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Jedino

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Billets posté(e)s par Jedino

  1. Jedino
    J'ai rêvé d'une histoire. J'ai rêvé d'un foutoir. J'ai rêvé de n'importe quoi qui pourrait, rien qu'un instant, me tirer du terrifiant désespoir. Mais l'espoir est tel un bolide sur l'autoroute : un véritable danger à qui ose le toucher, et une occupation à qui sait l'observer, et l'apprécier bêtement en le regardant passer au loin. Cela sonne faux. Cela ne satisfait pas comme il faut. Normal. Nous aimons tant croire en une solution, en une sorte de miracle pouvant nous extirper de notre situation misérable. Certains y parviennent, d'ailleurs, ou, dû moins, en sont convaincus. Les autre se tapissent plus ou moins facilement dans une sédentarité des mœurs avec l'idée toujours sous-jacente de n'être rien. Pas un rien relatif, partiel, acceptable, mais absolu et insupportable. En fait, ma vision du monde est tellement martyrisée par ma déception que je n'accorde pas la moindre chance à l'apparente intelligence humaine. Nous possédons de nombreuses terres, et de plus nombreux savoirs encore, et nous ne nous en servons pas, si ce n'est pour nous détruire et nous concurrencer quotidiennement dans je ne sais quel but illusoire et inutile. Nous avons coutumes de penser que les maux terrestres découlent de notre mauvaise organisation et gestion de notre capital immense, de notre folie pure et dure face à l'incapacité de nous maîtriser dans la frustration, et de notre égoïsme universellement connu pour faire des philanthropes des voleurs pervers. Je ne souhaiterais pas remettre en cause cela, d'autant plus que je ne trouve cela que peu exagéré par rapport à la réalité. Mais, il m'arrive souvent de préférer situer le problème à un tout autre niveau : plutôt que de le placer en nous, ou tout comme nous, je le range volontiers du côté de notre profonde velléité. Certes, vous me direz qu'en soi, elle est aussi en nous. Ce qui est vrai. Néanmoins, l'importance réside dans le fait lui-même, et non vraiment dans sa résidence éventuelle : les maux de notre pauvre mère à tous ne découlent pas de notre connerie, mais de notre volonté à ne pas la changer. Bien sûr, la volonté ne fait pas tout, si ce n'est élire des hommes à la tête de millions d'autres, si ce n'est mener des soldats aux fronts pour combattre une volonté venant de l'autre côté, celui des "méchants". Comprenez-vous de quoi je veux parler? Je ne parle pas de vous comme individu unique, différent, et tout ce qui peut exister d'autre pour vous aider à supporter malgré vous votre existence. Loin de là. Je parle simplement, naïvement, bien évidemment, de la volonté générale qui habite non pas l'action d'un homme, mais la réaction d'un groupe. Comment imaginez-vous sauver notre peau autrement qu'en baissant le froc et de voir la réalité en face? La pudeur est à ce titre aussi humaine que ce besoin de se sentir au-dessus, au-delà des lois. Les maladies, la pollution, les abus, les blessures profondes en la chaire de notre terre. Tout cela mènera à notre perte. Au fond, nous qui ne comprenons pas vraiment les actes des suicidaires, nous le sommes tous sans exception, et en puissance.
    Remarquez ma tendance à dénoncer et juger sans agir de mon côté. N'est-ce pas lâche de ma part? Je raconte ce qui se dit déjà partout, ce qui s'entend trop souvent, trop de fois, rendant cela aussi anodin que les élections passionnantes dont nous avons le spectacle, ou les massacres journaliers dans un pays X ou Y. Si ce texte, aussi maladroit, aussi dénué de sens et d'arguments, bref, parfaitement incapable de convaincre quoi que ce soi de changer le temps d'une seconde ses habitudes, vous laisse tout à fait indifférent, je tiens à vous dire, honnêtement, et cela m'arrive rarement, que votre cas est désespéré et désespérant, au moins autant que celui de vos frères et soeurs, proches et éloignés, qui refusent d'évoluer. Je trouve malheureux d'oublier que l'homme, bien que le plus beau, le plus fort, le plus intelligent, le plus méchant, le plus tout, n'est que l'égal de ses cousins, invisibles du haut de nos immeubles monstrueux perdus dans la jungle urbaine.
  2. Jedino
    L'espoir. Je me dis que, oui, c'est une belle chose, d'un côté. De l'autre, c'est de loin l'une des plus terribles. Non qu'au fond elle soit mauvaise. Juste qu'elle n'est rien. Elle s'indiffère de la finalité. Ce que veut l'espoir, c'est faire espérer. Logique, me dirait-on. Et pourtant! Pas du tout. Quand nous espérons, ce n'est certainement pas dans l'optique d'espérer, mais bien de le voir se concrétiser, ou non. Bref, de connaître une réponse qui saura nous libérer de son emprise. C'est là qu'on se rend compte qu'un vaccin serait vachement pratique. Ou, mieux, la suppression de ce désir de réalisation. En revenir au désir pour désirer. Seulement, on ne distance pas comme ça ce monde de causes à effets. Comment un chaînon de l'ensemble pourrait-il se séparer du reste? Par un apprentissage? Un abandon? Un sursaut de soi? Je l'ignore. Mais quelqu'un qui souhaitera y parvenir aura déjà une carte essentielle. Ne dit-on pas que "qui veut peut"? Personnellement, je pense que ce n'est pas le cas. La volonté permet de nombreuses choses. Cela ne la rend pas infaillible et surpuissante. Elle possède ses propres limites. Bien sûr, on pourrait émettre l'hypothèse que le facteur "temps" joue son rôle aussi : un chercheur qui souhaitera comprendre une observation aura peut-être besoin d'une période plus ou moins longue pour l'expliciter. Globalement, la patience semble avoir sa place. C'est un peu l'allié de la volonté. Pour moi, une volonté sans patience n'est que velléité.
    Maintenant, oui, l'espoir. Cela sous-entend être patient. Attendre. Pour peut-être connaître. L'espoir ne serait pas tant lié à la volonté. Il serait surtout tout comme elle. La différence semble évidente : la finalité n'est, dans l'un, qu'un désir dont on ne devrait pas souhaiter la concrétisation, alors que pour l'autre, c'est un acharnement pour que ce désir soit assouvi, réel. Concrètement, cela signifierait qu'espérer pour avoir serait une absurdité. Évidemment, il est possible d'imaginer cette notion "espoir" très différemment. Néanmoins, je pense que lui attribuer une finalité serait le confondre avec le désir, voir la volonté.
    Pourquoi je raconte tout ça? Je ne le sais pas moi-même. Vous l'aurez compris : je ne sais pas grand chose. Je me répète souvent, autant dans les affirmations qu'avec les mots. Probable qu'en cet instant, j'ai espéré, mal espéré. Probable aussi que j'ai cherché, vainement, à me rassurer, à m'en convaincre. L'espoir n'est pas uniquement terrible, il es bien souvent assassin. Parce qu'on l'appréhende mal. Mais, qu'importe! L'essentiel, c'est d'arriver là où on veut aller. De faire ce qu'on a envie de faire. En gros, de vivre sa vie comme on l'entend, en se défonçant au mieux pour avoir ce que l'on veut. Les rêves sont une belle forme d'espoir, et ils sont mortels lorsqu'on les néglige au moment où ils n'auraient pas dû l'être.
    Laissez-vous aller. Vous n'avez que ça. Alors, sachez en profiter.
  3. Jedino
    Aberration et folie des grandeurs pour les uns, rêve ultime pour les autres, le transhumanisme (ou, aussi, « homme augmenté ») est un sujet qui fait de plus en plus parler de lui à l’heure où certains progrès laissent miroiter un possible, celui de vaincre ou dépasser nos propres limites et maux existentiels que sont des capacités intellectuelles et physiques « limitées », la souffrance, la vieillesse ou la mort.
            Ce sujet pose bien évidemment des questions d’ordre éthique et je n’aurai pas l’ambition de trancher le débat. Mon rôle se limitera à apporter des éléments concrets de réflexion à quiconque pourra lire cet article. Libre à chacun de se faire son avis par la suite.
            Il existe une documentation importante sur le sujet, il est donc assez facile de s’informer plus largement sur ces sujets. Sur le principe, l’article se fera en cinq temps : la définition du transhumanisme, ses tendances, les technologies actuelles et futures qui y participeront sans doute, l’évocation du débat qui entoure le transhumanisme, et une conclusion.
     

    Source : https://consciencesansobjet.blogspot.fr/
     
    I. Quelle définition pour le transhumanisme ?
            Selon Bernard Stiegler, « depuis la préhistoire, l’humanité s’augmente par la technique ». En effet, pour lui, tout outil, entendu comme moyen de s’offrir des moyens que le corps humain n’offre pas lui-même, est une augmentation. Mais un outil, et plus largement la technologie, a aussi vocation à graver dans le temps notre capacité à connaître toujours davantage. Autrement dit, l’augmentation humaine traverse les générations par la possibilité de préserver le savoir.
            Le terme « transhumanisme » apparaît avec Julian Huxley en 1957. Il va être repris quelques décennies plus tard par les futurologues tels que Max More qui vont construire la pensée transhumaniste et lui donner le sens que nous lui donnons aujourd’hui et sur laquelle nous finirons dans cette partie. A la même époque, et en particulier à la fin du XXème siècle, les NBIC (Nanotechnologies, Biologie, Informatique, Sciences Cognitives) vont croître de façon importante et nourrir de grands espoirs de par leur mise en relation permettant d’obtenir de nouvelles technologies et de nouveaux usages.
            Mais revenons tout d’abord sur la notion de « réparation ». On parle d’humain « réparé » lorsqu’il s’agit par exemple de compenser un handicap. Si l’exemple des lunettes permettant de palier le défaut de la vue semble parfois abusif, les prothèses de membres ou les cœurs artificiels sont typiquement les exemples permettant d’illustrer la notion de « réparation ».

    EMY, l'exosquelette du CEA. © Clinatec
            On parle d’humain « augmenté » (« human enhancement » en anglais) lorsqu’il s’agit non plus de compenser le manque d’une capacité quelconque mais, au contraire, de pousser au-delà des limites humaines ces capacités. Cela peut être modestement le fait de porter un casque à vision nocturne, mais cela peut surtout aller plus loin grâce à des technologies nouvelles et en recherche qui seront abordées plus largement dans la partie suivante. Il est donc possible de créer des outils comme cela se fait depuis longtemps pour un humain, ou de façon plus intrusive dans le corps d’une personne.
            Il existe en réalité une distinction à faire entre le transhumanisme « idéologique » et le transhumanisme comme « vecteur scientifique ». L’idéologie a en effet pour projet d’atteindre à certains objectifs (non exhaustifs ici) que sont accroître la longévité (idéalement jusqu’à l’immortalité), les capacités physiques (force ou endurance importante), physiologiques (nouveaux sens) et cognitives  (contrôle par la « pensée » des objets), tandis que le vecteur scientifique ne fait que véhiculer certains thèmes autour desquels des projets de recherche se construisent.
            Cette augmentation passe en tous les cas par l’usage des technologies : nanotechnologies, robotique, génétique, sciences de la cognition, ne sont là que quelques exemples de ce qui peut participer à ce projet ou faire l’objet de ces thèmes.
            Certains proposent encore d’autres concepts pour expliquer plus finement l’évolution vers laquelle nous tendrions : d’abord instrumenté, c’est-à-dire capable de mieux se connaître et de s’alerter grâce à des capteurs (objets connectés), puis connecté, c’est-à-dire capable de rejoindre des données lui apportant la connaissance dont il a besoin quand et où il le souhaite, c’est amélioré et enfin hybridé que l’être humain finira, c’est-à-dire un mélange fusionnel entre le corps humain et la machine, aussi nommé parfois « cyborg ». Il existerait un stade ultime que serait la fabrication, à savoir un « être humain » complètement artificiel, voire dématérialisé (la fameuse conscience stockée dans un ordinateur).
            Nous nous contenterons ici de retenir surtout les notions de réparation et d’augmentation. Il est important de garder en tête cependant que la distinction entre réparation et augmentation n’est pas si nette que cela : ce qui est une augmentation un jour finit par devenir une réparation le lendemain, à l’image par exemple du pacemaker.

