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Histoire de la Russie

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sagaidatch

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Russie, lettre 13 : le règne de Théodore (Féodor) 1584-1598


29 octobre 2019,


Samuel,

Après la mort d’Ivan, le 19 mars 1584, son fils Féodor (Théodore) Ivanovitch lui succéda. C’était un personnage indécis, souffreteux, sorti terrorisé du règne cruel de son père. Il chercha un mentor et il le trouva en la personne de son beau-frère, Boris Godounov dont il avait épousé la sœur, Irène. Issu d’une famille noble d’origine mongole, converti à l’orthodoxie, Boris était un homme illettré mais remarquablement intelligent. Grâce à son influence sur Féodor il devint le véritable chef de la Russie dès 1588.

Le règne de Féodor fut marqué par un événement d’une importance capitale pour le rayonnement spirituel de la Russie et sa volonté d’incarner la troisième Rome : la création le 26 janvier 1589 d’un patriarcat en Russie dont le premier titulaire fut le métropolite Job. Jusqu’alors il existait quatre patriarcats, ceux d’Antioche, de Constantinople, d’Alexandrie et de Jérusalem. Les quatre patriarches dirigeaient l’Église orthodoxe mondiale, leur chef étant Jérémie, le patriarche de Constantinople. Mais ils étaient tous implantés dans des territoires dominés par l’Empire ottoman, aussi leur condition d’existence était difficile. Quand Jérémie vint à Moscou demander une aide financière, Boris Godounov sut habilement manœuvrer pour exiger la création de ce cinquième patriarcat (en fait Jérémie ne fut autorisé à retourner chez lui qu’après avoir accepté de créer ce cinquième patriarcat).

Le Tsar reprit la guerre de Livonie reprenant aux Suédois, par un traité signé en 1595, les villes et les territoires que la Russie avait dû céder par le traité de 1583 (voir lettre précédente).

Sous son règne la conquête de la Sibérie commencée par les Cosaques fut assurée par l’État moscovite avec la création des villes de Tioumen en 1586 et Tobolsk en 1587 (voir lettre précédente).

En 1586 un royaume orthodoxe géorgien, la Kakhétie, en Transcaucasie (Transcaucasie : au-delà du Caucase, voir carte Ivan 1 de la lettre précédente) demanda protection à Moscou craignant d’être attaqué par l’Empire ottoman, ou encore la Perse. Le Tsar n’accorda qu’un soutien minime au petit royaume, peu désireux de rentrer en conflit avec la Porte Sublime. Mais cette demande indiqua dans quelle direction, plus tard, l’expansionnisme russe allait se déployer.

En 1591, à 9 ans et demi mourut le prince Dimitri d’Ouglitch, le frère de Féodor. Ce dernier n’ayant pas d’héritier ainsi s’éteignit la dynastie des Rurik.

Féodor s’éteignit le 7 janvier 1598. Alors commença le Temps des Troubles.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Russie, lettre 14 : le Temps des Troubles 1598-1613


1) Boris Godounov 1598-1605


31 octobre 2019

Samuel,

Le 7 janvier 1598 le Tsar Féodor s’éteignit. En l’absence d’héritier la tsarine Irina, sa femme, assura la régence. Au bout de neuf jours, elle renonça à sa charge, demanda au patriarche Job de convoquer un Zemski Sobor et rentra dans un couvent.

Le Zemski Sobor était une institution représentative de la société moscovite composée de délégués des quatre classes dominantes : l’Église, l’armée, l’administration de l’État, les négociants et entrepreneurs.

Boris Godounov, en concurrence avec les boyards, mobilisa le peuple en sa faveur grâce à des manifestations de soutien qu’il sut susciter. Il fut élu, il devint ainsi le premier tsar élu de la Moscovie.

Ses années de régence sur le plan international furent apaisées. La guerre de Livonie était finie, une paix de vingt ans avait été signée avec la République des deux Nations (la Pologne-Lituanie réunie depuis 1569), le belliqueux khan de Crimée avait fort à faire avec les Cosaques qui ne cessaient de faire des incursions sur son territoire.

Boris s’ouvrit à l’Occident engageant des relations commerciales avec les Allemands et les Anglais. Le développement d’un quartier des étrangers, situé à Moscou, appelé Faubourg des Allemands fut encouragé, un temple protestant y fut construit. Sur le modèle de l’Occident Boris voulut créer une université d’État mais l’Église s’y opposa soucieuse de garder son monopole quant à l’enseignement.

Sur le plan intérieur les événements virèrent au tragique. Le monde paysan était sorti exsangue du règne du Terrible. Le servage institué par ce dernier, renforcé par Féodor sous l’influence de Boris, soumit les paysans à une exploitation intense conséquence de l’effort de guerre financé par les hommes de service (l’armée) propriétaires terriens. Ce servage heurtait les paysans qui, traditionnellement, avaient jusqu’à l’institution du servage, la liberté chaque année, le 26 novembre, lors de la Saint-Georges, de quitter la terre exploitée pour en choisir (ou pas) une autre. Ils furent nombreux à se sauver de la terre moscovite pour aller défricher les terres lointaines des khanats annexés par le Terrible. Parfois ils allaient grossir les rangs des Cosaques.

Ces conditions sociales affectèrent l’exploitation des terres et aboutirent à de faibles récoltes. Une famine survint en 1601 et dura trois ans. Des Russes moururent par milliers, des pillards apparurent. Organisés en bandes ils attaquèrent Moscou. Ils furent défaits par l’armée du Tsar. La popularité de Boris s’effondra.

Parallèlement à ces événements, dès 1600 une rumeur se répandit. Le jeune frère de Féodor, Dimitri d’Ouglitch, mort à 9 ans et demi (voir lettre précédente) aurait réussi à survivre. Boris aurait tenté de le tuer pour prendre le pouvoir. Mais un autre enfant serait mort à sa place. Dimitri serait vivant caché en Lituanie, prêt à revenir à la tête d’une armée pour renverser l’usurpateur. Les boyards qui ne supportaient pas que Boris ait pris le pouvoir à la place de l’un des leurs alimentèrent la rumeur. Peut-être même la créèrent-ils.

Un homme en effet apparut qui affirma : « Je suis Dimitri, fils du Terrible ». Il était à la tête d’une armée composée selon un historien : « de gueux ». Le 13 octobre 1604 cette armée pénétra en Russie, par le sud-ouest, venant d’Ukraine (qui ne portait pas encore ce nom à l’époque, il s’agit ici de la partie sud-est de la République des deux nations). Le 21 décembre 1604 les deux armées s’affrontèrent aux portes de Novgorod -Severski. Malgré l’énorme supériorité de l’armée du Tsar Dimitri fut victorieux. Mais Dimitri ne put pas payer ses troupes faute d’argent. Ses homme l’abandonnèrent. Traqué de toutes parts, extraordinaire cavalier, il disparut dans les forêts.

Il reconstitua une armée cette fois-ci composée de Cosaques du Don et de Cosaques Zaporogues.

Le 1er avril 1605 le Tsar Boris mourut subitement peut-être empoisonné. Son fils Féodor âgé de 16 ans devint le nouveau Tsar. L’impopularité de son père retomba sur lui. Abandonné de tous, non reconnu par les boyards nostalgiques du pouvoir, il ne put compter que sur son clan familial. Les chefs de l’armée tsariste le trahirent et firent allégeance à Dimitri.

Le 30 juin 1605 Dimitri fit une entrée triomphale à Moscou. Le 18 juillet la tsarine Maria, la mère de Dimitri, devenue la nonne Marfa sortit du couvent et tomba dans les bras de son fils. Quant à Féodor, lui et sa mère furent assassinés. Le 30 juillet 1605 le nouveau patriarche Ignace couronna le nouveau Tsar en l’église de l’Assomption.

Ainsi Dimitri devint le nouveau Tsar. Mais Dimitri n’était pas Dimitri lequel était bien mort en 1591. Dimitri était un imposteur. Dimitri était un moine, il s’appelait Grigori Otrepiev.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Russie, lettre 14 : le Temps des Troubles 1598-1613
 

2) Grigori Otrepiev, le faux Dimitri, 30 juillet 1605-17 mai 1606
 

2 novembre 2019

Samuel,

A peine arrivé au pouvoir le Tsar, dénommé officiellement Dimitri II, dut repousser un complot formé par la famille princière des Chouïski qui avait déjà empoisonné la vie du Terrible (voir lettre 12, troisième partie, la régence des Sept-Boyards). Le chef de la famille, Vassili, affirma que Dimitri était un imposteur. Ce dernier réagit, convoqua un Zemski Sobor (voir lettre précédente) et parvint à faire condamner son ennemi pour sédition. Quand Vassili arriva face au billot alors Dimitri le gracia.

Dimitri forma de vastes plans. Il résolut de gouverner en autocrate certes mais sans désormais exercer la force et la terreur mais la persuasion. Il projeta de soulager la misère des paysans et de les libérer en rétablissant la coutume de la Saint-Georges (voir lettre précédente). Il projeta de créer des écoles, il écrivit : « Je veux qu’on apprenne dans mon État à lire et à écrire, je fonderai une Université à Moscou, j’enverrai les Russes en terre étrangère et je convierai chez moi des étrangers intelligents et savants ». Il doubla les émoluments de tous les serviteurs de l’État et entreprit de lutter contre la corruption. Enfin il ouvrit la Russie aux marchands allemands, anglais, italiens et polonais.

Mais il n’eut pas le temps de réaliser ses projets. Vassili Chouïski ourdit de nouveaux complots contre lui.

Le 24 avril 1606 arriva à Moscou, la fiancée de Dimitri, Marina Mniszek, la fille d’un voïvode polonais (gouverneur militaire) Georges Mniszek qu’il avait connu en Pologne-Lituanie où il avait séjourné lors de la mise sur pied de son armée. Le cortège qui entourait la jeune femme était impressionnant, constitué de milliers de Polonais. Ce qui ne plut pas trop aux Moscovites qui voyaient dans les Polonais des envahisseurs fauteurs des guerres passées et des infidèles catholiques.

Le 8 mai 1606 eut lieu le mariage de Dimitri et de Marina. Alors Chouïski lança son attaque. Pendant les festivités il créa le désordre parmi la garde en incitant la foule à occuper le Kremlin faisant croire que les Polonais voulaient tuer le Tsar. Il ouvrit les portes des prisons pour ajouter au désordre. Il profita alors de l’affolement général pour infiltrer ses hommes près de Dimitri, ils l’assassinèrent. Ainsi périt celui qui pensait qu’il était Dimitri Ivanovitch : ceux qui l’approchèrent se rendirent compte en effet que l’homme avait acquis la certitude qu’il était bien le fils du Terrible.

Marina et son père Georges furent renvoyés en Pologne. Vassili Chouïski devint Tsar le 29 mai 1606 sous le nom de Vassili IV Chouïski.

