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Conte fantastique


CLAROSY

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CLAROSY Membre 5 messages
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Mahakapi, le singe roi

En ce temps-là, dans l'épaisse forêt qui abritait le royaume des singes, plantes et arbres poussaient à foison. Ils donnaient tout au long de l'année mille sortes de graines, de baies et de fruits. Seuls les singes en connaissaient toutes les variétés, et ils prenaient garde de ne jamais toucher à celles qui pouvaient être dangereuses ou mortelles à manger. Tel était le savoir que les plus vieux transmettaient en secret aux plus jeunes.

Parmi tout ce que leur offrait la forêt, les singes préféraient les mangues. Avant la saison des pluies, un arbre immense qui s'élevait au bord de la rivière se chargeait des plus délicieux de ces fruits. Leur chair avait la couleur du soleil et le goût du miel. Les singes les savouraient en famille, haut perchés dans les arbres, à l'abri des regards indiscrets.

Déva, le cousin du roi des singes, grimpa un jour dans le plus grand manguier en criant :

« Mangez, mangez ! Mordez la première, croquez la seconde et dégustez la troisième ! »

Il jonglait follement avec les mangues sans se soucier de celles qui tombaient en grand nombre au pied de l'arbre. « Goûtez- les toutes ! Il y en a tellement, dévorons les plus douces et jetons les autres ! »

Ce singe cherchait une fois de plus à se rendre intéressant. On chuchotait ¿ dans son dos, car il se montrait souvent violent ¿ qu'il n'avait plus toute sa raison. Il est vrai que Déva était rongé par la jalousie : les membres du clan n'avaient pas voulu de lui comme roi, ils avaient choisi son cousin, Mahakapi.

Or, on le sait, toute folie est contagieuse : un jeune mâle du clan se mit bientôt à ¿ singer Déva ! Puis un autre, et un autre. En un instant, ils furent cent. Les mangues volaient dans les airs et, pour finir, ce fut en véritable averse qu'elles s'écrasèrent sur le sol. Comme chaque jour, Mahakapi le singe roi, celui que tous vénéraient pour son infinie sagesse, s'en allait méditer dans un lieu isolé. Quand il revint, il découvrit ce qui s'était passé en son absence. Immédiatement, il convoqua la Grande Assemblée. Tous les singes s'y rendirent, le ventre rebondi, le menton fleuri de pulpe sucrée.

Mahakapi les salua :

-- Parents, cousins, amis, alliés, hommage à vous tous réunis. Je vous ai souvent prévenus : ne laissez jamais une mangue entamée tomber jusqu'à terre, et enterrez toujours noyaux et épluchures. Avez-vous oublié mon conseil ? Si nos voisins, les hommes, apprennent qu'il est possible de manger ces fruits, ils voudront s'emparer de toute la récolte.

-- A quoi bon se soucier des hommes ? protesta Déva. Prenons les mangues qui sont les plus juteuses, les plus savoureuses, et laissons les autres. Si nos voisins se mettent à en cueillir, aucune importance, nous aurons eu les meilleures !

Déva, dans sa stupidité, ignorait que les hommes ont fort peu l'esprit de partage.

-- S'ils commençaient à en goûter, ils voudront toutes, expliqua Mahakapi. Ils nous chasserons de la forêt pour nous empêcher de les cueillir. Cessez de vous montrer si insouciants : n'abandonnez plus ainsi le reste de vos repas !

Les singes approuvèrent sans trop d'enthousiasme et grimpèrent à nouveau sur les branches. Mais l'habitude était prise : une montagne de mangue à peine mordillées continuait à s'élever au pied de l'arbre.

Un homme vint à passer par la forêt, un de ces voyageurs pour qui le monde est toujours trop étroit. Il suivait la berge de la rivière en quête de nouveaux horizons à explorer, de richesses à conquérir. Les mangues jetées en tas l'intriguèrent, il s'en approcha et examina un fruit.

« Qu'est-ce que ceci ? Les singes ont mordu dedans ! Si cette chose est bonne à manger, pourquoi la recracher ? Oh ! en voilà une à demi dévorée, et une autre dont il ne reste presque rien ! ».

