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Criterium

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Messages posté(e)s par Criterium

  1. Le mensonge le plus sucré :

    Écrit dans mon cœur à la craie,

    Mots doucereux que tu créais,

    Peut-être — criais — mi-avoués.

    Il pleut sur nous.

    Quelques vers, peu d'envers,

    Et des averses bien sèches.

    Tantôt sur la montagne,

    Les restes d'une aventure ;

    C'est la sublime Nuit.

    Tu partais à la pêche,

    Et moi compagne-ou-brodure,

    Les yeux pleins de suie.

    La ville-kaléidoscope

    Pour remise à l'eau,

    Les procopes

    Les syncopes

    Les benthiques.

  2. Dans ce cas le mystère restera entier... l'imagination seule nous indiquera à quel point ces cinq minutes auront été fatidiques. Ceci-dit, l'agence a écrit "expressément recommandé" plutôt qu'une interdiction claire, et nous n'avons pas souvenir d'une signature d'un document d'assurance contre les dommages corporels ou d'une décharge de responsabilité, donc : ils ne risquent rien, c'est sans doute juste l'agencement de la demeure qui fait que les coups de vent semblent ululer comme un fantôme qui chantonne.

    Exercice littéraire : imaginez l'avis TripAdvisor que ce couple écrira à la fin de la semaine. — « Envoûtant, un séjour inoubliable ! Les dalles de la tour sont un peu froides, mais le fantôme de minuit très sympathique. 10/10, nous reviendrons avec grand-mère. »

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  3. — « Oui mon amour, passons une semaine dans un château médiéval où il s'est passé d'horribles choses historiques et ce château serait hanté ! »

    Une idée de date terrifiante, mais c'est quelque chose d'original pour raviver la flamme !

    Que va-t-il se passer ? Est-ce le cri de Paul qui, n'ayant pas mis ses chaussons, s'aperçoit que la pierre peut être très froide ? A-t-il fait choir la torche aux latrines ? Ou est-ce... que, peut-être... l'un de ces fantômes historiques n'aurait pas décidé de lui chuchoter quelques mots, d'une voix d'outre-tombe, derrière l'épaule - ou entre deux ombres... ?

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  4. Qui a gagné, qui a perdu ?

    Il était une fois l'histoire de Monsieur Jean. Tous les samedis matin il se rendait au marché, parcourait les mêmes routes, saluait les mêmes vendeurs pour acquérir les fruits et les légumes du jour. Sur le chemin du retour, avant de rejoindre Dame Jeanette, il y avait bien le temps pour une pause. Retrouver la compagnie au PMU, le Thierry, le Christophe ; absorber une dose — une seule ! — de l'élixir local, la "mirabelle". Ils discutaient et refaisaient le monde. C'était aussi l'occasion d'à chaque fois tenter sa chance avec les mêmes numéros.

    — « Jean a gagné, aujourd'hui. »

    La blague. Pourtant, ce samedi-ci, elle ne sonnait pas comme une plaisanterie. Car les numéros-fétiche avaient été les bons. Monsieur Jean devenait millionaire.

    Il s'aperçut rapidement que les conversations des samedis d'après ne sonnaient plus de la même manière ; le point d'orgue se décalait, des pauses et des silences s'invitaient, et puis des regards — comme s'il n'assistait qu'à la moitié des conversations. Oh, pour sûr, l'on abordait les mêmes sujets, comme avant ; et si Jean de lui-même mentionnait l'événement, l'on commisérait de bon cœur, lorsqu'il partageait ses soucis de gagnant : — par exemple, la découverte que le million était payé en versements échelonnés, que le fisc percevait ses larges parts. L'on était content pour lui, lorsque, aussi, Jean mentionnait commencer à renouer avec sa fille et son fils, tous deux partis du nid il y a bien longtemps. Qu'il était agréable de recevoir à nouveau ! Il payait avec le plaisir, sachant que ceux-ci, avec la crise, ne vivaient plus dans les mêmes conditions qu'avant. Certains dirent même que ces deux-là avaient décidément gagné eux aussi.