Même si Dimitri II ne put réaliser ses projets ses idées inspirèrent plus tard Pierre-le-Grand qui lui aussi manifesta un grand intérêt pour l’Occident, s’entoura d’étrangers, s’occupa de l’instruction du peuple, encouragea le commerce.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Russie, lettre 14 : le Temps des Troubles 1598-1613
 

3) Vassili IV Chouïski 29 mai 1606-27 juillet 1610


3 novembre 2019
 

Samuel,

La nomination rapide de Vassili, sans consultation d’un Zemski Sobor, passa mal dans la population. De nombreux princes dont notamment Grégoire Chakhovskoï et Ivan Khvorostinine s’opposèrent aussitôt à son intronisation. Quand aux populations paysannes des provinces, restées fidèles à Dimitri, en lequel elles avaient mis leurs espoirs de libération sociale, elles s’insurgèrent. Seule la population de Moscou soutint Vassili car elle voyait en lui celui qui l’avait débarrassée des Polonais trop présents dans la capitale du fait des attaches de Dimitri avec la Pologne.

Bien que Vassili eut exposé le corps de Dimitri sur la place publique avant de l’écarteler puis de l’incinérer dispersant ses cendres par un coup de canon tiré vers la Pologne une rumeur alimentée par Marina Mniszek courut : Dimitri n’était pas mort, son corps supplicié, exposé, n’était pas le sien. Dimitri allait revenir.

Les rebelles se rassemblèrent en une même armée, les nobles se tenant derrière Grégoire Chakhovskoï, les paysans et les classes populaires derrière Ivan Bolotnikov, personnage de légende. D’origine noble Bolotnikov était devenu le serf d’un boyard puis il s’était enfui chez les Cosaques. Il avait ensuite été fait prisonnier par les Turcs et condamné aux galères. Libéré par un navire allemand qui avait attaqué les Turcs il s’était installé à Venise puis traversant la Hongrie et l’Allemagne il avait gagné la Pologne où il avait rencontré et rallié Dimitri (le moine) avant que celui-ci ne marche sur Moscou.

En octobre 1606 cette armée, stimulée par le retour annoncé de Dimitri que nul pourtant n’avait encore revu arriva aux portes de Moscou. L’armée du Tsar commandée par un remarquable stratège, le jeune neveu de Vassili, Michel Skopine-Chouïski, âgé de 21 ans repoussa les assaillants. Cette défaite provoqua le désertion de nombreux nobles qui rallièrent le Tsar. Contraints à la retraite Chakhovskoï et Bolotnikov se replièrent sur Toula (195 km au sud de Moscou). En 1607 l’armée du Tsar les attaqua et les vainquit. Chakhovskoï fut exilé dans le nord de la Russie et Bolotnikov fut tué.

C’est alors qu’apparut Dimitri. Surgi à Starodoub [Starodoub se trouve à 475 km au sud-ouest de Moscou] il lui suffit de s’affirmer fils du Terrible pour être aussitôt rallié par les rebelles. Encore aujourd’hui nul ne sait trop qui il fut, les dernières recherches parlant d’un maître d’école orthodoxe portant toujours avec lui le Talmud ce qui laisse penser qu’il était juif (vraisemblablement nommé Bogdanko). A la différence du Dimitri précédent il savait qu’il n’était pas le vrai fils du Terrible et son entourage le savait aussi. Mais qu’importe il sut incarner le mythe, cela seul comptait.

Rallié par les rebelles, les Cosaques et des chefs de guerre polonais grâce à l’onction de Marina Chouïski, la princesse polonaise qui le reconnut comme étant son époux, enhardi par Marfa la mère du vrai Dimitri (la nonne, voir lettre 14-Boris Godounov) qui le reconnut à son tour comme étant son fils, au printemps 1608, il renversa l’armée du Tsar commandée par le frère de Vassili, Dimitri Chouïski et s’approcha de Moscou. Alors lui fit face Michel Skopine-Chouïski qui parvint à le repousser sans pouvoir le vaincre.

Dimitri-Bogdanko incapable de prendre Moscou s’installa à Touchino, près de Moscou ce qui lui valut le surnom de « brigand de Touchino » [Aujourd’hui Touchino fait partie de Moscou]. Il y organisa une cour, une Douma de boyards et même une administration d’État en concurrence avec les institutions du Tsar de Moscou. Aucun camp ne parvenait à vaincre l’autre.

En février 1609 Vassili Chouïski signa un accord avec la Suède pays dominant de l’époque qui avait des vues sur la Pologne et sur la Russie. Il obtint une aide militaire suédoise mais il dut renoncer à toutes visées sur la Livonie et il dut signer une alliance éternelle contre la Pologne.

Épaulé par les Suédois Michel Skopine-Chouïski parvint à chasser Dimitri-Bogdanko de Touchino. Dimitri s’enfuit à Kalouga (160 km au sud-ouest de Moscou).

Mais le souverain de la Pologne-Lituanie, Sigismond III, furieux de l’alliance conclue entre la Suède et la Russie décida d’attaquer la Russie. Son armée rencontra sur son chemin Smolensk qui résista héroïquement. Le général polonais Stanislas Zolkiewski finit par vaincre la résistance de la ville et marcha vers Moscou. Dimitri-Bogdanko reconstitua ses forces armées (les Cosaques l’avaient suivi à Kalouga) et marcha à son tour sur Moscou.

Michel Skopine-Chouïski mourut soudainement, empoisonné (nul ne sait par qui, sans doute par sa famille qui craignait qu’il ne s’empara du pouvoir, étant donné la grande popularité dont il bénéficiait à Moscou au vu de son héroïsme). Dimitri Chouïski le frère du Tsar le remplaça et prit la tête de l’armée moscovite. Il s’avança au devant des Polonais. Piètre stratège, au contraire de Michel, son armée pourtant considérable au regard du détachement polonais, fut mise en pièces à Klouchino (près de Smolensk) le 4 juillet 1610. Zolkiewski reprit sa marche sur Moscou.

Cette défaite signa la fin du Tsar. Les boyards le renversèrent le 27 juillet 1610 et le mirent d’autorité dans un couvent. La Douma des boyards, au nombre de sept, prit le pouvoir. Pour la deuxième fois de son histoire la Russie fut ainsi dirigée par un gouvernement de sept boyards.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Russie, lettre 14 : le Temps des Troubles 1598-1613

 

4) Le désordre final 27 juillet 1610-21 juillet 1613


4 novembre 2019

Samuel,

Le pouvoir central était effondré. Les Sept-Boyards devaient trouver une issue. Zolkiewski et les Polonais-Lituaniens entrèrent dans Moscou. Les deux puissances en présence étaient Sigismond III représenté par le détachement militaire de Zolkiewski et l’armée dirigée par Dimitri (le deuxième). Le peuple penchait pour une entente avec Dimitri qui apparaissait comme le défenseur des classes populaires. Mais les boyards peu enclins à donner le pouvoir aux rebelles choisirent l’alliance avec la Pologne.

Ainsi le gouvernement des Sept-Boyards convoqua un Zemski Sobor présidé par le prince Féodor Milolavski. Le 17 août 1610 le Sobor conclut un accord avec Zolkiewski et choisit pour Tsar le fils de Sigismond III, Ladislas. Dans l’esprit des boyards il s’agissait d’une nomination personnelle et honorifique. Ladislas devait se convertir à l’orthodoxie et défendre les intérêts de la Russie. Mais Sigismond, le père de Ladislas, ne l’entendait pas ainsi. Lui voulait conquérir la Russie, imposer la religion catholique et intégrer le pays dans la République des deux Nations. Aussi lorsque les boyards vinrent parlementer avec lui devant Smolensk pour signer un traité selon leurs vues Sigismond refusa de les écouter. Pire il les arrêta et les emprisonna. Le gouvernement des Sept-Boyards fut ainsi décapité. Sigismond III rappela Zolkiewski qui était favorable aux vues des boyards en exigeant qu’il ramène avec lui Vassili Chouïski et ses frères (qui moururent en exil). Zolkiewski laissa à Moscou un détachement militaire polonais dirigé par Alexandre Gonciewski. Ladislas resta à Smolensk et son père entreprit de marcher sur Moscou.

Entre-temps le choix de Ladislas par les Russes comme Tsar déplut aux Suédois. Ils envahirent l’État moscovite au nord et assiégèrent Novgorod.

Occupés par un détachement polonais, menacés d’être annexés à la République des deux Nations, menacés par les Suédois, les Russes réagirent. Hermogène le nouveau patriarche appela à se soulever contre les envahisseurs. Dimitri ne fut plus un problème : il fut assassiné le 10 décembre 1610 ce qui anéantit les visées conquérantes de son armée.

Gonciewski arrêta le patriarche Hermogène qui mourut en prison le 17 févier 1611. Avant de décéder il eut le temps de galvaniser par écrit toutes les villes principales de Russie. Un mouvement de sursaut national se forma qui prit le nom de « première levée en masse ».

Une milice populaire composée de nobles, de paysans, d’anciens soldats de Skopine-Chouïski, d’éléments issus de l’armée de Dimitri et de Cosaques, dirigée par Procope Liapounov, Dimitri Troubetskoï et Ivan Zarouski marchèrent sur Moscou au cours de l‘hiver 1611. Le détachement polonais retranché à Moscou mit le feu à la ville et se réfugia dans le Kremlin. Les insurgés rentrèrent dans Moscou, incendiée. Ils tentèrent de mettre sur pied une nouvelle administration. Mais ils ne s’entendirent pas, les Cosaques tuèrent Procope Liapounov en juillet 1611. Du coup la milice se débanda.

Sigismond III s’approchait de Moscou. Les Suédois prirent Novgorod.

A Pskov un troisième faux Dimitri apparut sans parvenir à fédérer autour de lui. A Kalouga la veuve de Dimitri, Marina Mniszeck, tenta de former un pôle de résistance autour du fils qu’elle avait eu du deuxième Dimitri, fils appelé « petit brigand ». Elle donna son soutien à Zarouski qui reprit le siège de Moscou soutenu par les Cosaques restés fidèles à Marina.

Vu l’échec de la première milice populaire l’Église orthodoxe reprit l’initiative du rassemblement des forces nationales. A Nijni-Novgorog (actuelle Gorki) un homme remarquable, simple, patriote, Kouzma Minime, boucher de son état, parvint, grâce à son charisme à mobiliser la population de la ville puis celle de toute la Russie. Une nouvelle armée se leva commandée par Dimitri Pojarski, Minime se chargeant de l’intendance et de la trésorerie. Pojarski obtint des Suédois qu’ils cessent leur offensive.

Au début de septembre 1612 cette seconde armée atteignit Moscou. Les Cosaques de Zarouski, qui entre-temps avaient arrêté l’offensive de Sigismond III se joignirent pour partie à Pojarski, les autres retournèrent sur leurs terres emmenant avec eux Zarouski, Marina et le petit brigand. Début novembre les Russes déclenchèrent l’assaut. Après d’âpres combats il se rendirent maîtres des positions polonaises. Le bataillon réfugié dans le Kremlin après avoir mangé les parchemins, les cierges, les selles, les brides et même les morts finirent par se rendre.

En janvier 1613 les délégués de cinquante villes gagnèrent la capitale incendiée et ruinée pour procéder à l’élection d’un nouveau souverain. Le 7 février 1613 Le Zemski Sobor choisit Michel Romanov.