    Symbole du transhumanisme h+
            Nous garderons donc finalement la définition que pose l’Association Mondiale Transhumaniste (AMT), dite Humanity + ou h+ : « le transhumanisme est le mouvement intellectuel et culturel qui affirme la possibilité et la désirabilité d’améliorer radicalement la condition humaine grâce à la raison appliquée, notamment en développant les technologies et en les rendant largement disponibles pour éliminer le vieillissement et améliorer fortement les capacités humaines sur le plan intellectuel, physique et psychologique. »
            Notez qu’il en existe une autre que propose l’AMT en 2002 : le transhumanisme est « l’étude des répercussions, des promesses et des dangers potentiels de techniques qui nous permettront de surpasser des contraintes inhérentes à la nature humaine ainsi que l’étude des problèmes éthiques que soulèvent l’élaboration et l’usage de telles techniques. » Cette définition intègre une réflexion sur ce que l’on fait que ne possède pas la première.
            Une déclaration du transhumanisme existe si cela vous intéresse :
    https://iatranshumanisme.com/a-propos/transhumanisme/la-declaration-transhumaniste/
            De même, un article détaillé et bien moins caricatural que ce que je peux exposer ici retrace l’humain augmenté sous le regard de la sociologie :
    https://sociologies.revues.org/4409
     
    II. Qu’est-ce que le transhumanisme ?
            Avez-vous déjà souhaité pouvoir vous affranchir du sommeil, courir autant que vous le souhaitez, ne plus être malade, avoir une santé « meilleure » qu’elle ne l’est déjà ? Avez-vous rêvé de pousser votre intellect au-delà de ses capacités, votre corps au-delà du possible ? En ce cas, ce qui va suivre devrait vous intéresser et vous rassurer. Sinon, peut-être appréhenderez-vous un peu le tournant que certains aimeraient prendre. En effet, la limite entre le matériel et le corporel a vocation à se réduire ou, plutôt, à fusionner.
            Par exemple, une personne déficiente visuellement pourrait retrouver la vue par optogénétique, c’est-à-dire par utilisation d’un génome d’un autre être vivant (une algue, ici). Il y aurait aussi l’optimisation du sang, donc des globules qui le composent, tant dans ses capacités à transporter l’oxygène que dans sa résistance, en s’inspirant notamment et à nouveau du vivant puisqu’un ver possède des globules « 50 fois plus efficaces que les nôtres ».
            Bien évidemment, la prothèse qui rendrait l’être humain aussi fort, résistant, endurant et rapide qu’une machine est au programme. C’est vrai aussi, et de façon moins intrusive, des exosquelettes. Le cerveau n’y échappe pas et pourrait, si l’on en croit Ray Kurzweil, bientôt « penser » grâce à la connectique plutôt que le biologique. Bien sûr, les maladies neurodégénératives seront vaincues et la possibilité de manipuler sa mémoire, ses émotions, une banalité.
            Inutile de dire que les organes auront tous leurs équivalents artificiels, voire biotechniques (culture de cellules-souches) probablement conçus grâce à des modèles sur des imprimantes 3D. L’utilisation des cellules-souches a l’intérêt majeur d’éviter le rejet du corps étranger par le corps. La peau elle-même pourrait, plus peut-être que le reste, avoir en elle nombre de capteurs qui permettraient à la fois de surveiller les paramètres du corps et de se connecter au monde qui nous entoure pour interagir avec lui.
            Enfin, objectif ultime, les cellules elles-mêmes seront augmentées pour combattre leur vieillissement (et donc notre vieillissement) puisqu’en effet certains éléments s’usent avec le temps, à savoir l’oxydation des membranes de la cellule (la membrane, c’est ce qui sépare la cellule de son environnement direct).
            Il est possible d’imaginer aussi donner de nouveaux sens : pouvoir entendre des ultra-sons, pouvoir voir dans les infrarouges, etc. Cela est d’autant moins fantasque que cela a pu être fait sur les rats :
    http://www.maxisciences.com/vision/des-rats-acquierent-un-sixieme-sens-grace-a-un-implant-cerebral_art28655.html
            A côté de cela, des « médicaments de la personnalité » permettront de corriger les défauts qui empoisonnent nos existences : timidité, jalousie, se « soigneront » comme un rhume se soignerait, tandis que nous pourrons booster notre sens de la créativité ou notre empathie comme nous boosterions nos capacités sexuelles à coup de viagra.
            Mais il faut aborder aussi d’autres sujets : la notion de « superintelligence » est à introduire. En effet, la dite « singularité technologique » serait le point de l’Histoire où la technologie atteindrait un niveau d’évolution qui échapperait à l’être humain, ce pas étant souvent imaginé comme celui de l’intelligence artificielle (mais n’exclut pas une autre discipline). Selon les théoriciens-futurologues, ce point de non-retour serait moins lointain qu’il ne semble l’être après les récentes réussites en intelligence artificielle face aux joueurs humains de go et de poker, parlant en effet des premières décennies de notre siècle. Cette intelligence serait là pour de nombreuses choses, que ce soit pour gérer des systèmes qui échapperont à la compréhension humaine ou pour nous faciliter la vie, peu importe la manière.
            Tout cela s’accompagnera d’un monde déjà commencé où tout serait connecté. Humains, objets : le monde ne serait plus qu’un système immense. Cela passera notamment par la connexion de tout ce qui nous entoure, en premier lieu nos vêtements, mais aussi nos bâtiments, bref, tous les éléments de notre environnement. La principale difficulté réside dans l’autonomie énergétique et dans la fiabilité des données que reçoivent ces capteurs. Par exemple, les objets connectés surveillant (en théorie) nos constantes vitales ne sont pas aujourd’hui d’une fiabilité sans limite, loin de là. Cette précision de la mesure est une étape obligée pour devenir un équipement certifié et donc utile en médecine. Mais il est indéniable qu’à terme cela permettra sans nul doute de pratiquer une médecine plus juste au niveau des dosages et au plus proche de notre personne. Certains existent aujourd’hui déjà pour suivre certaines pathologies comme le diabète.

    http://blog.innovation-artisanat.fr/linternet-des-objets-au-service-de-la-gestion-de-la-production-et-de-la-maintenance-2/
            Autre problématique cependant importante : l’usage d’un objet connecté, qui est une curiosité au départ, ne s’installe que rarement dans le quotidien de quelqu’un et finit par être délaissé, ce qui ne permet évidemment pas un suivi à long terme. Si ce désintérêt pour la personne saine existe, cela peut aller au rejet pour la personne atteinte d’une pathologie, puisque cet élément le lui rappellerait constamment à bout de bras.
            Certains rêvent enfin de pouvoir « télécharger » leur conscience dans la machine, de façon à ne plus dépendre de leur corps. Outre les questions philosophiques que cela peut bien poser, la faisabilité même de ceci reste à démontrer puisque nous sommes bien incapables de dire ce qu’est la conscience, et donc de dire si le fait de l’extraire et de l’exporter ailleurs est possible.
            La fusion entre matériel et corporel commence dès lors que l’on cherche à intégrer en soi des éléments artificiels par nécessité (prothèses) ou envie, à l’image de la greffe d’électrodes faite par Kevin Warwick sur lui-même pour pouvoir « contrôler un ordinateur à distance ».
                Cette partie-là part un peu dans tous les sens sans aller au fond des thématiques, mais il est difficile d’embrasser sans trop détailler l’ensemble des thèmes que le transhumanisme entend exploiter. Je vous invite donc à approfondir les sujets s’ils vous intéressent plus particulièrement.
     
    III. Quels sont les acteurs du transhumanisme ?
            Principalement anglo-saxon, le transhumanisme est porté tant par des personnalités célèbres que par des entreprises qui ne vous sont pas inconnues.
            Le célèbre Ray Kurzweil, qui aujourd’hui travaille chez Google sur les thématiques en lien avec l’intelligence artificielle, est l’une de ces personnalités qui théorise le transhumanisme et l’idée de singularité technologique qu’il annonce pour 2045. Dans le cadre de la singularité technologique, Ray Kurzweil a également créé une université dédiée à la formation de personnes capables de répondre aux défis qu’impose une telle singularité. Il est à noter aussi que c’est bien Google qui a récemment battu avec AlphaGo les champions mondiaux de Go, même si ce n’est pas le dernier fait d’arme de l’intelligence artificielle ces dernières années. Google, toujours, possède des filiales travaillant sur l’ADN (23andMe).
     

    AlphaGo joue contre Lee Sedol
            Mais d’autres pays sont aussi concernés par des travaux allant en ce sens. La Chine, par exemple, cherche à sélectionner les embryons ayant le plus de chance d’aboutir à des enfants et adultes « intelligents ». En Russie, c’est un milliardaire qui souhaite en deux décennies parvenir à transférer sa conscience dans une machine pour vivre éternellement.
            Autre acteur intéressé et assez évident, les armées s’intéressent évidemment à ces thématiques en vue d’arriver à des « super-soldats », forts de leurs exosquelettes demain, et de toujours plus au-delà. L’armure de combat Talos, conçu par la DARPA, est assez éloquente.
            Les laboratoires de recherche, comme des chercheurs du MIT, ne sont pas en reste et œuvrent à des fins utiles comme cette pilule d’« insuline intelligente » qui permettrait de délivrer une dose au meilleur moment et ainsi améliorer la vie des patients diabétiques. Le HRL Laboratories cherche lui à rendre possible « d’accélérer l’apprentissage et d’améliorer la mémoire » par neurostimulation, c’est-à-dire une stimulation de zones par implantation d’une sonde qui donnerait des décharges électriques comme cela peut se faire aujourd’hui pour des douleurs chroniques persistantes malgré tout traitement.
            Autre exemple de projet : la cartographie du cerveau, le « Human Brain Project », projet qui se fait en Suisse et qui est soutenu par l’Union Européenne en vue de mieux comprendre et ainsi mieux soigner les maladies neurodégénératives.
     
