..... Doit provoquer ce premier contact de surprise .....
La Condition Humaine de René Magritte en 1933
"La main touchait une surface plane ; et l’œil, toujours séduit, voyait un relief : en sorte qu'on aurait pu demander au philosophe lequel des deux sens dont les témoignages se contredisaient était un menteur" ..... Diderot, Salons en 1761
"Il mène l'expérience jusqu'au bout. le spectateur n'a pas à faire le premier pas d'acceptation de l'œuvre en tant que représentation. il est surpris et trompé dès le premier contact. Sa perception lui dicte que ce qu'il a devant les yeux fait partie intégrale de son monde environnant et sa réaction n'est pas d'accepter ce qu'il sait n'être qu'une illusion, mais de toucher pour vérifier la réalité. La mystification est totale. Elle est certainement voulue par l'artiste qui établit un jeu avec son auditoire."
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La représentation de l'œuvre d'art
Le tableau et la sculpture
La grisaille a été utilisée depuis l'Antiquité pour imiter, à s'y méprendre, la statuaire en marbre. Nous avons déjà analysé la vogue et la grande réussite de cette technique dans la peinture murale et la décoration proprement dite. Dans la peinture de chevalet, il faut signaler l'emploi qu'en ont fait les Flamands du XVe siècle pour orner les volets extérieurs de leur polyptyques. initialement, dans l'optique de donner au retable l'aspect et la teneur de l'objet de culte complet, l'extérieur représentait, comme les porches d'église, des niches contenant des statues en grisaille. Ce fut aussi un moyen de donner libre cours aux recherches spatiales des peintres, liés encore, dans l'illustration des intérieurs, aux contraintes rigides de l’icône et de son monde céleste.
l'Ange et Marie par Jean Van Eyck, Diptyque de l'Annonciation
Maitre de l'Annonciation d'Aix (actif en Provence vers 1445) - Le Prophète Isaïe
Pour plus de renseignements : Lien
Merveilleusement moulés et d'aplomb sur leur socle, l'Ange et Marie de Van Eyck se détachent du fond précieux et poli qui porte leur reflet. Les statues sont confinées dans des niches, mais l'aile de l'Ange est un saillie et projette son ombre sur le cadre. La lumière venant de droite unifie et sanctifie l'ensemble. C'est peut être cette perfection raffinée de l'Annonciation de Van Eyck qui en a fit l'objet de culte principal d'un diptyque de dévotion privée. En effet, les revers de ces panneaux, décorés du même porphyre feint que le cadre, ne s'ouvrent sur aucune image. Par la suite, les statues en grisaille tombèrent dans le piège des libertés prises par leurs créateurs. Elles commencent à "vivre" et même à se colorer, comme le montrent les Prophètes des volets appartenant au retable l'Annonciation d'Aix. En recevant le souffle de vie, les représentations de ces statues semblent cesser d'être des trompe-l’œil.
L'Abondance de Giovanni Francesco Penni
On connait une intéressante grisaille de Giovanni Francesco Penni, documentée comme ayant servi de volent de la Petite Sainte Famille de Raphaël. Elle porte d'ailleurs le nom de Raphaël gravé dans la partie inférieure. D'une très grande beauté d'exécution, cette Abondance se détache comme une statue de petite dimension au fond en faux marbre incrusté, démontrant, en Italie, la survivance de ces volets de tableaux exécutés en trompe-l’œil. Les panneaux peints, imitant les bas-reliefs, furent en grande vogue dès la fin du XVIIe siècle. En commençant avec De Wit - le hollandais qui amena en France la mode des witjes (blanc, en hollandais) - il faut citer la filiation de son école, Geeraerts, Sauvage, Doncre, Boilly qui décorèrent de grands panneaux les murs des églises et des palais. La réussite de ces œuvres est absolument saisissante, les artistes étant arrivés à représenter le haut-relief comme la ronde-bosse, la graduation de la profondeur comme le mouvement, avec une égale virtuosité.