L'homme n'était pas sot, il comprit très vite que les fruits qu'il venait de découvrir étaient comestibles et qu'il devait s'en trouver de plus savoureux que d'autres. Il cueillit donc la mangue la plus lourde qui était à sa portée. De l'ongle, il fit une entaille dans la peau : des perles de jus sucré en sortirent. Prudent, il y goûta d'abord du bout de la langue. Miracle ! il n'avait jamais rien connu d'aussi bon. La mangue fut épluchée. A l'intérieur, elle était aussi belle à regarder qu'à manger.

« Ma fortune est faite ! s'écria l'homme. Je vais rapporter ce mets de choix à mon souverain, le rajah, et je lui dirai où se trouve l'arbre qui le produit. Il le fera sien, ce sera l'une des merveilles de son royaume, et je recevrai beaucoup d'or pour lui avoir procuré un tel présent. Quant à ces singes, il sera plus facile de s'en débarrasser : le rajah ordonnera de les tuer tous s'ils s'obstinent à dévaster cette forêt. Elle n'appartient qu'à lui désormais.

Les tuer tous ¿les tuer tous ¿

L'écho de ces paroles parvint jusqu'aux oreilles d'un singe qui était descendu sur une branche basse du manguier pour mieux observer le voyageur.

Les tuer tous ¿ les tuer tous ¿

La terrible menace ne tarda pas à être connue du clan tout entier. Les mères serraient leurs petits contre elles, tandis que Déva lançait des cris de défi et de bravade après s'être bien assuré qu'il ne risquait rien. Quant aux anciens, singes gris et vieilles guenons, ils cessaient de trembler et de se lamenter :

« C'en est fini de nous ! Nous ne pouvons survivre et si nous restons, ce sera la mort. Oh ! Que faire ? Que faire ? »

Quelqu'un cria le nom de Mahakapi. Et tous, sauf Déva, répétèrent bientôt, le c¿ur chargé d'espoir : « Mahakapi ! Mahakapi ! Allons le chercher ! Lui seul peut nous sauver ! »

Nul besoin de convoquer la Grande Assemblée. Cette fois, le clan au complet courut au plus vite trouver Mahakapi. Quand ils le rejoignirent là où il méditait, chacun voulu lui parler en premier et ce fut très vite une belle pagaille. Mahakapi interrompit ce vacarme :

-- Parents, cousins, amis, alliés qui ne m'avez pas écouté, je devine pourquoi vous êtes venus. Toujours les mêmes folies produisent les mêmes tourments. Maintenant qu'ils ont découvert le trésor des mangues, les hommes viennent pour nous massacrer. Il nous faut fuir ou notre fin est certaine. Un vieux s'écria :

-- Ils approchent, le roi a raison ! Ne sentez-vous pas le sol trembler sous les pas de leur armée ?

-- Que faire ? Que faire ? Que faire ? répétèrent les membres du clan, au comble de la terreur.

-- Ecoutez-moi ! ordonna Mahakapi. Montons sur le grand manguier, l'une de ses branches s'étend au dessus de la rivière. Nous nous en servirons pour passer sur l'autre rive, jamais les hommes ne pourront nous y suivre. Là-bas, nous chercherons un nouveau territoire.

-- Cette branche ne sera pas assez longue, ricana Déva.

-- Vous passerez tous, je vous le promets.

Les singes bondirent vers le manguier. Il était temps, l'armée des hommes était toute proche. Le rajah lui-même conduisait l'expédition, il avait suivi les indications données par le voyageur et entendait prendre possession de son bien sans tarder.

Ce rajah s'appelait Brahmâdatta, il régnait sur le royaume qui s'étendait en amont de la rivière. Dès qu'il vit les singes, il ordonna :

« Encerclez l'arbre et tuer ces bêtes ! Il faut les empêcher de regagner la forêt, sinon elles reviendront se livrer au pillage ». Son regard fut tout à coup attiré par un étonnant spectacle : l'un des singes était suspendu au dessus de l'eau. Il s'était accroché par les pattes de derrière à une longue branche du manguier, tandis que ses pattes de devant se cramponnaient au feuillage d'un arbre poussant sur la berge opposée. Le corps de l'animal formait, dans ce périlleux équilibre, un pont sur lequel les singes passaient pour fuir le piège mortel que les hommes leur avaient tendu.