    IV. Le transhumanisme est-il souhaitable ?

    Source : https://www.lecercledesliberaux.com/?p=20824
            Le transhumanisme est l’objet de vives critiques, alors même qu’il considère que l’augmentation ne comporte « aucun risque fondamental ». Par exemple, il peut être vu comme une réduction de l’être humain à sa seule pensée, à son cerveau, occultant ce qu’il est aussi, à savoir des émotions, des sens, voire une âme ou conscience. Pour Jean-Michel Besnier, le transhumanisme n’est jamais qu’un « refus pathétique d’accepter que la mort donne son sens à la vie elle-même ».
            Bernard Stiegler, que nous avons déjà évoqué, tient une position critique sur le sujet : pour lui, il est aberrant de laisser aux marchés la possibilité de décider de ce que sera le transhumanisme puisqu’en ce cas son programme est « la prolétarisation de tous au service d’une oligarchie » qui vivrait alors éternellement et laisserait de côté « les autres ». Mais il ne conteste pas la possibilité d’apporter de véritables évolutions sociales et économiques permettant de sortir de certaines impasses aujourd’hui. En fait, il ne faudrait pas arriver à une « fracture numérique » entre ceux qui ont les moyens de s’offrir de tels progrès et ceux qui ne l’ont pas.
            François Berger combat le transhumanisme comme étant un courant de pensée qui, sous couvert d’assurer le bien-être, se permettrait tout et, surtout, s’affranchirait de la limite entre le normal et le pathologique. Or, l’humain augmenté n’est pas la finalité de la médecine et c’est pourquoi les scientifiques doivent se positionner contre. De fait, il s’agit de porter des actions sur des personnes en mauvaise santé et non pas sur des personnes saines, prenant dès lors le risque d’avoir des effets indésirables sur la personne alors même qu’elle se portait bien avant cela. En effet, des patients atteints de pathologies incurables, en particulier au cerveau (glioblastome), pourraient bénéficier de la nanotechnologie. De plus, le transhumanisme se fonde sur des principes invalides et datés, simplifiant grandement la problématique : il n’est pas évident qu’une augmentation d’une capacité particulière du cerveau comme la mémoire puisse se faire aisément, et surtout sans conséquence néfaste pour les autres capacités restées à même niveau.
            Nicolas Le Dévédec et Fany Guis défendent l’idée que toute augmentation n’est pas une libération de notre condition mais, qu’au contraire, et comme cela est vrai aujourd’hui des psychotropes, ce ne sera qu’un moyen de se conformer à une exigence toujours plus grande en termes d’efforts, une exigence de performance, de productivité, qui fait de nous des consommateurs d’éléments « augmentant » nos capacités. Selon eux, c’est aussi la question du handicap qui est posée : le transhumanisme aborde la problématique sous un angle essentiellement biologique quand la question est bien souvent davantage « sociale et politique ». Surtout, les moyens qui apparaissent de pouvoir « choisir » son enfant illustre le fantasme de l’« enfant parfait », sur-mesure. Mais n’oublions pas que ces technologies offrent aussi la possibilité à des parents qui ne pouvaient l’être de le devenir.
            Les cellules-souches, elles, posent aussi un problème éthique qui est qu’elles sont abondantes sur l’embryon et qu’il faut donc les y prélever, ce qui n’est pas acceptable aujourd’hui en France mais se pratique ailleurs dans le monde.
            Plusieurs personnalités ont mis en garde publiquement contre les risques qu’il existait à développer une intelligence artificielle qui nous échappe, à l’image de Stephen Hawking, Elon Musk ou Bill Gates. Ce n’est pas une crainte du progrès mais de notre perte de contrôle sur ce progrès qui ne serait pas en accord avec nos propres objectifs, le risque étant que « nous ne pourrions pas plus intervenir que les chimpanzés ne peuvent le faire actuellement contre nous », donc que cette intelligence artificielle ne soit pas bienveillante à notre égard comme le met régulièrement en scène le cinéma ou la littérature. D’autres problèmes peuvent être imaginés en génétique, mais il existe ceux auxquels nous songeons moins comme la « perte de notre humanité » ou le contrôle de nos existences par la puissance du calcul et de l’algorithme.
            Plus radical, il existe évidemment un mouvement « bioconservateur » fermement opposé à ce type de technologies, le rapport « Beyond Therapy » de 2003 en étant le point d’orgue, et dont l’argument premier serait que le transhumanisme porte atteinte « aux droits fondamentaux de l’être humain » : « Cela est fondamental, dirai-je, parce que la nature humaine existe, qu’elle est un concept signifiant et qu’elle a fourni une base conceptuelle solide à nos expériences en tant qu’espèce. Conjointement avec la religion, elle est ce qui définit nos valeurs les plus fondamentales » (Francis Fukuyama).
            Mais ne soyons pas que négatif : il serait parfaitement possible aussi, par ces moyens-là, de mieux parvenir à comprendre l’autre, en simulant le ressenti et le vécu d’une personne atteinte d’un quelconque handicap, ce que laisse finalement miroiter aussi le jeu vidéo 3D qui est une « expérience totale », une immersion. C’est également un courant de pensée qui a le mérite de vouloir toujours aller plus loin dans « l’augmentation », et donc nécessairement aussi dans la « réparation ». Autrement dit, et de façon moins « mécanique », c’est un moyen de motiver des projets de recherche sur des sujets permettant d’améliorer la qualité de vie de bon nombre de personnes qui ont l’une ou l’autre déficience.
            En tous les cas, une réflexion par les sciences humaines semble devoir accompagner l’émergence de ces technologies et de leurs usages. C’est pourquoi en 1998 fût créé « L’Association Transhumaniste Mondiale » qui a vocation à entretenir la flamme du transhumanisme à travers le monde, et notamment la discussion des questions d’ordre éthiques.
            D’autre part, il existe un ensemble de valeurs censées cadrer et guider l’œuvre transhumaniste, par exemple celles que posent Nick Bostrom (co-fondateur de l’Association Transhumaniste Mondiale) :
    -       « La sécurité totale : en aucun cas les choix exploratoires ne doivent entraîner de risque sur l’existence de notre espèce, ou abîmer son potentiel de développement »,
    -       « Le progrès technologique : c’est lui qui permet l’émergence des avancées transhumaines, il va de pair avec et découle de la croissance économique et de la productivité »,
    -       « L’accès à tous : le projet posthumain ne doit pas être exploré par quelques élus, mais accessible à tous. »
            A ceux-ci Bostrom ajoutent aussi d’autres principes qui en découlent tels que « l’absolue nécessité de faire ses choix en étant informé et donc formé », la « coopération internationale », le « respect et la tolérance généralisées », le « respect de la diversité », la « nécessité impérative de prendre soin de la vie », etc.
           Mais il est parfaitement légitime de se demander dans quelle mesure ces valeurs sont respectées et ont une influence sur les activités des acteurs qui font véritablement ce qu’est actuellement le transhumanisme.
            Il est à noter aussi qu’un mouvement transhumaniste propre à l’Europe a émergé, bien plus proche de ce qu’il serait souhaitable : les technoprogressistes. Opposés au transhumanisme ultra-libéral américain, ils n’ont pas cette totale confiance quasi-naïve dans la technologie. Surtout, ils se préoccupent des conséquences sociétales de façon à se poser des questions avant de créer la technologie possible : réfléchir d’abord, développer ensuite. On peut par exemple citer l’association transhumaniste française (AFT), dite Technoprog, créée en 2010. Mais ce mouvement n’a pas la puissance du transhumanisme américain porté par les géants du numérique.
           Mais concluons avec les bioéthiciens qui jugent qu'au final, l’augmentation de l’humain est déjà pratique courante : banalement, le café que nous buvons, ou surtout le dopage que nous huons mais qui est relativement courant sous couvert de performance et de socialisation. Et si cela est vu négativement dans ce contexte, il devient très positif dans d’autres, où il est essentiel de rester attentif et performant, les trois exemples les plus éloquents restant le transport aérien, la chirurgie ou l’armée. Quoi que favorables à l’humain augmenté, les bioéthiciens ne sont pas pour une activité en totale liberté et souhaitent que celle-ci soit encadrée et se fasse selon des principes et une mise en question éthique nécessaire sur certains aspects. Hypothèse reste faite que le progrès sera positif en soi une fois que les aspects collectifs seront maîtrisés et qu’ils se feront dans la justice et l’équité.
     
    V. Conclusion
           Le transhumanisme est donc un défi tant technique, collectif, juridique qu’éthique. Le débat est d’une grande complexité et apporte des éléments qui peuvent sembler aussi bénéfiques que regrettables. Je ne prétends pas avoir brossé un portait complet des thématiques qu’il entend aborder pour parvenir à ses fins, mais la plupart, je crois, y sont.
           Au-delà de la question éthique qui cherche à savoir si le transhumanisme est acceptable et, si oui, dans quelle mesure, la question qui n’a pas été posée était de savoir ce qu’il adviendrait de ceux refusant toute augmentation car, en effet, une société à deux vitesses pourrait bien apparaître alors et pourrait aboutir de fait à des inégalités. D’autre part, cet optimisme radical en l’apport que la science aura dans nos vies pourrait très bien être interrogé.
          Toutefois, et comme le rappelle sentencieusement Anne-Laure Boch, « le plus grand risque du transhumanisme, c’est de décevoir ». En effet, compte-tenu des espérances qui lui sont accordées, les futurologues à l’origine de cette pensée attribuent à la technologie la capacité à répondre à toutes nos craintes et difficultés, ce qui n’a rien d’évident tant notre ignorance est grande, particulièrement sur le fonctionnement même du cerveau qui est, il faut le dire, le centre des préoccupations du transhumanisme.
           En tous les cas, notre réalité se restreint de moins en moins à notre personne pour se projeter vers le monde, un monde où le réel et le virtuel s’entremêlent et interagissent. Vers une fusion avec la machine comme le mettrait en scène Avatar ? Probable que le robot compagnon ou l’algorithme d’aide à la décision se démocratise avant tout risque d’une superintelligence. Probable aussi que d’autres questions cruciales se poseront avant celles de savoir si nous devons restreindre une intelligence qui peut nous dépasser, s’il est acceptable de pouvoir vivre plusieurs centaines d’années ou même d’abandonner ses membres biologiques pour lui préférer des membres robotiques, à l’image de l’utilité du travail dans la vie ou de l’utilité de l’argent dès lors qu’un robot, métallique et/ou algorithmique, peut nous remplacer sur (presque) tout.
           A force de rêver d’être augmenté, il faudrait aussi prendre garde à ne pas au contraire se diminuer, devenant des automates qui ne sont plus que les ombres d’êtres humains ou des victimes de la surcharge que nous impose le progrès jusqu’à l’aliénation ou la surcharge cognitive.
    Finissons sur une citation de Hannah Arendt tirée de La Condition de l’homme moderne de 1958:
           Depuis quelques temps, un grand nombre de recherches scientifiques s'efforcent de rendre la vie « artificielle » elle aussi, et de couper le lien qui maintient encore l'homme parmi les enfants de la nature. C'est le même désir d'échapper à l'emprisonnement terrestre qui se manifeste dans les essais de création en éprouvette, dans le vœu de combiner « au microscope le plasma germinal provenant de personnes aux qualités garanties, afin de produire des êtres supérieurs » et de « modifier leurs tailles, formes et fonction » ; et je soupçonne que l'envie d'échapper à la condition humaine expliquerait aussi l'espoir de prolonger la durée de l'existence fort au-delà de cent ans, limite jusqu'ici admise. Cet homme futur, que les savants produiront, nous disent-ils, en un siècle pas davantage, paraît en proie à la révolte contre l'existence humaine telle qu'elle est donnée en cadeau venu de nulle part (laïquement parlant) et qu'il veut pour ainsi dire « échanger contre un ouvrage de ses propres mains ».
     
           Pour aller plus loin sur le sujet, je vous propose une petite lecture : Bernard Claverie et Benoît LeBlanc, dans « L’humain augmenté », discutent du sujet bien mieux que je ne saurais le faire. Je vous y renvoie donc si la thématique vous intéresse et vous interroge.
     
    Bibliographie :
    Partie I.
    https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/lhomme-augmente-un-fantasme-qui-devient-realite
    https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/le-transhumanisme-est-un-neodarwinisme-dangereux-avertit-bernard-stiegler_108864
    http://www.ecologiehumaine.eu/les-penseurs-du-transhumanisme/
    Partie II.
    https://humanoides.fr/homme-augmente-fantasme-devient-realite/
    http://www.20minutes.fr/sante/1831643-20160603-transhumanisme-quoi-ressemblera-homme-augmente-2050
    https://www.fondation-telecom.org/wp-content/uploads/2016/01/2015-CahierDeVeille-HommeAugmente.pdf
    Partie III.
    https://www.sciencesetavenir.fr/sante/de-l-homme-repare-a-l-homme-augmente_28253
    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/04/18/google-et-les-transhumanistes_3162104_1650684.html
    http://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/homme-augmente-ou-en-sont-les-recherches-32803/
    Partie IV.
     
    https://iatranshumanisme.com/a-propos/transhumanisme/la-declaration-transhumaniste/quest-ce-que-le-transhumanisme-version-3-2/
    https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/francois-berger-le-transhumanisme-est-un-charlatanisme-dangereux_104462
    http://www.cnetfrance.fr/news/transhumanisme-en-route-vers-l-homme-augmente-39793020.htm
     
     
           
     
     