Le tableau du tableau
En faisant la représentation d'un tableau en trompe-l’œil, l'artiste échappe à toute contrainte de vraisemblance quant au contenu de l'image. Ce n'est que le contenant, support matériel, qui doit tromper. Pour arriver à changer le tableau en tableau du tableau donc en trompe-l’œil, l'artiste doit créer un repoussoir visuel et intellectuel qui relègue son contenu dans le monde reconnu fictif d'une image. Il faut que le tableau devienne objet et que cet objet soit représenté en trompe-l’œil. Ce repoussoir peut être un coin de toile retroussé, un bord effiloché, un verre cassé, un encadrement feint ou, bien entendu, une mise en scène plus complexe.
Ecole Ferraraise (XVe siècle) Vierge Enfant avec deux anges vers 1480
Le tableau de l'Ecole Ferraraise démontre, dès 1480, les potentialités suggestives du tableau d'un tableau. Il s'agit d'une image sainte conventionnelle peinte sur l'arrière d'un canevas, cette image étant recouverte d'un tissu retenu au cadre par des bandelettes clouées. Le tissu a été arraché et on n'en voit plus que les bords déchirés, révélant comme une vision, la Vierge et L'Enfant. La révélation a souvent été interprétée presque littéralement par les artistes comme la levée du voile. Dans cet extraordinaire trompe-l’œil, le spectateur est directement impliqué dans un acte de violence qui lui permet la prise de conscience de la Divinité. Cette œuvre - par sa puissance d'évocation - met l'ambiguïté du réel/fiction sur un plan d'une grande richesse spirituelle. Surprenante dans le cadre artistique de l'Italie du Quattrocento, elle anticipe de deux siècles l'utilisation de l'arrière du tableau, du tissu déchiré, des bandelettes clouées, comme alphabet du trompe-l’œil.
Vision de la Sainte Famille près de Vérone en 1581 d'Angolo del Moro, actif au XVe siècle
Dans la Vision de la Sainte Famille près de Vérone, Angolo del Moro représente une toile partiellement tendue sur son canevas. Le haut de cette toile est détaché et enroulé sur lui-même, empêchant ainsi la lecture complète du tableau représentant la Vision sur le ciel nuageux surplombant une vue lointaine de Vérone. Le cartellino plié atteste, comme toujours, par contraste, l'appartenance de cette toile au monde des représentations picturales. Pourtant, derrière le bord déchiré et enroulé, on voit le reste de l'image que l'on perçoit comme une réalité dont le tableau n'est qu'une réplique. C'est en détrompant le spectateur que ce tableau devient un trompe-l’œil.
Le trompe-l’œil, le dessin et l'estampe
"Ces trompe-l'œil témoignent autant de la virtuosité de leur créateur que du goût d'une époque"
La représentation en peinture d'un dessin ou d'une estampe a certainement présenté, pour l'artiste, l'attrait de rendre avec le pinceau et la couleur, le graphisme du noir et blanc. C'était confirmer la victoire de la peinture sur le dessin, c'était également la liberté de choisir son sujet comme dans toute représentation d'une œuvre d'art, en simulant la profondeur de l'espace grâce au pouvoir évocateur du papier que l'on peut amonceler, plier, déchirer, à volonté. Ce type de représentation a permis d'établir tout un système de citations dans lequel sont peintes en trompe-l'œil des œuvres gravées par l'artiste - reprenant parfois ses propres tableaux - ou bien exécutées par un graveur de métier d'après des tableaux connus.
Trompe-l’œil de Gabriel Gresly vers 1750
Le trompe-l’œil de Gresly reprend une mise en scène familière au peintre. Une estampe est fixée par des clous et des cachets à une planche de bois noueuse et veinée. Cette estampe en lambeaux, ayant perdu tout intérêt artistique, n'est là que pour servir de support à une enveloppe et à une plume. Pourtant, le Chirurgien avait dû connaitre la gloire car on le retrouve représenté dans plusieurs trompe l’œil. Sur la même planche est accroché un opuscule tout aussi ancien et écorné. La trame signifiante qui donnait un sens à ce trompe-l’œil, a été elle aussi détruite par le temps, et on reste aujourd'hui sous le charme de cette harmonie de tons effacés qui confond dans un tout les striures du bois et les papiers déchirés.
Autoportrait au verre brisé de Louis-Léopold Boilly vers 1795
Passionné par les problèmes d'optique et innovateur des techniques du trompe-l’œil, Louis Boilly a laissé un intéressant Autoportrait au verre brisé en camaïeu de gris. Parfaite imitation d'une estampe, il aurait facilement pu tromper totalement. Le subterfuge du trompe-l’œil parfait pouvait, en théorie, passer inaperçu. C'est ici qu'intervient le verre brisé qui attire l'attention du spectateur, le fait s'approcher du tableau et lire la signature donnant la clef du mystère. le tableau est signé Boilly pinxit.
