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Serres vs Stiegler : apprentissage et numérique


Invité Karbomine

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Membre, 157ans Posté(e)
chapati Membre 6 957 messages
Baby Forumeur‚ 157ans‚
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Qui a suggéré que revenir en arrière puisse être une solution ? Est-ce qu'on reviendrait un peu en arrière, par petits bouts, sur certaines choses, ou est-ce que tu pensais plutôt à un retour massif et complet ?

Je sais pas. Tu avais l'air presque en colère que les types ne parlent pas des causes quand moi je disais que ça ne changeait rien à la nature des solutions, prévisions etc sur lesquelles ils discutaient. Donc j'ai imaginé que pour toi, dire quelque chose sur ces causes changerait leur discours...

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Membre, 157ans Posté(e)
chapati Membre 6 957 messages
Baby Forumeur‚ 157ans‚
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2- Non, l'inverse est tout aussi vrai, c'est pour cela que j'ai parlé de compensation des faiblesses de l'un par l'autre, par exemple, on voit clairement que derrière l'utilisation froide de la raison, dans le Taylorisme, la dérive que cela peut engendrer sur la condition humaine des travailleurs, réciproquement s'en remettre à sa sensibilité, et donc à ses émotions ou sentiments intérieurs peut aussi se révéler catastrophique, et je pense que le nazisme ou les extrémistes sont de bons exemples.

Tout l'art consistera donc, à savoir comment conjuguer la rationalité, la sensibilité et l'intuition pour produire quelque chose d'acceptable, de manière la plus intemporelle possible.

Je dis que la tradition occidentale fait que la raison écrase le sensible, rien d'autre, rien de moins. En gros qu'on a pris le pli de ne valider une sensation que quand la raison a donné son feu vert pour le faire : la raison décide si n'importe quelle sensation est "acceptable" ou pas (ça n'a pas de rapport avec le fait que nombre de gens réagissent de façon sensible quand il faudrait raisonner).

D'ailleurs pour moi le nazisme est justement un effet de cette dictature de la raison et non le contraire (comme tu le dis) : les nazis voulaient avoir raison malgré les cris étouffés du sensible derrière, parce que la raison commandait (et c'est ça que l'occident ne comprend pas parce qu'il n'en a pas fait le constat).

3- Le non mimétisme, n'est pas un nouvel élan de mode, qui consisterait à être original coûte que coûte, mais bien le reflet d'un choix quand cela concerne un philosophe, et donc d'une réflexion, point de départ essentiel au changement, je ne peux pas promettre que ce soit porteur à chaque fois, mais sans cette amorce, j'ai peur que nous soyons comme des naufragés sur une barque à la dérive et à la merci des courants, au petit bonheur la chance, alors que d'improviser une rame sera toujours plus profitable pour diriger l'embarcation, la volonté me semble plus appropriée en général que de s'en remettre au hasard.

C'est toi qui ne vois comme choix que la volonté (ou bonne volonté) et le "hasard". Il n'est pas question de hasard ici pas plus que de choix. Pour moi, on ne décide pas de penser, de devenir philosophe ou quoi que ce soit de cet ordre, je pense qu'on obéit à des intuitions, qu'en quelque sorte on est "forcé" à penser (tu retrouveras ces thèmes chez Deleuze). On "voit" des choses, on a des intuitions, et quelque chose en nous (ou en certains d'entre nous) fait qu'il s'agit alors de raccorder cette intuition à quelque chose de sérieux où il est question de comprendre ce qu'il s'est passé. Et pour ceux qui s'y engagent, cette affaire n'est pas sans rapport avec une histoire de dignité : celle-là même qui me fait dire que tout le monde a quelque chose (de philosophique) à dire.

4- Il est difficilement concevable de construire quelque chose de durable, si la confiance ou la vérité ne sont pas de mises, envers soi-même ou dans un groupe, tout est altérable, périssable, et hormis une volonté qui s'y oppose, ou plus modestement la vie dans d'autres circonstances, nous irions de changements en changements, sans rien pouvoir bâtir, consolider, pérenniser. Et si rien ne dure, si tout est fugace, l'esprit ne pourra pas s'émanciper de son rôle d'adaptation pour la survie, nous ne ferions qu'en revenir à un mode instinctif, intuitif uniquement, animalesque.

J'ai une confiance très relative envers les "constructions humaines", celle-là même qui me fait dire que 90% du savoir est bon à jeter à la poubelle. Celle-là où il est question dans ce fil de s'apercevoir qu'on a été par exemple suffisamment cons pour se laisser bouffer par la technique sans rien voir de ce que ça pouvait engendrer (la bêtise humaine me paraît une base beaucoup plus solide et qui a fait ses preuves).

Le problème n'est pas la durée mais l'absoluïté que les hommes voudraient s'accaparer (c'est un des problèmes du savoir, peut-être le problème en fait). Donc les choses durent oui... mais elles s'effacent où se transforment, ou sont toujours plus ou moins susceptibles de le faire.

Je ne crois pas que l'esprit puisse "s'émanciper" comme tu dis, et de quoi d'ailleurs, de la survie ? Oui bon la survie, la vie... tu peux rêver si tu veux mais ça changera rien (a priori). Et je ne vois pas du tout le rapport avec un éventuel retour à un mode instinctif dans la mesure où l'instinct, on n'a en gros aucune idée d'à quoi ça ressemble, ça eut ressemblé etc : on dirait plutôt que c'est un truc qui a sacrément évolué changé depuis le cours de l'histoire. Or le fait est qu'on ne retourne pas en arrière !

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Membre, Posté(e)
Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
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Ne crois-tu pas justement, qu'il y a comme une prise de conscience, justement, quand les français refusent les OGM, vont vers la nourriture " bio ", rejettent certaines substances dans les produits alimentaires ou cosmétiques, doutes de l'intérêt de la vaccination ?

Le progrès technique est comme l'économie, libéral, soumis à le seule loi du marché de l'offre et de la demande, faut-il créer un comité de régulation ? Ou laisser les citoyens décider par eux-mêmes ce qui leur convient, à la condition de les informer sans les manipuler, ce que font de plus en plus d'émissions télévisuelles, de magazines ?

Peut-on empêcher les gens de vouloir, de rêver, de prendre plaisir à quelque chose, ou ce qu'ils croient qui va leur donner du plaisir, est-ce la faute à la technique, neutre par nature, ou aux publicitaires, aux investisseurs, aux hommes d'affaires qui veulent vendre leurs produits ?

Pourquoi tous les gamins sont devenus accro. à leur smartphone ou à leurs comptes sociaux, ont-ils envie de s'en détourner ? Qu'avons-nous à leur donner en échange, de plus reluisant, sexy ? Quels sont leurs buts existentiels ?

Finalement tout ce qui se passe au travers de la technologie, est-il réellement nouveau, ou a t-il toujours existé sous d'autres formes, moins visibles/spectaculaires ?

Tu veux m'en dire plus sur le biais de confirmation, à travers ton expérience professionnelle ?

Ton message soulève de nombreux problèmes... Merci. J'essaie d'aller à l'essentiel (mais ce sera probablement en plusieurs parties, en fonction aussi de ce que tu répondras).

1. la neutralité de la technique : la "technique" n'est pas "neutre", on dira plutôt qu'elle est "ambivalente" (Stiegler utilise ce terme dans la vidéo), c'est-à-dire que ses progrès provoquent de façon systématique, indépendamment des intentions, et des effets positifs et des effets négatifs. Mais les effets négatifs (vécus négativement, sources de souffrance et de difficultés) ont tendance à être attribués à des causes imaginaires, pour plusieurs raisons : en premier lieu parce que ces effets ne sont le plus souvent pas souhaités, et aussi parce qu'ils sont le plus souvent "diffus", non perceptibles immédiatement tandis que les effets positifs (vécus positivement), qui sont ceux visés, constituent le résultat immédiatement probant. Cette liste n'est pas exhaustive.

2. technique et marché : l'on n'a pas plus de raisons objectives de croire que le marché orienterait la progression technique et déterminerait ses effets plutôt que l'inverse.

La "dialectique" économique/technique est éminemment complexe mais à y regarder, le mouvement général aujourd'hui (et depuis plus d'un demi-siècle) semble bien être celui inverse de ce que l'on croyait (vision largement héritée de Marx, sans qu'on le sache le plus souvent mais elle a pénétré toutes les couches sociales et leurs systèmes de représentations) : le profit, dont parlait Tison, surgit en réalité là où l'on comble un manque qu'a entraîné la progression technique dans sa phase précédente. Google en est un exemple frappant. Mac aussi, Facebook idem, etc. Au départ, ça peut n'être que quelques "branleurs" dans un garage, mais si par l'innovation qu'ils apportent ils parviennent à combler un manque "structurel", ils, et les groupes qui les rachèteront, prendront rapidement un poids monstrueux, financièrement certes (mais aussi politiquement) mais cet aspect comme les autres reste fonction du besoin auquel ils répondent - or ce besoin est déterminé par le contexte technique global. Le succès d'une entreprise capitaliste aujourd'hui est déterminé par sa capacité à dominer et à s'accaparer un sous-système déterminant du système technique dans son ensemble. Réciproquement, une entreprise qui ne s'adapte pas aux progrès techniques est vouée à disparaître rapidement : l'économie est dans une relation de dépendance vis à vis du phénomène technique à de nombreux égard.

Mais il y a plus (haha ! suspens).

Il y a le développement de toute une "économie" qui échappe au mode capitaliste. Tu as sans doute entendu parler des "biens communs" (Wikipédia), les "Commons", de l'économie "collaborative", de l'économie "non compétitive", etc. Leur émergence et l'importance que ces phénomènes prennent pour les marchés eux-mêmes (qu'ils perturbent très sensiblement) montrent que dans la mesure où les rapports capitalistes de production font obstacle à la progression technique (car c'est bien toujours de cela dont il s'agit), ces rapports capitalistes auront tendance à être abandonnés voire à être activement défaits, au profit de nouvelles manières de faire qui ne tardent jamais à trouver une justification légale (bien sûr, il y a toujours des luttes à ce niveau, mais nous parlons de la tendance générale - et on peut rajouter que dès que "le capitalisme" entrave ce type d'initiatives, on assiste à une levée de boucliers unanime : c'est intolérable). Le logiciel libre en est un exemple (mais, dans les analyses, si on remarque bien que ce phénomène représente une négation du mode industriel de production (et on s'en félicite toujours) on ne montre pas assez qu'il s’insère d'autre part directement dans la progression technique (ce qui est regrettable)). S'il faut en rajouter, j'ai déjà cité Friedmann mais je peux le refaire : « [Les techniques] se sont, depuis les débuts de la seconde révolution industrielle (c’est-à-dire, à peu de choses près, depuis la mort de Karl Marx), multipliées, compliquées, renforcées à un rythme hallucinant. Des transformations quantitatives ont conduit, vers le début de notre siècle, à une prodigieuse mutation qualitative : alors surgit un nouveau milieu des sociétés humaines industrialisées, le milieu technique, avec lequel le socialisme, en théorie et en pratique, doit désormais compter. (…) La collectivisation des moyens de production dans le régime planifié d’un socialisme d’Etat n’annule pas les effets du milieu technique de ladite société. (…) Les éléments constitutifs du milieu technique débordent l’aire des sociétés capitalistes et leurs transformations n’obéissent pas à l’évolution dialectique selon les schèmes marxistes classiques, en particulier celui de la lutte des classes" (Sept études sur l'homme et la technique). Pour illustrer ceci, on peut penser au fait que le fonctionnement d'une centrale nucléaire, qu'on se trouve en Ouganda, en Union Soviétique ou en France, nécessite exactement la même organisation du travail, laquelle implique peu ou prou les mêmes conditions et provoque donc aussi les mêmes "réactions" chez les travailleurs, implique les mêmes rapports sociaux, l'apparition des mêmes "pathologies", une même dilution de la responsabilité au point que personne en réalité n'est plus responsable au sens propre, etc.

