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Le Vélo


Loopy

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Il pleut. Il n'y a rien de plus con comme décors que la pluie… C’est con, c’est cliché et c’est humide. J’ai passé  10 minutes à allumer chacune des clopes que j’ai fumées. Franchement, ça ne devait pas être simple pour Cro-Magnon de s’allumer le barbecue avec deux pauvres silex quand il faisait ce temps-là. C’est encore pire de se dire qu’on est capable d’envoyer des trucs en orbite autour d’autres truc en orbite, mais qu’on n’est pas foutu de trouver un moyen pour allumer sa clope sous la pluie. Peut-être devrais-je rentrer au foyer avant le couvre-feu. J’ai déjà fini mon paquet. J’ai la nausée. Je ne suis pas certaine que c’est d’avoir trop fumé. Je tremble. Je ne suis pas certaine que c’est à cause du froid. Au fond de ma poche, ma main droite joue machinalement avec ton petit cadeau. Comment réagiras-tu ? Est- ce que je te reconnaitrais ? Oh ça oui… Je n’ai pas oublié ton parfum, ta démarche, ton allure. Je vais attendre.

L’envie de vomir ne passe pas. Ce n’est pas franchement sexy comme état. Les draps de ma portent encore une profonde trace de ton passage. Ce fut certes bref, avant qu’on ne nous éloigne, mais intense. Je n’avais pas bien compris alors, mais le temps a passé et j’ai mûri. Je me demande ce que tu diras. Te souviens-tu vraiment ? As-tu des regrets ? Moi oui. J’aurais voulu te retrouver plus tôt. M’as-tu aussi cherchée ? Quand je t’ai appelé, tu m’as semblé ailleurs. Comme si tes souvenirs peinaient à remonter. Pourtant tu m’as assurée que tu viendrais. Je ne devrais pas attendre… On m’a dit de ne pas le faire, que rien de bien n’en sortirait. On m’a prévenue que tu as changé, mais je suis convaincue qu’au fond, tu es toujours le même, que tu me verras et te souviendras de tout.

Quand nous courions dans les parcs, quand tu me rejoignais au lit, quand tu me disais de ne pas m’en faire, que tu seras toujours là et que tu veillais sur moi…Je ne dois pas me laisser submerger. Et si j’étais déçue ? Je veux savoir. Je devrais faire demi-tour.

Trop tard, te voilà. Je serre mon cadeau, avance d’un pas. Non, non. Celui-ci est trop grand et trop pressé. Mais l’autre derrière, lui, semble chercher quelque chose. Est-ce toi cette fois ? Peut-être. Le pas semble plus hésitant, plus laborieux que le tien. L’âge peut être. Il n’arrange rien, pour moi non plus.

C’est toi, j’en suis sûre. Tu ne m’as pas vue. Ou alors ne m’as-tu pas reconnue ?

J’avance.  Ma main se crispe dans ma poche. Je ne sais pas si je vais te parler d’abord, ou te l’offrir.

J’avance. Je suis certaine que tu comprendras sans un mot, d’un seul regard. Ce regard que tu portes sur moi à l’instant. Oui, c’est toi. Tes yeux interrogent ta mémoire, ils se demandent si c’est bien moi.

 J’avance. Ce regard. Tu avais le même quand nous courions dans le parc. J’avance.  Quand j’essayais de fuir tes coups. J’avance. Quand tu me rejoignais au lit.

J’avance. J’avais peur.

Je m’arrête. J’ai encore peur. Tu me disais que tu serais toujours là, je voulais que tu te trompes… J’avais mal, j’ai mal, je sors la main de ma poche. Tu tends les mains, entre surprise et panique. Je vois maintenant dans ton regard le miroir de mes angoisses. Alors c’était cela qui te faisait bander ?

Je ne tremble plus, presse la détente, le coup part. Tu t’écroules. Un cri a retenti derrière moi. Depuis que je rêvais de ce moment je pensais que ma colère s’évanouirait en pressant la gâchette. Il n’en n’est rien, alors j’essaie encore et encore. J’ai entendu ton hurlement se fondre dans l’écho des coups de feu. Je sens l’agitation autour de moi. Ça pue la poudre, la folie et la panique autour. Ma main vibre encore, mon poignet me fait mal, mes oreilles sifflent, je n’entends plus rien. Sous la pression de mon index, l’arme ne fait maintenant qu’un cliquetis inoffensif. C’était si simple.

Je m’approche. Je veux être certaine.

Sur le trottoir, le sang se mêle à la pluie qui file dans le caniveau. Les goutes sur ton manteau font vibrer ta silhouette. Tu parais presque encore en vie. Tu sembles jeune.

