Aller au contenu

Le peuple des rats - Patrick Saint-Paul


January

Messages recommandés

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Bonjour tout le monde :)

De retour pour un nouveau partage, je vous emmène en Chine, rencontrer « le peuple des rats ».

Le livre :

Le peuple des rats

 

Ce que nous allons partager :

« Mao les avait glorifiés. La Chine moderne leur doit son miracle économique. La première puissance mondiale en devenir s’est hissée sur les épaules de ces millions de paysans transformés en ouvrier. S’inscrivant dans la plus grande migration humaine de l’histoire, cette masse laborieuse a quitté les campagnes. A Pékin, ils sont plus d’un million à peupler les sous-sols insalubres de la capitale. Enchaînant les petits boulots en attendant de trouver mieux, les mingong – les ouvriers migrants – sont forcés de vivre sous terre. Venu des quatre coins du pays, issu de minorités ethniques diverses, ce peuple avance sans états d’âme à la recherche d’une vie meilleure. Il a fini par adopter le surnom dont il a été affublé : les shuzu, la « tribu des rats ».

Je m’efforcerai pour ce partage de résumer le mieux possible les chapitres et de ne livrer que des extraits courts et représentatifs. Le livre étant récent, je me dois de respecter les droits d’auteurs le plus scrupuleusement possible.

A tout à l’heure !

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
  • Réponses 73
  • Créé
  • Dernière réponse
Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Chapitre 1 – Des rats errants au royaume de la débauche mercantile

Patrick Saint-Paul commence son livre en brossant une description du centre commercial China World, le plus grand mall de luxe de la capitale chinoise . Mille mètres carrés de couloirs en marbre  « où la Chine rencontre le monde » selon la formule consacrée.

Et voici venir immédiatement l’envers du décor, où il nous décrit les « ayi », ces « tantes » ou femmes de ménage en uniforme, chargées de l’entretien des sols et des vitrines. D’autres femmes et hommes en uniforme gris, chargés de l’entretien des toilettes. Ce sont des mingong, des ouvriers migrants qui ont quitté leur campagne. Leur petit  boulot payés une misère ne leur permet pas de vivre à la surface, 7 millions de mingong peuplent les innombrables sous-sols et parfois même les bouches d’égoût. Considérés comme citoyens de seconde zone, exploités, leur sort est comparable à ce que nous pouvions voir ici en France pendant la révolution industrielle du XIXe siècle.

Les mingong sont privés de hukou, le permis de résidence, qui permet l’ accès à une protection sociale, à une assurance maladie, le hukou nécessaire pour inscrire ses enfants à l’école…

« Les ouvriers migrants habitent sous terre, comme les rats, et vivent dans les mêmes conditions que ces rongeurs avec très peu, ou pas du tout de lumière naturelle et dans un habitat très humide, explique Lu Huitin, professeur de sociologie à l’université de Pékin. C’est pourquoi ils ont été surnommés ainsi. Mais contrairement aux rats, il est très mauvais pour la santé des humains de vivre dans ces conditions… […]  Les ouvrier migrants, les jeunes diplômés à la recherche d’un travail et les jeunes occupant un emploi mal payé, qui peuplent les entrailles de la capitale, sont loin d’être des nuisibles. Ils jouent un rôle essentiel dans le développement économique de Pékin. Cependant, lorsqu’on travaille dans le centre ville, il est presque impossible de trouver un logement décent. Tous les mingong espèrent améliorer leur niveau de vie et pouvoir vivre un jour à la surface. Mais ils réalisent que leurs salaires ne progressent pas et sont obligés de rester au fond de leur trou. »

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Invité Yokkie
Invités, Posté(e)
Invité Yokkie
Invité Yokkie Invités 0 message
Posté(e)

Ce sont ces sortes de petites boites dans lesquelles on ne peut se tenir debout... sans eau et électricité ?? 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Ce sont des caves, plus ou moins grandes et il peuvent vivre à plusieurs dans un seul box, à environ 5 m² par personne... Parfois il y a l'electricité, même l'eau, des communs, et parfois il n'y a rien du tout, et surtout... pas d'ouverture sur l'extérieur. Je vais relater plus loin les conditions, c'est indigne. Voilà ce que ça peut donner : 

Résultat de recherche d'images pour "peuple des rats pékin"

 

...