Ce n'est, bien sûr, pas à admettre comme la vérité nue, mais j'ai bon espoir que ça entame certaines certitudes qui portent préjudice à la Vérité (oui oui)... (Sachant qu'ici je me borne à répéter des choses qui ont déjà été dites et montrées dès les années 50-60 !!!..........).

Tu parles des "investisseurs", des "hommes d'affaire", des "publicitaires". C'est intéressant. Mais la production d'une part et la capacité à orienter les désirs des consommateurs d'autre part ne sont-elles pas exactement fonction des techniques dont on dispose ? Les prises de conscience dont tu parles, par ailleurs, je ne le conteste pas ; en revanche, il me semble que tant que le phénomène n'a pas été appréhendé comme globalité, on va rester sur du "rafistolage" local, rafistolage qui ira dans le sens de la progression technique (c'est de toute façon une "nécessité" en l'état des choses, ou bien l'économie s'effondre ainsi que les systèmes étatiques), sans que le problème fondamental qu'elle pose, à savoir l'absence de "feedback", ne soit pour autant réglé. Partant, les difficultés vont probablement continuer à s'accumuler d'une manière exponentielle, car c'est bien ce qui se passe, jusqu'à ce que des "ruptures" soient atteintes, dont dieu seul sait où elles nous mèneront - Inch Allah !

En bref donc : 1) la relation entre économie et technique est plus complexe qu'on ne le suppose, et semble bien être "surdéterminée" par des facteurs techniques plutôt qu'économiques, et 2) la technique en tant que réalité sociologique doit être considérée pour elle-même, car elle constitue sa "réalité propre" : irréductible à une sous-catégorie économique. Est-ce suffisant, as-tu des questions ou critique, n'es tu pas convaincu au moins de la nécessité de modifier ton point de vue ?

3. Il peut être intéressant d'ajouter que l'immense majorité des discours philosophiques sur "La Technique" n'ont plus qu'une vague correspondance avec les phénomènes qu'on observe en réalité, ou disons ceux qui effectivement posent problème (moralement, politiquement, socialement, économiquement, culturellement...). Or les deux choses se parasitent sans cesse : on analyse et interprète les phénomènes émergents en invoquant explicitement ou implicitement le discours philosophique sur La Technique, et par conséquent inexorablement l'idéologie imprègne les efforts de pensée et les oriente (en particulier au niveau des questions que l'on pose et celles qu'on ne pose pas, pour faire écho à...). C'est une véritable plaie. Par conséquent :

4) Une mise au point rapide sur "la technique" (en référence directe à Ellul, La technique ou l'enjeu du siècle) : parlons plutôt du "phénomène technique".

Qu'est-ce ?

Ellul distingue deux niveaux : d'abord le niveau de l'opération technique, c'est-à-dire une opération menée efficacement en vue d'un résultat donné. La cueillette des fruits comme la confection d'une centrale nucléaire sont la même chose à cet égard. Or, (de mémoire) "sur ce plan très vaste des opérations techniques, nous assistons à une double intervention, celle de la raison et celle de la conscience, et c'est cette double intervention qui produit ce que j'appelle le phénomène technique."

En quoi consiste cette "double intervention" ?

La raison conduit, hors de l'imitation de la nature (la voie traditionnelle), à la conception de méthodes basées sur des critères abstraits et que l'on soumet à l'expérimentation pour ne retenir finalement que le moyen le plus efficace. La raison conduit de cette façon à un perfectionnement de la méthode au sein de l'opération technique, et à une élimination des méthodes moins efficaces. Mais, d'autre part, intervient la prise de conscience : devant les résultats atteints, on prend conscience qu'en procédant de cette manière, on va pouvoir atteindre, dans d'autre domaines laissés jusque là à la spontanéité et aux traditions, des résultats supérieurs au moyen de méthodes sans cesse plus efficaces. La prise de conscience produit donc, par une sorte de "contagion", une extension rapide des domaines où la raison va venir s'appliquer. (On peut ajouter que plus il y a de moyens techniques, plus de combinaisons deviennent possible entre ces moyens, ce qui ouvre sans cesse la voie vers de nouvelles possibilités - la voie qui est prise étant celle ouverte, le plus souvent, par les difficultés générées par le stade antérieur, ces difficultés devenant, à mesure que progresse le phénomène, de plus en plus urgentes et dangereuses). Ainsi, d'une part, la raison motive l'élaboration de moyens toujours plus efficaces, affinés et spécifiques, et, d'autre part, la conscience étend sans cesse les domaines où l'on recherche une semblable efficacité. Le phénomène technique, c'est donc, résumé, "la recherche dans tous les domaines du moyen absolument le plus efficace".

Alors, si vous m'avez un peu suivi vous comprenez que lorsqu'il est dit que "la technique détermine l'économie", ceci signifie en fait que le "phénomène technique", c'est-à-dire synthétiquement la "recherche du moyen le plus efficace dans tous les domaines" et ce qu'elle produit concrètement dans la réalité, définit en fait les conditions concrètes, les "paramètres" des situations dans lesquelles la "recherche du profit" - dans un régime capitaliste - se réalise. Ce n'est pas une Loi Scientifique (de la nature, de l'Histoire ou de La Technique) mais une "loi" de la société technicienne, dans le sens où c'est ce que l'on observe effectivement, quels que puissent être les discours philosophiques qui sont produits sur "La Technique".

Or ce phénomène-là est prépondérant dans la plupart des difficultés collectives et individuelles rencontrées au sein des sociétés dès lors dîte "techniciennes" aujourd'hui ; sans que, la plupart du temps, il soit identifié comme étant effectivement en cause dans ces difficultés, alors qu'il l'est au premier chef - dans la mesure où ces difficultés ont une origine déterminée (sans, évidemment, qu'elles ne proviennent que de la progression du phénomène technique - ce qui n'autorise pas pour autant à diminuer ou à ignorer son rôle).

Pour l'illustrer : les difficultés économiques que rencontre notre pays aujourd'hui, par exemple, proviennent avant tout du phénomène technique lui-même (en fait, du "système" que forment la progression technique et le phénomène technique, mais ce sera pour une autre fois). Or, au lieu qu'on identifie cette cause prépondérante, vers quoi nous tournons-nous ?

Je pense que Chapati peut déjà deviner en partie le contenu de ma réponse à venir :

Je sais pas. Tu avais l'air presque en colère que les types ne parlent pas des causes quand moi je disais que ça ne changeait rien à la nature des solutions, prévisions etc sur lesquelles ils discutaient. Donc j'ai imaginé que pour toi, dire quelque chose sur ces causes changerait leur discours...

Je ne confonds pas "origine historique" du système technicien et, d'autre part, cause des phénomènes émergents. Il est évident que les solutions que l'on proposera aux problèmes qui se présentent devront être fonction d'un diagnostique sur les raisons de ces problèmes. Or, tu dis qu'il n'y a pas la queue d'un début de solution dans mes écrits (qui ne sont qu'un humble et sans doute mauvais reflet des écrits d'autres que moi mais dont je m'efforce, avec mes moyens, d'éprouver la pertinence et la portée) : c'est bien le problème : nous sommes obligés d'agir, parce que nous accumulons des problèmes auxquels on ne peut pas ne pas répondre, mais d'autre part ces actions sont elles-mêmes ce qui provoque ces difficultés. Là est le problème éthique que soulève la technique aujourd'hui.

Sur le biais de confirmation dont parlait Théia, je repasserai, je suis en panne d'inspiration maintenant.

Mes excuses pour ce pavé pas très ragoutant.

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Membre, 157ans Posté(e)
chapati Membre 6 957 messages
Baby Forumeur‚ 157ans‚
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Petitpepin, ton discours démontre que la technique façonne la société et je pense que les gens - en tous cas des types comme Serres ou Ziegler - sont tout à fait au courant de ce genre de chose, et j'adhère aussi à ce constat.

On a donc constaté la machine folle que constitue la technique et derrière laquelle on court, bien.

Où sont les solutions ?

En quoi le constat change-t-il une virgule à ce que, selon toi, Serres et Ziegler auraient du dire ?

Les causes d'une situation sont toujours multiples, la technique ne vient pas de nulle part, elle est cause au même titre que d'autres. C'est justement à la philo de prendre en compte cette totalité pour arriver à comprendre comment les choses fonctionnent.

Deleuze dit que c'est l'outil qui crée la fonction, il prend souvent l'exemple de l'étrier, qui permet au cavalier une stabilité qu'il n'avait pas auparavant, ce qui entrainera une révolution dans l'art de la guerre par exemple, en libérant totalement les mains pour le combat. Bref c'est l'outil qui façonne l'homme (et son histoire) et non le contraire.

L'homme a toujours évolué en fonction des outils dont il s'est servi, en a toujours été dépendant. On doit bien sûr noter qu'ici les conséquences sont particulièrement impressionnantes mais c'est pas à des types comme Serres que tu vas apprendre ce genre de choses. Je répète : on ne revient pas en arrière (à méditer) : trouver des solutions, ça consiste forcément à comprendre la genèse des problèmes mais ça ne suffit pas. Les causes donc sont toujours multiples, enchevêtrées les unes dans les autres (c'est ça que tu vois pas).

Les problèmes, il faut les prendre là où ils sont aujourd'hui : avec leur genèse certes, mais aussi les milles états de choses qui les accompagnent, tout autant liés entre eux pour amener à la réalité d'aujourd'hui que les techniques le sont pour faire avancer la machine folle qu'elles ont créée.

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Membre, Posté(e)
Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
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Petitpepin, ton discours démontre que la technique façonne la société et je pense que les gens - en tous cas des types comme Serres ou Ziegler - sont tout à fait au courant de ce genre de chose, et j'adhère aussi à ce constat.

On a donc constaté la machine folle que constitue la technique et derrière laquelle on court, bien.