Les Romanov étaient populaires en Russie. Tous se souvenaient de la douce épouse du Terrible, Anastassia Romanova, la seule qui avait su l’apaiser. Nikita son frère avait lui aussi su contenir les colères du Terrible. Le fils de Nikita, le métropolite Philarète avait été fait prisonnier par les Polonais pour son patriotisme. Michel était le fils de Philarète, il était donc le petit-fils de Nikita, donc le petit neveu d’ Anastassia. Il avait 16 ans, il ne s’était jamais compromis dans aucune intrigue, il avait pour lui le soutien des Cosaques, il avait été reconnu par le patriarche Hermogène du temps de son vivant.

Le 21 juillet 1613 il fut couronné Tsar. Un historien (Platonov) écrivit : « aux yeux des contemporains c’était Dieu lui-même qui avait choisi le souverain, et le pays tout entier exulta de joie et célébra l’événement ».

La dynastie des Romanov devait régner sur la Russie durant trois cents ans de 1613 à 1917.

Ainsi s’acheva le Temps des Troubles.

Aujourd’hui en Russie, en commémoration de la victoire du peuple russe sur les Polonais-Lituaniens est fêtée le jour de l'Unité nationale ou jour de l'Unité du Peuple.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Russie, lettre 15 : le règne de Michel Romanov 1613-1645


24 novembre 2019


Samuel,


Le Tsar âgé de 16 ans s’appuya pour gouverner sur l’institution du zemski sobor. Sous son règne les sobors, assemblées de délégués élus de toute la « terre russe », représentatifs de toutes les couches de la population, furent largement consultés ce qui donna une forte légitimité au gouvernement. Mais Michel collabora aussi avec l’assemblée des boyards, la Douma, afin de ne pas s’aliéner l’aristocratie du pays.

La première tâche à remplir était de restaurer l’ordre. L’anarchie régnait partout, le pays était parcouru par des bandes de soudards, certains Cosaques refusaient encore l’autorité du Tsar. Ces derniers rebelles protégeaient Ivan Zarouski (voir lettre précédente), Marina Mniszek et son fils le « petit brigand ».

En juin 1614 près de six-cents Cosaques protégeant les trois fugitifs furent encerclés par les troupes moscovites. Mais il n’ y eut pas bataille. Les Cosaques se laissèrent convaincre de faire serment d’allégeance au nouveau Tsar. Zarouski, Marina et son fils furent arrêtés. Zarouski subit le supplice du pal, le petit brigand (âgé de quatre ans) fut pendu et Marina mourut en prison.

Les autres bandits furent enrôlés dans l’armée en échange d’une amnistie effaçant tous leurs méfaits.

Il fallut ensuite repousser les Polonais et les Suédois.

Le nouveau roi de Suède Gustave II dont les ambitions se portaient désormais vers d’autres objectifs en Europe (l’Allemagne) signa rapidement un traité de paix à Stolbovo en 1617. Il rendit Novgorod aux Russes mais il garda toutes les terres en front de la mer Baltique ce qui empêchait la Russie d’accéder à cette mer. En outre la Russie dut payer 20 000 roubles.

Concernant les Polonais (voir lettre précédente) la situation avait évolué. Sigismond avait renoncé à conquérir la Russie. Mais Ladislas son fils voulait tout de même devenir Tsar à la place de Michel. En effet (voir lettre précédente) le Sobor du 17 août 1610 l’avait choisi pour Tsar. Il se considérait légitime et considérait donc que Michel était un usurpateur. Il ne voulait pas conquérir la Russie pour l’annexer à la Pologne il voulait régner en tant que Tsar.

Ladislas leva une armée dirigée par Chodkiewicz l’un des capitaines les plus fameux de Pologne. En outre 20 000 Cosaques zaporogues l’accompagnèrent (les Cosaques zaporogues habitaient en Pologne-Lituanie, dans le sud-est du royaume, sur des terres qui donnèrent naissance à l’Ukraine ; il ne faut pas les confondre avec les Cosaques du Don qui, eux, habitaient en Russie ; cela dit tous vivaient dans des territoires limitrophes et étaient de même origine). Les Cosaques étaient dirigés par Piotr Konachevitch Sagaïdatchny, lequel reçut les insignes d’hetman (chef des Cosaques) de Ladislas : l’épingle, le gonfalon (bannière attachée à la hampe d’une lance) et le tambourin.

Arrivés devant Moscou ils essayèrent de convaincre les moscovites de donner le titre et la fonction de Tsar à Ladislas. Refus des moscovites. Il y eut quelques bagarres. L’armée moscovite était trop faible pour vaincre. Ladislas ne désirait pas écraser la Russie.

Finalement Ladislas et les Cosaques ne se décidèrent pas à attaquer. Le 1 décembre 1618 Moscou et Varsovie signèrent à Déoulino un accord de paix pour 14 ans. Moscou accepta de perdre Smolensk, Ladislas ne renonça pas pour autant au trône russe. Il décida de laisser les Russes réfléchir.

Grace à ce traité de paix temporaire, Philarète, le père de Michel, qui était prisonnier des Polonais, fut libéré. Nommé patriarche peu après son arrivée à Moscou par le patriarche universel (celui de Jérusalem) Téophane III, il fut en plus élevé à la dignité de veliki gossoudar, Grand Souverain, et il vint seconder son fils au pouvoir. Ainsi l’État russe fut désormais gouverné par deux souverains. Philarète avait pour lui l’expérience de la vie, l’autorité et la compétence. Le père et le fils décidèrent de reconstruire l’État.

Il fut procédé au recensement de la population et des terres (grâce à l’établissement d’un cadastre, système de repérage géométrique des parcelles de terre). Cela facilita la collecte de l’impôt. Philarète renforça la lutte contre la corruption des fonctionnaires. Pour lutter contre le brigandage qui avait repris, le système d’autogestion locale mis en œuvre par Ivan le Terrible fut rétabli (voir lettre 12, troisième partie, 3) première époque). Le pays fut divisé en unités administratives, goubas, dirigées par un staroste élu (ou nommé) chargé de faire respecter l’ordre.

Devant le manque de main d’œuvre paysanne, due à la baisse de la population et à la tendance à l’errance des ouvriers agricoles, le servage, rattachement à une terre des paysans, fut renforcé.

Le pays s’ouvrit aux étrangers afin de développer l’industrie. Les étrangers reçurent des avantages et des privilèges pour construire des usines produisant du fer, des canons, des boulets, des montres et des objets en or. Néanmoins tout le monde se méfiait d’eux. Ils devaient construire leurs usines loin des villes et les Russes ne s’empressaient pas de leur parler.

Les étrangers furent aussi enrôlés dans l’armée. Les moscovites firent appel à des mercenaires comme officiers et instructeurs. Les ressortissants de toutes les nations furent acceptés sauf les catholiques.

Les Russes enrôlèrent des spécialistes dans tous les domaines de la guerre à prix fort mais ils les considéraient avec méfiance. Malgré leur solde élevée beaucoup de ces mercenaires regrettèrent d’être allés servir en Russie, car une fois sur le territoire, les Russes les contraignaient à rester et à servir.

L’armée une fois remise sur pied les Russes déclarèrent la guerre à la Pologne bien décidés à récupérer Smolensk. Ils arrivèrent devant la ville et ils l’assiégèrent. Ils en firent le siège pendant huit mois sans parvenir à faire tomber la cité. Pendant ce temps le 1er octobre 1633 Philarète mourut. Et Ladislas succéda à son père Sigismond mort lui aussi (en 1632).

Les Russes finirent par être défaits. Ils durent signer la paix de la Polianovka en 1635. Ils perdirent la terre de Tchernigov (avec les villes de Tchernigov et de Novgorod-Severski) ainsi que Smolensk. Les vainqueurs reçurent 20 000 roubles. Ladislas renonça au trône de Russie.

En 1637 les Cosaques du Don de leur propre initiative s’emparèrent d’Azov, forteresse turque, près de la mer du même nom (voir carte lettre 12). Cette forteresse interdisait aux Russes d’accéder à la mer Noire à partir du Don (l’embouchure du Don donne sur la mer Noire). En 1641 une énorme force turque tenta de reprendre la citadelle. 7590 Cosaques firent face à à 300 000 turcs. Le siège dura 93 jours. Les Turcs repartirent sans avoir pu reprendre la ville. Les Cosaques offrirent la ville au Tsar. Mais la Sublime Porte furieuse attendait que le Tsar lui rende la forteresse. Michel réfléchit et décida qu’une trop longue guerre contre les Ottomans ne valait pas la peine. Il rendit Azov au sultan.[Azov redeviendra russe en 1696 lorsque le petit-fils de Michel, Pierre le Grand décida de la reconquérir].

A l’est Michel continua la conquête de la Sibérie. Dans les années 1630 les colonisateurs atteignirent les rives de la Léna et fondèrent en 1632 la ville de Iakousk, voir carte lettre 12 [aujourd’hui capitale de la Iakoutie et ville la plus froide du monde] En 1636 des Cosaques atteignirent les rives du fleuve Amour.

Le Tsar Michel s’éteignit le 12 juin 1645 à l’âge de 49 ans.


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Russie, lettre 16 : le règne d’Alexis le Très-Paisible 1645-1676

28 novembre 2019


Samuel,


Le fils de Michel Romanov, Alexis Mikhaïlovitch, né en 1629, succéda à son père à l’âge de 16 ans. Surnommé le Très-Paisible en raison de sa douceur et de son affabilité son règne fut pourtant assez voire très agité. L’État moscovite mena d’incessantes guerres, de nombreuses révoltes éclatèrent. Les impôts pesèrent sur le pays, l’Église orthodoxe traversa une crise sévère. Le Tsar fit en outre adopter un nouveau code de lois : l’Oulojénié


1) L’Oulojénié

Le 1er septembre 1648, un Sobor fut convoqué. En janvier 1649 il produisit un nouveau code adopté par le Tsar. Le code resta en vigueur près de deux siècles jusqu’en 1833.

L’Oulojénié fixait les devoirs de la société envers l’État.

Il reconnaissait quatre grandes classes sociales : les hommes de service (ceux qui servaient l’État dans l’armée et l’administration), les gens de taille des faubourgs (les citadins), les gens de taille des campagnes (les paysans) et les kholops (les esclaves). Les citadins et les paysans devaient payer l’impôt (la taille).

A côté de ces quatre classes existaient deux autres classes : l’aristocratie composée des boyards, des nobles de cour et des princes. Et formant une classe à eux tous seuls : les richissimes Stroganov qui exploitaient les richesses de Sibérie et qui furent soumis à un impôt spécifique.

Chaque délit était suivi d’une sanction selon la qualité de la victime. S’il s’agissait d’un noble, le délinquant recevait des coups de knout et allait en prison (le knout était une courte tresse d’écorce et de lanières, parfois le knout était remplacé par le batog, badine souple et mince). S’il s’agissait d’un membre des citadins ou des paysans, le délinquant devait payer une amende. Enfin quand il s’agissait d’un esclave ce dernier ne pouvait demander aucune réparation.

L’Oulojénié fixa les gens des faubourgs à leur ville et les paysans à leur terre. Les Russes perdirent ainsi leur mobilité. Les paysans furent mis au service du propriétaire de la terre, le dvoriané, noble de cour, mais il resta in fine la propriété de l’État et du Tsar. L’esclave était propriété non du Tsar mais d’une personne privée.