Brahmâdatta éprouva une sincère admiration envers ce singe qui n'hésitait pas à braver la mort pour sauver son peuple. Dans une pareille situation, lui qui régnait sur les hommes, serait-il capable d'une telle bravoure et du même sacrifice ? A cette question, Brahmâdatta ne trouva nulle réponse. Aussi, saisit par le doute, il commanda à ses hommes de ne point se servir de leurs lances contre les singes et de les laisser partir.

Là-haut, dans l'arbre, un dernier animal s'apprêtait à grimper sur Mahakapi : c'était Déva. Quand il fut perché sur son cousin, il se mit à sauter sur son cousin comme un forcené. Avant de rejoindre l'autre rive, Déva fit encore un bond sur le dos de Mahakapi. On entendit soudain un bruit sec, un bruit d'os qui se brise : la colonne vertébrale du singe roi s'était rompue. Il résista encore quelques secondes, puis lâcha prise. Son corps, comme une lourde pierre, tomba et s'enfonça tout d'abord dans l'eau profonde.

Un instant plus tard, Mahakapi remonta à la surface, et le courant commença à l'emporter. De l'autre côté, les membres du clan s'enfuyaient sous le couvert des arbres. Tous avaient traversé.

Devant ses soldats Brahmâdatta, oubliant son rang de souverain, se précipita pour porter secours au singe. Il avança dans le lit de la rivière et ne tarda pas à le saisir et à le soulever dans ses bras. Mahakapi ressemblait à un pantin désarticulé. La vie s'en allait, elle le quittait peu à peu. Brahmâdatta demanda :

-- Tu as fait un pont de ton corps pour que ton peuple ait la vie sauve. Un singe, un simple singe pourrait-il montrer tant de bonté ? Qui es-tu donc ? Mahakapi ouvrit les yeux et parla. Il parla la langue des hommes.

-- Sous cette forme ou sous une autre, je suis l'ami qui toujours revient. La mort ne peut m'arrêter, ma tâche est infinie. Pour que chacun se libère de la souffrance et franchisse un jour les portes de la sagesse, je suis l'ami qui toujours revient. Ce fut tout. Mahakapi avait cessé de vivre.

Brahmâdatta demeura longtemps en silence, à méditer l'exemple que lui avait donné le singe.

Il ordonna qu'on parfumât Mahakapi en le frottant avec des huiles précieuses et des fleurs, puis qu'on le couvrît d'un beau drap jaune. Les soldats dressèrent ensuite un bûcher de bois sec où le corps de l'animal fût placé. Le roi lui-même alluma le feu. Un petit abri au toit de palmes fut construit près de l'arbre, on y déposa les cendres du roi des singes sous une statuette qui le représentait.

Brahmâdatta décida que la forêt resterait ouverte à tous, hommes et bêtes. Chacun pourrait désormais y cueillir les fameux fruits sans avoir à redouter sa colère.

Le rajah et ses hommes reprirent le chemin par lequel ils étaient venus. Bientôt leurs silhouettes s'effacèrent dans le lointain et la forêt retrouva son calme. Le temps reprit sa course, pareil au flot de la rivière.

L'année suivante, avant la saison des pluies, les singes s'en retournèrent vers le grand manguier. Des hommes y vinrent aussi. Les habitudes des uns ne tardèrent pas à devenir celles des autres ¿ A leur tour, les hommes se mirent à gaspiller les merveilleux fruits sans souci du lendemain : une montagne de mangues à peine entamées s'éleva à nouveau au pied de l'arbre.

Elles sont loin, les portes de la sagesse. Avant de les entrouvrir, combien de temps faudra-t-il encore attendre l'ami qui toujours revient ?

Texte de Patrice Favaro

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Invité mamandrinette
Invités, Posté(e)
Invité mamandrinette
Invité mamandrinette Invités 0 message
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J'ai adoré...Je le garde de côté pour raconter ce beau conte à mes p'tites mamandrinette...Merci :smile2:

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