 

Le décor est planté et on peut déjà imaginer le sentiment de ces travailleurs qui croisent chaque jour sur leur lieu de travail le rêve chinois de gloire retrouvée, de prospérité. Inaccessible. On ne peut s’empêcher de penser alors à la faillite idéologique chinoise qui les laisse en bas de l’échelle dans un pays aux inégalités affolante, qui prône dans le même temps toutes les vertus de l’égalitarisme communiste…

Patrick Saint-Paul tente d’engager la conversation avec une « ayi » mais…

« Je ne peux pas vous parler, dit une jeune femme, serpillière et seau à la main, en accélérant le pas nerveusement. Je n’ai pas le droit. Les caméras sont partout. Ils nous surveillent sans cesse. Ici le management est très dur. Nous sommes obligés de travailler tout le temps. »

Elle ne possède rien, mais elle a peur de tout perdre.

Patrick Saint Paul parvient à récolter néanmoins les confidences de shen. Elle travaille au China World depuis cinq ans et vit à l’Est de Pékin. Elle loue une chambre de huit mètres carrés en sous-sol, avec une colocataire. Cela coûte 800 yuans par mois (115 euros). Elle dit qu'elle a de la chance d’avoir un soupirail, cela permet de respirer l’air de l’extérieur pendant l’été et les journées étouffantes. Les deux colocataires ont accès à une salle commune de douches où sont décomptées et facturées les minutes à l’unité à l’aide d’une carte prépayée.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Photos impressionnantes... Merci Foraveur. 

...

D’où viennent ces abris souterrains ?

Mao avait ordonné la construction d’un vaste réseau d’abris souterrains à Pékin. En 1969, alors que les incidents frontaliers armés entre les deux pays (URSS – Chine) se multipliaient le long de leur frontière naturelle, le fleuve Amour, Mao donna pour consigne d e »creuser des tunnels profonds », pour protéger la République populaire contre d’éventuels raids aériens soviétiques. A Pékin, 300 000 personnes prirent part à cette campagne, creusant quelques 20 000 abris. Cet ensemble architectural forme une véritable ville sous terre composée de couloirs reliant les points névralgiques de la cité en surface à des abris anti-aériens ou encore des écoles, des hôpitaux, des usines, des magasins, des restaurants, des théâtres, et une patinoire.

Après la mort de Mao, la stratégie d’ouverture lancée par Deng Xiaoping mena à une politique économique plus pragmatique et les surfaces souterraines furent commercialisées, le Bureau de la défense civile du gouvernement ayant donné pour consigne qu’elles dégagent un profit. Environ huit cent pensions furent alors créées dans les boyaux de la ville, ainsi que des hôpitaux, des supermarchés et des cinémas. En 1996, le gouvernement formalisa ce changement en adoptant une loi obligeant chaque nouveau bâtiment de la mégalopole à s’équiper de ces refuges. Et une véritable cité, qui s’étend sur plusieurs niveaux, a poussé dans ses boyaux.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Un peu de chiffres.

Les mingong pékinois gagnent en moyenne 3000 yuans mensuels (430 euros). Le prix moyen du mètre carré à l’achat à Pékin est de 31 465 yuans (3 820 euros), soit 13,3 fois le revenu annuel moyen, selon les médias officiels chinois.

Beaucoup d’abris insalubres et dangereux ont été fermés. Mais il reste six mille sous-sols loués à ce jour. Pourtant c’est interdit depuis quelques années. Mais les autorités elles-mêmes ont confié la gestion de certains sous-sols à des « managers » et on tolère donc toujours l’existence de ces « logements ».

Huit millions de paysans quittent la campagne chaque année pour rejoindre la ville et chercher un emploi. C’est plus de la moitié de la population qui vit déjà dans les villes. Les démographes estiment qu’en 2030, un milliard de chinois seront citadins, soit 300 millions de plus qu’aujourd’hui.

Pourquoi les jeunes fuient-ils les campagnes ?