Les gens comprennent que les techniques transforment le monde, ça ne fait aucun doute. Parfois ils s'y opposent et alors, lorsque trop d'investissements sont en jeu, des "études d'acceptabilité" sont mises en oeuvre pour comprendre ce qui entrave la réception de tel ou tel dispositif et quels argumentaires et arrangements il faudra déployer pour le faire accepter.

Mais là n'est pas vraiment la question.

Il ne suffit pas de dire qu'on a constaté la machine, il faut effectivement la constater... Ce n'est pas si simple (et c'est pourquoi je renvoie aux textes de ceux qui y ont consacré leurs vies..).

Les causes d'une situation sont toujours multiples, la technique ne vient pas de nulle part, elle est cause au même titre que d'autres. C'est justement à la philo de prendre en compte cette totalité pour arriver à comprendre comment les choses fonctionnent.

Oui, et c'est précisément ce que nous nous efforçons de faire ici, mais devant quoi tu sembles reculer maintenant. Reprends mon "argumentaire" (où je me borne à 99% à faire le perroquet, je le répète).Je n'ai peut-être pas réussi à faire passer que l'enjeu y est, non pas de montrer que la technique change le monde, mais de montrer qu'elle est la "cause prépondérante" dans le devenir historique du monde tel qu'il est aujourd'hui.

Cette cause n'est pas la seule. Elle n'est pas l'unique, elle ne renferme pas l'explication de toutes choses, de toutes situations. Mais dire qu'elle est "prépondérante" c'est dire qu'elle est celle qui "traverse" et affecte le plus grand nombre de situations, qui "paramètre" l'émergence des phénomènes les plus significatifs. Il faut donc porter son attention sur les détails de cette "cause" pour tenter d'obtenir une intelligence globale, mais nécessairement incomplète, du cours du monde. Voilà l'enjeu. (Enjeu d'ailleurs suscité par cette même cause - car la spécialisation nécessite d'autre part une totalisation : c'est bien pourquoi nous produisons de la théorie sociologique depuis des décennies, et pourquoi aussi Wikipédia est si utile à l'individu plongé dans le milieu technique : elle est une forme particulièrement adéquate de totalisation).

Deleuze dit que c'est l'outil qui crée la fonction, il prend souvent l'exemple de l'étrier, qui permet au cavalier une stabilité qu'il n'avait pas auparavant, ce qui entrainera une révolution dans l'art de la guerre par exemple, en libérant totalement les mains pour le combat. Bref c'est l'outil qui façonne l'homme (et son histoire) et non le contraire.

On est typiquement dans le discours philosophique sur la technique qu'il faut rejeter je crois (je ne sais pas chez Deleuze, je veux dire dans l'utilisation que tu en fais ici). Encore une fois mon propos n'est pas de dire que les dispositifs techniques et les nouvelles techniques produites sont causes de changements, mais de dire que le système technicien, cette chose-là, est le facteur prépondérant dans le devenir socio-historique actuel. Je ne sais pas si je parviens à rendre perceptible la nuance, mais elle est déterminante.

Le système technicien est donc ce qui mérite en premier lieu d'être appréhendé intellectuellement, lorsqu'on tente de penser la globalité dans laquelle on se trouve et qui définit très largement le sens de nos situations personnelles. Or, je reproche à S. et S. de ne pas évoquer son existence. Je reproche à leurs positions sur divers problèmes qu'elle ne prennent strictement aucun compte de son existence (du système réel, pas de la théorie de Jacques Ellul, ou alors dans la mesure où elle met en évidence son existence).

D'autre part il faudra me croire sur parole quand je te dis qu'à ma connaissance les sociologues, les théoriciens de la technique en général et du numérique en particulier ignorent plus ou moins volontairement et unanimement les travaux d'Ellul, non parce qu'il y aurait complot ou parce que ces travaux ne seraient pas pertinents mais parce que, telles que sont définies les situations des intellectuels, personne dans le microcosme universitaire n'a intérêt à s'aventurer à les admettre, à les faire connaître, à les réfuter ou à les approfondir. Alors on les laisse de côté, on fait comme s'ils n'existaient pas, on n'en parle pas ou au détour d'une note en bas de page pour dire "j'ai lu". Et ca m'énerve.

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Membre, 157ans Posté(e)
chapati Membre 6 957 messages
Baby Forumeur‚ 157ans‚
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Tu répètes ton truc sans prendre en compte ce que je dis.

Tu dis qu'il faut se focaliser sur la technique mais tu ne donnes aucune piste ni solution. Et là c'est trop facile. Ben oui la technique c'est un train lancé à toute allure, un machin dépourvu de sens comme l'est tout autant la machine capitaliste qui fait du fric sans se soucier de rien d'autre.

Qu'est-ce que tu proposes, ou qu'Elul propose ?

De mon côté je pense que pour comprendre ce qu'il se passe, il faut aussi prendre en compte tout le reste... par exemple et pour ce que j'en pense, la technique est essentiellement prépondérante dans une optique matérielle. Pour moi, la morale fait bien plus de dégâts que la technique quant à la façon dont vivent les hommes... et je ne parle même pas de là bêtise qui est selon moi l'ennemi absolu !

Il faut tout prendre en compte parce que tout interagit dans ce monde (et surtout dans notre psychisme : la machine est mentale avant que d'être matérielle) : la philo, c'est certes dissocier pour mieux analyser, mais c'est en même temps étudier tous les types de relations, d'interactions etc, et leur impact : l'un ne va pas sans l'autre (je le répète : les causes sont toujours mutiples).

... ou alors on reste dans le vieux monde philo des idées et des vérités éternelles, à tourner en rond en rongeant les mêmes os, et on n'aboutit à rien.

Si tu ne penses que la technique, tu vas dire quoi ? C'est pas bon, faut maîtriser, des trucs comme ça ? Sauf qu'on peut rien maîtriser d'une invention nouvelle, elle peut produire sur le moment un tout petit bout de machin de rien du tout, genre sympathique, et, en entraînant d'autres recherches à la suite, amener à des révolutions en terme de modes de vie dont personne n'a idée sur le moment (en positif comme en négatif d'ailleurs).

PS : et si t'étais sûr de comprendre ce que je dis avant de dire à chaque fois qu'il faut le rejeter, ça irait plus vite en terme de discussion :cool:, genre Deleuze et aussi l'utilisation que j'en ferais, dont visiblement tu n'as aucune idée.

... de mon côté, sache que je comprends très bien pourquoi et comment ce genre de chose peut t'énerver (...)

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Membre, Posté(e)
Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
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Permets moi de m'insurger, entre deux quintes de toux.

Je veux bien que je ne prenne pas en compte tout ce que tu dis, et j'accepterai que tu me montres pourquoi je ne le prends pas en compte à sa juste valeur, en revanche tu ne peux pas me reprocher de ne pas comprendre ce que tu n'expliques pas ("à méditer" c'est particulièrement vague...).

je refuse aussi que tu m'accuses de ne donner aucune piste : je ne fais que ça. Je donne des auteurs, un en particulier. La piste commence là pour moi ! Je n'en ai pas d'autre à donner qui soit meilleure.

Tu dis : pour comprendre ce qu'il se passe, il faut aussi comprendre tout le reste. A ta place je ne surlignerais pas "aussi" mais tout le reste. Ce n'est pas rien quand même, tout le reste...

La base de laquelle on peut partir : dans chaque situation vécue comme problématique (source de souffrance, de gêne, de malaise, d'angoisse, etc.) il y a une multitude de "facteurs" qui rentrent en compte, dont il nous est impossible de dénouer toutes les intrications. Alors on procède avec méthode, en éliminant ce qui est circonstanciel et en cherchant ce qui est plus régulier ; on "décante" ainsi un ensemble de facteurs qui sont les plus régulièrement impliqués et on essaie de comprendre pourquoi et comment ils sont impliqués, et quelles sont leurs effets globaux.

Or à ce stade de notre discussion, je comprends que tu invoques la morale : "la morale fait bien plus de dégâts que la technique quant à la façon dont vivent les hommes" Voilà de quoi renouveler ce dialogue. Parce que l'une et l'autre perspectives ne s'excluent pas mais doivent être articulées (mais autant le dire de suite, je ne suis pas d'accord pour autant que je puisse en juger - ca promet donc une discussion intéressante ! certes apparemment hors sujet...). Peut-être faut-il préciser ce que tu entendais par là ?

Là où en est ma vision-personnelle-pas-à-moi des choses très rapidement : jusqu'à encore récemment dans l'histoire (quelques centaines d'années), les morales étaient très importantes pour toute la vie sociale. Les institutions religieuses, le christianisme, ont profondément marqué notre histoire, ont cadencé la vie quotidienne de nos ancêtres. Si on revient vers le sujet de la technique, il semble en effet que les "facteurs techniques" aient toujours été contenus par des impératifs moraux, religieux et autres, jusqu'à un moment dans l'histoire où la relation entre eux s'est renversée. Ce moment remonte justement à l'affaissement de la morale, à la "mort de dieu" - longue et pénible. Ainsi, ce qui me paraît significatif aujourd'hui, c'est l'absence de morale au sens traditionnel, ce "trou" béant qu'on ne sait trop comment combler et qui constitue l'un des enjeux majeurs des siècles passés. Si, d'autre part, on entend maintenant "morale" comme "forme spirituelle" effectivement accomplie, alors je dirai sans surprise que le système technicien est là encore prépondérant dans les évolutions actuelles de la "forme psychique" des peuples... Mais voyons comment tu présentes les choses.

Ah et je ne parlais pas de ton utilisation de Deleuze en général, dont je ne sais rien (tu peux partir du principe que je ne parle pas de ce dont je ne sais rien), mais de ton utilisation en l'occurrence, quand tu disais "c'est l'outil qui fait l'homme").

Je ne reviens pas sur tes questions (ne pense que sur la technique, tu vas dire quoi ?) parce que les questions ne sont pas sincères.

Dernier point (désolé) le système technicien n'est pas une chose matérielle, si je comprends bien ce que tu veux dire. C'est une chose abstraite (mais bien réelle, et dont certaines manifestations sont matérielles). C'est pour ça que je me méfie du terme "concret", à ne pas entendre dans le sens de simplement "matériel".

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Membre, If you don't want, you Kant..., Posté(e)
deja-utilise Membre 5 705 messages
If you don't want, you Kant...,
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Je dis que la tradition occidentale fait que la raison écrase le sensible, rien d'autre, rien de moins. En gros qu'on a pris le pli de ne valider une sensation que quand la raison a donné son feu vert pour le faire : la raison décide si n'importe quelle sensation est "acceptable" ou pas (ça n'a pas de rapport avec le fait que nombre de gens réagissent de façon sensible quand il faudrait raisonner).

D'ailleurs pour moi le nazisme est justement un effet de cette dictature de la raison et non le contraire (comme tu le dis) : les nazis voulaient avoir raison malgré les cris étouffés du sensible derrière, parce que la raison commandait (et c'est ça que l'occident ne comprend pas parce qu'il n'en a pas fait le constat).