Suite à la fixation de la population apparut l’obchtchina appelée encore le mir ou le mir-obchtchina : la communauté villageoise. La communauté (ou la commune) englobait tous les habitants du village qui étaient liés entre eux par cette responsabilité collective : le paiement de l’impôt. C’était l’assemblée générale de tous les villageois qui prenait les décisions relatives au fonctionnement de la commune.

L’Oulojénié centralisa la gestion de l’État en plaçant sous tutelle de hauts-fonctionnaires toutes les administrations. En outre les régions territoriales furent administrées par des gouverneurs, les voïevodes (le mot désignait autrefois les gouverneurs militaires). Ces derniers devinrent les maîtres absolus du territoire. Ils n’étaient responsables que devant l’administration centrale.

Le maintien de l’ordre dans le pays fut confié à une police politique la Razboïny Prikaze. Il suffisait d’être dénoncé comme ennemi de l’État pour être arrêté. Pour limiter le raz-de-marée des dénonciateurs, chaque délateur était préalablement fouetté, ce qui limita sensiblement le nombre de délateurs.

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Russie, lettre 16 : le règne d’Alexis le Très-Paisible 1645-1676


30 novembre 2019


Samuel,


2) Les révoltes populaires

Un impôt sur le sel fut instauré en 1647. Il fut si impopulaire que le peuple se révolta. Il envahit Moscou, fit irruption dans le Kremlin et exigea que les instigateurs de cet impôt, Morozov le conseiller du Tsar et ses deux aides, Léonce Plechtcheïev et Piotr Trakhaniotov, lui soient livrés. L’émeute prit de telles proportions qu’Alexis accepta de livrer les deux aides de Morozov, tout en continuant de protéger celui-ci. Un incendie se déclara à Moscou dans lequel les insurgés jetèrent Plechtcheïev. A la vue de cette immolation le peuple se calma. Le Tsar supprima l’impôt. Ces troubles rentrèrent dans l’Histoire sous l’appellation de « Révolte du Sel ».

En 1648 d’autres troubles éclatèrent qualifiés dans l’Histoire de : « Révolte des Estaminets ». Le commerce de l’alcool avait été affermé par l’État, c’est-à-dire confié à des personnes privées en échange du paiement d’une redevance Les détenteurs de ce droit à vendre l’alcool pratiquaient des prix élevés. Le peuple en colère exigea du Tsar que ce commerce fut directement géré par l’État espérant qu’ainsi les prix baisseraient. En 1652 un Sobor décida d’instaurer le monopole de l’État sur l’alcool. Les prix en effet baissèrent tout en permettant à l’État de percevoir de substantiels bénéfices. Les Russes furent autorisés à boire autant qu’ils le voulaient. Une nouvelle boisson populaire fut inventée appelée : « vin de blé » qui prit au XIX siècle le nom de : vodka.

En 1656 le gouvernement de Moscou eut cette idée pour remplir les caisses de l’État : créer une pièce d’un rouble en cuivre et l’échanger contre une pièce d’un rouble en argent de même poids alors que sur le marché le cours de l’argent était égal à 62 fois le cours du cuivre. Les Russes apportèrent leurs roubles en argent et reçurent des roubles en cuivre. Constatant qu’il était aisé de frapper de tels roubles ils ne s’empêchèrent pas d’en créer. L’excès de monnaie fut tel que les prix flambèrent, ce qui dévalua sensiblement la valeur du rouble en cuivre. De plus le beau-père du Tsar se mit à frapper de la monnaie en cuivre qu’il échangea contre de la monnaie en argent. Le peuple quand il eut conscience qu’il s’était fait duper se révolta jusqu’à aller bousculer le Tsar sur le perron de son palais. La répression fut violente mais le Tsar cessa de produire de la monnaie en cuivre et en revint à la monnaie en argent. Cette révolte entra dans l’histoire sous le nom de « Révolte du cuivre ».

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Russie, lettre 16 : le règne d’Alexis le Très-Paisible 1645-1676


30 novembre 2019


Samuel,


3) La légende de Stenka Razine

La lourdeur de la pression fiscale oppressait les paysans. De plus le servage les avait privés de toute liberté. Aussi beaucoup étaient révoltés. Dans le milieu des années 1660 un Cosaque du Don, Stenka Razine, né vers 1630, prit la tête d’une insurrection. Il entra ainsi dans la légende de l’histoire populaire russe.

En août 1667, à la tête de 600 hommes répartis sur quatre navires il partit de Tcherkassk (près de Rostov, voir carte) et remonta le Don. Il s’arrêta à Voronej (voir carte) et partit établir un camp près de la Volga. Là des centaines de paysans et de cosaques pauvres le rejoignirent. Ils étaient maintenant 1300 hommes.

Arriva sur la Volga une caravane de navires transportant des bagnards, des marchands, des moines et des strelitz (fantassins de l’armée russe). Dans les cales était entreposé du blé. Razine attaqua et s’empara de toutes les cargaisons. Il tua tous les passagers sauf les bagnards, les matelots et quelques strelitz. A tous il proposa de le suivre, tous le suivirent.

Il décida de descendre la Volga, il arriva devant Tzaritzyne (devenue ensuite Stalingrad, puis aujourd’hui Vologograd, voir carte). Le défenseur de la ville pointa ses canons sur les 35 canots de Razine mais les boulets ne jaillirent pas de leur fût. Il fut raconté que Razine bénéficia alors d’une protection divine. Il continua sa route, déboucha dans la mer Caspienne où il s’empara d’une petite ville fortifiée Iaïk à l’embouchure du fleuve Oural (carte). Il y établit son campement. Le voïvode d’Astrakhan (carte) voulut le déloger mais l’armée qu’il envoya fut défaite par les troupes du rebelle. Cet exploit augmenta encore le prestige de ce dernier. Bientôt 700 nouveaux cosaques du Don le rejoignirent.

Au printemps 1668 il décida de piller la rive ouest de la mer Caspienne. Il attaqua le Daghestan (région située au-dessus de l’Azerbaïdjan (carte)), puis les villes de Bakou et de Recht en Perse. Mais il rencontra là des guerriers tout aussi sauvages que lui et il perdit autant d’hommes qu’il en tua. Exaspéré par les pillages de Razine le Shah de Perse décida de le chasser de la mer Caspienne.

En juin 1669 une flotte de 70 navires commandée par l’amiral Menedy-Khan attaqua. Mais glissant rapidement sur l’eau grâce à leurs petites embarcations, les Cosaques assiégèrent chaque navire trop lourd pour manœuvrer efficacement et ils abordèrent. Seuls trois navires de l’armée navale du Shah parvinrent à s’enfuir. Les autres furent coulés. Razine s’empara de la fille de l’amiral, il en fit sa maîtresse.

L’armée cosaque était épuisée. Razine décida de rentrer dans sa patrie. Au moment de remonter le cours de la Volga le voïvode d’Astrakhan, le prince Ivan Prozorovsky lui fit face à la tête de 36 galères armées de 4000 streltsy. Les deux armées négocièrent plutôt

que de combattre. Le 25 août 1669 l’ataman, dans l’Hôtel de ville d’Astrakhan, accepta d’arrêter son combat et de se soumettre au Tsar en échange d’un pardon total pour ses faits passés de guerre. Les Cosaques festoyèrent dans Astrakhan dépensant sans compter l’or et les richesses de leurs pillages. Leur munificence remplit d’admiration le peuple et même les princes furent impressionnés.

Le 4 septembre 1669 Razine alla s’installer sur une île déserte du Don avec les 1500 hommes qu’il lui restait. Aussitôt il fut rejoint par des paysans, d’autres Cosaques et des aventuriers de toutes sortes.

Au printemps 1670 il attaqua Tzaritzine. Il s’en empara d’autant plus facilement que la population lui ouvrit les portes de la ville. La révolte pris dès lors l’allure d’une révolution sociale. « À bas les nobles ! Vive le tsar ! » ne cesseront désormais de crier les dizaines de milliers, puis les centaines de milliers d’hommes du peuple soulevés contre les boyards et la noblesse.

Le gouvernement réagit aussitôt. Une armée venue de Moscou descendit la Volga pendant qu’une autre armée, celle du voïvode d ‘Astrakhan, la remontait. Pris entre deux feux l’ataman se battit sans faiblir. Il vainquit. Il fut aider dans sa victoire par la révolte de nombreux streltsy qui se mutinèrent et tuèrent leurs officiers.

Au lieu de monter vers Moscou Razine décida de prendre Astrakhan. Aidés là encore par des mutins les Cosaques pénétrèrent dans la ville. Blessé d’un coup d’épieu dans le ventre, Prozorovsky fut porté par l’un de ses serviteurs dans la cathédrale où se rassemblèrent les officiers et les fonctionnaires moscovites. Ils continrent un moment la ruée des Cosaques dans l’église, puis ce fut le massacre. Sur ordre de l’ataman, Prozorovsky mourant fut porté au haut du clocher d’où ses bourreaux le précipitèrent.

Puis massacres, pillages et orgies se succédèrent.

Razine fit de la ville une cité cosaque. Les habitants furent groupés en dizaines, centaines et milliers, ayant pour chef des dizeniers, des centeniers et des chefs cosaques. Ils durent jurer fidélité au tsar, à l’ataman et à l’armée cosaque.

Puis Razine remonta la Volga avec deux cents barques portant huit mille hommes, suivies sur la berge par deux mille cavaliers. Il s’empara de Saratov et de Samara (carte), il fut accueilli en libérateur.

La révolte du peuple contre les boyards ne cessait de s’étendre. Armés de faux et de fourches, les paysans se soulevaient contre les voïvodes, incendiaient les châteaux et acclamaient Razine qui déclarait vouloir rendre tous les ordres égaux devant la loi et établir partout l’organisation cosaque.

Octobre et novembre 1670 virent l’apogée du mouvement révolutionnaire qui, en plus de la masse russe, fut rejoint par les nomades asiatiques. Les insurgés étaient désormais deux cent mille.

Razine arriva devant Simbirsk. Il ne put prendre la ville. Le gouvernement moscovite profita de immobilisation de l’ataman pour lever une armée puissante, bien entraînée, équipée de canons et d’armes à feu efficaces, rompue aux techniques modernes de combat grâce aux instructeurs étrangers venus d’Europe. Razine lui ne savait que charger, comme un taureau, droit devant lui. Son armée fut écrasée.

A la nouvelle de sa défaite tous ceux qui l’avaient suivi se détournèrent pendant que les armées du Tsar réprimaient toutes les révoltes paysannes, pourchassant aussi les nomades asiatiques.

Razine se réfugia dans son pays, le pays du Don. Mais les « Vieux Cosaques » les Cosaques riches qui n’avaient jamais apprécié son action le firent prisonnier et le livrèrent aux autorités moscovites lui et son frère.

Conduits à Moscou, l’ataman et son frère furent torturés : supplice de la goutte d’eau, de la flagellation et des charbons ardents sous la plante des pieds.

Le 6 juin 1671, eut lieu, sur la place Rouge, l’exécution de Stenka, condamné à être écartelé. Il mourut sans pousser un cri. Comme son frère sur le point d’être supplicié à son tour faiblissait et demandait grâce, l’ataman, qu’on croyait mort, trouva encore la force de crier : « Tais-toi, chien ! » Ainsi mourut-il.