Pour vivre un peu mieux que leurs parents, des paysans soumis à des risques de mauvaises récoltes ou pire, soumis au risque de la confiscation de leur terre par un fonctionnaire corrompu.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Rencontre avec Xiaoyun, musicien aveugle des rues de Sanlitun depuis quinze ans :

« Ma vie dépend de la générosité des Pékinois, raconte-t-il. J’ai de la chance parce qu’ils sont de plus en plus civilisés. Au début je ne parvenais même pas à traverser la rue, avec ces rivières de vélos. Puis, quand les voitures sont arrivées en masse, les gens roulaient n’importe comment. Rester en vie après quinze ans à Pékin, c’est un miracle pour un aveugle. » L’arrivée des voitures ne lui a pas échappé. « Le son des moteurs et des portières n’est plus le même. Surtout, les gens roulent plus lentement pour se montrer. Et, depuis, traverser est devenu moins dangereux pour moi. »

[…]

« Beaucoup de pékinois se sont enrichis. Mais en s’enrichissant, ils sont devenus de plus en plus froids et individualistes. Comme obsédés par l’argent et la réussite. Plus ils ont d’argent, moins ils sont généreux. »

[…]

Comme les « rats humains », Xiaoyun habite les sous-sols visqueux, dont les murs suintent la transpiration de leurs occupants. Mais il n’appartient pas à la tribu : trop peu productif, trop pouilleux… […]

« La vie est mauvaise pour moi à Pékin. Je vais partir retrouver mon groupe, pour jouer aux mariages et aux enterrements. Il y a beaucoup d’argent à gagner. La richesse m’attend. »

[…]

« Les gens qui se marient veulent de plus en plus étaler leur argent même s’ils n’en ont pas. Et les morts doivent faire en sorte d’attirer du monde à leurs funérailles s’ils veulent qu’on se souvienne d’eux comme de quelqu’un de respectable. Certains vont jusqu’à engager des strip-teaseuses pour danser sur leur tombe et faire venir les gens. Alors embaucher un groupe traditionnel, c’est bien le minimum. »

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Retrouvons Shen :

« Je n’ai jamais rien acheté ici, tout est trop cher. Les gens comme nous ne font pas leurs achats dans ces magasins. Ce n’est pas pour nous. »

Patrick Saint Paul ici s’interroge sur sa légitimité à interroger ces personnes, sans connaître, toucher de près leur quotidien. Il pense au confort que lui a ici à Pékin et explique le malaise qu’il ressent.

Comme pour me délivrer, Shen se reprend et corrige :  « Ah si. I l y a cinq ans, lors de mon arrivée ici, le supermarché m’a offert un bon d’achat. Je ne savais pas quoi prendre. » Elle s’est rabattue sur une tablette de chocolat : elle n’en avait jamais mangé.

Les chinois fortunés qui ne veulent pas courir le risque de s’empoisonner en consommant des aliments chinois, sources de scandales meurtriers, trouvent leur bonheur dans cette épicerie de luxe. Les fraises de Galilée, les cerises du Chili, […] offrent une alternative aux fruits empoisonnées produits en Chine. Le lait maternel en poudre à 500 yuans (70 euros) remplacent le lait chinois à la mélanine tueur d’enfants.

Malheureusement la conversation avec  Shen tournera au vinaigre, se terminera par son interpellation par deux agents de sécurité : « Nous avons suivi tous vos mouvements sur les caméras. Vous avez violé le droit du travail ».

Patrick Saint Paul se fait expulser sous la menace de se faire coffrer par la police s’il revenait.

Fin de l’enquête au sein du China World.

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Chapitre 2 – Parcours d’obstacles

Le chapitre commence sur une description des problèmes rencontrés par l’auteur. Il est européen, il ne peut pas passer pour un sinologue pas plus que pour un sociologue, pas non plus pour un chercheur auprès d’une université chinoise, mais il ne doit surtout pas être un journaliste (ce qu’il est). Il en est réduit à s’appuyer sur son assistant et ami, Duoyou, qui assure la traduction. Mais l’auteur émet des doutes quant à ce que lui-même veut comprendre et ce que Duoyou lui, peut saisir et restituer. Patrick Saint Paul se décourage : « La rencontre avec leur monde me paraît impossible. »

Journaliste correspondant en Chine depuis quelques années, il raconte une anecdote, relatant que ses journées sont ponctuées de visites des agents de la sécurité de l’Etat :

« Nous vous déconseillons d’assister à votre rendez-vous de 15 heures », lui lancent-ils le jour où il doit rendre visite à Ding Zilin, présidente de l’association des mères des enfants disparus place Tiananmen le 4 juin 1989. [...]