    Les semaines passèrent. Pourquoi eut-il pourtant l'impression que malgré ce bonheur partagé, il semblait que tout le monde s'éloignait les uns des autres ? Les comparses paraissaient toujours sur la retenue ; certains samedis, il se dispensait de l'élixir de longue vie, se contentant d'un signe de main amical auquel les autres répondaient par un demi-sourire. À la maison, Jeanette passait le temps à décider quelle croisière ils devraient faire. Le fils et la fille vivaient à nouveau dans le nid familial ; ils s'évitaient tous dans les couloirs, et parfois il semblait même que les deux se disputaient pour des broutilles. Le pécune était pourtant devenu bien maigre une fois les diverses taxes payées. Il était généreux et n'hésitait pas à donner, mais il aurait préféré tout placer dans une SICAV, laisser fructifier les intérêts pour ses petits-enfants... Arrêter et revenir à la vie d'avant, que tout reste simple. Que le cadeau soit pour s'assurer l'avenir des plus jeunes de la famille.

    Au lieu de cela, les disputes devenaient plus fréquentes. Lorsqu'un soir il eut l'audace de mentionner ce plan aux autres, le toit ne fut plus le même. Jeannette faisait chambre à part. Sa fille ne lui adressait plus la parole. Son fils répondait en énigmes. Au PMU, l'on écouta son dilemme avec des airs circonspects. Personne ne le croyait sans doute, lorsqu'il devait expliquer que depuis ce samedi où il avait tout gagné, tout était allé à vau-l'eau.

    Il avait tout gagné, et pourtant il avait tout perdu.

    Le pactole avait rapidement fondu. Ainsi, le fils et la fille avaient la même impression : eux aussi avaient tout perdu, tout ce auquel ils pensaient avoir droit.

    À la maison, le silence pesait.

    Seul un oiseau entonnait un joli chant.

    Je crois que c'était un merle.

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  5. J'arrive bien tard pour dire que oui, @Crève, ce serait un plaisir de découvrir d'autres exercices de l'atelier que tu partagerais avec nous.

    Quelques classiques : - chacun choisit une photographie, et quelqu'un d'autre s'en inspire pour écrire une petite histoire en quelques paragraphes. - piocher au hasard deux thèmes, ou encore quelques mots. En général tout ce qui nous force à ne pas planifier l'imagination, mais à s'y jeter sans réfléchir quitte à devoir le faire par contraintes. - écrire (ou résumer) une histoire en deux phrases seulement. Si c'est un résumé, on peut aussi le passer à quelqu'un d'autre ne connaissant pas le matériau original, et i∙el en ré-écrit une petite histoire. - imaginer une scène oubliée dans un film : une scène parallèle, entre deux autres.

    Et puis, évidemment, toute démarche poétique.

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  6. Quelques lectures récentes.

    Dark Passage de David Goodis. Le titre français est Cauchemar, ce qu'à la fois je comprends mais qui ne donne pas la même impression. Roman noir débutant avec une échappée de prison, écrite à la première personne, dans un style particulier et prenant. Je ne sais pas si la traduction y fait justice (l'ayant lu en anglais) ; on y ressent les pensées confuses et la démarche, haletante, du fuyard, tout en gardant le style fluide. Petit à petit l'on apprend qu'il n'était sans doute pas coupable du crime — mais coupable d'être seul. Différent. Un thème récurrent chez Goodis. Il y a eu une adaptation cinéma en 1947 avec Humphrey Bogart, sous le titre des Passagers de la Nuit (titre meilleur), que je n'ai pas encore vu. Le livre, en tout cas, est vivement recommandé à tous les amateurs de roman noir et domaines proches (détective, policier, psychologique, etc.)