     
  4. Jedino
    La guerre. Il faut combattre! Pour ton pays. Pour ta patrie! L'amour. Il faut aimer! Pour ton pays. Pour ta petite vie! La chaîne des nécessités me tarît. Il semblerait que je sois finis, oui. Que mon âme s'échappe par la porte dérobée qui se trouve ici. Ou là? Je ne sais pas. Au fond, ça sert à quoi, d'avancer, de déprimer, de manger, de ces choses qui font chier? A rien. Sauf nous préserver? De quoi? De notre destinée? Remarque, je viens de voir l'analogie entre destin et destination. Jamais trop tard. En tout cas, tant que tout n'est pas terminé. On se demande si ça va continuer, si la mascarade va s'élancer de plus belle demain.
    Moi, j'en ai assez.
    Et pourtant, moi même je ne fais que l'ignorer. Difficile de s'y retrouver, dans ce foutoir des idées. A croire qu'elles sont là pour nous embrouiller. Le pire, c'est quand t'en trouves une, que tu t'y accroches, et que tu parviens à la paumer. Comme si tenir à quelque chose se liait forcément avec son égarement dans la minute qui va arriver. Moi, je les comprends, en fait. Elles sont simplement pressées.
    N'empêche, cela ne signifie rien. Je parle de mon texte, vous savez. Pourtant, tout y est logique, à sa place. Un domino désordonné qui se trouverait en réalité parfaitement ordonné. L'ordre dans le chaos. Ou le chaos dans l'ordre? Le sens ne saurait y changer. Dès à présent, je suis condamné. Pas à l'errance, la folie, ou la mort. Ces détails ne résument que nos belles qualités. Plutôt à me questionner sur le pourquoi du pourquoi. Si tout est déterminé, pourquoi est-ce déterminé? Si tout est hasard, pourquoi est-ce hasardé? On pourrait s'amuser à les multiplier. Ces bêtes-là, ça fait des mômes jusqu'à vous faire étouffer. Et toi, tu crèves au moment où on te répond, très naturellement "Parce que c'est ainsi".
    Tu finis déçu. Tu l'as bien mérité. N'empêche que tu te promets qu'un jour, tu parviendras à les briser, ces vérités qui savent nous dorloter. Tu te promets que tu chercheras, quand tu délaisseras un temps tes priorités, à détruire ce qui ne devrait pas être comme cela est. Ouai, tu te jures que tu les flingueras, ces dieux, ces savoirs, ces vérités. Tu flingueras tout, même la réalité. Parce que t'es déçu. Parce que t'as déconné. Et tu sais quoi? T'aimeras ça. T'as toujours apprécié. Tu l'as dans le sang : bâtir pour mieux déstructurer. Puis, tu te sentiras dans la peau d'un soldat. Tu seras ce soldat.
    Moi, je combattrai ces évidences qui nous ont manipulées. Quand je serai grand. Et moins cinglé.
  5. Jedino
    Je cherche une idée. Curieuse expression, tout de même, ne trouvez-vous pas? Comme si nous devions courir après, ou au moins, tenter de la trouver, cette idée. Comme si elle n'était pas dans notre tête, mais en dehors, à nous fuir et nous provoquer. Le génie d'un homme tiendrait alors simplement de sa capacité à déloger mieux qu'un autre cette je ne sais quoi qui renfermerait de quoi épater ses semblables. Un talent de recherche dont il ne serait pas conscient, et que nous associons volontiers à l'homme. Partant de là, nous ne représenterions plus grand chose, si ce n'est une des chaînes menant à la confection d'une oeuvre, d'un instrument, ou de n'importe quoi d'autre.
    Malheureusement, je n'arrive pas à en dénicher une qui me satisfait suffisamment. Faut dire que, parfois, la volonté manque. Vous remarquerez qu'ici aussi, un fait curieux se cache, puisqu'on considère la volonté un peu comme l'eau d'un vase qui viendrait à s'en aller. Hop! On ajoute, et tout va à nouveau mieux. Puis, je ne parle même pas du caractère taquin des idées. Dès que tu souhaites en avoir une, tu peines, et, au contraire, quand tu préfèrerais t'en séparer, elles affluent toutes d'un seul coup. Moi, personnellement, ça me fait rire. Enfin, parfois.
    Maintenant, quitte à m'arrêter, autant continuer. J'ai déjà écris deux petits paragraphes. Je me demande si j'ai déjà eu tant de difficultés à aligner des mots. Ce matin encore, j'ai échoué deux fois. C'est que, je crois, les idées préfèrent l'obscurité. Peut-être ont-elles besoin de cette noirceur? Ou sont-elles éblouies face à la lumière? Je ne sais pas. Je sais juste qu'elles m'évitent, aujourd'hui. J'ai dû les importuner quelque part. C'est qu'en plus, elles sont capricieuses. Donc, ça n'arrange rien.
    Je crains d'arriver à la fin. Je n'ai plus matière à combler le vide qui s'oppose à moi. Bien qu'au fond, il n'y en ait pas vraiment. Je ne fais que l'imaginer, comme si le fait d'avoir un obstacle m'arrangeait. Peu importe, à présent. Les dernières lignes sont toujours une libération. On se sent tellement mieux par après. A croire que les idées doivent finir déposées sur la matière pour disparaître.
    Vous n'avez pas vu? C'est pourtant évident, ce paradoxe consistant à remuer notre tête et notre corps pour trouver quelque chose dont on veut se séparer par la suite. Tel un désir qui nous déplaît une fois dans nos mains. Encore une curiosité. Décidément!
  6. Jedino
    Il paraît qu'il faut parfois sonder son âme pour comprendre ce qui nous échappe immédiatement, ou simplement pour déceler cette paix qui file rapidement entre les doigts de ceux qui la cherchent fébrilement. Du coup, je me suis dit : "pourquoi pas"? Malheureusement, je me suis heurté à un problème plutôt conséquent : si j'en ai une, où est-elle, déjà, et comment saurais-je que je m'y trouve bien? On a beau se connaître, apparemment, nous n'en restons pas moins des espaces à ce point vastes que nous ignorons où chercher pour parvenir à notre fin. Et puis, je dois m'y prendre comment pour la visualiser, mon âme? M'imaginer tel un bonhomme se promenant au sin de mon corps? Chercher consciencieusement dans ma concentration la clef y menant directement à travers le labyrinthe de mes croyances et de mes pensées? Courir maladivement jusqu'à jouir d'une éventuelle chance? Vous comprenez mon désarroi : je me suis paumé avant même d'avoir commencé mes recherches. C'est pour vous dire.
    Bien logiquement, j'ai abandonné. Trop complexe, trop difficile, trop loin, trop tout, trop rien. Je ne vais pas me mettre à quêter quelque chose dont l'existence ne m'est pas même assuré! Autant me consacrer à la Vérité ou au Bonheur, sinon. J'en serais pas moins idiot. N'empêche, le peu de temps que j'ai passé dans ma caboche m'a suffit à voir à quel point ça y est le bordel. Pour peu je m'aurais cru être à la foire, avec ces marchands voulant à tout prix vendre, vendre, et vendre encore, ces acheteurs prêts à marchander jusqu'au milliardième de centimes, et ces promeneurs innocents et passagers, les plus nombreux, marchant ici surtout pour marcher et ajouter de leur présence quelques grouillements méthodiques à une foule aux chemins chaotiques. Forcément, quand chacun veut aller dans une direction différente, on ne peut pas s'entendre, on ne peut pas se comprendre : borné comme ils sont tous, mieux vaut écraser l'autre en face que se décaler à moitié pour continuer tranquillement. Oui, mes pensées se montrent un tantinet ainsi : folles et provocantes, allant vers le conflit, pour le conflit, et ceci, malgré ma philosophie.
    Naturellement, j'en viens à me questionner sur mon incapacité à maîtriser ma propre essence. Peut-être que la raison pour laquelle mes pensées m'échappent lors de mes tentatives de contrôle est qu'elle ne sont pas miennes? Non qu'elles ne soient pas en moi : cela me semblerait très ardu à démontrer. Juste que si je n'en puis rien faire, c'est que, quelque part, j'en sois la victime, et non le propriétaire. Bien sûr que c'est délirant, comme idée : se croire esclave de soi-même! Vraiment, ce n'est pas raisonnable! Et pourtant! Si ce n'était pas ainsi, je devrais être libre d'en choisir outre le continu, c'est-à-dire l'arrêt "total". Or, mis à part l'influence sur son contenu, je ne peux le mettre en pause.
    Peut-être que la pensée représente la mouvance de notre esprit? Qu'elle sonne comme la dernière arme face à l'ennui? Oui, c'est sûrement cela : elle est programmée pour ne jamais cesser afin de ne jamais souffrir du vide, de l'absence de toutes choses. Elle nous sauve de notre misère.
  7. Jedino
    J'écris sans même savoir pourquoi. Je crois que j'en éprouve simplement le besoin, là. Parfois, il faut savoir délaisser le "pourquoi" pour se contenter de faire selon son envie. Il me semble, en tout cas. Mais, passons. Je vais bien réussir à trouver quelque chose d'inintéressant à raconter.
    Je me demande s'il est possible d'être "addict à l'imaginaire". Certes, le virtuel en est proche. Mais, ce que je chercher à savoir, ici, c'est pourquoi je préfère l'imaginaire et les rêveries à ce petit beau monde réel. J'ai mon idée sur le sujet. Faut dire que j'ai eu tout le temps d'y réfléchir depuis cette "rupture" probablement voulue inconsciemment. Je me rends compte que ce n'est pas ce que je souhaitais exposer, n'ayant pas le souhaiter d'étaler ma minable vie d'enfant gâté et plaintif pour des raisons forcément futiles.
    Je vais plutôt vous raconter une histoire. L'histoire d'un être. J'ignore s'il a existé, mais je n'en doute aucunement. Ma pensée a suffit à lui donner vie, rien qu'à travers ces quelques lignes. Je ne distingue pas sa mine sympathique, et encore moins ce qui, par la suite, me permettra de le reconnaître parmi les autres. Je pourrais cependant m'attarder à le décrire, si je n'étais pas intimement persuadé que ce n'est utile qu'à vous "forcer" à poursuivre en facilitant l'ancrage de votre propre imagination dans les miennes. Vous le voyez? J'en suis certain. La simple indication concernant son sexe devrait pouvoir vous donner une image vague de cet homme.
    Si non, peu importe. Ce détail n'a rien d'essentiel. Vous savez, je me suis déjà lancé dans une réflexion autour de mes personnages. Ce qui est surprenant, si on veut, c'est que je ne m'attarde jamais à décrire ni les figurants, ni les endroits, comme si j'avais le souci de ne pas m'ancrer dans quelque chose d'existant. Comme si je souhaitais ne pas aider le lecteur à trouver son chemin.
    Seulement, il y a mieux, si je puis dire, à extraire de tout ça. D'un point de vue personnel, cela peut avoir son importance, puisque les savoir souvent niais, un tantinet asocial, parfois antipathique, souvent dérangé, ou dû moins, dans le souci de ne pas être commun au moins dans la manière de penser. Bref, se détachant du reste, à la fois las et désintéressé dans un environnement aussi flou que banal.
    De là à faire un lien avec moi, il n'y a qu'un pas. Vous remarquerez peut-être que les "je" diminue avec l'avancement du texte. Cela se lie sans doute avec le décentrement progressif de ma personne pour me focaliser sur autre chose. Voilà donc, en un quart d'heure, le moyen d'écrire sans avoir à écrire. Quelque part, je me sens mieux. De quoi? Je n'en sais rien. Le but n'était pas de connaître mes raisons, mais seulement de m'en défaire, comme on se défait de ce qui nous paraît encombrant.
    Excusez-moi de cette perte de temps que je vous ai infligé, car je sais à quel point il est important d'en profiter, dès maintenant. Profiter de la vie m'a toujours paru très curieux, d'ailleurs, en ce sens où je ne vois pas en quoi l'amusement est une meilleure utilisation de son existence, que l'ennui vécu sur son lit d'une journée sans le moindre éclat levant.
    Je dois être stupide, et d'autant plus à mesure que je me fais cupide.
  8. Jedino
    Voyez-vous, je ne savais pas quoi écrire en tapant le titre du billet. Je réfléchissais à un truc débile dont je pourrais en démontrer toute l'inutilité pendant quelques minutes de votre existence qui, il faut se l'avouer, n'avait et n'a pas besoin de ça. Concrètement, j'en viens à me demander à quel point le plus infime détail, mot, bref, du choix qui nous arrange le moins pour effectuer un développement qui se veut long et potentiellement intéressant, et donc, intelligent. Le point sera ma victime. Et, je vous propose de vous y mettre à votre tour, par la suite, afin de voir à quel point votre imagination est capable de concevoir à partir d'un départ qu'on veut, quelque part, anodin.
    D'abord, les mathématiques. Ne me questionnez pas là dessus, mais je construis le point comme un petit cercle : il partage toutes ses similarités, sauf l'espace "vide en son sein. Et encore. Je pourrais le considérer comme suffisamment minuscule pour ne pas être perçu lorsqu'on se met à en représenter un de la pointe de notre crayon sur une feuille. Le point a un donc une valeur géométrique, dans mon esprit.
    Arrivez ici, je dois ajuster une chose : le but n'est pas d'être dans le juste. Au contraire, seule compte l'association des pensées dans la formation d'une réflexion autour. Ici, par exemple, je ne suis pas certain que les mathématiciens considèrent le point tout comme un cercle (s'il en passe un par là, qu'il confirme ou infirme cette incertitude qui demeure chez moi). Laissez-donc le flot de votre encéphale travailler à votre place dans la tâche qui lui incombe dans mon délire du jour : il saura très bien se débrouiller lui-même, et montrera de toute manière un fond logique indissociable à tout homme quelque peu cartésien qui se respecte, aussi peu l'est-il.
    Après les mathématiques arrivent l'infiniment petit, et l'infiniment grand. Planètes et étoiles sont de "gros points" qui ne sont que points à nos yeux. Si la physique en déforme ma vision, il n'en reste pas moins que le sol même que je foule ressemble à une immense boule devenant un point infime lorsque je m'en éloigne dans l'imaginaire. C'est le même effet, certes inverse, qu'on pourrait éprouver en observant un insecte, une cellule, un atome, etc. Tout est question de dimension dans un monde qui semble fonctionner un peu comme les poupées russes : l'un dans l'autre, l'un forme l'autre.
    Viens ensuite le sable. Ah! Ce doux plaisir chaud en été, et complètement délaissé l'hiver, ou presque : mis à part certains courageux pouvant y courir, y regarder, ou y penser, cette vaste étendue ne connait que l'oubli momentané pour d'autres occupations plus conformes à la saison. Mais, il n'en reste pas moins que ces dépôts permis par les mers et océans sont de minuscules points à notre échelle. Cependant, ne négligeons pas l'importance du sable qui nous apporte un deuxième lien avec le "point" : après la science, vient le loisir, et finalement, la nature. N'est-ce pas un luxe que nous accorde notre sage mère?
    J'admets que là, ce qui se manifestait instinctivement est consommé. Alors, je crois qu'il est temps de plancher plus sérieusement sur la question : un point. J'allais en oublier son rôle syntaxique. N'est-il pas une des bases dont j'use parfaitement le rôle depuis le début afin d'être compris au mieux? N'est-ce pas un moyen d'arranger une lecture par un regard extérieur, de mener une course vers la compréhension? Un point mal placé est somme toute destructeur : sa force suffit à briser un rythme imposé par l'auteur du texte. Un point peut signifier beaucoup de choses dans notre société : la fin d'un accord, la fin d'une histoire, la fin d'une phrase. En fait, tout ce à quoi je pense paraît plutôt pessimiste qu'optimiste. Se pourrait-il que le point soit une arme?
    Vous comprendrez que je pourrais sans nul doute poursuivre longtemps, surtout que je ne me restreins pas une association stricte d la forme généralement associée, puisqu'en jouant avec les points de vue, on peut rendre petit ce qui est grand, et inversement. Néanmoins, j'espère avoir fait passé une idée, que je considère importante à titre personnelle : rien ne se voit de la même façon selon qu'on soit ici, ou là. Avec cela, rien n'est vraiment juste, ni même faux. Tout se transforme, se déforme, sous la bonne volonté d'un jeu esprit. Vous pouvez me reprocher, peut-être, de faire du relativisme. Affirmer le contraire m'est difficile, en ce moment. Mais, méprenez-vous : je ne motive pas une pareille position. Si vous deviez retenir un truc, aussi ridicule que l'est un point, ce serait probablement que vous êtes, vous aussi, le point d'un autre, qu'il soit proche, ou non. Et cette règle est inéluctable.
  9. Jedino
    Ce matin, j'ai survolé superficiellement quelques sujets que j'avais mis sur ce forum de ça deux ans, voir presque trois. Il est étonnant comme le recul nous montre une autre image de nous-mêmes en relisant ce qui appartient à notre passé. Comment ne pas m'inquiéter en voyant une faute pareille de conjugaison, ou m'interroger face à cet air naïf et faussement torturé d'avant? Parce que j'en ai écris beaucoup, des sujets inutiles, de ces sujets qui portent des questionnements parfois idiots, parfois enfantins.
    C'est donc, oui, surprenant, et rassurant à la fois, bien que l'ignorer ne me ferait aucun mal, puisque je ne l'aurais pas remarqué. Mais, se dire qu'on avance, qu'on évolue, qu'importe la direction! c'est, oui, un certain soulagement. Je peux me dire au moins que, si ce n'est pas ce que j'ai fait de mieux, forcément, ce n'est pas inutile pour autant. Il n'existe pas pire châtiment qu'un effort vain.
    Plus globalement, je me souviens de ces années de lycée. De cette différence tangible entre mon arrivée et mon départ. Mes centres d'intérêts sont autres. Mon comportement, aussi. Que ce soient de bonnes ou de mauvaises choses, là n'est pas le plus important. Je crois que nous ne sommes pas des êtres statiques, condamnés à errer dans les méandres d'une personnalité.
    Ce matin, oui, je n'ai pas tellement à raconter, ni à décortiquer. Je vous invite seulement à vous demander qui vous êtes, en ce jour, par rapport à celui ou celle que vous étiez hier. Je n'ai pas foi en la notion de destinée. Je crois, en revanche, que nous avons tous un rôle : exister. Pas aux yeux du monde. Simplement à ceux de nos amis, de l'être aimé, ou de quiconque appréciant votre présence. En cela, le bonheur tiendrait d'une banale reconnaissance de l'autre. Banale, mais sincère. Est-ce là une condition contraire à notre nature, comme le soutiendrait quelque peu Hobbes en prétendant que nous sommes faits pour nous dévorer? J'en doute. Les êtres réellement mauvais sont rares, pour ne pas dire, inexistants. J'ai envie de goûter à ce presque optimisme de Rousseau lorsqu'il prétend que l'homme est naturellement bon. Qu'il n'est que dépravé par ce qui l'entoure.
    Quoi qu'il en soit, ne perdez pas de vue l'unique détail essentiel que j'aimerais mettre en avant après avoir cheminé avec ce texte : aimez-vous. Avec pugnacité et honnêteté. Et, pour terminer, savez-vous pourquoi je trouve ces deux mots particulièrement intéressants? La raison est on ne peut plus idiote : dans ce "aimez-vous" que j'ai moi-même du mal à apprivoiser, on y décèle un amour qui doit se porter autant aux autres qu'à notre propre personne.
    C'est ce en quoi je crois. En ce début de matinée, en tout cas.
  10. Jedino
    Je me demande ce que serait une vie sans boire, manger, et dormir. Une vie loin de ces besoins essentiels à notre survie. J'essaie, oui, d'imaginer simplement une vie qui passerait de seize heures à vingt quatre. Une vie sans la moindre pause pour se calmer, s'arrêter, avant de recommencer. Souvent nous aimerions vivre plus longtemps, plus intensément. Mais, sommes-nous vraiment capables de tenir un tel rythme sans jamais sombrer dans l'ennui le plus profond?
    Forcément, je n'en suis pas resté là. Si déjà on fait une bêtise, autant la faire complètement. Parce qu'effectivement, à quoi ressembleraient nos petites existences lorsqu'on supprime les émotions? Pas de joie, pas de tristesse, pas de colère ou de peur, de dégoût ou de surprise. Donc pas d'amour, de haine, de sourires qui font du bien ou qui font du mal, de regrets, de déceptions. Tout ne serait que vide. Un vide libérateur et nostalgique à la fois. Bien que quelqu'un qui n'ait jamais goûté à ces idioties ne viendra pas se plaindre de ne pas les avoir connues. On s'ennuierait donc davantage. Ou plus du tout. L'ennui, ce n'est rien faire, et c'est en souffrir. C'est prendre conscience de son inaction, de son inexistence. Et, je ne vois pas comment nous pourrions être torturé par ce qui nous est impossible de ressentir.
    Ce serait l'idéal. N'avoir qu'à perdre son temps. A connaître, à observer, à rien. Que feriez-vous si vous n'aviez nullement besoin de faire quelque chose? Difficile de concevoir passer sa vie couché sur le sol à regarder miroiter le ciel au gré des saisons. Au fond, nous n'aimons pas nous occuper, nous y sommes contraints. Faibles que nous sommes.
    Alors permettez-moi de bien rire quand on vient me dire qu'on apprécierait avoir plus de temps, voir être immortel. Parce que l'immortalité, en plus d'être long, très long, c'est chiant. Nul ne pourrait la supporter sans perdre ce qui fait son humanité. La vie est plaisante que parce qu'elle se termine rapidement. Le plaisir est le courage de celui qui sait que son heure est comptée. Enlevez-le, et vous verrez le visage de la mort.
    Mais je crois que l'immortalité, si elle n'est pas viable, existe belle et bien. Il suffit pour cela de transporter son coeur et son âme dans une oeuvre qui ne connaît ni la faim, ni la soif. Voilà la fonction de l'art : rendre immortel ce qui ne l'est pas. Pas pour les autres. Pour soi. Nous ne faisons rien pour quelqu'un que nous n'ayons déjà fait pour nous. Ceci est cependant un autre sujet. Ou pas. Qui sait, ce que nous hachons pour mieux l'ingérer est peut-être une unité qu'on ne devrait diviser? Comme un homme et sa liberté.
  11. Jedino
    D'aucuns diraient que ma situation est compliquée. Pourtant, j'arrive à relativiser : vont-ils vraiment laisser faire jusqu'au bout ? Je sais pourtant qu'il se disait que oui, je n'y ai jamais trop cru. Je suis bien trop raisonnable pour ça, mon esprit rationnel s'y refusait. Et je les vois tous, là, devant moi, à me fixer du regard. Il faudrait peut-être que je trouve en moi la force d'éprouver une quelconque haine à leur égard, mais rien n'y fait. Je terminerai donc cette histoire définitivement niais.
    L'ambiance se réchauffe, quelques clameurs se font entendre. Il est vrai que ce n'est pas un spectacle si fréquent que cela, il faut en profiter. Rien ne me laissait présager trois jours plus tôt que j'allais finir ainsi. Je vivais paisiblement, comme tout le monde, dans ma petite maison, à mener mes petites affaires et à vivre mes petites défaites et victoires du quotidien. Il aura fallu que débarque des inconnus pour que la routine s'émancipe et me quitte. Je ne comprendrai jamais ce besoin de voyage que d'autres peuvent ressentir. Sûrement là l'effet de l'instant présent qui me donne un côté morose. Pas de quoi s'inquiéter cependant, cela passera bien assez vite.