- Mon rendez-vous, quel rendez-vous ? »

Tous les printemps, à l’approche du 4 juin, le gouvernement envoie Ding Zilin en congé forcé dans un hôtel de l’île de Hainan, dans le sud du pays, loin des journalistes étrangers. Elle fait partie de ces chinois, doués d’un courage exceptionnel, qui acceptent encore de parler aux journalistes sans rien cacher de leurs sentiments.

[…]

Cependant, de nombreux citoyens ordinaires se referment comme des huîtres dès lors qu’un étranger aborde avec eux un sujet sensible, surtout les rats, qui risquent d’être expulsés de leur logement.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Le journaliste exerçant en Chine est condamné à un jeu permanent du chat et de la souris avec les autorités. Pour avoir une chance de réussir un reportage, il faut improviser le plus possible et travailler vite, en espérant pouvoir prendre de vitesse les autorités.

[…]

Mais pour ce reportage sur le peuple des rats, Patrick Saint Paul est obligé de retourner constamment sur les mêmes lieux pour rencontrer les mêmes personnes…

[…]

Un miracle ! Me voilà face à un homme qui a passé dix ans de sa vie au fond d’une bouche d’égout. Sans le lui avouer je dois le persuader de fendre cette carapace qui lui a permis de tenir le coup aussi longtemps.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Chapitre 3 – Un rat d’égout rejoint les hommes

Wang Xiuqing a été sorti de sa bouche d’égout manu militari par la police qui ont  envoyé leur berger allemand renifler son trou. La Chine était à la veille des jeux olympiques, pas question que des pouilleux de l’espèce de Wang Xiuqing viennent gâcher la fête.

Wang a 54 ans. Il a du faire face :

« La dignité, je n’en avais plus un gramme à ce moment-là. La vérité, c’est que tout le monde cherche la dignité. Mais la dignité, ce n’est pas pour tout le monde. »

Ce jour-là, les policiers l’ont fait entrer dans la cage du chien.

Quel être humain peut supporter cela ? Je découvrirai par la suite un homme hors du commun, qui n’a jamais eu honte de la situation. Et, je crois même, qui ne s’est jamais laissé aller.

Tous les « rats d’égout » ont été chassés ce jour-là et les canalisations ont été condamnées.

Pourtant ça a été plutôt son jour de chance, à Wang Xiuqing… Son histoire a attiré une chaîne de télévision et une université de Pékin lui a proposé un emploi d’homme à tout faire, pour 3000 yuans par mois, nourri, et logé… dans ses sous-sols.

Nous verrons au prochain post de quelle façon Wang vantera les qualités de son ancien habitat situé à trois mètres sous terre…

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

L’hiver, il faisait toujours chaud grâce aux canalisations qui traversaient l’égout. Peu importe les vapeurs toxiques et les tuyaux rouillés qui menaçaient d’exploser. Wang se vante d’afficher une santé de fer. Même s’il avoue avoir eu du mal à respirer dans son puits, tellement l’air y était rare. L’humidité le pénétrait aussi jusqu’aux os. Pour tenter de lutter contre cette calamité, il disposait des couvertures sur le sol, constituant un petit matelas. Mais elles étaient rapidement imbibées et ne séchaient pas, diffusant ensuite une tenace odeur de moisissure.

Des cintres accrochés aux parois pour ses quelques vêtements, une petite bougie allumée très peu de temps le soir pour ne pas se faire repérer, une bouteille vide pour recueillir ses envies pressantes.

« Dès que mon corps descendait dans le trou, il s’adaptait parfaitement et chassait les besoins naturels importants », précise-t-il avec une certaine fierté. 

Un transistor, seule arme contre la solitude. Pas de relations avec les habitantes des bouches d’égout voisines, une vingtaine.

« Elles venaient de provinces éloignées du sud de la Chine. Je ne comprenais pas leur langue. Et puis c’étaient des mendiantes, des parasites. Elles n’avaient aucune fierté.

- Vous valiez donc mieux qu’elles ?