    Psychologie et Alchimie de C.G. Jung. Une re-lecture avec des re-découvertes. Mais c'est bien l'époque où il rattache chaque détail de la logique du rêve de l'un de ses patients indirects à la trame dont il est lui-même l'un des tisserands, si ce n'est le principal. On alterne entre surprises parallèles et parallèles sur-pris. Toutefois il est toujours plaisant de lui pardonner, les soirs de pleine lune, et de murmurer avec lui quelques mots latins provenant d'un vieux grimoire. Ceci étant dit, j'adhère à la thèse d'une dimension psychologique de l'alchimie ; en revanche, elle me semble être plus que cela, et plus qu'une collection d'archétypes partagés. mehr als nur — ce qu'il ne désavouera pas, étant donné le premier chapitre où il fustige le nur.

    Aventures d'Idées par A.N. Whitehead. Ce livre-là, plus difficile d'en parler. J'ai décroché ; le style est vraiment lourd, et soit je comprends mal, soit l'exposition est cryptique au point d'être désorientante. Je me console en apprenant que beaucoup d'autres me rejoignent et ont du mal à le lire. J'ai ouï-dire qu'on lui a proposé une chaire de philosophie pour la simple raison que d'autres philosophes ne comprenaient pas sa pensée — somme toute : un aveu. Peut-être re-tenterai-je l'aventure après avoir lu Procès et Réalité en guise de préambule ; mais même avec cela, certaines grandes déclarations très euro- et classico-centrées sont difficiles à lire telles quelles en 2022, et reflètent plus son encadrement culturel que des vérités indiscutables. Les haut-voltigeurs de la section philosophie se feront leur propre idée.

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  7. Le 11/03/2022 à 16:28, Gouderien a dit :

    J'ai lu "Le Grand Dieu Pan" il y a très longtemps. Machen est une sorte de précurseur de Lovecrafr. Un "petit maître anglais" du fantastique, comme il en existe plusieurs (M.R. James, Algernon Blackwood etc.)

    En effet ! C'était comme cela que j'avais découvert ce nom, et qu'il était sur ma liste d'auteurs à découvrir depuis si longtemps. J'avais lu il y a longtemps quelques nouvelles d'Algernon Blackwood (avec "John Silence"). Par contre, rien de M.R. James pour l'instant  — merci de ta suggestion ! :)

     

    Ces temps-ci, j'ai juste lu quelques autres romans de Ross MacDonald - et de son détective à Los Angeles.

    The Instant Enemy et The Goodbye Look, qui m'ont moins plu que le premier, Black Money. Je pense que c'est parce que dans ceux-ci, il y a une tentative d'insistance sur un côté psychologique — dans les deux cas, des jeunes adultes qui fuguent pour redécouvrir un passé secret et sanglant — mais qui malheureusement ne convainc pas tant. De plus, il y a parfois beaucoup de personnages, dont les liens familiaux et alias sont un à un découverts ; et la complexité qui en résulte n'est pas un problème en soi, mais rend difficile à percevoir comme réaliste le fait que le détective en découvre avec aisance la totalité, rapidement et avec peu de confusion. Mais cela reste des lectures plaisantes. Je suis maintenant en plein dans The Underground Man, qui semble plus prometteur et me plaît déjà plus.

    Bientôt, dans le thème détective américain, je découvrirai David Goodis.

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  8. J'ai lu le Grand Dieu Pan, d'Arthur Machen.

    Ça fait plus de dix ans que je pensais à le lire, mais je ne trouvais jamais d'édition qui me plaise particulièrement. Et enfin — cela valait le temps d'attendre, puisque Hippocampus Press vient d'éditer ses œuvres complètes en 3 volumes. J'ai acquis le premier, qui contient cette nouvelle, certainement sa plus connue. Verdict : à raison ! Un très bon récit psychologique et horrifiant, une jolie plume. La bonne surprise également que ce Pan n'est pas celui qu'on croit... plus subtil, mieux mené.