Encore une fois, tout dépend de la situation, ce que tu fais serait du même acabit que le mensonge, répréhensible souvent, mais approprié parfois, il en irait de même de la raison, à modérer ou à zapper suivant les circonstances, ce qui conduit inévitablement vers la faculté de jugement, quand et comment utiliser mes capacités à réagir en fonction du contexte particulier, jugement qui ne repose pas exclusivement, ni en dernier recours sur la seule raison !

Les positions extrêmes sont le fait d'idées passionnelles, à rapprocher du sensible donc, si Hitler était un mégalomane, c'est justement à cause de ses lubies qui ne doivent rien à la raison quant à leur existence, en revanche une fois ses folies idéologiques germées, il a été fait usage d'un certain rationalisme pour tendre vers leur mise en oeuvre/application effective, concrète, la raison ayant été utilisée comme moyen d'assouvir une sensibilité particulière/arbitraire, en aucun cas comme la source de ces desseins, mais bien comme l'outil qui aura permis de les forger. Si mon véhicule me permet de me rendre d'un point A à un point B, il n'en demeure pas moins qu'au préalable j'ai eu le désir ou le besoin d'aller d'où je suis à ma destination, la voiture m'a servi d'intermédiaire, de moyen effectif d'exécution, mais j'aurais pu m'y prendre autrement, pour nourrir le même but à atteindre, parvenir à mes fins, de même la sauvagerie peut user d'autres stratagèmes pour arriver à son objectif que la froide raison, tout un arsenal est disponible, ce qui est choquant, c'est la relation habituelle octroyée entre la raison et la sagesse, dénaturée par l'usage de la première à d'autres finalités que la seconde, voilà ce qui est révoltant en première instance.

C'est toi qui ne vois comme choix que la volonté (ou bonne volonté) et le "hasard". Il n'est pas question de hasard ici pas plus que de choix. Pour moi, on ne décide pas de penser, de devenir philosophe ou quoi que ce soit de cet ordre, je pense qu'on obéit à des intuitions, qu'en quelque sorte on est "forcé" à penser (tu retrouveras ces thèmes chez Deleuze). On "voit" des choses, on a des intuitions, et quelque chose en nous (ou en certains d'entre nous) fait qu'il s'agit alors de raccorder cette intuition à quelque chose de sérieux où il est question de comprendre ce qu'il s'est passé. Et pour ceux qui s'y engagent, cette affaire n'est pas sans rapport avec une histoire de dignité : celle-là même qui me fait dire que tout le monde a quelque chose (de philosophique) à dire.

Je n'ai aucunement renoncé à l'intuition, mais tu reconnaitras sans peine qu'entre le moment où cette intuition apparait et une éventuelle prise de décision, de position, il aura fallu un travail, ce travail ne sera pas hasardeux, il sera mu par une volonté, qui ne connait sans doute pas encore le fruit à cueillir, mais qui s'efforce de produire quelque chose, si tu as déjà tenté d'allumer un feu, tu auras constaté également qu'une étincelle n'est jamais suffisante pour créer une flamme spontanément, il faut la bienveillance, et le travail actif d'une âme qui désire faire aboutir ce premier pas nécessaire, vers une concrétisation flamboyante, brûlante.

Si ce travail est couplé à une éthique ou à une morale, alors on pourra éventuellement aboutir à une question de dignité, mais pas avant, être digne c'est toujours se comparer à un référentiel, et avoir opté vers le bon coté, c'est à dire à un système de valeurs perçues positivement.

Tout un chacun doit avoir des intuitions, ou des jambes pour se mouvoir, c'est ce que l'on fait avec ou pas, qui fait la différence, c'est donc de l'ordre du choix. Et tout comme un coureur aguerri ne le devient pas du jour au lendemain, un penseur efficient se construit aussi sur un long laps de temps, ce qui démontrera leurs volontés, déterminations.

Si on ne choisit pas d'être le réceptacle de nos pensées jaillissantes, pas plus que de ressentir nos émotions, on peut en revanche décider de ce que l'on en fait, ou de ce que l'on n'en fait pas, c'est à ce moment que l'on devient acteur de nos états intérieurs, soit on se trouve dans un registre de réaction, soit dans celui de la réflexion, et donc en général plus construit, élaboré, etc...

J'ai une confiance très relative envers les "constructions humaines", celle-là même qui me fait dire que 90% du savoir est bon à jeter à la poubelle. Celle-là où il est question dans ce fil de s'apercevoir qu'on a été par exemple suffisamment cons pour se laisser bouffer par la technique sans rien voir de ce que ça pouvait engendrer (la bêtise humaine me paraît une base beaucoup plus solide et qui a fait ses preuves).

Le problème n'est pas la durée mais l'absoluïté que les hommes voudraient s'accaparer (c'est un des problèmes du savoir, peut-être le problème en fait). Donc les choses durent oui... mais elles s'effacent où se transforment, ou sont toujours plus ou moins susceptibles de le faire.

Je ne crois pas que l'esprit puisse "s'émanciper" comme tu dis, et de quoi d'ailleurs, de la survie ? Oui bon la survie, la vie... tu peux rêver si tu veux mais ça changera rien (a priori). Et je ne vois pas du tout le rapport avec un éventuel retour à un mode instinctif dans la mesure où l'instinct, on n'a en gros aucune idée d'à quoi ça ressemble, ça eut ressemblé etc : on dirait plutôt que c'est un truc qui a sacrément évolué changé depuis le cours de l'histoire. Or le fait est qu'on ne retourne pas en arrière !

Pourtant sans ces constructions humaines, sans cet héritage, que serions-nous, pourrais-tu t'exprimer, te faire comprendre, communiquer avec autrui, t'enrichir culturellement/intellectuellement/spirituellement ?

La bêtise humaine n'a pas attendu l'avènement du numérique pour s'exprimer pleinement, de montrer toute sa splendeur nauséabonde, son incommensurable diversité honnie, son infinie richesse destructrice... Ce n'en est qu'une manifestation particulière parmi tant et tant d'autres !

On peut s'émanciper, une condition nécessaire, mais pas toujours suffisante, étant de le vouloir, vouloir quitter ses chaines, pour enfiler celles qu'on a décidé, ceci est déjà un acte de liberté, de prise de recul, mais surtout de se dégager du temps pour méditer, réfléchir, à l'heure où tout est fait pour que l'esprit soit accaparé par un brouhaha permanent, sans répit, jamais au repos des forces extérieures, des sollicitations, des besoins primaires ou rajoutés/suscités, prendre le temps donc, pour contempler cette effervescence tout azimut, sans réelle cohérence, un fourmillement erratique où chacun se heurte et se meut sans manifester sa volonté, uniquement d'être pris dans les flots mouvementés, créés paradoxalement par le mouvement de tous ces autres, ces semblables, nous nous entrechoquons, rapprochons, éloignons au gré des circonstances, nous ne valons finalement pas mieux que ces poussières soumises au mouvement brownien.

Je disais que si nous devions nous débarrasser de tout " conditionnement ", ou autre formation, nous en reviendrions nécessairement à un mode plus grégaire, instinctif, c'est à dire survivre et se reproduire, et pour répondre à ton interrogation: l'instinct c'est ce qui se produit, par exemple, quand le petit d'homme âgé de quelques heures va frénétiquement rechercher le téton de sa mère quand il se retrouvera joue contre son sein, pour le sucer, personne ne lui aura fourni le mode d'emploi, mais il " aura su " quoi faire...

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deja-utilise Membre 5 705 messages
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J'essaie d'aller à l'essentiel

Merci à toi également, pour ce long développement, que je ne reprendrai pas point par point, ce qui serait bien trop long, j'irai donc aussi à l'essentiel:

Je me vois obligé d'insister sur la neutralité de la technique, ou de l'outil ou du moyen en général, il n'y a bien que nos actes qui déterminent si une action est vertueuses ou vicieuses, au vu de nos propres référents moraux, il est aisé de constater que même l'animal non humain ne rentre pas en ligne de compte, ils sont amoraux, les végétaux aussi, les objets n'ayant aucune volonté propre, ne peuvent être soumis à notre jugement, au mieux, on pourra juger des intentions de l'inventeur, mais pas l'objet ou la méthode elle-même. Les conséquences du bon ou mauvais usage n'incombe pas à la technique, mais bien aux humains qui l'emploient, raison pour laquelle cela semble ambivalent, selon l'usage qui en sera fait, mon tournevis est profitable si il me permet de réparer mon vélo, néfaste si je m'en sert pour crever le pneu ou l'oeil de mon voisin, vider trois cartouches d'insecticides dans la pièce où se trouve une mouche est sans doute totalement inadapté, les risques ou effets secondaires étant plus importants que le bénéfice attendu.

Quand j'ai fait un lien entre économie de marchés et technique, il était d'ordre comparatif, analogique, pas de l'ordre de l'imbrication, mais puisque tu as longuement débattu sur ce sujet, je me dois d'en dire quelque chose également.

Tu décries dans ton analyse, ce que j'appellerai une dynamique évolutive entre capitaux et technologie, à l'image de ce qui se passe dans le monde du vivant, par la théorie de l'évolution, et cela n'a rien d'étonnant, puisque ceux, les humains, qui font vivre cette technologie sont encore soumis à l'évolution, leurs extensions le sont indirectement, qu'elles soient idéelles, conceptuelles ou matérielles. La survie du plus apte " made in " technologie dans son environnement spécifique.

Le phénomène technique qui s'auto-alimenterait via la double intervention de la raison et de la conscience, n'a rien de nouveau, je pense, en soi, ce qui l'est, c'est le stade auquel on est arrivé, qui s'explique par un état d'esprit idéologique hérité de la révolution industrielle, qui veut que le bonheur soit toujours à la clef, par le truchement de la techno-science. Si nous étions capable de rompre massivement avec cette vision, nous pourrions voir la technologie pour ce qu'elle est, un simple moyen, or elle est prise pour un but en soi, une finalité, quand bien même, elle est vouée à évoluer en permanence, changeant sans arrêt les repères des individus, leurs curseurs, cela a un effet contre-intuitif, addictif, puisque si le réglage a changé, je modifie ma vie pour le remettre à sa place qui doit être la sienne, voire le placer le plus haut si possible, pensant que plus il y a, plus grand sera le résultat, mais comme pour toute forme de drogue, l'effet diminue avec l'usage, condamnant à augmenter les doses pour en ressentir les effets, nous nous retrouvons pris dans une spirale infernale, vicieuse, puisque les victimes attendent avec impatience ce qui les rongent à petit feu. En dehors de ce processus psychologique, il y a bien d'autres facettes que l'on pourrait critiquer sur la technologie, mais encore une fois, c'est bien notre rapport à elle qui doit changer, pas forcément la technique elle-même.

