manifestation à Redeyef ! Les forces de l'ordre les ont réprimées avec les bombes lacrymogènes. Il y a deux semaines de ça.

N : Nous les hommes, si on fait ça, on est morts !

Est-ce que le mouvement s'élargit ?

A : Après la manifestation des femmes, il y a eu 32 arrestations dans la ville de Medhilla, une ville du bassin minier, d'autres sont recherchés. A Moularess et Metlaoui, des gens ont été condamnés à de lourdes peines, jusqu'à 10 ans d'emprisonnement. La semaine dernière, à Medhilla, une nouvelle révolte s'est déclenchée. Il y a aussi des comités de soutien à Sfax, la deuxième ville du pays, à Sidi Bouzaid, à Jendouba je crois, et au Kasrain.

Et Seghaier, que lui est-il arrivé ?

N : Seghaier était parti au bled avec son frère le 2 août pour se marier. Sa future femme devait le rejoindre le 7. Le 4, il a été arrêté au port de la Goulette. La police l'a emmené à la prison de Gafsa. Il a été jugé et condamné pour « association de malfaiteurs et financement d'association de malfaiteurs ».

A : C'est n'importe quoi : il a ramené de l'argent pour se marier avec son frère.

N : Tout ça, c'est des inventions pour tout mettre sur le dos du peuple. Quand la révolution a démarré à Redeyef, ils ont fabriqué une histoire : les magasins étaient cassés, volés, par la police (on voit sur internet les flics avec des marteaux qui cassent des boutiques, un taxiphone). Ils piquent l'argent et les objets de valeur. C'est qui les malfaiteurs ? C'est les forces de l'ordre ! C'est pas le peuple qui a cassé les magasins. Si vraiment il y a de la démocratie, ils laissent les journalistes étrangers rentrer à Redeyef pour interviewer les gens et entendre la vérité. A Redeyef, on compte sur la France, mais ici on commence à perdre espoir. Le peuple à Redeyef, il compte trop sur la France.

A : Surtout avec le cas de Seghaier. ça fait une dizaine d'années qu'il habite à Nantes. Il a jamais eu de problème, que ce soit ici ou au bled. C'est à se poser des questions sur le pouvoir de l'Etat français. Comment ça se fait qu'un « originaire » qui habite Nantes depuis 10 ans, se fait arrêter de cette façon ? Et après Sarkozy affirme que les droits de l'homme en Tunisie sont respectés. Là, c'est grave !

N : Heureusement, il y a des Français qui bougent, comme vous, comme Ouest-France, mais le gouvernement, je crois pas.

A : Les citoyens originaires de Redeyef à Nantes ont peur, surtout depuis que Seghaier a été arrêté. Ils ne profitent plus de la liberté de la France, parce qu'ils ont la pression. Il y a des copains depuis 5 ans qui ne peuvent pas retourner au bled. Ils pensaient qu'ils pourraient rentrer cette année, mais ils ont une liste rouge de personnes recherchées. En plus, on peut pas compter sur tout le monde. Il y a des balances, c'est pas des humains¿ Mais on s'en fout d'eux, nous on bouge pour Redeyef, pour nos familles, pour nos copains. N : Les indics, ils sont recrutés par l'Etat tunisien. L'Etat veut arrêter ce mouvement coûte que coûte, surtout en France. Ils ont deux méthodes : à Redeyef, ils ont les balles, les bombes lacrymogènes, les bâtons. Mais ici ils ne peuvent pas, ils utilisent les indicateurs¿

Comment êtes-vous organisés à Nantes ?

A : La première manifestation a eu lieu au mois d'avril. On a protesté contre le durcissement de la répression de mars et l'arrestation de leaders syndicaux. La deuxième manifestation a eu lieu au mois de mai. La grève de la faim a commencé au mois de juin. On a commencé avec 13 personnes, ça a duré un mois devant la Préfecture, avec des tentes, et deux manifs. On demande la libération des prisonniers, une enquête indépendante. A la dernière manifestation, on était plus de 200.

La France est première importatrice du phosphate de Gafsa. Sarkozy et Ben Ali sont des amis notoires. Pensez-vous qu'une partie de la solution des problèmes de Redeyef se trouvent en France ?

N : Je défends pas Sarkozy, mais en Tunisie, c'est surtout un problème de corruption. Le bassin minier (Redeyef, Moularess, Medhilla et Gafsa) donne 250 milliards par an de bénéfice net. Un millliard seulement revient à Redeyef. D'abord Ben Ali prélève une partie, le reste est envoyé à Redeyef, le maire empoche au passage, pareil pour les autres villes. Le reste des 250 milliards, il va où ? C'est pour le gouvernement, pas pour l'Etat.

A : Sarkozy, quand il annonce l'Union de la Méditerranée, il devrait commencer par demander le respect des droits de l'homme, l'arrêt de la répression. La France, c'est la liberté, c'est la Révolution française... On a été colonisés par l'Etat français. La France a installé des gens à eux, pour exploiter le phosphate. Redeyef est une petite ville de 27 000 habitants. Avec le phosphate qu'on a, on devrait vivre très bien. Mais la pauvreté est extrême. Le chômage est très important (officiellement 30%, le double du taux national) et on n'a pas le droit de s'exprimer. Ce sont les principales causes de la révolution. On parle de la pauvreté dans le monde, de la cherté de la vie et des émeutes de la faim, c'est les mêmes raisons économiques, sociales et politiques. La France doit être mise devant ses responsabilités. Je vois bien que les droits de l'homme sont violés en France, c'est vrai, mais c'est pire en Tunisie. N : Sarkozy a dit que la démocratie en Tunisie s'est améliorée. Moi, je dirais qu'elle s'est détériorée. Sarkozy, quand il est allé en Tunisie, il a vendu des avions, ça c'est des intérêts français. Pour moi, la France intervient dans les affaires de la Tunisie de façon indirecte.

A : La France parle du problème de l'immigration clandestine. Elle dit qu'il faut lutter contre la clandestinité des immigrés. A Nantes, des jeunes arrivent de façon illégale. Pour lutter contre ce problème, il faut lutter au bled pour créer des postes de travail, pour que les jeunes ne risquent pas leur vie en essayant de traverser la mer. Ils pensent qu'en France, c'est le paradis. Il faut aller aux racines du problème.

A : Le système politique a changé le 7 novembre 1987. Le jour où Ben Ali a pris le pouvoir, les privatisations ont commencé. La situation sociale a commencé à s'aggraver, le pouvoir d'achat a baissé, etc. Ben Ali est un ancien agent de la CIA, c'est le serviteur de la Maison Blanche. Il y a une concurrence entre les Etats-Unis et l'Europe, en Tunisie. Tu vois, c'est pas juste le problème d'une petite ville. Quand on cherche les causes, on voit que c'est un problème de politique mondiale, c'est le capitalisme.

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