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Quand les athées discutent de Dieu


Maroudiji

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  «Oncle Anton, dit Lenka, pourquoi les hommes ont-ils inventé Dieu?
— Demande à ton père, répond Anton, c'est sa spécialité.
— Papa croit que les hommes l'ont inventé pour que les classes dominantes puissent tenir plus facilement en main les classes exploitées. Vous aussi, vous êtes de cet avis?
— Non.
— Quel est le vôtre alors?» *1

  Ne pas se faire d'illusion, être incroyant et s'enquérir de la réalité divine auprès d’un autre athée, ne peut qu’aboutir à une définition matérialiste, sans substance spirituelle, Dieu étant un concept subtil parmi d'autres, rien de décisif. Sérieusement, pensez-vous que l'on puisse s'adresser à des athées pour obtenir l’heure juste sur la Divinité suprême? Car ils sont tous athées dans ce roman réaliste, à commencer par l'auteur lui-même, Alexandre Zinoviev. Comment pourrait-il en être autrement puisqu'il était dangereux dans les années 60 en Union soviétique de publier un livre favorable à Dieu. Et puis, quand on ne sait pas, pourquoi jurer des événements d'une histoire de l'homme dont le début nous échappe totalement et est de l'ordre du surnaturel? Zinoviev sait pourtant très bien la tendance des hommes à déformer volontairement les faits, et cela depuis toujours, à mentir aussi, surtout en pays communiste telle l’URSS. Philosophe et logicien de renom, il a témoigné de ce trait politique et social encore et encore dans ses publications. Vous m’opposerez que le mensonge n'est qu'une corruption tendantieuse, un accident générationnel, et que le bon sens, le naturel, finissent par prendre le dessus. Car, enfin, en cherchant scrupuleusement on trouvera toujours des hommes et des femmes qui ont réussi à aller au-delà du vice pour reconstituer la vérité ou en découvrant des traces de celle-là laissées par l'histoire. Non? C'est mon avis. On peut toujours faire mieux quand on accepte d’entrer dans les chaussures de l'autre et d'ouvrir son coeur aux faits ou aux hypothèses nouvelles, qui nous viennent d'ailleurs et non de notre bulle, de la société fermée. Qu'est-ce que Dieu pour un marxiste, sinon une construction de l'esprit, une invention? Le marxiste pense pour le monde entier. Il développe une métascience qui, pour fonctionner, doit s'appliquer à l’universel. Dans ces sociétés, tous pensent la même idée, agissent de la même façon pour que les résultats de cette philosophie soient positifs et fonctionnels.

. Quand les pédagogues assertent à coups de marteau que l'homme préhistorique a inventé le feu, il est facile de le corriger, car le feu a toujours été présent de mémoire d'homme.*2 L’eau, a-t-elle été inventée? Question stupide. L'évidence de leurs existences quasi eternelles saute aux yeux, parce que vous et moi savons ce qu'est le feu ou l'eau, mais Dieu? Quézako? Est-ce une statue, le monde, un astre, une intelligence, une idée, Vishnou, Jésus-Christ,
ou quoi d'autre? Ne peut-on pas témoigner de plus de gravité lorsqu'on traite de ce sujet, en appliquant par exemple la méthode scientifique? Pourquoi se limiter perpétuellement aux mesures de notre pré carré comme s'il était l'alpha et l'oméga? Pourquoi ce mépris pour la vérité?
_________________
*1 L'avenir radieux, d’Alexandre Zinoviev.
*2 Il est vrai, cependant, que nous ne savons pas au fond, même en se creusant les méninges à l'instar d’un physicien, ce que sont l'eau ou le feu dans leur état premier, mais ils ont l'avantage d'être physiques. Ils sont en définitive très subtils, des entités inaccessibles à l'entendement humain. Les Grecs s’imaginaient que l'eau était l'élément premier, d'où tous les autres découlent et grâce auquel le monde se constitue. D'autres civilisations, plus nombreuses, misaient au contraire sur le feu, et l’adoraient sous la forme du soleil comme un dieu, avec petite ou grande majuscule selon la religion.

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Quelqu'un sur Facebook voulait en savoir plus sur cette bulle et la société fermée que je mentionnais plus bas, sur mon mur. Du moins je le croyais, car il n'a pas montré de reconnaissance après lui avoir donné l’exemple suivant tiré du livre intitulé ”Mémoire à deux voies” et dont je n'ai de cesse à ce propos de signaler l'amnésie qui accable notre civilisation:
«Élie Wiesel: De tous les peuples de l'antiquité, le peuple juif est le seul qui ait survécu. Comment l’expliquez-vous?
François Mitterrand: Vous oubliez la Chine et l’Inde. Mais si vous restreigniez l’Antiquité à la Grèce et à la Perse, vous avez raison.» 

  Et oui, le malheur est là : nous restreignons systématiquement l'histoire à notre familiarité obtuse avec l’antiquité grecque et judaïque, tellement nous sommes obnubilés et imbibés de ces cultures narcissiques et que nous faisons passer pour des idéaux universels. Par conséquent, «il y a des vérités simples qu'il ne faut jamais se lasser de répéter, tant nous sommes facilement tentés de les oublier.» *3 En effet, les spécialistes peuvent faire plusieurs fois le tour du monde sans jamais aborder les rivages de l'Inde, comme si cette nation n'avait jamais existé; voilà un exemple de ”vérité simple”. 