Pour finir sur ce point, tu me focalises sur le fait que " la technique détermine l'économie " i.e.: la recherche de la maximalisation de l'efficacité conduit inéluctablement à celui du profit, et non l'inverse, phénomène qui serait prépondérant. Je te répondrai brièvement que ce n'est qu'une partie du rouage, car avant même de connaitre le moyen pour atteindre un éventuel but, il faut déterminer/créer ce but/objectif, c'est à dire créer/révéler un besoin, principe de base du marketing, une fois celui-ci provoqué, il ne restera plus qu'à mettre un procédé en face, qui lui-même pourra évoluer, et avoir un effet convergent avec d'autres procédés, le cas du smartphone étant emblématique à ce sujet.

N'oublions pas, qu'aujourd'hui, comme hier, l'image de marque des individus est importante, si par un lointain passé, ça ne touchait peut-être pas le bas peuple, maintenant toutes les strates de la population sont concernées, et la technologie peut être utilisée à cette fin, comme n'importe quel autre objet ou savoir-faire, que ce soit à un niveau individuel ou étatique, ou même clanique. Au même titre que l'argent n'est plus un simple intermédiaire d'échange, mais fait l'objet de tant d'autres attentions, la technique peut recouvrir dorénavant d'autres visages que la " simple " optimisation d'un objet ou d'un moyen, même si c'est sa raison d'être originelle, ce n'est peut-être pas la plus prégnante aujourd'hui, dit autrement, le moyen d'hier est à son tour l'objet d'autres intentions: environnementale, énergétique, économique, démonstration de pouvoir/hégémonie, image de marque/porte étiquette, nationalisme...

Ce qui semble manquer, en guise de feedback, puisqu'il faut bien le reconnaitre, la technologie d'une manière ou d'une autre a pris la place ou l'équivalent, d'une religion, c'est un moyen de tuer le Dieu Techno dans l'esprit des gens, d'arrêter de s'en remettre à toutes les échelles, à la seule " volonté " du progrès, comme on pourrait en attendre autant de la suprématie de l'argent, de sa seule logique, résultat d'une collection d'intérêts individuels, pas nécessairement identiques mais convergents. En d'autres termes, c'est aussi facile que de changer les moeurs locales, à partir de quelques marginaux !!

Enfin, en ce qui concerne les problèmes produits par la techniques pour résoudre ceux d'une plus ancienne, ne faisant qu'aggraver les choses, je ne suis pas certain, que ce soit la faute à la technicité, qui s'améliore incontestablement, mais plutôt d'un emploi massif de celle-ci, quelques microgrammes d'iridium dans chaque écran LCD, ça parait rien à l'unité, mais rapporter aux milliards d'objets concernés, cela représente une masse non nulle, avec de vraies implications géologiques, environnementales. Je dirai donc que le nombre est un problème important, ensuite il a des décisions qui sont prises de faire, quand même, avec une technologie imparfaite, et d'en essuyer ensuite toutes les conséquences, comme le nucléaire justement, où les déchets de fonctionnement ne sont pas anodins pour la vie terrestre. Si l'on se replace dans le passé, au début de la préhistoire, l'homme chassait, prélevait du grand gibier, tant qu'il y avait un certain équilibre, ou la ponction était inférieure à la régénération des populations, on pourrait dire que toute allait bien quelle que soit la technique de chasse, mais quand le nombre d'humains a augmenté, ou le nombre de communautés de chasseurs, les proies ont diminués, très vite la situation a dégénéré, jusqu'à l'extinction de certaines espèces. Tout est donc une question d'équilibre, raison d'être de toutes ces sciences écologiques, climatologiques ou géologiques, pour savoir si la nature fait face ou pas à notre intervention, nos prélèvements toujours plus conséquents, ainsi que les rejets concomitants.

C'est donc schématiquement la résultante de la technique et sa généralisation qui peut tendre soit vers un fonctionnement vertueux ou sans conséquences délétères croissantes, soit non.

J'espère ne pas avoir été trop à coté de la " plaque " en répondant ainsi ( il y avait énormément de choses à répondre, un choix s'imposait malheureusement ), résumé moins concis qu'espéré qui plus est !

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Invité Quasi-Modo
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Invité Quasi-Modo
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Merci chapati de te prêter au jeu des questions réponses. Il s'agit moins pour moi d'entrer dans une joute oratoire ou de poser des question rhétoriques que de t'interviewer pour appréhender ton propos dans son ensemble, d'autant que beaucoup de concepts sont ici abordés sans que soient suffisamment à mon goût développés les rapports qu'ils entretiennent chez chacun d'entre nous. Non seulement cela relance le débat en faisant apparaître des points de divergence entre nous, mais cela permet à chacun d'être plus clair dans son propos.

Je sais pas quel sens Sartre donne à "penser contre soi-même". Quand je dis qu'on est "dans un système de savoirs qui ne répond qu'à nos propres questions", je dis que les savoirs d'une culture spécifique nous incitent à poser tels types de questions et pas d'autres, toujours les mêmes, ce qui donc ne nous incite pas à penser. Et je rajoute que ces questions ne sont justement pas les nôtres (les tiennes, les miennes) mais bien celles que l'information nous jette en pâture, en nous soumettant à un nouveau conditionnement.

Donc déjà on nous balance une "matière à penser" qui n'est pas forcément la nôtre (la tienne la mienne), mais en plus sous forme de questions qui ne sont pas forcément "bonnes".

J'ai du mal à comprendre comment d'une part tu peux identifier apprentissage et conditionnement, et affirmer avec Deleuze que les questions nous viennent spontanément ou ne nous viennent pas (il n'y a effectivement pas de volonté de penser, mais des pensées ou des questions qui s'imposent à nous), tout en supposant que les questions que nous nous posons nous sont imposées de l'extérieur par un conditionnement.

Ou bien il faut partir du principe que toute connaissance ou tout apprentissage est un conditionnement (ce que je crois tu répondais à déjà-utilisé), auquel cas il n'y a ni vraies ni fausses questions mais des pensées/symptômes dans une vision psychologiste et généralisée. Ou bien il est possible de distinguer connaissance et conditionnement, par exemple par le fait que la connaissance nous implique (ce que tu m'as répondu) au lieu de cultiver l'abstraction sous des faux airs cultivés.

Et nous dirons alors avec Deleuze que nos propres questions, nous nous les posons de façon nécessaire, parce qu'elles s'imposent à nous dans nos existences éphémères.

Le reflet de la doxa, c'est ce que je dis. Elle a toujours eu cours, c'est vrai.

Mais le fait nouveau c'est l'information, aujourd'hui universelle.

Qu'est-ce qui a changé ? Ben quelques révolutions arabes par exemple (je dis pas qu'elles soit bonnes ou mauvaises, je dis qu'elles ont eu lieu - et de concert - par le fait de l'universalisation de l'information et de la communication).

Bref, ça change !

Sinon pour le fond de ta question, ça empêche de se poser "nos questions" parce que, comme déjà dit, l'identité se façonne à travers les réponses qu'on donne à ces questions, questions donc "données" via les médias... et de l'autre parce qu'il y a un phénomène de foule (souligné par Théia) qui fait que chacun se sent conforté par sa propre vision dès qu'elle est partagée par une multitude, et quelle multitude : vingt millions de personnes sont "pour" (ou "contre") le mariage pour tous par exemple, et DONC j'ai raison d'être "pour/contre" (la preuve hein, j'ai suivi les débats et j'étais d'accord avec mon camp, pas avec l'autre).

Là où je me trouve en désaccord c'est que tu pourrais donner l'impression que les médias de masse pourraient être utilisés différemment au lieu de promouvoir le conditionnement ou la propagande d'Etat. Pour moi le problème n'est pas tant que la télévision s'insinue dans nos têtes, mais je pense qu'aucune utilisation de la télévision ne pourrait apporter ce changement de perspective que nous recherchons : c'est simplement que son format ne s'y prête pas.

La télévision n'est qu'un cadre amené à mettre en avant ce qui passe sous l'oeil de l'objectif du caméra-man, avec donc une illusion d'objectivité, mais à l'image de ces citations tronquées auxquelles certains font dire le contraire de ce que voulait dire leur auteur, il est possible de cadrer de sorte à défendre à peu près n'importe quelle idée sur un même sujet, images à l'appui. Derrière un reportage ou une émission de télévision, il y a forcément un certain regard, ou carrément une vision du monde que le journaliste cherche à promouvoir, consciemment ou non.

C'est pas comme ça qu'on pense. Une pensée, je veux dire individuelle, concernée, une pensée qui nous implique, c'est un truc qui prend du temps, qui se mûrit, qui prend des chemins de traverse, hésite, doute, bifurque etc. C'est pas deux solutions et on est en position de juge ! Alors on juge quoi ? Autre chose... un problème relatif à la justice s'il est présenté comme tel, un autre relatif à la normalité si nos valeurs trouvent que la normalité est plus importante que la justice (je pense à ce mariage pour tous mais c'est pareil avec n'importe quoi). On juge valeur contre valeur, idéologie contre idéologie... pas étonnant qu'à la fin le clivage politique détermine deux camps séparé bien plus que de raison. Et on prends le pli. Dans le forum, tu dis un truc "qui ressemble" à ce qu'à dit Machin dans les médias... donc tu es Machin, machinophile... pensée binaire. A un moment j'ai émis que la mondialisation allait bouffer les traditions et que ça me déplaisait, hop j'étais aussitôt suspecté d'être d'extrême-droite parce que le borgne a du dire un truc avoisinant... ouais c'est dur de communiquer une pensée :D

Je partage bien ton points de vue sur les traditions, et sans être excessivement attaché aux aspects oppressif que celles-ci peuvent revêtir, je pense également que nous avons à y perdre car elles sont le ciment social qui permet le vivre-ensemble. Aujourd'hui nous arrivons dans un multiculturalisme d'apparat, et nous voyons bien que c'est un véritable échec pour la république. Je ne cache pas pour ma part ma sympathie envers l'extrême-droite qui défend des idées tout à fait honorables là où la masse ne sait que s'aplatir et subir chaque jour qui passe.

Plus aucun homme ou femme politique n'est à la hauteur de l'idéal républicain, et ceux-là même qui sont sensés faire respecter nos valeurs sont les premiers à les enfreindre. Chacun aimerait se réclamer de De Gaulle qui incarne cet idéal d'un homme politique intègre qui n'a pas peur de s'engager et qui a de vraies convictions républicaines. Mais nous n'avons affaire qu'à un défilé d'aristocrates plus hypocrites et méprisants les uns que les autres, qui nous ordonnent de faire comme ils disent mais pas comme ils font.

Bref, à la fin, l'identité ou pensée n'est que le reflet du rejet de l'échelle de valeur d'un camp supposé adverse. On est français parce que pas musulman, de gauche parce que viscéralement attaché à la justice, féministe pour le même type de raison, ce qui n'a en gros strictement aucun sens !