- On ne peut pas nous comparer. Elles faisaient la manche, alors que je travaillais chaque jour pour nourrir ma femme et mes trois enfants restés au village. »

 

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Wang Xiuqing appartient à la génération rouge. Il a grandi sous Mao avec tout ce que cela comporte d’événements. Il fait partie de la toute première génération des mingongs, qui, selon une expression populaire, est habituée à « avaler de l’amertume ».  Pour subsister Wang a lavé des taxis pendant des années (5 à 7 yuans le véhicule – 0.70 à 1 €). Il était un peu mieux payé pour les voitures de particulier (jusqu’à 15 yuans).

Wang se contentait d’un seul repas par jour, riz et légumes, parfois viande. Certains hivers, quand la température descendait jusqu’à -20°C, il devait se forcer pour sortir.

« J’avais les mains rouges et gonflées, avec des engelures partout, dit-il en montrant ses cicatrices. Mais rester au fond du trou, c’était me laisser mourir et abandonner ma famille. Je passais mon temps à lutter contre le froid en sautillant sur place et en buvant de l’eau tiède. Lorsqu’il faisait vraiment trop froid et que je n’en pouvais plus, j’allais me réfugier dans mon petit paradis, au chaud. »

Patrick Saint Paul ici se demande comment tout cela est possible, comment, au XXIè siècle, un être humain peut supporter de vivre dans des conditions aussi extêmes. Quel homme, quelle femme, en Europe, aurait tenu au fond d'un trou par des températures glaciales, pendant dix ans, sans se laisser aller à tout lâcher ? Et sans se plaindre de sa condition, en gardant espoir et détermination ? 

L'été c'était pire, le trou était étouffant, l'humidité, la chaleur et les pluies transformait la bouche d'égout de Wang en étuve, alors il prenait ses quartiers d'été dans les rues. 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

 

« Au début c’était facile, se souvient-il. On pouvait dormir dans les parcs. Mais depuis les jeux Olympiques, il y a des gardiens partout la nuit, qui nous chassent des espaces verts. Et les policiers nous empêchent de dormir dans les rues. »

La misère est cachée sous terre en Chine, rien à voir avec Calcutta ou New Dehli par exemple. En Chine, lorsque la misère s’aventure à la surface, elle est condamnées à l’épuisement. Wang raconte comment son corps cède à la fatigue et comment il lui est impossible de même s’assoir sur un banc sans être chassé. Il raconte encore que parfois des chauffeurs de taxi généreux lui offrent de dormir quelques heures sur leur banquette arrière.

« Souvent j’ai été torturé par la faim, dit-il. Mais jamais je n’ai volé :  pas un yuan, ni même une pomme ou un œuf sur les étals des marchés. Parce que, même si je gagnais peu, j’étais la seule source de revenus de ma famille. Un séjour en prison et c’est eux qui n’auraient plus rien eu à manger. Et puis le vol est un déshonneur. »

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Wang est devenu une sorte de héros, il est même une star des réseaux sociaux. En dix ans, il estime qu’il a pu mettre de côté 36 000 yuans (5108 €) en vivant dans sa bouche d’égout.

Trop pauvre pour épouser la mère de ses enfants (nous verrons les « modalités » de mariage plus loin), il s’est quand même résigné à se marier parce-qu’un ami pékinois lui a dit qu’il pourrait, au bout de cinq ans de mariage, fait valoir ses droits de résidence pékinoise. Après son mariage, Wang s’est donc fait enregistrer, ainsi que son fils et ses deux filles.

Et là… Le gouvernement l’a condamné à 70 000 yuans ( 9932 €) d’amende pour avoir violé à deux reprises la politique de l’enfant unique.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

« Le système est comme il est, se contente de constater Wang d’un ton neutre. Il n’est ni bon ni mauvais. Ni juste ni injuste. Tous les mingong connaissent la règle du jeu avant de venir à Pékin. Nous sommes là parce qu’il n’y a plus de boulot dans nos villages et qu’ici on peut gagner assez d’argent pour avoir une vie confortable au village. Tout le monde est gagnant. Les patrons qui nous donnent des salaires peu élevés. Et nous aussi, même si nous vivons dans de mauvaises conditions. »

Patrick Saint-Paul proposera à Wang de l’emmener en voiture dans son village, rendre visite aux siens. Il découvrira une masure au toit prêt à s’écrouler, des murs en carton-pâte gondolés et des plafonds couverts de suie.