    Je sens des picotements, j'ai connu plus agréable. La ferveur du public ne décroît pas, cela fait chaud au cœur de l'entendre. Pour être tout à fait honnête, je ne me souviens plus très bien des raisons qui ont justifié que je sois malmené si durement. Il me semble que c'est une affaire de superstition ou d'argent, quelque chose dans ce délire-là. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que je n'ai rien avalé depuis tout ce temps et que j'ai l'estomac léger. Mes yeux tournent un peu, je dois l'admettre.

    L'envie de crier me vient, je crois que je l'ai fait. L'effet sans doute de la frustration si longuement accumulée, il faut m'en excuser. Sur ma gauche, un groupe ricane de l'odeur de cochon brûlé qui se ressent dans l'air. Je ne comprends pas trop pourquoi ils disent une telle chose, je ne sens rien. Après, on m'a toujours dit que je n'avais pas l'odorat fin. Je suis par contre réputé pour ma sueur abondante, et je sens de la gêne à être à ce point trempé en ce moment. Tout de même, je ne suis pas seul et au centre des attentions.
    J'oublie où je suis, me voilà évanoui. J'espère qu'ils resteront polis avec moi, je ne me sens pas très appétissant. Après, en effet, je reste biaisé sur le sujet et ne suis pas nécessairement le plus gourmet. Restons patient, je finirai bien par apprendre. Ne dit-on pas que tout vient à point à qui sait attendre ?
  12. Jedino
    Douze juillet. L'année a été perdue. Un petit homme, mais pas piqué des hannetons, se promène. Un papillon ? Il s'en émerveille. Une brebis ? Il la remercie. Il n'en reste pas moins affamé.
    De son air simplet, il laisse entendre qu'il est en quête de quelque chose. S'il pouvait croiser qui que ce soit, sûrement, ils l'éviteraient par crainte d'une conversation gênante. De sa marche assurée, son intellect se persuade qu'il est davantage Narcisse que Goldmund.