    Par contre, les quelques autres nouvelles de Machen que j'ai pu lire ne m'ont pas captivée. Il a un style assez particulier, que je décrirais à peu près comme de l' "imitation-Poe". Autant sur Pan c'est le meilleur aspect de ce style qui ressort, autant sur d'autres nouvelles (the Spagyric Quest of Beroaldus, A Remarkable Coincidence, etc) cela tombe à plat et la forme devient creuse. Un auteur inégal donc — mais je lirai sans doute le reste de ses écrits, ne serait-ce qu'une seule fois, pour me faire une meilleure idée. Peut-être que ses autres textes plus célèbres (The White People, the Hill of Dreams) seront eux aussi captivants.

    Il y a 9 heures, Crève a dit :

    en anglais, bien sûr :)

    :bienvenue:

     

    Le 05/02/2022 à 09:28, cry baby a dit :

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    Du coup, je l'ai lu. — L'histoire est évidemment horrible. Par contre on a envie de le secouer sans cesse. Dès le début il y a des red flags partout, et lui semble complètement aveugle. Il tait complètement les raisons l'ayant amené à rester avec Nadia/Zakia, et ce bien avant qu'il ne se fasse séquestrer... Il est particulièrement timide, introverti, sa seule expérience étant un flirt platonique avec une jeune fille marocaine — coupé court par la famille. L'on devine qu'il devient modérateur d'un forum internet dont l'on ne devine qu'à demi-mot que c'est un site de rencontre, il y rencontre une autre femme franco-maghrébine et dit lui-même que cela lui rappelle son idylle, jusqu'à ce qu'ils se rencontrent — il s'aperçoit alors que c'est une trentenaire sans emploi mère célibataire de deux enfants qu'il trouve laide et à la "démarche de camionneur". Pourtant il reste et ainsi commence leur histoire. Progressivement de plus en plus sordide. Par contre je trouve dérangeant qu'il ne détaille jamais ses raisons, surtout au début ; il place aisément le blâme et le jugement (compréhensible vu l'histoire) mais ne décrit jamais ses propres mécanismes l'ayant conduit à se mettre dans cette situation pas simplement malgré lui mais dans une recherche à la fois (i) de perte de virginité — un motif qu'il tait mais qui clairement le travaille — et (ii) de l'humiliation permanente, qui donne l'impression d'un psychisme équivalent à celui d'un bout de bois.

    Je ne dis pas ça pour excuser la psychopathe. (Trigger warning : une histoire de chaton, qui entraîne la rage).

     

    Autres lectures récentes : une grande plongée dans les romans noirs. Raymond Chandler : The Long Goodbye — dans lequel une investigation a priori secondaire (retrouver un écrivain perdu, probablement ivre mort dans une maison de repos) se révèle posséder les clefs de la disparition d'un ami du détective Philip Marlowe. Une enquête riche en personnages, très plaisante à découvrir, même lorsque l'on se doute que certaines pièces disparates du puzzle vont s'emboîter bien plus tard et que c'est un peu trop riche en coïncidences. Dans l'ensemble un excellent roman — et avec des touches sympathiques de l'argot américain (côte ouest) des années cinquante.

    Autre Chandler : Playback. — Philip Marlowe est engagé par un client anonyme pour suivre une jeune femme à la gare. Il s'avère qu'il n'est pas le seul. Ce roman-là est à mon avis beaucoup moins bon ; assez confus, un peu rocambolesque, et les fils s'emmêlent.

    Ross MacDonald : Black Money. Un excellent roman noir, captivant, avec un bon rythme qui donne envie de le lire d'une traite. Le détective Lew Archer est engagé pour recueillir des informations sur un homme étrange venant d'arriver dans une petite communauté huppée, et qui dit être un exilé politique français immensément riche — ce qui expliquerait peut-être sa paranoïa. Mais l'on s'aperçoit vite que ça ne peut pas être le cas ; retracer son parcours et la raison pour laquelle il est venu ici va vite réveiller de vieilles et bien sombres intrigues — y compris un suicide vieux de sept ans et qui peut-être n'en était pas un.