Qu'est-ce qui "cloche" là-dedans ? C'est qu'on est dans la pure abstraction : idées contre idées... et vu le poids du conditionnement, y'a pas trop de risque que ça change (combien de gens changent radicalement en une vie ?). On est écrasés par le flux incessant d'informations qui nous injonctent de prendre parti. Pourquoi on le fait, parce que chacun a quelque chose à dire (et ça c'est pas de l'opinion c'est de la philo : moi j'ai à dire que chacun a quelque chose à dire... mais bref). Alors on s'engage sur n'importe quel type de questions... et les questions n'arrêtent jamais ! C'est pas que les choses ne soient pas dites, c''est qu'elles le sont dans un flux absolument insensé de verbiage en tout genre.

Sans compter que les questions deviennent de plus en plus connes au fur et à mesure que l'opinion nous fait part de ses passionnants centres d'intérêt, qu'ils sont répercutés etc. Les gens n'ont plus le temps de se construire, ils doivent décider, s'engager, avoir quelque chose à dire, savoir. A cinquante ans si t'as pas une Rolex t'a raté ta vie, mais à seize, si t'as pas un truc définitif à dire sur les printemps arabes ou l'affaire DSK, c'est cours de rattrapage chez le psychologue.

Sinon je voulais ajouter que ton exemple de la politique me paraît assez mal choisi, dans la mesure où c'est l'essence même de la politique dans une démocratie que d'être dans l'abstraction et de se détourner des cas particuliers qui justifieront les changements de politique. Toutefois la logique des camps me paraît tout à fait mal venue dans une république démocratique comme la nôtre : et je pense que nous sommes nombreux à comprendre que l'unité doit aujourd'hui prévaloir sur la division.

En effet, la politique dans une démocratie c'est faire de l'un à partir du multiple, et nécessairement chacun est amené à se créer des catégories générales en vertu desquelles seront prises des décisions collectives, avec nécessairement un certain nombre de cas limites posés par le cadre. Il faut bien voir qu'une politique n'est pas une vérité définitive, générale ou totale sur la société : cela n'est pensé ainsi que dans les dictatures.

C'est une orientation temporaire qu'on décide de donner à notre pays, en sachant pertinemment qu'avec le temps apparaîtront les limites objectives de cette politique. Si je devais prendre une métaphore, je choisirai celle d'une balance à plateaux qu'il s'agit sans cesse d'équilibrer à la volée, avec des objets qui n'ont jamais des poids identiques entre eux. Ou encore celle d'une plante dont nous pouvons corriger la pousse dans une direction ou une autre, mais qu'il faut rééquilibrer constamment si au final nous voulons un résultat à peu près droit.

J'ai depuis longtemps ici fait l'apologie de l'éthique de la discussion défendue par l'école de Francfort. Nous devrions plus que jamais réfléchir aux conditions de la mise en place d'une discussion éthique, surtout dans le domaine politique. Parce que la démocratie exige non seulement que nous ayons des hommes politiques de conviction, avec de réelles valeurs, mais aussi que chacun se range derrière le chef qui représente la décision majoritairement plébiscitée. Cela sous-entend donc que nous ne devons pas envisager la discussion politique sur le mode du bien contre le mal, c'est à dire dans la logique binaire manichéenne des camps et des partis, mais plutôt sur le mode de la recherche et du désaccord sur ce que constitue le bien commun.

Sinon il ne fait aucun sens de clamer son opposition absolue à telle ou telle politicien ou tel parti, suite à quoi en cas de plébiscite majoritaire la loi nous obligerait à nous ranger derrière cette personne ou ce parti. C'est complètement hors de propos et malvenu. Mais je crains de digresser quand finalement je souhaitais seulement montrer que ton exemple était limité par les limites intrinsèques de la politique, puisque toute politique reste dans des abstractions généralistes, et admet des zones d'ombre et des limites si elle est appliquée suffisamment longtemps.

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Membre, Posté(e)
Garalacass Membre 1 029 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

les sociologues, les théoriciens de la technique en général et du numérique en particulier ignorent plus ou moins volontairement et unanimement les travaux d'Ellul, non parce qu'il y aurait complot ou parce que ces travaux ne seraient pas pertinents mais parce que, telles que sont définies les situations des intellectuels, personne dans le microcosme universitaire n'a intérêt à s'aventurer à les admettre, à les faire connaître, à les réfuter ou à les approfondir.

Pourquoi ?

Comment définis-tu les "situations des intellectuels" ?

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Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
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J'espère ne pas avoir été trop à coté de la " plaque " en répondant ainsi ( il y avait énormément de choses à répondre, un choix s'imposait malheureusement ), résumé moins concis qu'espéré qui plus est !

Au contraire, j'ai lu ton texte avec un plaisir sincère.

Je me vois obligé d'insister sur la neutralité de la technique.

Je peux comprendre ce point de vue. Il ne sert à rien d'aller répétant à tous vents que les hommes ne font pas vraiment ce qu'ils font.

au mieux, on pourra juger des intentions de l'inventeur, mais pas l'objet ou la méthode elle-même.

Je m'arrête ici parce qu'il y a comme une ouverture. Nous sommes passés de l'objet à la méthode et c'est intéressant parce que l'objet est vraiment le résidu matériel le plus neutre que recouvre l'idée de technique, mais la méthode, c'est différent. On peut critiquer une méthode.

Je reviendrai pour le reste, trop dense et inégal pour ce soir.

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Membre, Posté(e)
Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

Pourquoi ?

Comment définis-tu les "situations des intellectuels" ?

Précaires, en un mot. Économiquement, spirituellement, socialement... Je pense aux sciences sociales (exceptée peut-être la géographie, qui va connaître je pense une importante "croissance" dans les années à venir).

Pourquoi Ellul sociologue ne sort pas des étagères (parisiennes)... A l'époque quand il écrit c'est sans doute au fond à cause de la violence avec laquelle se thèses heurtent les doctrines socialistes/marxistes/critiques dominantes tout en se situant précisément sur le même terrain qu'elles. Formellement la sociologie ellulienne est une théorie critique de la société (observation personnelle, il ne le dit pas). Elle est aussi une poursuite des travaux de Marx, qu'elle prétend dépasser et Ellul est anarchiste, plutôt gaucho donc. Mais le revirement qu'impliquent les thèses qu'il développe des années 60 aux années 90 est radical, vraiment brutal pour cette tradition intellectuelle qui devient aussi moins agile comme elle s'institutionnalise. Mais c'est à ce moment-là qu'il fallait se saisir de ces thèses, quand justement elles étaient brulantes. Enfin donc sa sociologie n'a pas pu s'enraciner (à ma connaissance) dans des organismes et des programmes de recherche perennes.

Maintenant la génération qui enseigne et dirige les recherches à l'université peut se féliciter de connaître le nom, ça évoque bien quelque chose (notamment son histoire des institutions) mais cette direction n'a pas été prise à l'époque et ce n'est pas celle-là qu'ils enseignent et qui se réalise maintenant. Alors à moins qu'une bonne âme au détour d'une bibliographie daigne bien se demander ce que ce type-là raconte et tombe sur un de ses ouvrages majeurs, il n'existe pas et ses thèses non plus.

Après on peut étendre le champ des raisons de cet insuccès (avec la population universitaire, d'ailleurs peut être susceptible de tourner ?) mais l'essentiel est là pour ce que j'en sais.

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Membre, 157ans Posté(e)
chapati Membre 6 957 messages
Baby Forumeur‚ 157ans‚
Posté(e)
J'ai du mal à comprendre comment d'une part tu peux identifier apprentissage et conditionnement, et affirmer avec Deleuze que les questions nous viennent spontanément ou ne nous viennent pas (il n'y a effectivement pas de volonté de penser, mais des pensées ou des questions qui s'imposent à nous), tout en supposant que les questions que nous nous posons nous sont imposées de l'extérieur par un conditionnement.

Ou bien il faut partir du principe que toute connaissance ou tout apprentissage est un conditionnement (ce que je crois tu répondais à déjà-utilisé), auquel cas il n'y a ni vraies ni fausses questions mais des pensées/symptômes dans une vision psychologiste et généralisée. Ou bien il est possible de distinguer connaissance et conditionnement, par exemple par le fait que la connaissance nous implique (ce que tu m'as répondu) au lieu de cultiver l'abstraction sous des faux airs cultivés.

Et nous dirons alors avec Deleuze que nos propres questions, nous nous les posons de façon nécessaire, parce qu'elles s'imposent à nous dans nos existences éphémères.

Je ne pense pas t’avoir répondu que la connaissance nous "impliquerait". En gros, la clef pour comprendre ce que je dis est ma méfiance envers toute idée de "connaissance". Pour moi les choses sont en mouvement, le savoir comme le reste, et l’idée de "connaissance" est au contraire un truc cumulatif. Donc ce n’est pas la connaissance qui devrait comme "s’extraire" des conditionnement mais de simples savoirs, chacun étant d'ailleurs susceptible d’être remis en question par un point de vue plus poussé, plus pointu.

Le conditionnement, c’est une histoire individuelle et collective. Individuelle car entre autre familiale etc, mais collective aussi parce que chacun pense et évolue depuis le cadre social, collectif. Et ce cadre est lui-même conditionné par son interprétation des choses, de l’Histoire par exemple.

Donc il y a un mouvement de pensée collective qu’on pourrait identifier en stigmatisant les normes par exemple, ou un certain rapport à la normalité, ou encore une certaine idée de ce qu’est "penser" etc (et là je pense à la dictature de la raison sur le sensible en occident, en particulier). L’histoire de la pensée est en mouvement... mais pas du tout selon moi d’une façon linéaire. C’est plutôt compliqué de parler d’idée de "progrès" une fois qu’on est sorti d’une vision linéaire des choses pour les voir en terme de multiplicités : les multiplicités s’agencent entre elles de façon toujours compliquées (il y a complexification à chaque interaction), elles sont en interaction constante. L’évolution, ça se passe plutôt en zigzag et autres courbes diverses voire aléatoires.

Mais ce n’est pas ce qu’affirme la doxa, celle qui nous parle de progrès, et qui elle prétend à une sorte de système linéaire de causes et d’effets qui auraient aboutis à la situation actuelle. Bien sûr qu’il est question de causes et d’effets, mais donc dans des environnements multiples.

Du coup, on a une pensée collective qui interprète les choses (le monde voire telle ou telle culture ou société) et dont les questions/réponses ne se réfèrent qu’à cette interprétation. Et c’est à ça qu’on est directement confronté : l’information, c’est ça... et puis il y a nos questions à nous, les tiennes les miennes, qui sans doute sont confrontées à celles de la doxa, mais débordent en général, en tous cas quand on cherche à comprendre comment tout cela marche, bref quand on pense.

Donc un apprentissage dans l’idée de la connaissance est un conditionnement, collectif. Mais ça veut pas dire qu’il soit à rejeter ; ça veut dire qu’il doit être soumis à la critique... sauf que pour ça il faut bien avoir conscience du côté aléatoire du savoir en question. Les questions de la doxa, on baigne dedans, on nous y confronte à chaque JT. Oui on peut dire du coup qu’elle ont quelque chose de "spontané"... mais dans le sens pas réfléchies du tout, ou alors dans le cadre imposé par le social et son propre regard sur lui-même. Elles sont "abstraites" ou pas, mais ont toujours quelque chose d’abstrait pour un regard de philosophe : elles sont "un point de vue".