    Il a pourtant tout : un toit sur son dos, déployable, une arme et une tête pour se nourrir, quelques substances rassurantes et la certitude que son devenir est dans le creux de ses mains. Ne croyez néanmoins pas que notre explorateur émérite divague naïvement au gré des sentiers. Je peux vous l'assurer, il cherche. Il cherche de ces sentiers qu'aucune carte n'a la sagesse d'indiquer ni la force de porter.
    En bon philosophe, son auto-persuasion est des plus efficaces et, grâce à cela, il sait qu'il est sur le bon chemin, qu'au bout de celui-ci se trouve l'or de tous ses espoirs.
    Mais ne serait-ce pas là une biche ? Son ventre n'en gargouille que plus fort. Le voilà presque en un instant à l'arrière d'une broussaille, fusil à l'épaule, en train d'ajuster sa cible. Le coup part, la proie aussi. Seul résonne le bruit d'un arbre écorché par la balle et l'audible déception d'un estomac vide. Cette situation, il la connaîtra encore maints et maints fois dans la journée. Tant d'échecs reste incompréhensible, lui qui était l'un des meilleurs tireurs de son régiment.
    Peut-être que sa quête n'aboutira pas, finalement. Peut-être que tout désir de dignité est aujourd'hui vain.
  13. Jedino
    Boum. Ma tête a explosé. Non, ce n'est que ma passivité, un mélange de langueur et d'animosité. Hier encore, je me tenais debout, la corde au cou. Hier encore, je cherchais les raisons qui me feraient tanguer du haut de mes réussites. Je ne les ai toujours pas trouvés. Peut-être devrais-je jouer ma vie au dé? Car il est plus facile de mourir par impartialité que par fidélité à une idée : la première ne fait pas dans les sentiments. Et je réessaie, je réessaie désespérément, incapable de justifier la mort. Etre souffrant, être égaré, voilà de quoi nourrir le désir de finir étouffé. Mais leur absence? Qui irait, sérieusement, se suicider parce que son humeur n'est pas poignardée, massacré par la puissance de son émoi? Se détruire par manque d'absurdité, c'est là tout mon problème. J'étais pourtant bien parti, plus jeune : une inconstance cachée, une dépendance à tout ce qui me nuisait, et une velléité aussi assurée que semblait l'être mon apathie en quelque sorte innée. Et voilà que maintenant je me sens bien, aussi bien que peut l'être celui qui n'a jamais connu que douleurs et échecs répétés. Le comprenez-vous?
    J'espérais presque y arriver ou, à défaut, glisser. Parfois, le hasard sait se faire juste. Il n'en a jamais été ainsi dans ma chambrée. Peut-être devrais-je payer quelqu'un pour m'y aider? Il existe bon nombre d'hommes de bonne volonté après quelques billets échangés. Nos amis les plus assurés sont sûrement ceux qui veulent que notre tête balance deux pieds au-dessus du parquet. Je verrai. De toute façon, rien n'est pressé, et il est heureux que je me sois dégonflé. Cela me laisse le temps de mieux m'organiser. Les gens ne se rendent pas compte : la mort, c'est tout un métier. Un métier où il faut chaque jour innover pour ne pas être privé de notre entière liberté. Vraiment, où allons-nous, si nous ne pouvons même plus choisir dignement et tranquillement d'en terminer? Ce n'est cependant pas aussi facile. Cela suppose de l'expérience, cela suppose des moyens. Nous voyons en ces êtres de la lâcheté, alors même que nous patientions ici, anxieusement, craignant d'un jour se faire priver d'un nouveau tour en nos vies ratées. Où est le courage? Où est la réalité?
    J'avais coutume de simuler ma pendaison tous les matins afin de bien me lever. J'ignorais quand j'aurai à me lancer, mais je tenais à être prêt lorsque cela arriverait. Non, sincèrement, vous devriez vous y préparer. La mort n'est pas une mince affaire : cela ne s'improvise pas. Mais, vous le verrez.
  14. Jedino
    Plus j'y réfléchis, et plus je trouve tout ceci absurde. Les raisonnements logiques, les sciences, les croyances. On y va avec tant d'évidence que cela perd tout son sens. Avec ces instruments en main, tu as le pouvoir de démontrer ce que tu veux. Que la vie, ça n'existe pas. Que l'amour, ça n'existe pas. Que nous, nous n'existons pas. Tu peux détruire ce que la pensée cherche vainement à édifier, parce que la pensée, aussi grande aimerait-elle être, est faible, incroyablement faible. Elle souhaiterait tellement pouvoir se démontrer. Quoi qu'il paraît que ce qui est évident va de soi, et que le prouver par un argumentaire est déjà faire erreur. Une solution de facilité? Peut-être. Il n'empêche, notre volonté d'expliquer tout me paraît être une folie. On m'a appris, ou j'ai lu, je ne sais pas, je ne sais plus, que la pensée divise nécessairement ce qui, par essence, ne l'est pas. Le monde, l'univers, nous, ne sommes que des éléments d'une unité naturelle et universelle. Ce qui est ne s'explique pas. Non parce que cela va de soi, comme les phénoménologues aimeraient le laisser croire, mais parce que nous n'avons pas les moyens raisonnables d'y parvenir.
    Excusez-moi. Je délire. Je ne sais plus ce que je dis, ni ce que je pense.
  15. Jedino
    Juste parce que c'est l'avant dernier. L'avant dernier de quoi, me direz-vous ? Excellente question ! Bon, très bien, installons-nous, c'est l'heure des confidences.
    Hier soir, je me suis installé sur un divan et j'ai répondu aux questions que me posait le psychanalyste, à savoir moi, ou plutôt mon autre moi qui parlait à travers l'enregistrement que j'ai composé. Il m'est ainsi possible de me confesser en toute sincérité, et ceci, dans une entière gratuité. Il ne faut cependant pas trop être regardant sur la pertinence des réponses retournées. Mais enfin, cela s'améliore.
    Alors que j'allais me coucher, il ne s'arrêta pas, comme je l'avais prévu, de parler. Il se remit à discourir depuis le début, répétant incessamment les mêmes questions. Et là, une lumière s'alluma en moi : j'aurais pu y répondre mille fois, je n'en aurais pas plus appris. Rien, mis à part l'insignifiance d'y répondre. Mais cela fait du bien, de se sentir écouté, même de façon aussi étrange.
    Car en effet, il faut bien s'écouter pour se répondre, et répondre pour s'écouter et s'enregistrer.
    J'en suis arrivé au point où maintenant, je ne réponds plus et ne fais qu'entendre. Entendre mes jacassements incessants et changeants sur la vie et ses tumultes, sur ce que je serais ou ne serais pas, bref, sur tout ce que je peux conter d'inintéressant et de mouvant.
    Il n'empêche, c'en est devenu mon petit plaisir à moi. Voilà pourquoi je me suis mis à enregistrer les autres aussi, de façon plus éparse, lorsqu'ils répondent à des questions que je leur pose. Des questions que je façonne idéalement bizarres. Ainsi, une fois rentré chez moi le soir, je me passe des questionnements divers et leurs retours curieux.
    Vous auriez pu penser, me sachant grand amateur de blagues morbides, que je m'en serais allé divaguer au point de confronter les gens à leurs propos, un week-end ou deux. Mais en réalité, il me semble bien être condamné à avoir l'esprit affreusement sain. Veuillez m'en excuser.
  16. Jedino
    Vous n'avez jamais souhaité être immortel, comme éternel ? Eh bien moi, voyez-vous, mon problème est là : malgré ma persévérance, impossible de mourir. J'ai pourtant tout essayé, récentes comme anciennes méthodes. Je vous épargne les quelques détails morbides, mais les faits sont là. Pourtant, ce n'est pas la motivation qui manque. Parce qu'en réalité, vivre cent ans, deux ans, passe encore. Mais quand vous atteignez le millénaire, que vous avez plus que rêvé tourné en rond, et que la dernière chose qui vous amuse est d'essayer tous les moyens de mise à mort qui ont pu être inventées, l'immortalité devient un problème.
    Alors certes, j'ai du coup eu le temps d'expérimenter tout ce que je pouvais imaginer expérimenter. Il est vrai qu'au début, tout cela est fort agréable, d'être à ce point libre de ne pas se demander s'il ne faut pas tout faire aujourd'hui au risque de ne pas voir le lendemain. Certes, je n'ai de fait jamais connu les regrets que vous pouvez avoir en fin de vie, quand vous sentez que quelque chose va bientôt lâcher. Mais j'ai eu au contraire le temps de faire le constat véritable qui s'impose : en réalité, j'ai beau vouloir faire ceci ou cela, ce ceci ou ce cela finit bien vite par se vider.
    Ainsi s'installe l'ennui absolu, celui qui n'a aucun échappatoire, pas même la mort. Bien sûr, nombreux sont ceux qui m'argueront que je fais erreur, que je ne suis finalement qu'une personne sans curiosité et qu'eux auraient mille fois plus à faire que ce que j'ai pu faire moi. Admettons-le : un jour viendra où tout ceci s'épuisera malgré tout.
    Rassurez-vous cependant : vous ne saurez jamais que cela existe et que vous auriez pu l'être. D'ailleurs, si vous me demandiez comment, je ne saurais pas vous dire pourquoi. J'ai en revanche eu plus d'une occasion de me demander pourquoi le "pourquoi" était la réponse mise devant le "comment", mais de ceci, vous n'en aurez rien à faire et c'est bien normal. Nous n'avons pas de temps à perdre avec les pertes de temps. Jusqu'au moment où le temps n'est plus à gagner, en tout cas. Mais cessons là ces répétitions inutiles car si j'ai toutes les heures qu'il faut pour les écrire, vous ne les avez pas pour les lire.
    Certains iraient dire que l'éternité c'est long, surtout vers la fin. D'autres que l'éternité commence là où le temps s'arrête. Et d'autres encore, comme moi, que l'éternité c'est bien, surtout vu de loin.
    Mis à part ça, je suis en route actuellement vers la limite de l'univers connu pour voir ce qu'il se trouve au-delà. Certains rêvent de voyager petitement à l'autre bout du monde, je me limite à l'univers. Chacun son domaine, je ne juge pas. Le pire étant que, si je finissais par trop tarder en vie, je risquerais de finir par avoir des réponses à vos questions. Sait-on jamais, il peut m'arriver de croiser quelques peuplades exotiques. Rien de bien exceptionnel, en réalité. Tout comme nous, banales créatures. Même si nous sommes uniques dans notre arrogance.
    Tu l'auras donc compris : le meilleur moyen de finir dans l'ennui est de se fixer des objectifs, de chercher du sens. Lorsque tu te fixes des arrivées, une fois le chemin terminé, il te faut te redonner incessamment d'autres directions. Il est tellement plus simple de ne pas s'empoisonner l'existence avec cela. Cela, je l'ai bien compris. Mais, trop humain que je suis, je suis bien incapable de m'en détacher. Vous me direz, j'ai l'éternité pour m'y faire. Bande de cons.
    Au fait, dernière chose : mortel, immortel, tout ceci tient du même combat. Se battre contre les heures ou leur absence, cela ne change rien tant qu'elles nous emprisonnent. Vivre libre, ce n'est pas vraiment vivre assez longtemps pour être libre d'achever sa liste de buts existentiels, donc se défaire des contraintes. Ce n'est pas davantage la fuite du temps, qui n'est que le sens contraire du sens de l'aiguille. Reculer l'heure n'est pas s'en soustraire. Non, si je devais considérer que la liberté est un sujet qui mérite d'être évoqué, que le temps l'est aussi, et si je devais en conclure que les deux sont ou peuvent être, ce n'est que par la négation et non par l'acceptation ou l'oubli qu'il est possible et raisonnable de vivre avec, ou plutôt sans.
    Que je sois en vie dix ans ou dix-mille ans, cela n'a pas la moindre importance si du temps, je n'en ai cure. A quoi bon se contraindre par des rêves ou des préoccupations nécessaires comme le ferait un patron à l'égard de son salarié ? A quoi bon s'imposer une productivité minimale et se condamner, se damner, si elle n'est pas atteinte ? Ne soyez pas les tyrans de votre existence. Sinon, vous attendrez toute votre vie une rallonge sur vos heures comme vous attendriez une rallonge sur votre salaire. Mais il est du temps comme de l'argent : quand vous en avez plus qu'à satiété, vous ne pouvez plus faire qu'une seule chose raisonnable, à savoir le gâcher.
  17. Jedino
    Abstrait. Ils disaient que ce n'était que trop hermétique, que derrière ces simagrées se terrait en fait une réalité chaotique. Difficile, toujours, de dire si le pire tenait dans l'erreur ou la fausse agitation que cela provoquait. Erreur, car personne ne serait allé croire que le malheur se répandrait. Mais fausse agitation, également, puisque de toute façon nul n'y échapperait.
    Essence universelle, donc. Cela tient finalement d'une incandescente vérité : les chemins sont faits pour être cabossés. L'uniformité n'est que la singularité d'un ensemble brûlant d'innombrables irrégularités. Les pierres qui font chuter ne sont qu'un ordre que nous cherchons vainement à gommer, pensant effacer ce qui blesse nos pieds et ralentit notre pas.
    - Condamné, levez-vous.
    La peine encourue pour une ignorance consciente de l'évidence est la capitale : une dose létale d'existence. Quoi de plus terrible que d'être interdit de mourir ? Sinon ce besoin vital de penser avoir prise sur notre vie ? Rien.
    - Avez-vous quelque chose à ajouter ?
    J'aimerais dire que nous le sommes tous. Des chiens battus par l'espoir et égarés par les illusions avec lesquelles elle nous titille. Gouzi gouzi ! Allez rigole. Zou ! Quelques années encore. Te voilà bien arrangé. Tu finiras par crever vivant, bien mal installé dans ta chambrette à te saouler de tes habitudes. Ivre de bêtises, ivre de temps. Si mon corps se traîne encore, le feu de mon âme s'est éteint depuis longtemps, ne laissant plus que cendres à l'arrière de cette chair.
    - Je tiens à m'excuser auprès de la famille que j'ai brisé. Je ne souhaitais pas tout cela. A l'époque, j'étais idiot. Je n'avais pas cherché à connaître la suite, à comprendre que mon avenir ne méritait en rien ma passivité d'aujourd'hui. Que finalement, gagner du temps demain en le sacrifiant dès à présent était un mauvais calcul.
    Tu sais, j'ai passé mes années à rêver de devenir quelqu'un. Je veux dire, à être l'un de ceux qui aura le droit d'être un souvenir pour tout le monde, et pour toujours. Une espèce de résurrection bien après ma disparition. Puis j'ai pigé que ça n'était qu'un songe. Alors je me suis tourné vers autre chose. D'abord des amusements humains, ensuite leurs démons les plus malsains. Les premiers virevoltent entre l'ennui et l'anéantissement. Les deuxièmes, entre le pathétique et l'accomplissement. Et, une fois que toutes les possibilités sont épuisées, que tout ce qui peut rallumer l'intérêt est consumé, il ne reste qu'une dernière option : pourrir de l'intérieur avant d'aller pourrir sous terre. Rejoindre la saleté d'un monde sous-terrain. Un monde sur lequel s'en construit un nouveau, hypocritement blanc. Aussi blanc que le visage d'un mort enterré.
  18. Jedino
    S'interroger. Sur le temps, sur la vie, sur l'interrogation elle-même. S'interroger sur les raisons qui font que tout s'érode, que tout passe et se meurt, sur le sens unique de l'écoulement des secondes ou l'intérêt de terminer des vies pour en lancer d'autres. S'interroger sur toutes ces choses, et quelques unes à côté encore aussi. Dans quel but ? Assurément trouver des réponses, se rassurer, en somme.
    Car, en effet, comment concevoir qu'une question formulée ne puisse pas admettre de réponse précise ? Il n'existe de problème que parce qu'il en existe une solution, telle une équation admettant un résultat. Pensée déterministe d'un esprit ô combien cartésien. Tout doit y être ordonné, bien à sa place : l'ordre vaut mieux que le désordre. Il est le seul que nous puissions comprendre, contrôler. Nous serions prêts à effacer des paramètres pour le permettre. La complexité ne mérite d'être étudiée que si elle se simplifie assez pour être appréhendée.
    Et pourtant, nous ne nous comprenons pas. Que ce soit les autres, que ce soit notre personne, que ce soit même notre corps. N'est-il pas idiot que notre corps, notre personne, accepte sans s'insurger de se laisser mourir ainsi, bêtement ? Qu'il se soumette en toute heure, en tout lieu, à l'inéluctable continuité de notre échec ? Alors que chaque jour, depuis tant d'années, il se défend sans relâche contre les intrus voulant l'abattre. N'y a-t-il pas là un paradoxe ?