  Mais revenons au roman et écoutons la réponse de l'oncle Anton au sujet de l'origine de Dieu: 
« C’est une longue histoire. Premièrement, on inventait déjà des dieux dans des sociétés, qui, si l'on se réfère au marxisme, étaient des sociétés sans classe. Deuxièmement, il y a dieux et dieux. Et je ne veux pas dire par là que les religions peuvent être différentes, mais que leur fonction est la même, disons qu'elles ont le même statut.»

  J’interromps déjà son explication, juste le temps de mentionner à quel point tout cela est brouillon. Par exemple, toutes les sociétés moindrement civilisées étaient formées de classes, classes intellectuelle, guerrière ou paysanne. Il est impensable qu'il en fût autrement. Alors, comment peut-on se reporter au marxisme pour les questions concernant Dieu, puisqu'on sait très bien que cette philosophie s'est construite en niant la possibilité d'une intelligence divine, ou cosmique, tout court? « Le même statut», précise-t-il... Et, qu’elle est donc « leur fonction»? Prenons Georges Dumézil, ce grand exégète qui participait de la même idéologie universitaire en vogue, il s'exprimait sur les dieux grecs avec tant de conviction qu'un jour un journaliste lui demanda avec incrédulité s’il pensait en toute sincérité qu'ils possédaient une réalité objective, qu'ils étaient indépendants de l'imagination des hommes? Avec peine, il avoua à regret et comme sous confidence ne pas croire explicitement à ces dieux, mais, au fond de lui-même, il se persuadait de leur existence, il était si passionné par leurs personnalités qu'ils devenaient réels à ses yeux. Il disait que «s'ils n’existaient pas il faudrait les inventer». Georges Dumézil était un ponte et un spécialiste des dieux et de la mythologie. Il avait même développé une fameuse théorie à cet égard: les trois fonctions. Pour les Hindous -il s'y connaissait bien en ce domaine- il y avait Brahma, Vishnou et Shiva: le dieu qui crée, celui qui maintient et celui qui détruit, ce qui correspond à passion/création, vertu/maintenance, ignorance/destruction. Chez les Hindous, la société se répartissait en classes, il en était de même pour nos civilisations. Dumézil remarqua que trois fonctions sociales leur étaient communes invariablement : les prêtres, les guerriers et les commerçants et artisans. Bien que sa thèse, résumée ici succinctement, fut très discutée et remporta un franc succès auprès des faiseurs d'histoire, elle perdit peu à peu de son lustre et il n'en est pratiquement plus question dans les institutions académiques, sauf parmi les nostalgiques des mythiques peuples indo-européens et des sulfureux aryens. 

  Il va de soi, Zinoviev, ou son personnage, Anton, ne mentionne pas Dumézil. Ni la fonction des trois Dieux chez les Hindous. Bien que les marxistes envisagent la pensée universelle comme un progrès, paradoxalement c'est une philosophie qui rejette la diversité naturelle des autres peuples et de leurs traditions. Qui nie le contenu de leurs savoirs. Par exemple, l'Inde est une nation s’étant constituée sur un ordre qui divise la société en classes irréductibles à leur fonction. Ce faisant, elle démontrait ainsi l'efficacité de cette structure humaine, conception que combattaient à mort les marxistes. Ils devraient le savoir: c'est Dieu, Krishna, qui, dans la Bhagavad-gita, rappelait à Arjuna avoir créé cet ordre social. Mais nous devons aussi savoir que Krishna n'a pas inventé cet ordre, du nom de varnashrama-dharma. Bien avant son apparition d'autres Dieux avaient préconisé ce système civilisationnel. Évidemment, Zinoviev ou son personnage, Anton, ne discutent pas de cette réalité. Pourtant, elle les concerne au plus haut point, étant donné qu'ils ont théorisé et mis en place une société sans classe, à un prix humain diabolique. Influencés par le marxisme comme nous le sommes encore, nous rayons de l'histoire les données de cet exemple scripturaire et historique pour mieux substituer la notion de classes à la tragédie des intouchables, s'il en fut. Point à la ligne. Ce système, connu en Occident sous le vocable péjoratif de castes, a fonctionné depuis des milliers d'années. Rien n'a pu le mettre à terre, ni les conquérants musulmans, ni les colonisateurs anglais, ni autrefois le bouddhisme. Il est vrai qu'aujourd'hui, le temps en est venu à bout et qu'il ne subsiste que par son ombre.
________________
* 3 Albert Rivaux, dans L'esprit de la philosophie et de la science grecques

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Modifié par Maroudiji

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"il y avait Brahma, Vishnou et Shiva: le dieu qui crée, celui qui maintient et celui qui détruit, ce qui correspond à passion/création, vertu/maintenance, ignorance/destruction. Chez les Hindous, la société se répartissait en classes, il en était de même pour nos civilisations. Dumézil remarqua que trois fonctions sociales leur étaient communes invariablement : les prêtres, les guerriers et les commerçants et artisans. Bien que sa thèse, résumée ici succinctement, fut très discutée "

Dumezil n'a qu'une compréhension extrêmement limitée de cela. Ces informations sont dans le Mānava-Dharmaśāstra un texte du II Siècle. Suivant les lois de Manu il y avait quatre castres en Inde et non trois. Les brahmanes détenteurs du savoir, les kshatriya rois de la terre, les vaiśya artisans, commerçants, hommes d'affaires, et les shudras agriculteurs et bergers.

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