[Le supplice de la goutte d'eau est une torture consistant à attacher un condamné sur une planche. A intervalle régulier, une goutte d'eau tombe sur son front. Le manque de sommeil et la répétition usent sa résistance. Il en résulte une altération psychologique de la victime, qui finit par devenir folle]

Stenka Razine est le héros d'un chant populaire russe dont Dimitri Sadovnikov écrivit les paroles, plus connu sous le nom de « Volga, Volga mat'rodnaya » (Волга, Волга, мать родная) ou « Iz-za ostrova na strezhen » (Из-за острова на стрежень, premières paroles de la chanson)

L'extrait de chant ci-après, le plus connu, raconte que Razine jeta sa maîtresse (la fille de l’amiral perse mentionnée ci-dessus) par-dessus bord pour prouver à ses hommes qu'il ne les avait pas oubliés.

« Rassemblez-vous et écoutez ce chant ancien À propos de Stenka Razine le cosaque ! Au détour d'un méandre, au-delà de l'île Là où s'élargit la Volga D'élégants trois-mâts aux couleurs vives Et multicolores fendent les eaux.

Sur le navire de tête, Stenka Razine Grisé et d'humeur joyeuse Est assis, passionné, avec sa princesse Ils célèbrent leur nouvelle alliance.

Autour de lui l'équipage ronchonna "Il nous abandonne pour cette fille Qu'il a courtisée l'espace d'une nuit ; Il en a perdu la tête.

Ô Volga, Volga, mère très chère Volga, grand fleuve de Russie

Il vous reste à recevoir le présent D'un cosaque du Don ! "»

(Et Razine jeta la princesse dans l’eau)

Cette chanson, reprise par nombre d'interprètes tels Fédor Chaliapine ou les choeurs de l’Armée rouge s'accompagne notamment à l'accordéon.

Le Français Charles Aznavour (avec les Compagnons de la chanson) a interprété une chanson intitulée La Légende de Stenka Razine, évoquant Razine jetant sa maîtresse à l'eau. Extrait :

« Mais Razine reste calme Grincez les dents, haussez le ton Rien ne peut changer son âme Ni l'amour, ni la rébellion Levant de ses mains puissantes Pleurent les joies, crève l'espoir Son aimée frêle et tremblante Il la jette dans les eaux noires. »

Ci-après une vidéo reprenant la chanson :

https://www.youtube.com/watch?v=-CbYz1XoViw

 

 

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Russie, lettre 16 : le règne d’Alexis le Très-Paisible 1645-1676


3 décembre 2019


Samuel,


4) Le Schisme (en russe : raskol)

Pendant des siècles des erreurs de traduction du grec en russe se glissèrent dans les textes religieux. En 1652 Nikone, né dans une famille paysanne en 1605, remarqué par sa hiérarchie pour son intelligence et sa force de travail fut nommé patriarche. Il décida de réformer l’Église orthodoxe.

Il entreprit la vérification et la correction de tous les textes religieux en recueillant les textes d’origine conservés en Grèce, à Antioche, à Alexandrie ou à Constantinople. Il réforma également les rites en imposant une nouvelle graphie de Jésus (Iissous au lieu de Issous) et en introduisant le signe de croix à la grecque (trois doigts au lieu de deux).

Aussitôt une forte opposition se manifesta. Les Russes traditionalistes refusaient d’en revenir aux textes grecs considérant que la tradition russe malgré ses écarts textuels valait mieux que l’exactitude grecque. A la rationalité hellène ils opposaient la spontanéité russe. Pour eux il fallait en rester à la tradition des pères malgré les traductions parfois un peu fantaisistes. Ils trouvèrent un chef charismatique : le protopope Avvakoum (protopope : prêtre de l’Église orthodoxe) né en 1620, lui aussi dans une famille paysanne, remarqué pour sa ferveur religieuse.

Ce que Nikone et ses partisans voulaient c’était réformer l’Église russe afin de la rendre universelle et compatible avec les Églises orthodoxes kiévienne et grecque. Ce que Avvakoum et ses partisans voulaient c’était sanctuariser l’Église russe en refusant toute influence étrangère. Le schisme fut un soulèvement idéologique contre tout ce qui était étranger.

Le Tsar soutint Nikone car il voyait dans la volonté universaliste du patriarche un moyen d’étendre son autorité politique sur les pays limitrophes orthodoxes.

Nikone fit construire à proximité de Moscou un monastère appelé la Nouvelle Jérusalem. Sur une plaque il fit inscrire ces mots : « Ici est le centre de la Terre ». Plus tard un grand poète russe Maïakovski écrivit : « La Terre, on le sait, commence au Kremlin ».

Mais Nikone se laissa emporter par sa volonté de puissance. Il finit par penser que l’État et donc le Tsar devaient se soumettre à l’Église et donc à lui (il avait un ascendant fort sur Alexis). La cour s’insurgea contre une telle prétention. Devant l’hostilité montante de la noblesse Nikone renonça au patriarcat en 1658.

Un concile se réunit à Moscou en 1666, il termina ses travaux en 1667. [Concile : assemblée des hiérarques - personnages importants – de l’Église]. L’ assemblée confirma la déchéance de Nikone accusé d’avoir brigué le pouvoir politique suprême mais il approuva sans réserves toutes ses réformes.

Les opposants, les Schismatiques, appelés encore les « Vieux Croyants » refusèrent de s’incliner. Ils continuèrent à officier selon les anciennes coutumes, rejoints par de nombreux ecclésiastiques, des paysans, des citadins et même des aristocrates. Ils furent immédiatement réprimés, traqués, emprisonnés voire torturés. Plutôt que de se soumettre beaucoup s’immolèrent par le feu. Entre 1672 et 1691 plus de vingt mille « Vieux Croyants » se firent brûlés vifs au cours de 37 holocaustes connus. Avvakoum fut torturé et passa les quatorze dernières années de sa vie dans une prison souterraine à Poustozersk dans l’Extrême-Nord. Il mourut en montant sur le bûcher le 1 avril 1682.

Avvakoum écrivit des textes qui marquèrent la littérature russe. Un historien, Mirskij, écrivit en 1992 : « Aucun écrivain russe n’ a surpassé Avvakoum par la force et la saveur, par l’art d’en appeler à toutes les ressources expressives de la langue de tous les jours pour produire un effet au plus haut point littéraire ». « Le livre majeur du rebelle « La vie du protopope Avvakoum écrite par lui-même » marqua le début d’une nouvelle littérature russe ».

L’une des conséquences les plus graves du Schisme fut la perte du rôle politique de l’Église. Plus tard Pierre le Grand soumit définitivement l’Église à l’État.

La vielle foi pourtant survécut. Elle existe encore aujourd’hui, même si elle n’a plus les moyens de s’exprimer. Elle reçut un soutien ferme de la part du grand écrivain russe Soljenitsyne pour lequel les réformes de Nikone broyèrent l’esprit national russe.

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Russie, lettre 16 : le règne d’Alexis le Très-Paisible 1645-1676


6 décembre 2019


Samuel,

 

5) Les guerres

La République des Deux Nations, la Pologne-Lituanie, comprenait au sud-ouest de son territoire une partie de l’ancienne Rus de Kiev (appelée aussi Ruthénie par les occidentaux) qui prit définitivement au XIX siècle le nom d’Ukraine. Elle était peuplée de russes orientaux de confession orthodoxe issus de l’ancienne Rus (qui donna aussi les grands russes- la Russie- et les russes blancs -la Biélorussie).

C’étaient les Polonais qui l’administraient. Ils y avaient créé d’immenses latifundia exploitées par des paysans réduits au servage. Les propriétaires louaient ces terres à des régisseurs, essentiellement des Juifs qui étaient donc des intermédiaires entre les propriétaires et les serfs.

Sur ces terres habitaient les Cosaques du Dniepr ou Cosaques Zaporogues appelés aussi Tcherkassiens. Leur quartier général, la Sietch, se trouvait sur une île au milieu du Dniepr : l’île de Khortitsia (voir carte). [ Cette île est une terre sacrée pour les Cosaques ukrainiens. La Sietch fut rasée par Catherine II, impératrice de Russie, puis reconstruite à l'identique après l'indépendance de l’Ukraine en 1991].

Jaloux de leur liberté, considérés comme dangereux en raison de leur esprit guerrier, il était difficile de les contrôler. Pour contenir leur nombre le roi de Pologne-Lituanie avait établi un Registre où était recensés les seuls Cosaques reconnus comme tels. Ils élisaient leur chef, le hetman (à ne pas confondre avec l’ataman, nom du chef des Cosaques du Don). L’État leur versait une solde et les employait parfois pour des opérations de guerre.

Avec la généralisation du servage de plus en plus de paysans rejoignaient les Cosaques. Les Polonais, catholiques, commencèrent en outre à persécuter les orthodoxes ukrainiens. Les Cosaques que la question religieuse n’intéressait pas vraiment, finirent quand même par prendre partie pour la religion de leur patrie.

Des révoltes commencèrent à éclater en Ukraine menées par les Cosaques. En 1638 ils furent écrasés. Le Registre limita le nombre de Cosaques à 1200 contre 6000 auparavant. Ils perdirent leur droit à élire leur chef. Alors un Zaporogue charismatique Bogdan Khmelnitski prit la tête de la Sietch comme hetman. Épaulé par les Tatars venus du khanat de Crimée il vola de victoire en victoire. Bientôt il étendit son pouvoir sur toute l’Ukraine. En 1648 il rentra à Kiev. En 1649 le traité de paix de Zboriv fut signé donnant une certaine autonomie au Hetmanat ukrainien. Cette victoire libéra la rage des paysans contre leurs exploiteurs. Comme les Juifs avaient eu la malheureuse idée de s’interposer comme régisseurs entre les serfs et les propriétaires ils furent massacrés.

Mais cette paix était fragile et les hostilités contre la Pologne-Lituanie reprirent. Les Cosaques demandèrent alors l’aide de Moscou. Le 8 janvier 1654 la Rada (assemblée) de l’armée zaporogue décida de rattacher l’Hetmanat à Moscou. Moscou accepta le rattachement de la Petite-Russie (nom donné à l’époque à l’Ukraine) à la Russie. Ainsi Alexis devint le Tsar de toutes les Russie, Grande et Petite. Mais les Ukrainiens déchantèrent. Moscou abolit l’autonomie de l’Hetmanat, renforça le servage et envoya des fonctionnaires moscovites administrer le pays. Puis le Tsar partit en guerre contre la Pologne-Lituanie pour défendre ses nouvelles possessions.

En février 1654 l’armée russe prit Smolensk puis en 1655 elle occupa la Lituanie (Biélorussie actuelle). Alexis devint Tsar de toutes les Russie, Grande, Petite et Blanche. En 1656 la Moldavie orthodoxe se rangea sous l’autorité de Moscou.

En 1655 les Suédois rentrèrent en guerre pour contrer l’avancée des Russes vers la Livonie. Il s’ensuivit une mêlée confuse entre Russes, Polonais, Lituaniens et Suédois.

La guerre entre la Suède et la Russie prit fin en 1661.La Russie dut rendre la Livonie qu’elle avait occupée.