    Certains l'éludent en donnant une suite à notre fin. D'autres la déposent dans un placard, pensant ne plus jamais la voir. Et les derniers s'y soumettent et s'angoissent de la pensée de ne pouvoir vivre assez. Alors que faire ?
    Peu importe. Peut-être n'est-ce finalement qu'une erreur dans notre raisonnement. Mais cette erreur porte en elle une beauté, celle d'être universelle : que la vie commence après la mort ou qu'elle se termine avec, elle hante l'ensemble de nos cervelles. Ce n'est pourtant qu'une question parmi d'autres. Mais à l'existentiel, complexe par essence, il faut donner une réponse personnelle, à défaut d'avoir la réponse. Personne, cependant, ne se demande si la question elle-même mérite d'être posée.
    En fait, toutes nos craintes découlent de ce que nous estimons certaines croyances comme véridiques : un événement qui commence doit se terminer ; un événement qui commence ne peut qu'aller de l'avant ; un événement qui existe doit consumer quelque chose pour continuer à exister ; ce qui existe est forcément fait de quelque chose ; etc. Ces lieux communs de notre patrimoine culturel, certains étant érigés au titre de lois et de principes, ne sont jamais remis en cause. Et pourquoi le seraient-ils ? Notre état et nos connaissances ne font que confirmer de jours en jours ces assertions.
    Imaginons un peu. Prenons le cas d'un être qui, se savant en mesure d'être conscient parce qu'il est conscient, cherche à connaître le lieu où il évolue (afin, entre autres, de mieux le maîtriser). Puisqu'il ne voit aucun autre être ériger quelques lieux de culte à quelques divinités matérielles ou immatérielles, il lui paraît évident qu'il est le seul à en être capable. La conscience est ainsi définie comme étant la faculté à savoir que nous construisons des objets dits complexes. De fait, son raisonnement l'amène à se considérer comme étant le seul être doué de conscience. Un être qui serait en mesure de marcher sur la tête qui définirait la conscience de cette manière n'aurait aucune difficulté non plus à estimer qu'il est le seul à en être doué : en fait, cela consiste à faire d'une caractéristique particulière, singulière, la description universelle de la caractéristique. Autrement dit, cela a autant de sens que de définir le déplacement d'une chose comme étant uniquement la faculté à avoir deux membres.
    La comparaison ne tient pas ? Vous avez raison. Transposons ce principe à une autre situation. Prenons le cas d'un être qui, cherchant à connaître le monde tel qu'il est (et non tel qu'il le perçoit), ce qui est louable, crée un système lui offrant la possibilité de s'en approcher. Prenons ce même être qui, à force de s'en approcher, a le sentiment qu'il touche de son savoir ce qui est : sa vérité particulière devient dès lors, pour lui, la réalité. Il le confond tellement que les deux termes ne sont à ses yeux que de vulgaires synonymes, remplaçables l'un et l'autre selon son gré. Prenez un tel être, prenez du recul sur sa façon d'être, et vous obtiendrez la même erreur de raisonnement que précédemment : d'une vision singulière qui est la sienne, il cherche à comprendre ce qui est universel ; l'heure d'après, il s'imaginera si proche de ce qui est qu'il fera de sa singularité ce qui est. C'est ainsi qu'arrive les malentendus et les maux, bien entendu : parce que j'ai raison, le tort est ailleurs, et il me faut amener à la raison celui qui a tort.
    Prenez un peu de recul, et vous verrez : toutes nos constructions, toutes nos manies et croyances, tiennent de ce principe. Religion, science, philosophie, banalités et vies sociales : tout se résume à penser l'autre dans l'erreur à travers notre vision singulière, érigeant notre singularité, notre vérité, au trône de réalité.
    Vous comprendrez donc pourquoi je me demande comment un philosophe peut prétendre éduquer un profane ; comment un croyant peut prétendre guider une personne ; comment un scientifique peut prétendre décrire la réalité ; comment un dieu peut prétendre nous conter ce que nous ne savons voir ; bref, comment quiconque, sinon par l'erreur, peut prétendre effacer l'autre sous prétexte d'un "moi" bien méconnaissable.
    Tout cela n'est jamais qu'une intuition, la mienne. Bornée par ma personne, limitée par ma perception, mes croyances et mes connaissances. Mais je me demandais un jour pourquoi je devais considérer que j'allais mourir, comment je pouvais savoir que j'allais réellement mourir avant que ce ne soit effectivement le cas. Aujourd'hui, je ne le sais pas davantage, mais je sais au moins d'où cela vient.
  19. Jedino
    Deux entités. Deux idées. Deux croyances. Je les accepte, dur comme fer. Pire, elles sont moi. En partie, en tout cas. Mais tout de même. Elles sont beaucoup. Leur mésentente est donc problématique, vraiment problématique. Il faudrait que je les concilie rapidement, proprement, afin de rester sur pied, rester ce que je suis. Certes, c'est contradictoire, de vouloir être ce que je suis, finalement, déjà. Seulement, je me sens comme autre. Pas que mes convictions, mon comportement, mon vécu, et toutes ces choses là, me dérangent ainsi faite. Juste que, parfois, je me dis qu'ailleurs, ça pourrait être mieux. Bien sûr, l'ailleurs, ici, c'est pas si loin, vu que tout se déroule en moi. Seulement, j'ai l'impression d'être une distance immense alors que je ne suis... Qu'un. Comment concevoir une distance alors que le départ et l'arrivée sont confondus? Ne me demandez pas, je l'ignore complètement.
    Du coup, j'en ai rêvé, oui, de devenir ce quelqu'un d'autre. Je n'y ai pas travaillé avec ardeur, je ne vous le cacherai pas. En réalité, je n'y ai même jamais songé. De fait, en quoi m'apporte-t-il d'en parler? Je ne sais pas. Il n'est pas toujours bon de chercher des raisons à ce qui, d'apparence, n'en a pas la moindre. C'est au moins une des leçons que j'ai pu tirer de mon existence, jusqu'ici. Leçon que je ne suis aucunement dans mon quotidien, au passage.
    Bref, effectivement, toute cette histoire n'a pas de sens. Et c'est ce qui me motive à poursuivre, pour tout vous dire. Mais ça, je l'ai déjà dit auparavant. Je pourrais considérer, arrivé là, que le titre, le chemin déjà parcouru à travers ces lignes, ne sont que pure vérité, et donc que je ne fais que transcrire ce que je refuse, d'une certaine façon. C'est peut-être un bien, allez savoir. Moi, je vais me contenter d'encaisser une morale à deux balles, parce qu'il faut bien marquer le coup, et que je dois bien user le temps perdu à écrire au moins trois mots, côte à côte, de potentiellement intelligent. Enfin, si j'en étais capable. Car, oui, je suis dans l'incapacité la plus totale de juger ma réalité, et de vous la recracher comme la réalité. Certes, je l'ai déjà fait, je le referai. C'est le propre de ma vie, de nos vies. Sauf, ici, en cet instant, très bref, très niais, très tout, où je prends la décision ridicule d'omettre ce que j'apprécie tant de faire. Parce que bon, faut se l'avouer, et moi le premier : c'est tellement bon de flinguer les autres de phrase à la con, mi-lucide, mi-vraie, sensées les guider à travers le chaos qui englobe leur vie.
  20. Jedino
    « Fais-le donc, tu n’attends que ça! Ne résiste pas, tu sais que ça ne sers à rien. Allez, ne fais pas semblant, car je sais que tu es tenté, que tu irais te laisser prendre à ce jeu bien mérité. Cela ne t’amuses pas? Cela ne te plaît pas, vraiment? Ne me mens pas, car tu te mentirais à toi-même. Inutile que je ne te le répète, que je m’acharne à intégrer cette idée dans ta tête : elle est déjà en toi, n’attendant que le moment idéal pour s’immiscer à la surface et s’exprimer de toute sa force vitale. Ce jour là, tu ne réfléchiras pas puisque que la colère sera au commande, et que la haine remplacera tes émotions. Tu deviendras ce que tu es : un prédateur sans pitié et sans cœur. N’entends-tu pas ton propre rugissement? »
    Tout perdait de sa clarté, de sa couleur, et de sa positivité. Elle paraissait entrer en chacun des objets, des amis, et des étrangers que je pouvais croiser, transformant mon âme sans même me le faire remarquer. Tout allait vers l’obscurité. Combien de fois avais-je cru apercevoir les nuages d’un démon amusé autour de moi? Combien de fois aurais-je à défaire cette réalité pour me maintenir en ce monde désuet? Suffisamment pour ne plus être autorisé à y sombrer.
    Mais je pense que, de tout ceci, rien n’est vrai. Tout est invention de mon esprit, mensonge de mes émotions, manipulation de mes envies. Cette créature inexistante qui m’habite ne me dévore pas plus qu’un corbeau mort perché depuis mille ans à attendre sa proie. En vérité, elle n’est plus qu’un souvenir, une pensée singulière, une dépouille assez forte pour m’affecter toujours aujourd’hui. Chaque cadavre a finalement son poids, et il faut le porter loin avant de n’être en droit de s’en séparer. Cela revient à posséder une chaîne au bout du pieds, et de spéculer sur les raisons qui m’amènent à la garder.
    Heureusement, il suffit de peu pour se libérer, déverser sur le sol toute cette chair pourrie et délavée, oublier qu’un soir ou un matin, il y a eu l’écriture d’un texte délirant afin de tenter d’y échapper.
    J'aurais aimé avoir du talent à l'image de cet homme-là.
  21. Jedino
    Devenir, c'est construire celui que l'on sera demain aujourd'hui. L'avenir. Certains fuient le présent en regardant en arrière. Les autres, vers l'avant. Trop rares sont ceux qui se contentent du maintenant. Peut-être qu'il faut être fou pour cela. Peut-être qu'on ne le peut tout simplement pas. Je ne sais pas.
    Si tu veux devenir quelqu'un, tu dois travailler assidument, montrer que tu pourrais être plus qu'un des sept milliards de ton espèce, c'est-à-dire, celui qui les mène. Etre quelqu'un, c'est avoir du pouvoir sur un autre, c'est passer du stade de celui qui est commandé à celui qui commande. Ils ont sûrement raison, ceci dit. Je ne comprends pas assez le monde pour savoir ce qu'il vaut, ce qu'il est. Mais, si je devais m'exprimer, je crois que jamais je n'irais penser qu'être quelqu'un, c'est autre chose qu'être soi.
    Encore faut-il savoir ce que c'est que cela. Ne me le demandez pas, je ne saurais pas vous répondre.
    En tous les cas, je vous conseillerais de remplacer "devenir" par "être". Les plans d'avenir n'ont pas lieu d'exister. Faites-les exister. Donnez-leurs corps. Vous savez bien que le futur n'attend qu'une chose, c'est de pouvoir se montrer, non?
    Voilà pourquoi je dis et sais que je n'ai aucun avenir, mais que j'ai au moins le mérite d'avoir été. Chacun ses petits plaisirs, sa façon de se supporter.
  22. Jedino
    Notre héros, homme charmant et intelligent, capable de discerner les traits d'esprit et les âmes qui méritent une quelconque attention. Bref, il appartenait à ces rares qui savent tout avant même de le savoir. Vous l'aurez compris, c'est un génie. Ne vous étonnez donc pas si, par la suite, ses attitudes, réactions et comportements vous échappent. Il faut être d'une espèce tout à fait supérieure pour comprendre que les questions les plus essentielles ne sont jamais les plus existentielles. Voyez plutôt.
    Alors qu'il quittait sa modeste demeure, car la modestie est l'essence même du génie, il s'arrêta, estomaqué, alors qu'il s'apprêtait à fermer à clef la serrure de sa porte. Il se sentit transporté, tout d'abord, par l'idée qui le transcendait là : à quoi bon tout fermer, toujours, tout le temps. Et dès lors, insérer la clef dans la serrure l'exaspérait au plus haut point, au degré le plus noble qui soit. Car enfin, à quoi bon se fatiguer chaque jour, plusieurs fois (inutile de vous dire que le geste se fait par paire : ce qui se ferme s'ouvre, et ce qui s'ouvre se ferme), quand il serait possible d'économiser ces gestes vains et lassants? Immédiatement, pour ne pas dire avant même que la question ne se pose consciemment en lui, les raisons les plus diverses, les explications les plus complexes, avait émergé comme si elles avaient toujours été là, attendant le moment pour se montrer. Par décence, je ne les exposerai pas ici. Je me contenterai d'ajouter qu'il décida, à partir de cet instant, de ne plus jamais s'encombrer de ces actions.
    J'ignore si vous parvenez à en comprendre et l'origine, et l'intérêt, mais pour ma part, cela m'échappe. Toutefois, si vous êtes en mesure de saisir cela, vous êtes probablement l'un des membres de cette caste si précieuse à notre bonne humanité, et vous trouverez alors ce propos tout à fait ridicule et risible. Excusez-m'en, donc, n'étant qu'un humble parmi les humbles. Mais continuons notre petit voyage. Non, encore un ajout, avant cela : deux mois après sa nouvelle habitude, il rentra un soir pour constater que sa maison avait été réaménagée par de généreux inconnus qui y libérèrent l'espace. Vous n'auriez pas tort si vous songiez, là, qu'il en fût heureux : il voyait en cela l'idéal du partage.
    Il rencontra, un beau jour comme ils le sont tous, même ceux semblant laids au commun des mortels, un de ces mortels, précisément. Quel choc! Quelle curiosité! Il crût être tombé sur un chimpanzé ayant sût s'échapper de sa cage tant ce corps qui lui ressemblait en apparence manquait, en réalité, de profondeur. Il tenta vainement de lui parler de quelques sujets dignes d'intérêt, resta perplexe, puis horrifié, face à un tel hermétisme. Lui vînt alors l'image, la fameuse, celle où il se vît à sa place de son interlocuteur, celle où il serait, à son tour, aussi haut qu'un arbuste et intelligible que le discours d'une huître. Il se sentît très mal, de ces maux qui ne sont connus que par les plus grands, de ces maux non véritablement réel mais davantage virulent. Les génies qui liront, s'ils s'abaissent une heure à me lire, comprendront sans aucune difficulté de quoi je veux parler ici, bien que maladroitement. En tous les cas, leur conversation, c'est-à-dire d'un échange de politesses, s'acheva, ô fort gentiment, par le départ de notre cher ami qui ne supportait plus de parler tout seul. C'est qu'un homme de qualité apprécie les discussions qui ont une portée, un sens, ce quelque chose qui donne du poids à l'ensemble.
    Bref, quand le commun voyage ailleurs, le génie voyage au milieu des idées. Ne soyez ainsi pas surpris si, dans votre vie, vous croisez la route d'un de ces êtres surplombant, très au-dessus de nous, notre monde. Vous penserez, et ceci est inévitable, qu'il est un pédant. Ce n'est pas de la jalousie, uniquement une réaction logique, très humaine chez nous la masse. Mais nous sommes cependant en train de fauter : parce qu'il est trop sublime, nous ne réussissons pas à voir clair. Ne vous blâmez pas pour autant : nul n'a choisi d'être idiot, et il n'est pas mal de l'être. Seulement, il vous faudra admettre que vous l'êtes, et que le génie, lui, fait le choix de l'être. Ne cherchez pas à trouver la raison qui le justifierait, votre intellect n'est pas assez élevé pour appréhender la réalité d'une liberté si parfaite qu'elle offre le choix d'être autre. Ne cherchez pas à la trouver : cela se fait alors même que vous ne pensez pas encore, quand vos attentes et vos tourments se tournent vers ce qui occupera votre existence, du début jusqu'à la fin. Le génie, lui, pense déjà, en cette période-ci. Il pense avant même de penser, et sait avant même de savoir. Comment donc s'étonner, alors, qu'il sache qu'il lui faut être ce qu'il sera avant même qu'il ne le soit?
    Résumons, résumons. N'est pas génie qui veut, mais est génie celui qui veut avant même de vouloir. Si vous y voyez un paradoxe, une contradiction, une ânerie ou un caprice de l'imagination, vous appartenez sûrement aux bonnes gens. Si vous y voyez que clarté, qu'évidence, j'ai le bonheur de vous apprendre ce que vous avez déjà en connaissance : vous êtes l'un d'eux.
  23. Jedino
    Mort, serre-moi à toi ; --------------------- Que Vie soit donnée