Alors on remet en cause toutes ces questions. Rien de "spontané" ne nous dit que ceci serait une mauvaise question et cela une bonne, les questions c’est à nous de les (re)formuler, et ce à partir de problèmes dont il nous appartient de faire le constat.

Ce qui nous implique, c’est autre chose. Des fois en rapport avec la doxa des fois non. En tous cas, c’est ce qui fait sens pour nous. Il est question de poser les problèmes de façon impliquée pour sortir de ces abstractions, de tout ce champ théorique où le social nous entraîne. Je pointais la morale avec Petitpepin ce n’est qu’un exemple d’une façon de penser vis-à-vis de laquelle il s’agit de prendre du recul. Et ce qui nous implique ne vient pas de la pensée, enfin pas directement, mais bien du sensible.

C’est quand le sensible ne peut plus "faire avec" la doxa (ici l’information) que vient l’implication, quand aucun type de savoir ne nous aide à résoudre ce à quoi on est confronté. Alors le sensible réagit, il dit "pas comme ça". Il dit "moi, je peux pas faire avec telle ou telle pensée, mode de pensée, mode de vie". Il a une intuition que ça déconne.

Et là on est complètement impliqué, il s’agit plus de remuer trois neurones pour arriver à bout d’une équation mais de trouver où ça déconne, comment et/ou pourquoi ça déconne, afin d’être un jour en mesure non de faire avec ce déconnage, mais de faire avec ce qu’on en aura tiré, pensé. Et là on se met à penser sérieusement, pour de vrai. On est en quelque sorte "forcé à penser".

PS : pas envie de rentrer dans un débat politique ici, je m'arrête là.

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Membre, 157ans Posté(e)
chapati Membre 6 957 messages
Baby Forumeur‚ 157ans‚
Posté(e)

... je refuse aussi que tu m'accuses de ne donner aucune piste : je ne fais que ça. Je donne des auteurs, un en particulier. La piste commence là pour moi ! Je n'en ai pas d'autre à donner qui soit meilleure.

Ben je persiste et signe. Tu invoques Ellul, et alors ?

Je te dis que je suis d'accord avec la "machine folle" de la technique, que dois-je rajouter ? Les pistes que je te demande, c'est pas une référence à une quelconque autorité, c'est des pistes vers des solutions... et je n'en lis toujours pas la queue d'une bribe (j'ai exposé pour ma part que seule une révolution des mentalités avait une chance de résoudre ce type de problème, et j'ai pas mieux à proposer à ce jour).

Or à ce stade de notre discussion, je comprends que tu invoques la morale : "la morale fait bien plus de dégâts que la technique quant à la façon dont vivent les hommes" Voilà de quoi renouveler ce dialogue. Parce que l'une et l'autre perspectives ne s'excluent pas mais doivent être articulées (mais autant le dire de suite, je ne suis pas d'accord pour autant que je puisse en juger - ca promet donc une discussion intéressante ! certes apparemment hors sujet...). Peut-être faut-il préciser ce que tu entendais par là ?

Là où en est ma vision-personnelle-pas-à-moi des choses très rapidement : jusqu'à encore récemment dans l'histoire (quelques centaines d'années), les morales étaient très importantes pour toute la vie sociale. Les institutions religieuses, le christianisme, ont profondément marqué notre histoire, ont cadencé la vie quotidienne de nos ancêtres. Si on revient vers le sujet de la technique, il semble en effet que les "facteurs techniques" aient toujours été contenus par des impératifs moraux, religieux et autres, jusqu'à un moment dans l'histoire où la relation entre eux s'est renversée. Ce moment remonte justement à l'affaissement de la morale, à la "mort de dieu" - longue et pénible. Ainsi, ce qui me paraît significatif aujourd'hui, c'est l'absence de morale au sens traditionnel, ce "trou" béant qu'on ne sait trop comment combler et qui constitue l'un des enjeux majeurs des siècles passés. Si, d'autre part, on entend maintenant "morale" comme "forme spirituelle" effectivement accomplie, alors je dirai sans surprise que le système technicien est là encore prépondérant dans les évolutions actuelles de la "forme psychique" des peuples... Mais voyons comment tu présentes les choses.

J'ai juste invoqué la morale à titre d'exemple (je pensais que tu étais sur un fil où j'en parle, je le chercherai pour toi), je ne tiens pas particulièrement à disserter sur le rapport morale/technique, c'était juste un exemple qui m'est venu en tête, à titre indicatif, pour illustrer que tout est en interaction dans la pensée des hommes.

Sinon, je ne fais pas du tout le même constat que toi : pour moi la morale est loin d'avoir disparue à la mort de la religion, j'ai même plutôt tendance à penser qu'elle a pris de l'ampleur devant le vide de sens laissé (mais on sort du sujet là, il faudrait développer et surtout nuancer).

Ah et je ne parlais pas de ton utilisation de Deleuze en général, dont je ne sais rien (tu peux partir du principe que je ne parle pas de ce dont je ne sais rien), mais de ton utilisation en l'occurrence, quand tu disais "c'est l'outil qui fait l'homme").

Ben n'interprète pas trop vite ce qu'en plus je ne dis pas, j'ai déjà assez à faire avec les interprétations sur ce que je dis :blush: (je ne dis pas ça pour toi).

Si tu veux, la main c'est le premier outil (etc)...

Je ne reviens pas sur tes questions (ne pense que sur la technique, tu vas dire quoi ?) parce que les questions ne sont pas sincères.

Hein, quoi, pardon ? Mes questions ne sont pas sincères ?

Là on va se fâcher, fais attention à ce que tu dis, jeune homme...

PS : Là où il est question de morale...

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Membre, 157ans Posté(e)
chapati Membre 6 957 messages
Baby Forumeur‚ 157ans‚
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Quant à toi Déjà Utilisé, tu me donnes encore une fois ton point de vue, soit une idée complètement traditionnelle de la pensée (en cours depuis deux mille ans, deux mille ans que la raison se la joue devant le sensible), une image de la pensée à laquelle je ne crois pas (sans que d'ailleurs tu répondes ou même reprennes quoi que ce soit de ce que je dis, ne serait-ce qu'en tant que point de vue possible, à creuser).

Je pense comme ci, tu me réponds que tu penses comme ça. Ok.

Je sais bien la pensée traditionelle, le sujet-roi, la morale, la (bonne) volonté tout ça. Ça fait des décennies que pour moi, c'est pas comme ça que ça se passe. Je n'ai rien à répondre, comme prévu. Tu as dit ton truc moi le mien, pas d'échange possible, ou alors il faudrait tout reprendre.

Désolé, je peux tien dire d'autre.

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Membre, Posté(e)
tison2feu Membre 3 032 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Précaires, en un mot. Économiquement, spirituellement, socialement... Je pense aux sciences sociales (exceptée peut-être la géographie, qui va connaître je pense une importante "croissance" dans les années à venir).

Pourquoi Ellul sociologue ne sort pas des étagères (parisiennes)... A l'époque quand il écrit c'est sans doute au fond à cause de la violence avec laquelle se thèses heurtent les doctrines socialistes/marxistes/critiques dominantes tout en se situant précisément sur le même terrain qu'elles. Formellement la sociologie ellulienne est une théorie critique de la société (observation personnelle, il ne le dit pas). Elle est aussi une poursuite des travaux de Marx, qu'elle prétend dépasser et Ellul est anarchiste, plutôt gaucho donc. Mais le revirement qu'impliquent les thèses qu'il développe des années 60 aux années 90 est radical, vraiment brutal pour cette tradition intellectuelle qui devient aussi moins agile comme elle s'institutionnalise. Mais c'est à ce moment-là qu'il fallait se saisir de ces thèses, quand justement elles étaient brulantes. Enfin donc sa sociologie n'a pas pu s'enraciner (à ma connaissance) dans des organismes et des programmes de recherche perennes.

Maintenant la génération qui enseigne et dirige les recherches à l'université peut se féliciter de connaître le nom, ça évoque bien quelque chose (notamment son histoire des institutions) mais cette direction n'a pas été prise à l'époque et ce n'est pas celle-là qu'ils enseignent et qui se réalise maintenant. Alors à moins qu'une bonne âme au détour d'une bibliographie daigne bien se demander ce que ce type-là raconte et tombe sur un de ses ouvrages majeurs, il n'existe pas et ses thèses non plus.

Après on peut étendre le champ des raisons de cet insuccès (avec la population universitaire, d'ailleurs peut être susceptible de tourner ?) mais l'essentiel est là pour ce que j'en sais.

Il est vrai qu'il conviendra de s'interroger sur le fait que la sociologie ellulienne, en tant que théorie critique de la société, n'a pas du tout fait école en France. A la différence de l'Allemagne, où cette critique de la société technicienne a été initiée avec Heiddeger, avant même Ellul en France, puis amplifiée par l'Ecole de francfort, dont Habermas est l'un des sociologues/philosophes actuels les plus prestigieux. Les raisons seront donc à en chercher dans l'histoire même de la pensée socio-philosophique française de la 2e moitié du XXe siècle.

Jacques Ellul attribue, de façon plus générale, sa mise à l'écart au fait que sa critique du système technicien ait été perçue d'emblée comme "trop pessimiste" (cf. video, à la 27e/28e minutes) :

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Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
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Les pistes que je te demande, c'est pas une référence à une quelconque autorité, c'est des pistes vers des solutions... et je n'en lis toujours pas la queue d'une bribe (j'ai exposé pour ma part que seule une révolution des mentalités avait une chance de résoudre ce type de problème, et j'ai pas mieux à proposer à ce jour).

D'accord mais alors pardon, une révolution des mentalités ce n'est pas exactement plus précis que les deux bouquins que je suggère de se procurer ! ... :p

Des solutions... Je ne sais plus vraiment où on en est du coup, je croyais que l'enjeu était de situer le "problème" justement, que ça bloquait à ce stade (au moins en apparence, dans l'emploi des termes) - aussi parce que je m'entête à dire : non, le diagnostique n'est pas complet ni même abouti jusqu'à preuve du contraire (alors les solutions devraient s'articuler "logiquement", au moins au plan individuel, non ?).

Je reviens rapidement vers Wikipédia, plus proche du sujet pour montrer la difficulté que j'y vois.