Biographie
Le tableau et son cadre
On peut considérer comme cadre d'un tableau aussi bien l'ornement qui l'entoure que l'endroit où il est exposé. Dans les deux cas, le trompe-l’œil pose des problèmes ambigus. Parfois, le tableau en trompe l’œil contient son cadre factice. S'il se présente comme une toile effilochée ou détachée de son châssis, il ne doit pas être encadré : la muséologie d'aujourd'hui devrait respecter cette conséquence logique de son iconographie. De la même façon, une œuvre d'art accrochée à un panneau de bois n'a pas besoin de cadre. Souvent, l'œuvre d'art est entourée d'autres objets dans une mise en scène qui es rarement laissée au hasard. Il arrive que celle-ci laisse entrevoir la personnalité de son commanditaire et deviner l'ambiance de l'endroit où elle était présentée.
Coin d'atelier de Benedetto Sartori
Le soin d'atelier de Benedetto Sartori montre non seulement les outils du peintre mais deux étapes successives de la création artistique. C'est peut-être, comme la lampe éteinte, un rappel du temps qui passe, c'est aussi une affirmation de la polyvalence de l'artiste peintre et graveur.
La négation du tableau
Tableau retourné de Cornelis Norbertus Gijsbrechts vers 1670
L'artiste de l'Ecole Ferraraise avait utilisé l'arrière d'un tableau pour révéler une vision céleste ; Gijsbrechts, dans son extraordinaire trompe-l’œil, représente l'arrière vide d'un tableau, une négation totale de l'œuvre d'art. Censé être exposé par terre, appuyé contre le mur, ce tableau provoque irrésistiblement le spectateur et l'invite à le retourner pour voir le côté peint, qui n'existe pas. Sommet du paradoxe cérébral, cette œuvre contient en elle-même sa négation et agit comme un soufflet à l'égard de l'amateur d'art. Elle est peut être aussi symbolique de l'oublie dans lequel avait sombré, pendant des siècles, tout l'œuvre de Gijsbrechts, face au mur, au fond des collections.
Tableau retourné de William M. David vers 1870
William M. David n'a eu l'occasion de voir l'œuvre de Gijsbrechts. Pourtant, de l'autre côté de l'océan, ils sont repris le thème du tableau retourné. En y ajoutant des enveloppes portant l'adresse du peintre, en faisant des jeux de mots, ou en y épinglant le portrait de Lincoln, les artistes américains ont accentué le relief et ... l'anecdote, mais ont rompu la puissante magie du tableau de Gijsbrechts.
et pour finir ..... Le trompe-l’œil et le meuble .... Je vous avoue, une de mes préférées.
L'extraordinaire imitation du bois par la teinture a permis l'intégration du trompe-l’œil directement au meuble. Il servit donc souvent de porte d’armoire ou de placard. Il est d'ailleurs possible que de nombreux panneaux en bois, aujourd'hui présentés comme tableaux, furent, à l’origine, utilisés ainsi.
"Ce trompe-l’œil double face essaie non seulement de résoudre le problème de la troisième dimension, mais aussi celui de la face cachée des choses que l'oeil ne voit pas, mais dont la raison connait l'existence."
Le Violon de Jan Van Der Vaart, 1674.....
..... Moins intéressant comme conception mais très habilement exécuté, peint sur un panneaux de porte pour la Devonshire House de Londres, a été transféré cent ans plus tard à Chatsworht. il est mainteneur inséré dans une porte condamnée qui ferme le salon de musique et que l'on entrevoit par l’entrebâillement d'une vraie porte. Le résultat de cette parfaite exposition d'un parfait trompe-l’œil est que le public non averti l'accepte comme une réalité et passe à coté sans lui accorder de l'importance.
Pour en savoir davantage : Lien
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Je vous souhaite une bonne lecture en compagnie de ce jeune garçon sortant du tableau de Pere Borrell del Caso vers 1874 ....
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Source :
- Livre Le trompe-l’œil par Miriam Milman
- Livre de Magritte par Jacques Meuris
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