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    (Sur cette photo on dirait qu'il a la tête d'Udo Kier...)

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  9. J'ai revu Eyes Wide Shut.

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    Cela l'a confirmé dans ma liste de films préférés.

    Toujours aussi captivant ; des jeux d'ombres et de lumière ; l'atmosphère onirique lors d'une nuit sans fin, et toute l'ambiance mystérieuse à laquelle je suis particulièrement sensible. Le jeu d'acteur est très bon, subtil, particulièrement lors des déchirures de ce couple en proie aux doutes et à l'infidélité — cela se perçoit même mieux encore en l'ayant vu plusieurs fois. C'est cette spirale qui donne toute sa force aux scènes qui sont souvent retenues comme étant l'acmé de ce film — le doute, les erreurs, le fait de se retrouver là où l'on ne devrait pas.

    Pour ceux qui n'ont pas vu ce film — vivement recommandé. Plongez-y vous si possible sans lire de synopsis ou de description, car même ceux-là ont souvent des spoilers. Un couple aisé vit à New York, avec leur jeune enfant. Bill (Tom Cruise) est docteur, et compte parmi sa clientèle des patients particulièrement riches. C'est ainsi que ce soir, comme chaque année à l'approche de Noël, ce couple est convié à une soirée mondaine. Celle-ci sèmera — ou plutôt verra éclore ? — de nombreux doutes dans leurs esprits ; des frissons ; des "...et si ?"

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  10. Je viens de finir le roman Moonchild, écrit par Aleister Crowley.

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    C'est étrange et très inégal. En général on connaît Crowley comme "magicien", début XXe, avec une réputation très sulfureuse mais pourtant une influence énorme sur tout ce qui touche à la magie et l'ésotérisme dans le monde anglo-saxon — beaucoup moins en France. En même temps on s'aperçoit vite que d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique, peu de monde finalement ne l'a lu. Le plus souvent, c'est par l'une de ses productions magico-poétiques pas toujours convaincantes, aimant à s'admirer, jouant sur l'ambivalence, sans forcément que la danse hermétique ne soit suffisamment légère. J'avais lu le Book of Lies par exemple, avec une sensation de creux malgré une forme ciselée.

    À côté de cela, il a écrit beaucoup de nouvelles de fiction, principalement des enquêtes parfois psychologiques et parfois psychiques, centrées sur le personnage du détective/devin/magicien génial, Simon Iff — évidemment une projection à peine voilée de lui-même. Dans ce roman, ce  même personnage est présent — cette fois non pas sous ses habits de détectives mais plutôt dépeint comme un grand sage, stoïque et taoïste à la fois, à imaginer alternant entre le smoking et la toge de magicien — et paraît même s'être dédoublé, en le "héros" magicien blanc Cyril Grey, lui aussi une projection transparente de Crowley, celle-là en plus jeune, version plus impétueuse, également gommée de ses défauts et qui pourtant reste encore souvent antipathique. Il faut passer outre des personnages pour suivre l'histoire.

    L'histoire suit une sorte de lutte à distance entre un groupe de magiciens blancs (nos héros) et un groupe de magiciens noirs — ceux-là aussi des adaptations transparentes d'occultistes et de personnages de l'époque, côtoyés par Crowley, et qu'il crible de défauts et d'horreurs — une lutte se centrant sur une expérience magique : ritualiser une conception sous le signe de la Lune, tant et si bien que l'enfant ne sera pas une âme réellement humaine, mais une incarnation lunaire, une âme astrale, qu'il s'agit de "capturer" par ce biais comme s'il s'agissait d'un papillon. Le véhicule choisi étant l' "héroïne", Lisa la Giuffra, une femme qui passe tout le roman en étant manipulée par tous les autres personnages, dans une passivité étonnante, subjuguée par telle ou telle magie, et qui au final montre assez bien que Crowley ne semble pas pouvoir écrire de personnage féminin.