La guerre entre la Pologne-Lituanie et la Russie prit fin en 1667 avec le traité d’Androussovo. Le Petite-Russie fut divisée en deux parties. La rive gauche du Dniepr ( rive orientale), fut cédée à Moscou, Kiev y compris (bien que située sur la rive droite). La rive droite revint à la Pologne-Lituanie. Smolensk resta à la Russie.

Avant même ce partage les Cosaques de la Petite-Russie occidentale s’étaient organisés. En 1665 Dorochenko, élu hetman, projeta d’étendre son pouvoir sur toute la Petite-Russie, y compris la rive orientale. La paix de 1667 le prit de court. Un autre hetman fut élu sur la rive gauche, inféodée au Tsar (Khmelnitski était mort en 1657).

 

En 1669 Dorochenko s’allia avec l’empire ottoman. Les armées ottomanes et zaporogues (de la rive droite) prirent la Podolie (carte) qui devint une province ottomane tandis que l’Ukraine occidentale devint territoire cosaque sous protectorat ottoman. Mais la guerre avait considérablement affaibli le pays et l’arrivée des Ottomans musulmans choquait les Ukrainiens orthodoxes. L’hetman ne pouvait plus rester sous la domination ottomane. Il renonça à son titre et rejoignit Moscou où il fut emprisonné (il fut gracié par le successeur d’Alexis). Désormais la rive droite était totalement sous contrôle ottoman.

Le rattachement de la Petite-Russie orientale à la Russie eut pour conséquence d’affaiblir la Pologne-Lituanie face à la Russie mais aussi de permettre à Moscou de bénéficier des savoirs de Kiev. Ainsi l’Académie de Kiev qui dispensait un enseignement de qualité aida Moscou à élever le niveau d’instruction du clergé moscovite. Des savants kiéviens vinrent à Moscou enseigner. Ainsi Epiphane Slavinetski devint le correcteur des livres religieux et le traducteur des livres saints. Ainsi Siméon de Polotsk éleva le niveau culturel russe en écrivant des comédies jouées devant le Tsar. Une Grammaire de la langue slave fut mise au point par Smotricki, formé à Kiev.

L’influence petite-russienne transparut partout : en théologie, en littérature, dans l’éducation et même dans l’architecture.

 

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Russie, lettre 17 : l’interrègne de 1676 à 1694 (du Tsar Alexis au Tsar Pierre le Grand)


6 décembre 2019


Samuel

1) L’interrègne

Le Tsar Alexis mourut le 30 janvier 1676. De son premier mariage avec Miloslavskaïa il eut deux fils, Fiodor (Théodore) et Ivan, et six filles. De son second mariage avec Narychkina il eut un fils, Pierre, et deux filles.

Fiodor, âgé de quinze ans succéda à son père. C’était un jeune homme souffreteux qui ne se distingua dans aucun domaine.Ses conseillers gouvernèrent à sa place. Ils réformèrent l’armée en abolissant le système du miestnitchestvo qui consistait à nommer aux postes de commandement des hommes en fonction de leur lignée et non en fonction de leurs capacités.Comme l’agitation des schismatiques s’amplifiait on envoya la troupe les calmer.

En 1681 un traité de paix fut signé avec l’Empire ottoman qui, jetant les Tatars de Crimée qui leur étaient alliés dans la bataille, avait tenté en vain de franchir le Dniepr. Moscou reconnut à l’Empire le droit d’occuper la Petite-Russie occidentale.

Fiodor mourut le 27 avril 1682.

Les deux familles héritières les Milolavski et les Narychkine s’affrontèrent. Les Narychkine l’emportèrent. Pierre fut proclamé Tsar. Né le 9 juin 1672 il n’avait que 10 ans. Sa mère Nathalie devint régente. Mais la demi-sœur de Pierre, Sophie, fille de la lignée Milolavski, femme d’un caractère trempé, âgée de 25 ans, fomenta une révolte des streltsy. Elle fit tuer les défenseurs de la lignée Narychkine sous les yeux de Pierre qui fut épargné. Son frère Ivan (souffreteux comme Féodor) fut nommé Tsar en premier, Pierre devenant Tsar en second. Son frère étant un peu simple d’esprit Sophie prit la régence.

Elle nomma comme conseiller le prince Basile Golitsyne (qui était aussi son amant). En 1686 Golitsyne signa un traité de paix perpétuelle avec la Pologne. Celle-ci reconnaissait définitivement l’annexion de la Petite-Russie orientale par la Russie (Kiev y compris mais la Russie dut verser 146000 roubles).

La même année afin d’affaiblir la puissance ottomane qui campait juste derrière le Dniepr Golitsyne lança une guerre contre la Crimée pensant la gagner facilement. Ce fut un véritable fiasco, les troupes russes durent battre en retraite.

Cette déroute décrédibilisa le pouvoir. Les unités militaires de Moscou abandonnèrent Sophie et se rallièrent à Pierre. Sophie fut envoyée dans un couvent et Golitsyne fut exilé.

En août 1689 Pierre âgé de 17 ans, marié depuis le 27 janvier 1689 à Eudoxie Lopoukhina fut reconnu comme le vrai maître de la Russie, Ivan renonçant au pouvoir et venant même féliciter son demi-frère (Ivan mourut en 1696). Mais Pierre n’était pas pressé d’exercer le pouvoir. Il laissa sa mère Nathalie exercer la régence de 1689 à 1694. En 1694 Nathalie mourut. A l’âge de 22 ans Pierre prit enfin le pouvoir. Sous le nom de Pierre le Grand il devait construire l’Empire de Russie.


2) L’expansion vers l’est

Cette expansion fut spectaculaire, de 1610 à 1640 les Russes avancèrent de 4800 kilomètres de l’Ob jusqu’au Pacifique. En 1639 un Cosaque Ivan Moskvitianine atteignit le Pacifique. En 1648 Sémen Dejnev un autre Cosaque quitta avec ses compagnons l’embouchure de la Kolyma à bord de cinq bateaux et découvrit le détroit qui portera plus tard le nom de Béring. Les Russes atteignirent le bassin du fleuve Amour en 1636 puis le Kamtchatka en 1696.

Ils finirent par aller au contact avec les Chinois. En 1689 le traité de Nertchinsk fixa la frontière entre les deux pays le long des fleuves Argun et Gorbitsa et de la chaîne des monts Stanovoï.

Cette conquête permit de développer le commerce des fourrures : zibeline, hermine, castor, commerce florissant qui rapporta des revenus confortables à l’État.

Les indigènes peu nombreux (de type asiatique) étaient traités correctement même si parfois certains exploitants russes locaux exerçaient une certaine cruauté. Des paysans partirent aussi de Russie pour trouver en Sibérie une liberté il est vrai assez rude vu la difficulté à exploiter les terres.Les indigènes furent lentement assimilés à la culture russe grâce aux nombreux mariages mixtes.


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satinvelours Membre 3 006 messages
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Russie, lettre 18 : le règne de Pierre 1er le Grand 1694-1725


8 février 2020


Samuel,

 

1) La guerre d’Azov et la « Grande Ambassade » 1695-1700


Le fiasco de Sophie et de Golitsyne en Crimée n’avait pas plu à Pierre (voir lettre 17). Il décida de reprendre cette guerre et de la gagner. Son but était également de reprendre le contrôle de l’accès à la mer Noire lui même commandé par l’accès à la mer d’Azov. La forteresse d’Azov, aux mains des Ottomans, empêchait les navires russes d’emprunter cette mer. Il lança un assaut qu’il dirigea lui-même contre Azov en 1695 mais la forteresse tint bon. Il lança un deuxième assaut, qu’il dirigea encore, en 1696, et cette fois-ci la citadelle assiégée à la fois par terre et par mer tomba. Mais la capture d’Azov ne suffisait pas pour s’assurer du contrôle de la mer Noire. Le khanat de Crimée, sous suzeraineté ottomane, contrôlait la rive ouest de cette mer et le détroit de Kertch. Pierre se rendit compte qu’il n’avait pas les moyens de vaincre seul l’Empire ottoman.

Aussi partit-il en Occident faire une vaste tournée des ambassades pour trouver des alliés mais aussi pour s’informer du mode de vie de l’Europe occidentale. Ce fut une délégation de 200 hommes dite la « Grande Ambassade », dirigée par Lefort, qui fit le voyage. Pierre en fit partie, se faisant passer pour un envoyé banal sous le nom du capitaine Pierre Mikhaïlov, mais en vérité tous les souverains et dignitaires qui reçurent l’Ambassade savaient qui il était.

Juste avant le départ le colonel des streltsy, Ivan Tsykler, tenta d’ assassiner le Tsar. Il s’agissait sans doute-là d’un complot pensé par Sophie, fille de la lignée Milolavski, demi-sœur de Pierre, issu lui de la lignée Narychkine (les deux lignées étant issues des deux mariages du père, le Tsar Alexis le Très Paisible, voir lettre 17). Le projet fut éventé, les conjurés furent arrêtés et exécutés, les streltsy furent éloignés de Moscou, la capitale fut confiée à des régiments commandés par des étrangers (essentiellement des Allemands), la surveillance de Sophie fut renforcée. Puis la Grande Ambassade partit en voyage en mars 1997.

Pierre voyagea seize mois, visitant le Brandebourg, la Hollande puis l’Angleterre. Dans ces pays il visita surtout, accompagné par ses ingénieurs, les chantiers navals afin d’apprendre les techniques de construction occidentales. Il rencontra les monarques, les hommes d’État, les savants. Il se fit remarquer par ses mœurs considérées comme étranges en Occident. Ainsi un jour remarquant que certains de ses hommes exprimaient du dégoût devant un mort exposé dans une morgue, il leur ordonna de déchiqueter les muscles du mort avec leurs dents afin qu’ils s’aguerrissent.

Puis il alla à Vienne la capitale de l’Empire germanique. Il y fit une impression contrastée. Des princesses allemandes émirent ce jugement : « Il est visible qu’on ne lui a pas même appris à manger, mais nous avons apprécié ses façons naturelles et sans contrainte » ou encore « S’il avait reçu une meilleure éducation il serait un homme parfait, car il a maintes qualités et un esprit extraordinaire ». D’une manière générale tous les Occidentaux qui le

rencontrèrent partagèrent cet avis : le Tsar est talentueux, intelligent, vivant, mais il n’a aucune éducation, il ignore tout des manières précieuses de vivre occidentales. Tous furent étonnés par son allure : un colosse de plus de deux mètres, puissamment bâti, d’une force et d’une vitalité stupéfiantes, et par son comportement : il était hyperactif, faisait seul des tâches que d’autres devaient faire à plusieurs, il marchait si vite en discutant qu’il fallait courir pour le suivre. Tous furent séduits par ses qualités d’esprit et de caractère. Il était curieux de tout, apprenant vite, avec une facilité étonnante.

Pierre 1er était un homme d’action, un homme pratique, saisissant vite les problèmes, leur trouvant des solutions sans trop s’attarder à bâtir des théories. Mais son esprit pratique ne le détourna pas de l’éducation. Pour lui le savoir était une bonne chose Pour apprendre il aimait expérimenter. Ainsi pour maîtriser l’art de la guerre il apprit d’abord le métier de soldat, puis il apprit à se servir de toutes les armes avant de devenir officier. Pour maîtriser l’art de la navigation il apprit à construire les bateaux, à se diriger en mer avec les instruments de mesure de l’époque (l’astrolabe notamment). Il apprit ainsi une vingtaine de métiers. En revanche il pouvait être violent, cruel et excessif.