    Pour que je garde foi ---------------------- A l’erreur passionnée :



    Mène-moi en l’endroit ---------------------- Où l’or est trop sacré



    Que tu prendras pour toit ---------------------- Un vain espoir damné



    Par l’ode de tes lois. ---------------------- Ne pourrait y rester,



    Car à présent j’assois ---------------------- Tel un vieux chevalier



    La torpeur de ces mois ---------------------- Qui cherche à s’en aller



    Dans un triste parfois… ---------------------- Vers un nouveau foyer.


  24. Jedino
    J'me suis dit : "et si tu écrivais une histoire, ces trucs un peu chiant". Mais pour raconter quoi? Ma vie? Je sais bien que la mode consiste à tout dire sur soi et à s'imaginer, en plus, intéressant. "J'avais treize ans, j'ai eu une mauvaise note, j'ai été traumatisé." Merci, vraiment. Voilà ma vie changée. Une histoire? Tout a déjà été chanté. Il suffirait de se souvenir un peu. Et quand l'un parvient à trouver l'infime qui n'a pas été abordé, il est hué, mis en cage, et expédié assez loin pour ne déranger personne. Des idées? Mieux vaut encore jouer aux cartes. Flaubert n'avait pas tort : l'idéal serait d'écrire sur rien. Voilà une source inépuisable, une terre inexplorée et fertile. Seulement, comment écrire sur rien, sinon en n'écrivant pas? Les plus grands poètes seraient-ils ceux qui, plutôt que de l'écrire, la font vivre à travers eux? Une poésie vivante, mouvante, faisant éclore des amours et des peines? Allons, essayons.
    Z. ne voulait pas autre chose que s'ennuyer, aujourd'hui. Et comment mieux s'y prendre qu'en s'adonnant à l'inactivité? Il trônait sur son banc comme un monstre sur la peur. Tout son zèle finissait dans cet enseignement de patience et de beauté. En philosophe, il songeait à ce qu'était la vie, en ce qu'elle se définissait par son mouvement, par l'action. Peut-être se trompaient-ils. Peut-être que la vie tenait davantage dans le retirement de sa nature, de son inclination à toujours s'agiter. Erreur! s'indigna sa volonté. Penser est déjà se tromper, poser le premier jalon du faire. Alors, cessons. Il était assis, il regardait sans regarder. Cela était de trop. Il ferma les yeux. Se mît droit. La vue s'était tue. Si les bruits agressaient ses tympans, il en oubliait la contenance et la provenance. Son ouïe ne voyait plus. Sa bouche, fermée, ne goûtait pas la saveur d'un air pur et corrompant. Ses narines, éteintes, manquaient de respirer. Et, enfin, son toucher, qui flirtait avec le sol et le bois, s'estompait à mesure qu'il quittait ce monde.
    Arrêtons. Cela est faux. Parler de quelqu'un, c'est déjà parler de quelque chose. Je ne vois qu'une solution, radicale, pour s'en approcher.
    Le caillou se tenait là, immobile, attendant avec apathie que le temps érode son dos. Il est vrai qu'il souffrait grandement de sa condition, usé qu'il était par les innombrables écrasements qu'il subissait depuis les centaines d'années qu'il trainait là. Elle l'avait pourtant déplacé, depuis, le mettant un peu de côté par rapport au chemin. Mais enfin, tout ceci n'était plus de son âge. Il laissait volontiers sa place à la jeunesse qui tardait à venir. Pourquoi? Il l'ignorait. En réalité, il ne pouvait pas même y songer. Je ne compte pas parler pour lui pour autant. Il a choisi ce qu'il a choisi. D'ailleurs, alors que je me promenais rêveusement en forêt, il m'expliqua, à mon passage, qu'il attendait son heure. C'est là que je pris conscience que plus nous bougeons, moins nous durons. Plus nous y pensons, moins nous le supportons. Je lui proposais d'écrire sa vie. Il me répondit qu'il n'en avait pas à conter, que toutes ces choses n'étaient bonnes que pour nous, les êtres à pieds. J'insistais cependant, et il me fit une concession, le résumé d'un millier d'ans : ma vie est attente. Je compris alors que j'étais bien parti pour durer, moi aussi.
  25. Jedino
    Je ne sais pas pour vous, mais l'affirmation "Je suis un philosophe" à tendance à me déconcerter. En effet, à quel moment peut-on dire, sait-on, en fait, que nous sommes, au sens fort du terme, un philosophe ? Est-ce parce que nous sommes parvenus à écrire une oeuvre à teneur philosophique, ou bien plutôt plusieurs ? Est-ce plutôt davantage un ressentiment, une sorte d'accomplissement qu'on estime avoir atteint et qui correspondrait à une définition plus ou moins claire de ce qu'il est ?
    Il faut déjà définir ce qu'il est. Il n'est pas un sage, ou plutôt celui qui est en quête de sagesse, en tout cas en son sens moderne. Il est plutôt du côté de celui qui parvient à raisonner et conceptualiser selon une certaine rigueur. Autrement dit, un scientifique. Et il est vrai que nombreux sont ceux qui ont eu cette double étiquette. Je ne fais pas apparaître tous le champ des possibles, mais on comprend vite que le problème est de savoir ce qu'est être philosophe (pour cette personne).
    Mais plus encore, ce qui me gêne, c'est cela : "Chacun est capable de philosopher, mais tout le monde n'est pas philosophe". Il y aurait donc différents degrés dans la manière de philosopher : celui qui, apparemment, fait de la philosophie basse, commune et banale. Bref, l'homme du quotidien qui se demande s'il est heureux un beau matin d'hiver, sujet à une petite dépression saisonnière. De l'autre côté, on peut trouver celui qui philosophe "à la dur", le spécialiste, l'homme capable de jongler avec des concepts des plus abstraits et métaphysiques. Bref, un homme qui tel un albatros voit le monde de loin et le décrit tel qu'il est.
    En allant plus loin, on nous dit que la vraie philosophie, la sérieuse, est la deuxième, celle-là même qui est la plus éloignée de la vie et de ses événements. N'oublions pas ce principe d'objectivité qui est proportionnel à la distance prise avec la situation. Autrement dit, ce personnage exceptionnel, indépendant de toute situation, est plus à même de ne pas impliquer ses passions dans un exercice qui demande la raison. On voit là que ça ne tient pas : le fait même de se prétendre philosophe, en opposition à d'autres, est une auto-exclusion (pour ne pas parler d'un mépris sourd) de tous ceux qui sont en face. "Moi, je suis capable de raisonner (justement). Et donc c'est moi qu'il faut écouter".
    Pourtant, quelqu'un qui est capable de prendre avec hauteur, avec philosophie, un drame de la vie ou que sais-je d'autres, n'est-il pas lui aussi un philosophe ? Parce qu'il a justement su prendre de la meilleure des façons ce qui pouvait l'être autrement, moins "heureusement". Certes, il n'aura pas écrit une "Critique de la raison pure". Certes, il n'aura pas davantage discuté longuement sur des concepts allant de la monade à la liberté. Et certes, il n'aura pas été débattre avec d'autres grands philosophes de toutes ces questions (?) là.
    Mais si je peux me permettre un avis, philosopher ne consiste pas à se poser des questions sur tout. Non, c'est se poser les bonnes questions sur chaque chose, et seulement si elles se posent. Douter est le meilleur des ciments pour qui cherche à s'endurcir droitement. Il faut cependant veiller à ne pas y être excessivement d'eau, sinon l'oeuvre à construire ne tiendra jamais. Par mes lectures, par mes conversations, je me rends compte que nous aimons les concepts globaux, les idées, en un mot : l'abstrait. Pourtant, il me semble que le but premier de la philosophie n'est pas d'enfumer un sujet par d'autres concepts nouveaux, mais bien d'éclaircir ou de corriger ceux qui existent déjà. Autrement dit, c'est avoir une démarche utile et constructive devant mener non pas à savoir quel terme abstrait décrira le moins mal ce qu'on connaît, mais qu'est-ce qui, dans cette description, est vrai, c'est-à-dire au plus proche de ce qui est. Et c'est par cette recherche de l'être, et uniquement de celle-ci, que j'apprends sur qui je suis ou peux être, et non pas en discutant sur ce que pourrait être le monde, chose qui correspondrait à rêver de ce que j'aurais pu être si j'avais été, paraît-il, parfait.
    Enfin bon ! Ne lisez pas trop sérieusement toutes ces choses, je ne suis pas un philosophe.
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