    Le roman suit ces péripéties, depuis la rencontre entre Cyril et Lisa à Londres, des aventures à Paris mêlant spiritisme et arnaqueurs, le long rituel en Italie, les tentatives presque comiques de la Loge Noire pour contrarier celui-ci, avant de revenir en France alors que commence la Première Guerre Mondiale et que les événements contemporains rappellent chacun au monde réel — les magiciens blancs combattant pour les Alliés, et les magiciens noirs pour la Triplice. Ces passages sont très inégaux ; le style de Crowley est châtié et emploie l'humour british sans arrêt, ce qui parfois marche (par exemple au début, lors d'une fausse séance de spiritisme, ou à la fin, dans leurs aventures avec les services de renseignement) et parfois beaucoup moins. Il y a évidemment aussi de longues digressions sur la magie, principalement sur la magie sympathique et les règles de retour. On pourrait penser qu'au vu des intérêts de l'auteur, le cérémonial italien serait la force du livre ; j'ai plutôt trouvé que c'était le passage le plus long et le plus ennuyeux.

    Dans l'ensemble j'ai eu une impression similaire à celle ressentie en lisant les romans de Péladan (l'humour phlegmatique et forcé en moins) : récit chaotique, inégal, une étrange alternance entre passages ennuyeux, avec des pointes de misogynie çà et là, mais avec parfois aussi quelques lignes fulgurantes qui font plaisir et/ou penser, méditer, et qui justifient ces excursions dans ces vieux romans bizarres.

    Finalement il n'y a à peine quelques pages sur l' "Enfant de la Lune" résultant de l'expérience ; on apprend juste que l'enfant aurait été ramené aux Etats-Unis par la théosophe Vittoria Cremers juste avant la Guerre. Comme le roman aurait été écrit vers 1917 à New York, peut-être que Crowley pensait à quelqu'un de particulier comme étant cette âme lunaire ; ça ne m'étonnerait pas s'il s'avérait qu'il utilisait cela comme une technique de drague dans la haute société new-yorkaise de l'époque. Autre chose intéressante, quelques références à des scandales ou à des faits géopolitiques de l'époque (crise de Fachoda, affaire de Saverne, affaire Humbert, affaire Steinheil, scandale de Panama, etc.).

    Verdict : moyen-bof.

     

    Le 04/02/2022 à 09:27, .iO a dit :

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    Je l'ai trouvé dans une décharge alors pourquoi pas et j'avais déjà entendu son nom.

    Comment ça qu'est ce que je fichais dans une décharge...?

    Comment c'est ? Tu recommanderais ? :)

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  11. Eil et iel.

    Eil ouvrit les yeux, étonné∙e que déjà la pièce fût imbibée de la lumière du soleil. Était-iel neuf heures, dix heures ? Un pincement au cœur lui parvint avant même l'envie d'un café : était-iel trop tard ? Iel devait lui laisser un message ce matin. ≪J'espère ne pas manquer notre rendez-vous ! ≫ — sa seule crainte. L'écran de l'ordinateur scintille. La machine, déjà âgée, prend son temps avant d'apporter la réponse.

    Eil est impatient∙e : ≪ Est-iel déjà en ville, enthousiasmé∙e par notre rendez-vous, et maintenant que les minutes passent, déçu∙e, irrité∙e, fulminant∙e même, contre moi ? ≫

    Enfin, la messagerie. Un clic et le message. — C'était Lui, c'était Iel.

    — ≪ Mon∙ma tendre partenaire latinx, mon∙ma philadelphe, ce sera un plaisir que de Te rencontrer et que nos facettes s'intersectent. Dix heures te semblent-iels un bon choix ? J'espère que Tu seras éveillé∙e ! ≫ - Signature : "Ton∙ta trans transi∙e". Quel joli mot doux.