Je souligne à nouveau que les chercheurs s'accordent à peu près unanimement pour tenter de définir cet "objet scientifique non identifié" à partir de ses modalités de production - en quoi on répond sans doute à une sorte d'instinct bourgeois. Or cette orientation première conduit à réaliser, lors qu’enfin on se préoccupe des "simples lecteurs", que ceux-ci, en particulier les plus jeunes de ces lecteurs, n'ont aucune idée déterminée de comment les articles qu'ils consultent sont produits. De là, ensuite, on en vient à penser qu'il faut favoriser le développement de nouvelles compétences de lecture, adaptées aux médiums en général et en particulier à celui-ci, étant donné l'importance qu'il a prise. Autrement dit, faire savoir que "n'importe qui" - en théorie, c'est-à-dire techniquement - peut rédiger ces articles, etc. C'est très bien : on a soulevé un problème, on peut présenter un début de solution, le tout est cohérent et reluit de bonnes intentions. Mais ça reste lettre morte. On ne prend pas en compte la fonction sociale de l'encyclopédie, qui n'est pas de faire du fric mais de satisfaire le plus efficacement aux "besoins de savoir" ponctuels que rencontrent les individus dans leurs environnements "informationnels". Ca ne prend pas en compte que l'objet que vise un article de Wikipédia, ce n'est pas la chose-même, mais sa représentation dans le système des informations (pourquoi on observe un déplacement "épistémologique" de la vérité à la vérifiabilité : parce que la fonction réelle du système encyclopédique est de synthétiser les informations, et non pas d'ouvrir un accès vers la chose). Autrement dit, une lecture "informée" d'un article, qui peut constituer une ouverture à la chose, ce sera ce qui est très minoritaire, ce dont quelques "privilégiés" de l'esprit vont profiter. Pour les autres, ça va rester un moyen de combler une incertitude, autrement dit de refermer une interrogation).

J'ai juste invoqué la morale (...) à titre indicatif, pour illustrer que tout est en interaction dans la pensée des hommes.

Pourquoi précises-tu "dans la pensée des hommes" ?

Ah oui. Je vais relire.

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Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
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Il est vrai qu'il conviendra de s'interroger sur le fait que la sociologie ellulienne, en tant que théorie critique de la société, n'a pas du tout fait école en France. A la différence de l'Allemagne, où cette critique de la société technicienne a été initiée avec Heiddeger, avant même Ellul en France, puis amplifiée par l'Ecole de francfort, dont Habermas est l'un des sociologues/philosophes actuels les plus prestigieux. Les raisons seront donc à en chercher dans l'histoire même de la pensée socio-philosophique française de la 2e moitié du XXe siècle.

Jacques Ellul attribue, de façon plus générale, sa mise à l'écart au fait que sa critique du système technicien ait été perçue d'emblée comme "trop pessimiste" (cf. video, à la 27e/28e minutes) :

Deux choses, pour compléter ces indications : 1) hors l'Europe, aux Etats-Unis et au Japon, Ellul a été lu et discuté (lui-même l'expliquait en disant que ce que ces pays étaient durant cette période plus avancés dans leur confrontation aux problèmes que pose la technique). En revanche, je ne sais pas si sa sociologie a motivé des programmes de recherche (au sens de Lakatos) mais ça ne semble pas être le cas : le canadien Andrew Feenberg par exemple qui occupe une des chaires de philosophie les plus prestigieuses d'Amérique du Nord peut déployer Pour une théorie critique de la technique sans discuter jamais ces thèses (il mentionne Ellul sans entrer dans aucun détail et en produisant une image consensuelle mais surfaite - il est estampillé "déterminisme technique" et puis c'est tout).

2° Que ses thèses n'ont malgré tout pas été discutées dans leur spécificité par les représentants de l'Ecole de Francfort jusqu'à aujourd'hui, alors qu'on pourrait penser que ces "critiques" étaient voués à dialoguer. Si Ellul discute régulièrement les thèses Habermassiennes notamment (qu'il critique violemment pour tout dire) la pareille ne lui est pas rendue. Et ici il faut bien voir qu'il y a une vraie divergence, un désaccord de fond sur ce qu'est la société (au niveau de ce qu'on peut appeler l' "ontologie sociale").

Pour situer rapidement le désaccord (suis-je trop gourmand?), des écrits de Max Horkheimer (qui dirigea l'Institut de recherches en sciences sociales de Francfort) extraits d'abord de Théorie traditionnelle et théorie critique puis de La dialectique de la raison :

(Théorie traditionnelle et théorie critique) - La théorie critique n’a pas aujourd’hui tel contenu doctrinal et demain tel autre. Ses modifications ne déterminent pas un revirement radical et le passage à des conceptions entièrement nouvelles tant qu’il n’y a pas de changement d’époque historique. La solidité de cette théorie lui vient du fait qu’en dépit de tous les changements qui l’affectent la société conserve la même structure économique fondamentale, que les rapports de classes ramenés à leur forme la plus simple restent identiques, ainsi que par conséquent l’idée de leur dépassement. Les points essentiels de la théorie déterminés par cette situation ne peuvent se modifier avant que la révolution historique ait lieu.

Il faut avoir à l'esprit que ceci est écrit avant la seconde guerre mondiale, l'Allemagne est en plein bouleversement, la révolution ouvrière paraît à portée de mains (mais on constate aussi qu'elle s'éloigne devant la montée du fascisme). L'essentiel à retenir de ces lignes : Horkheimer conçoit dans ce texte programmatique une théorie critique nécessairement informée par les évolutions de la société (cette théorie ne saurait, sans changer radicalement de nature, produire des catégories visant à s'appliquer indifféremment à toutes les réalités sociales, à toutes les époques), mais il précise bien que cette "plasticité" de la théorie, sa capacité à suivre les évolutions de la réalité sociale et à les intégrer dans un projet de transformation de la praxis sociale dans son ensemble (l'activité par laquelle la société se produit et se reproduit), provient de la stabilité de son ontologie sociale : la solidité de cette théorie lui vient de ce qu'en "dépit de tous les changements qui l’affectent, la société conserve la même structure économique fondamentale, que les rapports de classes ramenés à leur forme la plus simple restent identiques, ainsi que par conséquent l’idée de leur dépassement."

Mais c'est bien sur ce point que tape inlassablement Ellul.

Alors, on peut d'abord penser qu'il s'agit d'époques différentes (entre les deux il n'y a rien de moins qu'une guerre mondiale), donc les thèses du bordelais ne mettent encore rien en cause.

Mais à prendre des textes plus tardifs, qui tombent sous le coup des analyses elluliennes :

(La dialectique de la raison - L'industrie culturelle) - De nos jours, la technologie de l’industrie culturelle n’a abouti qu’à la standardisation et à la production en série, sacrifiant tout ce qui faisant la différence entre la logique de l’œuvre et celle du système social. Ceci est le résultat non pas d’une loi de l’évolution de la technologie en tant que telle, mais de sa fonction dans l’économie actuelle.

Malgré qu'on constate que les médias de masse ont envahi le monde civilisé et ce, de la même façon, avec les mêmes effets d'ensemble quels que soient les oppositions entre les régimes politiques et économiques concernés par cette extension, on ne pense toujours pas à Francfort "la technique" pour elle-même mais en tant qu'elle serait par principe fonction de l'économie. L'ontologie sociale n'a donc pas changé, les thèses elluliennes sont profondément dangereuses parce qu'elles risquent de faire vaciller l'ensemble (qui vacille déjà bien assez : l'objet de la dialectique de la raison étant précisément de chercher à comprendre comment la raison, en laquelle on croyait encore très récemment, en vient à se "retourner" en mythe et se concrétise dans la barbarie la plus inouïe).

Puis ensuite la théorie critique a pris une connotation sans cesse plus philo, délaissant le côté socio, en tout cas on ne retrouve plus vraiment cette prétention auparavant cardinale à penser la société en tant que totalité (on s'oriente, sur le plan sociologie, vers les mouvements sociaux, les sentiments moraux, etc.). Et puis aux lendemains de la guerre l'Allemagne fait face à des problématiques assez spécifiques (du type : "comment un système démocratique va-t-il s'épanouir dans un pays peuplé de nazis" - l'éthique de la discussion de Habermas s'inscrivant dans ce type de problématiques très urgentes à l'époque).

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Membre, If you don't want, you Kant..., Posté(e)
deja-utilise Membre 5 705 messages
If you don't want, you Kant...,
Posté(e)

Quant à toi Déjà Utilisé, tu me donnes encore une fois ton point de vue, soit une idée complètement traditionnelle de la pensée (en cours depuis deux mille ans, deux mille ans que la raison se la joue devant le sensible), une image de la pensée à laquelle je ne crois pas (sans que d'ailleurs tu répondes ou même reprennes quoi que ce soit de ce que je dis, ne serait-ce qu'en tant que point de vue possible, à creuser).

Je pense comme ci, tu me réponds que tu penses comme ça. Ok.

Je sais bien la pensée traditionelle, le sujet-roi, la morale, la (bonne) volonté tout ça. Ça fait des décennies que pour moi, c'est pas comme ça que ça se passe. Je n'ai rien à répondre, comme prévu. Tu as dit ton truc moi le mien, pas d'échange possible, ou alors il faudrait tout reprendre.

Je m'exprime mal à ce point !?

Alors je vais le dire abruptement: je suis un intuitionniste, mouvement apparu formellement il n'y a qu'un siècle environ, ça fait un peu chiche comparé aux 20 siècles de la " pensée traditionnelle " basée sur la raison.

D'un autre coté, si tu rejettes à ce point la raison, et donc la logique qui va avec je suppose, n'as-tu pas le sentiment que tu cours au devant d'inextricables problèmes, comme sans vouloir te vexer, ce que Quasi-modo a soulevé et venant de toi: à savoir selon toi que le questionnement s'impose à nous-même intérieurement en même temps que nous serions soumis à un moule de pensées y compris sur les interrogations qui en découlent, qui est quelque peu contradictoire. Tu me répondras peut-être, que puisque la logique n'est plus de mise, tout est permis, une chose, comme son contraire !?

Enfin, pourquoi cette croisade contre la pensée occidentale ? Ou encore d'opposer l'empirisme à ce que tu crois être moi, le rationalisme, comme ce fût le cas au XVII ième siècle entre l'Angleterre et la France, opposition qui n'a depuis longtemps plus cours aujourd'hui, serais-tu prisonnier d'un autre temps ? ( les cahiers de Sciences et vie, 1000 ans de sciences n°45 Science anglaise-science française ).

( Tu ne vois qu'un étalage de points de vue, moi pas, les choses ne vont pas aléatoirement, si hier le passage d'une comète laissé pantois, ou pire, il y a bien longtemps que cette " méchante " raison est passée à autre chose en expliquant ce phénomène récurrent, qui n'a rien de diabolique, le monde fonctionne suivant un ordre certain, la sensibilité est nécessaire pour s'en rendre compte, et la raison pour le rendre intelligible, il n'y a pas lieu à faire de scission ou de classement de valeurs/hiérarchique, tout comme la main est autant nécessaire que le cerveau qui commande le geste pour se saisir d'un objet, mais je n'ai pas le pouvoir de t'en faire prendre pleinement conscience, de le faire tien, cela t'incombe de te rendre à l'évidence bien sûr )

La rationalité est ce qui permet encore le mieux de se libérer des croyances les plus diverses, à défaut de remettre à leur place les mythes d'antan, il ne suffit donc pas de ne pas y croire... ;)

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