De Vienne il s’apprêtait à partir pour Venise quand il apprit, en mai 1699, que les streltsy s’étaient à nouveau révoltés. Il semble qu’ils étaient toujours en lien avec Sophie mais aussi leur révolte était due à leur vie difficile de soldats. Peu considérés ils s’en prenaient aux conseillers étrangers qui dirigeaient alors l’armée, des Allemands. Ils y voyaient une influence néfaste à leur condition. Ils furent 4 000 à se diriger sur Moscou avec l’intention d’installer au pouvoir Sophie, ou à défaut, Golitsyne. L’armée régulière les mit en déroute avant même que Pierre fut rentré à Moscou. La répression fut sévère. Plus d’un millier de streltsy furent torturés et exécutés, leur corps mutilés exposés au public. Sophie fut contrainte de prendre le voile sous le nom de sœur Suzanne, elle fut confinée définitivement dans un couvent, surveillée par une garde renforcée. Elle mourut en 1704. Eudoxie, le femme de Pierre, soupçonnée d’avoir intrigué dans cette révolte, fut elle-même emprisonnée dans un monastère.

De son voyage en Occident Pierre tira de nombreuses considérations qui le conduisirent à réformer la Russie. Nous étudierons ces réformes dans une prochaine lettre. Mais il en conclut aussi que l’Occident, bien qu’en guerre contre l’Empire ottoman après le siège de Vienne par ce dernier (voir lettre 60-11) aspirait désormais à la paix et ne suivrait pas le Tsar dans une nouvelle guerre. En effet l’Occident signa le traité de paix de Karlowitz avec l’Empire ottoman en janvier 1699 (lettre 60-11). Prenant acte de ce traité Pierre signa avec le sultan Moustapha II la paix de Constantinople en 1700. Azov resta possession de la Russie. Le tribut annuel payé jusque là au khan de Crimée fut supprimé. Cette paix permit à Pierre de se préparer à la Grande guerre du Nord contre la Suède ( la Grande guerre du Nord ne doit pas être confondue avec la première guerre du Nord menée de 1655 à 1661 par la Suède et qui permit à celle-ci d’établir sa suprématie sur la mer Baltique, voir lettre 60-5).

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Merci à ARTE de nous faire connaitre l'histoire du système concentrationnaire soviétique  de 1917 à la fin des années 1950.

Goulag - Une histoire soviétique
https://www.arte.tv/fr/videos/080114-001-A/goulag-une-histoire-sovietique-1-3/

(en 3 parties, disponibles du 04/02/2020 au 10/04/2020)

Et aussi un livre sur le sujet, disponible dans toutes les bibliothèques:

L'affaire Kravtchenko, de Nina Berberova

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Russie, lettre 18 : le règne de Pierre 1er le Grand 1694-1725


8 mars 2020,


Samuel,


2) La Grande guerre du Nord 1700-1721

a) Du début de la guerre (1700) jusqu’à la victoire de Poltava (1709)

Pour Pierre comme pour ses prédécesseurs il était vital que la Russie ait accès aux mers ouvrant sur l’Europe de l’ouest. L’accès à la Méditerranée par la mer d’Azov et par la mer Noire était compromis malgré la prise d’Azov. Les rives de ces deux mers restaient contrôlées par les Ottomans. Pierre décida alors de s’ouvrir un accès à la Baltique, là où même le Terrible avait dû renoncer. Or la Baltique était contrôlée par la Suède.

Lors de son retour précipité de Vienne jusqu’à Moscou, en raison de la révolte des streltsy (lettre 18-1, Russie) Pierre s’arrêta à Rawa, petite localité polonaise où il rencontra le roi de Pologne Auguste II le Fort. Ce dernier, tout comme Pierre, était un colosse de deux mètres, tous deux étaient de la même génération (Auguste 28 ans, Pierre 26 ans). Ils s’entendirent pour faire alliance contre la Suède. Puis ils enrôlèrent le roi du Danemark dans cette alliance. Tous voulaient prendre leur revanche après leur défaite contre la Suède lors de la première guerre du Nord (voir lettre 60-5).

Auguste II déclara la guerre à la Suède en janvier 1700, le roi du Danemark la déclara quelques mois plus tard, enfin le 9 août 1700, après conclusion du traité de paix avec le sultan, Pierre la déclara à son tour. Charles XI le Roi de Suède, mort en 1697, avait été remplacé par son fils Charles XII, alors âgé de 15 ans, réputé être un bravache enfantin. Le moment était idéal pour faire la guerre et la gagner rapidement.

Mais le jeune roi se révéla chef de guerre intrépide et audacieux. En quelques semaines il mit le Danemark à genoux et signa avec lui un traité de paix à Tradenval dans lequel le Danemark renonçait à la guerre. Puis il fonça sur Riga assiégée par les Polonais et les chassa. Enfin il marcha sur Narva encerclée par les Russes. Il dirigeait une armée de 8000 hommes, Pierre une armée de 40 000 hommes. Les Russes furent écrasés. La guerre commençait mal. Charles XII ne poursuivit pas les Russes dans les forêts, indifférent à leur sort. Il rassembla ses forces et partit en Pologne dans l’intention de chasser Auguste du trône.

Pierre profita de l’accalmie pour reconstituer son armée. Il l’installa à Novgorod. De nouvelles troupes furent enrôlées, toute la population fut mobilisée dans l’effort de guerre, les cloches des églises furent fondues pour en faire des canons, des impôts nouveaux furent levés. Pierre se lança dans la conquête des rives du golfe de Finlande. Il occupa la plus grande partie des terres de la Livonie et de l’Estonie que Charles avait pratiquement laissées sans défenses. Il rentra en Ingrie où il fonda la ville de Saint-Pétersbourg en 1703. Au large de la nouvelle ville il s’empara de l’île de Kotline et y construisit, en 1704, une ville fortifiée : Kronstadt. Désormais solidement installé sur la Baltique Pierre entreprit la construction d’une flotte de guerre.

Pendant ce temps Charles ne cessait d’avancer en Pologne. Auguste Il fut défait et dut signer le traité de paix d’Altranstädt en septembre 1706. Chassé du pouvoir il fut remplacé par un souverain pro-suédois : Stanislas Leszczynski.

Le jeune roi décida d’attaquer la Russie. En janvier 1708 il franchit la Vistule avec 63 000 hommes et marcha en direction de Moscou. La situation de Pierre était difficile car il dut au même moment faire face à des révoltes populaires provoquées par l’énorme pression engendrée par l’effort de guerre (réquisitions, impôts, enrôlement d’hommes), révoltes toutes concentrées dans le sud-est du pays. La région d’Astrakhan d’abord se souleva puis celle du Don. Pierre réprima les soulèvements et rétablit l’ordre.

Posté sur son territoire Pierre déployait 100 000 hommes face à Charles. Mais il ne savait pas où le Roi allait finalement attaquer : Riga puis Pétersbourg, ou Smolensk puis Moscou ? Charles XII surprit tout le monde : il se dirigea vers l’Ukraine.

Il comptait rallier à lui les troupes du chef cosaque zaporogue, l’hetman Ivan Mazepa, figure de légende. Charles connaissait les intentions émancipatrices de ce dernier : l’hetman voulait s’affranchir de la tutelle russe. Mais Mazepa fut pris de court. Il ne s’attendait pas au mouvement de Charles. Il croyait que ce dernier allait attaquer directement Moscou lui permettant de prendre les Russes à revers. L’initiative de Charles fut un échec. Mazepa ne put lui amener que 1500 cosaques, l’Ukraine, impréparée à l’alliance avec les Suédois ne bougea pas.

Or imprudemment Charles était parti vers le sud alors qu’un corps d’armée suédois de

16 000 commandé par Loewenhaupt était parti de Riga avec un chargement de vivres et d’armes pour le rejoindre. Loewenhaupt dut courir derrière son roi. Voyant cela Pierre aussitôt réagit. Il divisa son armée en deux corps, l’un se portant au devant de Loewenhaupt l’autre pourchassant Charles XII. Le 9 octobre 1708 à Lesnaïa, l’armée de Loewenhaupt fut anéantie par celle du Tsar. Charles se retrouva isolé en Ukraine seulement rallié par les faibles effectifs de Mazepa.

A l’été 1709 l’armée suédoise assiégea la ville de Poltava, en Petite Russie orientale (sous domination russe). Cette ville située sur la rivière Vorksla était un important carrefour de voies de communication. Trois cent-dix ans plus tôt, l’un des généraux de Tamerlan, Timour Qoutlough avait défait dans cette cité l’armée des Lituaniens et des Polonais dirigée par le grand-duc Vitovt sauvant ainsi Moscou des visées lituaniennes (voir lettre 10 sur la Russie). Pierre pensa que se jouait là l’issue de la guerre, il marcha sur Poltava.

La bataille fut lancée le 8 juillet 1709. Les Suédois étaient 25 000, les Russes étaient 40 000. L’armée suédoise fut anéantie. Cette victoire devint un symbole. Elle signifiait l’émergence d’une nouvelle puissance en Europe : la Russie. Elle fut considérée comme la plus importante pour le destin de la Russie après celle du Champ des Bécasses du 8 septembre 1380 ( voir lettre 9 sur la Russie). Charles XII et Mazepa s’enfuirent en territoire ottoman où Mazepa mourut en décembre 1709.

 

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Russie, lettre 18 : le règne de Pierre 1er le Grand 1694-1725

13 mars 2020,


Samuel,


2) La Grande guerre du Nord 1700-1721


b) De Poltava (1709) à Nystadt (1721)

Réfugié à Bendery, capitale de la Moldavie alors possession ottomane, Charles tenta de convaincre le sultan de lever une armée pour combattre Pierre. Pendant ce temps, en 1710, le Tsar acheva la conquête de la Livonie et de l’Estonie en prenant Riga et l’île d’Osel. Puis il prit les villes de Vyborg et de Kexholm en Finlande (villes situées juste au-dessus de l’Ingrie).

En Pologne Auguste II le Fort, alors réfugié en Saxe (Allemagne), en apprenant la défaite de Charles à Poltava, chassa Stanislas Leszczynski du trône avec l’aide de Pierre dont il devint ainsi l’obligé, devant accepter le stationnement de troupes russes sur son territoire.

Le sultan, aiguillonné par Charles, convaincu qu’il était vital pour son Empire de contenir la puissance géopolitique naissante russe leva une armée de 150 000 hommes et déclara la guerre à la Russie en novembre 1710. Pierre s’engagea dans le conflit en sous-estimant son adversaire. Ainsi se retrouva-t-il encerclé sur les rives du Prouth, rivière de Moldavie, en juillet 1711, avec seulement 40 000 hommes. L’issue de la bataille s’annonçait fatale et Pierre qui commandait ses troupes risquait fort d’être fait prisonnier.

Le diplomate russe représentant du Tsar, Piotr Chafirov sut si bien négocier avec le vizir Mahmoud-Balardji, représentant du sultan, que la bataille n’eut pas lieu en échange de quoi Pierre dut céder au sultan la ville d’Azov, accepter de détruire les forteresses du Don, et laisser Charles XII regagner la Suède.