    Un regard vers la montre. Dix minutes ! — Tout est encore possible. Son petit cœur à eil palpite.

    Eil verra iel au jour du jour d'aujourd'hui.

    :)

  12. Je l'ai rencontré un samedi soir :

    Le poète aux œuvres et heures noires,

    Celui-là dont c'est la rue le dortoir.

    Il titubait, scandant sa mélopée,

    Clamant ses éthyliques épopées,

    D'anciens exploits, et le ferme écopé.

    Alors dans un formidable parfum,

    Il me raconta ses soifs et ses faims ;

    De belles histoires puis enfin :

    — Révéla le trésor : — —

    — — Quelques journées encore —

    — — — Pour rejoindre la Mort.

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  13. Les opérations extérieures de l'alchimiste sont un reflet de ses opérations intérieures. Ainsi la transformation du plomb en or sur le plan matériel est perçu comme une manifestation concrète — et vulgaire — de la véritable transformation intérieure de l'alchimiste, qui était lui aussi dégrossi comme du plomb et se transmute ainsi que se purifie (de πῦρ c'est-à-dire par le feu), traverse certains stages (décrits chez ces auteurs : albedo, rubedo, etc.), jusqu'à atteindre l'or. — C'est ainsi aussi pour cette raison que l'on dit que la pierre philosophale donne l'accès à la vie éternelle ; car ces procédés ne sont pas véritablement distincts.

    Ainsi, sur le plan matériel, l'opérateur maniait les produits chimiques, tentant de comprendre la véritable nature de la matière — se demandant s'il la comprendrait mieux en en dissociant les éléments (en en extrayant les sels, les huiles, les soufres, les mercures), faisant donc de la chimie ; tout en étant convaincu que l'état intérieur de l'opérateur influait sur la réaction en cours (ses pensées, sa concentration, sa pureté, sa chasteté, etc.). Plus il apprenait de cette matière, plus il apprenait des parties la constituant, et qui devaient posséder leur contrepartie spirituelle. Alors, il répéterait les opérations sur d'autres plans, patiemment, encore et encore.

    Ce serait aussi comme cela qu'ils parviendraient par la même occasion à découvrir des substances et des opérations susceptibles de guérir les corps (et/ou les âmes) d'autrui ; d'où la spagyrie de Paracelse et d'autres différents médicaments et remèdes. Un véritable mélange de chimie, de mystique, et de médecine, donc (et que d'autres — C.G. Jung — ont également vu comme une sorte de psychologie transpersonnelle).

    C'est pourquoi : visita interiora terræ rectificando invenies occultum lapidem.

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  14. Parfois la Lune est noire,

    Elle me dit : — "Tu es là ? Bonsoir !"

    Je ne savais plus rien.

    Que lui dire ? — "C'est moi ; ça va bien ?"

    Lorsqu'elle me dévisage,

    Me voit seul, l'inconnu sans âge,

    Comme étonnée qu'encore

    Je survis ; au moins dans mon corps.

    Elle sourit car elle sait.

    — "Es-tu là ?" — "Je le suis toujours."

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  15. Ci-gît l'épitaphe

    De l'homme qui crève,

    Dernier autographe

    Aux enfants qui rêvent.

    Il nous confiait

    Quelques mots gravés

    Où il indiquait

    Qu'il a bicravé

    De nombreux romans,

    De nombreux poèmes,

    De nombreux élans,

    Un vaste phloème.

    "Ne m'oubliez pas" —

    Voilà sa dernière ;

    Timide tracas,

    Comme une prière.

    Chez les Immortels,

    Une lente descente,

    Situation telle

    Que les lancinantes

    Complaintes égyptiennes :

    Pour que la mémoire

    Aux autres reviennent,

    Il fallait prévoir

    Tous les hiéroglyphes.

    On vit et on meurt -

    Seul si s'y souffle

    Un dernier lecteur...

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