La petite télévision est branchée sur des fils électriques à nu. L’écran est surmonté d’une portrait de Mao, que sa femme, Peng Xuiling, se fait un devoir de changer tous les ans, comme le recommande le Parti communiste chinois, en dépit de la dépense… Même dans le dénuement le plus extrême, la crainte de se faire remarquer est omniprésente. Et la fidélité au Parti se doit d’être affichée, même si elle n’est qu’une apparence.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Wang racontera que malgré qu’ils soient bons élèves, l’avenir de ses enfants est compromis. La famille est trop pauvre pour pouvoir corrompre des fonctionnaires, des professeurs ou des recteurs d’université. Et même si la faculté était accessible, impossible de trouver un bon poste sans guanxi (relations).

« Si Mao était encore en vie, il n’y aurait pas autant de fonctionnaires corrompus. »

Hormis la corruption, Wang a son idée quant au principal problème de la Chine :

« Les ambitions territoriales des voisins de la Chine sont une vraie menace. La Chine n’est pas encore assez forte. Elle doit devenir un grand pays pour éviter que les malheurs du passé ne se reproduisent. »

La propagande nationaliste fait des merveilles. Lorsqu’ils ne sont pas obnubilés par un scandale touchant directement leur vie – pollution, confiscation de terres, scandales alimentaires meurtriers – les chinois en arrivent à oublier leurs vrais problèmes, les inégalités de la nouvelle société chinoise. Les informations des médias et les séries télévisées cultivent la blessure et les humiliations liées à l’invasion japonaise durant la seconde guerre mondiale. Et ils sont prêts à se sacrifier à la grande cause du pays.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Chapitre 4 – La retraite de Julong Garden

Comme la plupart des habitants de Julong Garden, nous ne soupçonnions pas l’existence de cet univers parallèle sous nos propres pieds. […] Nous ne l’avons découvert qu’au bout d’un an, au hasard de cette enquête…

« Tu as raison, c’est bien New York ici, tranche Joséphine (la fille de Patrick Saint-Paul) après m’avoir accompagné dans les entrailles de Pékin. Mais pas le Manhattant du XXIe siècle. C’est celui de l’arrivée des immigrants sur Ellis Island à la fin du XIXe siècle. Celui des bas-fonds, de la misère qu’on supporte pour vivre le rêve américain. La différence, c’est qu’on ne sait pas ce que c’est le rêve chinois. On ne sait même pas si ça existe vraiment. »

Le trait est un peu forcé. Cependant, la complexité de la Chine est destabilisante. Je ne suis pas épargné par ce syndrome. Les certitudes d’un jour et le sentiment d’avoir compris enfin quelque chose au pays sont balayés par une autre réalité vue sous un angle nouveau le lendemain.

[…] Ma familiarisation progressive avec la tribu des rats contribue à les renforcer. Les rats ne sont-ils pas les « coolies » de la Chine moderne ? L’évocation de leur sort agit d’ailleurs comme un puissant poison, qui ébranle les certitudes des « sinoptimistes » les plus fervents.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 346 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Une expatriée française, habitant une autre résidence colonisée par les étrangers, réclame que j’organise une visite de groupe « insolite » dans mon sous-sol, pour découvrir ce Pékin caché. Stupéfait, je réponds par un trait d’humour un peu abrupt, sanctionné par un rire gêné : « Bien entendu. Et c’est moi qui fournirai les sacs de cacahuètes, pour que vous puissiez leur en jeter. Ce sera aussi drôle qu’au zoo. »

Un simple bouton d’ascenseur : c’est tout ce qui sépare notre monde ordinaire – dans lequel nous avons recréé un confort à l’occidentale malgré un léger parfum d’exotisme chinois – de l’univers de ces « morts-vivants ».

Patrick Saint-Paul décrit le sous-sol de sa propre résidence. Lumière blafarde, fils tendus où pendent des uniformes de travail, un dortoir sombre où se trouvent des lits superposés métalliques. Parfum nauséabond, douceâtre, des sanitaires, deux lavabos pour tous les résidents, urinoirs, toilettes à la turque, quatre cabinets individuels pour les femmes, pas de douche, pas d’eau chaude.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.


×