Pierre se concentra sur la Baltique. En 1713 il transporta la capitale de Moscou à Saint-Pétersbourg. Ainsi commença l’ère pétersbourgeoise. En 1713-1714 il entreprit d’attaquer la Suède sur son propre territoire en occupant la plus grande partie de la Finlande (alors possession de la Suède). Charles XII revenu dans son pays se battait toujours et refusait la paix. En 1714 la marine russe, commandée par Pierre, battit la flotte suédoise. Charles se trouvait de plus en plus acculé. La Saxe, la Prusse, le Hanovre ( trois États allemands) et le Danemark s’allièrent à Pierre pour terrasser le jeune roi. En décembre 1718 ce dernier fut tué lors d’un combat en Norvège.

Sa sœur Ulrika-Eléanore lui succéda avant d’abdiquer en faveur de son époux Frédéric 1er en 1720. Ce dernier arrêta les combats.

Par les traités de Stockholm du 20 novembre 1719 et du 1er février 1720 il fit la paix avec les trois États allemands, le Danemark et la Pologne. Il leur céda quelques sites et quelques villes de la rive sud de la Baltique mais surtout il céda à la Prusse une partie de la Poméranie occidentale, ce qui contribua à accroître la puissance de la Prusse, future nation dominante de l’Allemagne (territoires principalement et originellement acquis par la Suède à l’issue de la guerre de Trente ans, à la suite des traités de Westphalie, voir lettre 60-3).

Le 30 août 1721 Frédéric 1er signa avec la Russie la paix de Nystad qui mit fin à la Grande guerre du Nord. Par ce traité la Russie obtint la Livonie suédoise (future Lettonie) l’Estonie suédoise (future Estonie), l’Ingrie suédoise, où Pierre avait édifié Saint-Pétersbourg, et une grande partie de la Carélie occidentale (territoire situé au dessus de l’Ingrie). La Finlande fut rendue à la Suède à l’exception donc d’une partie de la Carélie.

La Russie s’imposa ainsi comme puissance dominante de la Baltique au détriment de la Suède, qui perdit, sans jamais la retrouver, la puissance politique qu’elle avait obtenue à l’issue de la guerre de Trente ans.

Le 2 novembre 1721 le Sénat de Russie décerna à Pierre les titres de « Grand », de « Père de la Patrie » et d'«Empereur de toutes les Russies ». Dans l’esprit de Pierre, en prenant le titre d’Empereur, il s’affirmait comme l’héritier de la première Rome, le premier Empire romain, et comme Empereur de la troisième Rome, la Russie, Byzance étant, dans la conscience russe, la deuxième Rome, dont eux, les Russes, étaient les héritiers.

La Russie non seulement détrôna la Suède comme puissance dominante de la Baltique mais elle occupa aussi une position de force par rapport à la Pologne, qui, affaiblie par cette guerre au cours de laquelle Auguste ne put revenir au pouvoir que grâce aux forces russes, renonçait désormais à toute visée territoriale sur la Russie.

L’Europe entière reconnut l’émergence de cette nouvelle puissance politique en Occident en reconnaissant le titre d’Empereur à Pierre au cours des années qui suivirent son avènement.

 

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Russie, lettre 18 : le règne de Pierre 1er le Grand 1694-1725


14 mars 2020,


Samuel,


3) Les Réformes

Pierre décida de moderniser la société russe en s’inspirant des modèles des nations occidentales qu’il observa de près pendant ses voyages durant la période dite de la « Grande Ambassade »

a) L’armée et la marine

Les prédécesseurs de Pierre ne s’étaient pas souciés d’organiser efficacement leurs armées. Les régiments étaient le plus souvent commandés par des officiers étrangers et les troupes elles-mêmes étaient indisciplinées à l’instar des streltsy (les fantassins) plus souvent portés à l’insubordination qu’au combat. Ces derniers au demeurant n’étaient pas militaires à temps plein, ils exerçaient un deuxième métier.

Pierre édicta en 1716 un règlement militaire conçu sur le modèle de la Suède mais aussi de la France et de l’Autriche. Ce règlement fixa les détails du fonctionnement militaire.

Il établit la conscription c’est-à-dire l’enrôlement forcé. Les nobles durent passer toute leur vie à servir l’armée (sauf ceux affectés au service civil de l’État). Pour les autres classes un homme sur soixante-quinze foyers fut réquisitionné. Seuls le clergé, les marchands et les industriels les plus influents furent dispensés. Chaque conscrit devait quitter sa famille et son métier et passer sa vie dans l’armée. Chaque conscrit, qu’il fût noble ou serf, devait commencer au bas de l’échelle et ne prenait du galon qu’en fonction de son mérite.

Il améliora l’armement en adoptant le fusil à pierre et la baïonnette, et en multipliant les lourdes pièces de siège tels les canons.

A sa mort l’armée russe comptait 210 000 hommes et 100 000 cosaques (qui conservèrent leur propre organisation).

Pierre créa la marine russe. Arrivé au pouvoir il ne disposait que d’un seul vaisseau ! A sa mort il légua à son successeur quarante-huit grands navires de guerre et sept cent quatre-vingt-sept bâtiments de faible tonnage.

Ainsi dota-t-il la Russie d’une armée et d’une marine parmi les plus puissantes du monde.

b) L’administration de l’État

Pierre était un adepte du despotisme éclairé tel qu’on le pratiquait en Europe . Ce fut à la Suède et non à la tradition moscovite qu’il emprunta sa conception de l’autocratie et des rapports entre le souverain et ses sujets. A la différence du Terrible, il avait en outre le plus grand respect pour la loi.

Il abolit les anciennes institutions, la Douma des boyards et le zemski sobor, et, en 1711 il créa le Sénat, instance suprême de l’État, ayant pouvoir de trancher toutes les affaires judiciaires, financières et administratives. Le nombre des sénateurs, choisis parmi les nobles, fut fixé à dix en 1712. Un Procureur général fit la liaison entre Pierre et le Sénat. Aucune décision du Sénat n’était exécutoire sans être revêtue de la signature de Pierre.

En 1717 il créa les collegia, ou collèges, comparables à nos ministères actuels afin de seconder le Sénat dans son travail. Dans chaque collège siégeait un expert étranger occidental qui faisait office de conseil.

En 1719 il créa cinquante provinces, chacune dirigée par un voïévoda (un gouverneur), chacune ayant la responsabilité de la santé, de l’éducation et du développement économique.

c) L’Église

A la mort du patriarche Adrien, en 1700, l’Église fut administrée par « un gardien du trône patriarcal »,Stepan Iavorski, aux ordres du souverain. Puis en 1721 le patriarcat fut aboli et remplacé par un collège de dix prêtres, fonctionnaires dépendants de l’État, appelé Saint-Synode. Un fonctionnaire laïc, le Haut-procureur du Saint-Synode veilla au bon fonctionnement de cet organisme. Ainsi Pierre devint de fait le chef de l’Église, allant jusqu’à prendre le contrôle des biens de l’Église.

Si la Moscovie eut deux chefs, le Tsar et le Patriarche, la Russie impériale n’en eut qu’un : l’Empereur.

En 1722 un oukase synodal enjoignit aux prêtres d’informer les autorités de toutes les intentions de trahison ou de révolte exprimées en confession. Les mariages entre orthodoxes et chrétiens d’Occident furent autorisés mais Pierre marqua toujours sa préférence pour des mariages mixtes avec des protestants plutôt qu’avec des catholiques.

d) La politique fiscale

En 1718 Pierre instaura l’impôt par tête, ou capitation, qui frappa exclusivement les classes populaires des campagnes. La capitation remplaça l’impôt par feu (par foyer) et l’impôt sur les terres cultivées. De 1718 à 1722 un recensement de cette population fut effectué afin d’empêcher tout fraudeur de passer outre le paiement de l’impôt.

Les autres classes sociales payèrent des taxes sur leurs biens meubles et immeubles. Pierre avait tellement besoin d’argent pour financer la guerre qu’il imposa tout : ruches, moulins, pêcheries et même les barbes, les bains ou les cercueils !

La capitation ne faisait pas de différence entre serfs (kholop), paysans libres, personnel domestique et même vagabonds. Comme le seigneur sur le domaine duquel vivaient toutes ces personnes était responsable du paiement de l’impôt, tous finirent par devenir les esclaves de ce dernier. Nul ne pouvait plus quitter le domaine sans demander l’autorisation du seigneur. Ainsi s’installa le système des passeports. Ce système de servage dura jusqu’en 1861.

e) L’économie

A partir de 1710 Pierre s’efforça de développer l’industrie et d’accroître les exportations. Il stimula l’entreprise privée et fonda de vastes entreprises d’État. Il était partisan du mercantilisme, doctrine importée d’Europe, notamment développée par l’Espagne qui considérait que la richesse d’une nation consistait en l’abondance de ses moyens de paiement, alors constitués en monnaie or et argent (la monnaie fiduciaire, monnaie papier, n’était pas encore significativement développée). Si cette doctrine provoqua le déclin de l’Espagne (qui se constitua un trésor or et argent en exploitant les mines et les populations d’Amérique du Sud au lieu de développer son économie) elle donna en revanche un coup de fouet à l’économie russe puisque, pour se constituer un trésor monétaire, à défaut de posséder des mines d’or ou d’argent identifiées et facilement exploitables, il fallait fabriquer des produits (donc développer son industrie) et les vendre à l’étranger.

Plus de deux cents manufactures furent créées dont près de quatre-vingts par l’État et cent vingts par des sociétés privées, dans la métallurgie, les mines, les textiles, la porcelaine et le verre. Comme dans la doctrine mercantile il faut préserver son économie des produits étrangers (acheter un produit étranger c’est se défaire de sa monnaie) Pierre adopta un tarif douanier protecteur en 1724. Pour faciliter le commerce il creusa des canaux et construisit une marine marchande.

Sous son règne le commerce extérieur de la Russie fut multiplié par quatre, mais les entreprises restèrent pour l’essentiel aux mains des étrangers, plus rompus aux affaires que les Russes.

f) La noblesse

Pour cette classe le service de l’État n’était pas une obligation nouvelle mais Pierre fut plus exigeant que ses prédécesseurs. Tout noble devait servir depuis l’âge de seize ans jusqu’à la fin de ses jours. Un minimum de connaissances en arithmétique et en géométrie fut exigé. Les jeunes nobles étaient répartis entre les carrières militaires et civiles à raison de deux tiers pour un tiers. Tous devaient commencer au bas de l’échelle et ne pouvaient avancer dans l’ordre hiérarchique qu’au mérite. Cet ordre fit l’objet d’un décret en 1722 par lequel Pierre institua la Table des Rangs qui définissait quatorze rangs hiérarchiques.

La grande réforme fut de permettre aux roturiers de rentrer au service de l’État. Les fonctionnaires d’origine roturière devenaient nobles à titre héréditaire à partir du huitième rang dans le service civil, à partir du douzième dans l’armée. L’Empereur octroya lui-même des titres nobiliaires, y compris celui de Prince, pour services rendus exceptionnels.

En 1714 Pierre signa un décret sur l’héritage qui interdit le partage des biens immobiliers. Un père ne put désormais léguer ses possessions qu’à un seul fils choisi librement parmi la fratrie.



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