Tu es trop jeune. Ce n’est pas toi. Une sirène retentie. Elle est toute proche. C’est trop tard. J’ai échoué. Comme toujours Papa, tu auras tout gâché, ma vie comme ta mort…

---

Il pleut. Je ne sais pas pourquoi Maman m’a amenée ici. J’ai froid et je suis mouillée. Moi j’avais envie de faire du vélo ce matin, mais Maman m’a donnée une fleur et m’a dit d’aller la poser sur le trottoir. Alors je me suis approchée et j’ai fait ce que Maman m’a demandé. Les grands demandent parfois des choses bizarres, et il faut faire comme si c’était normal, parce que sinon ils sont tristes ou fâchés. Papa n’est pas là. Maman m’a dit qu’il était parti au ciel, mais je ne l’ai pas vu quand j’ai regardé par la fenêtre. Maman était triste alors j’ai fait comme si c’était normal. J’ai fait un dessin avec Papa et Maman et Mamy et la Maison, mais Maman était encore triste. Je me demande si c’est normal. Moi aussi je suis triste, un peu.

Mamy est rentrée avec nous à la maison. Quand on est à la maison, Papa est toujours là après le Dodo et on joue tous les deux. Quand il pleut on fait des légos ou des puzzles, même si j’ai envie de du vélo. Mais ça fait plein de Dodo maintenant, et Papa n’est toujours pas là. J’ai peur. Peut-être qu’on peut prendre la voiture et aller au Ciel ? Je suis sûre que Maman dira oui. Je vais préparer mes affaires.

Je prends Doudou. C’est obligé. Puis je vais prendre aussi un pyjama, des livres pour lire des histoires. Les légos. Pas tous, seulement lui, là, et le jaune, là-bas. J’irai demander à Maman de mettre le vélo dans le coffre. Il va être content Papa quand je vais lui dire que j’ai préparé mes affaires toute seule !

 

----

 

La pluie s’est arrêtée. Tant qu’elle tombait, j’avais une bonne excuse, mais maintenant, je n’ai plus le choix, je dois monter sur ce vélo ou laisser filer Paul avec la grognasse qui essaye de le brancher - genre je n’existe pas -  et je ne lui ferais pas ce plaisir, à la grognasse. On m’a dit que j’avais su faire du vélo quand j’étais petite. Il parait que j’en faisais avec mon père dans la rue. Je ne m’en souviens pas. Tout ce que je sais, c’est que mon père a été tué par une folle dans la rue un jour. Elle est sortie de son truc pour tarés et bien que Maman a tout fait pour qu’elle aille en prison, elle s’est évanouie dans la Nature. Maman ne s’en est jamais remise. Moi je ne sais pas trop. J’ai vu un type pendant longtemps et je devais lui raconter comment j’allais, ce que je faisais à l’école et tout. Maman insistait beaucoup pour que j’y aille, mais depuis que j’ai 15ans, elle m’a lâché la grappe. Alors je n’y suis plus allée. J’ai pas mal pensé à mon père ces derniers temps parce que mamy-folle-dingue n’arrête pas d’en parler. Tout le monde me dit qu’il était chanmé le daron. Moi je ne sais pas. J’aurais bien aimé savoir, au fond, mais je fais comme si c’était cool. En plus les mecs ça les fait graves kiffer mon histoire. Ils se la jouent genre protecteur, grands chevaliers, et tout… Je crois que ça leur plait. J’en profite. Sauf quand ça tourne en pitié. C’est pourri la pitié.

Je ne sais pas pourquoi j’ai dit oui à une ballade en vélo. Je sais juste que Paul est beau-gosse, qu’il joue de la gratte et qu’il écrit des textes de slam super sensibles. Il m’en a même écrit un à moi. Ca ne parlait pas de mon père. Et ça valait bien que je sorte avec lui au moins 2 semaines.

Ça fait 3 mois. Putain on est un vieux couple. On n’a pas encore couché, mais genre on se tient la main dans la rue et tout. Sauf qu’il y a la grognasse. Sa pote. Je suis obligée faire la niaise avec elle parce qu’il l’aime bien. J’ai peur qu’il l’aime un peu trop. Je suis sûre qu’elle aussi l’aime un peu trop. Hors de question de laisser ces deux-là ensembles. Paul c’est mon mec, et la grognasse n’y touche pas. Point barre. Ca y est… Elle fait sa belle sur son vélo. Putain de fille à papa pourrie gâtée. Nous on est en vélib, alors qu’elle se pavane sur sa bécane toute neuve.

C’est bon grognasse arrête de faire ta bombasse là… J’enfourche la bête. Merde, c’est haut quand même, je touche à peine les pédales… C’est sensé tenir debout ce machin ? Faut faire quoi ? Ca ne tient pas ! … Et voila… je suis tombée comme une loque. La grognasse se fout de ma gueule. J’ai eu un flash. Je crois que je me suis rappelée mon père. En tout cas, je me souviens qu’une fois j’étais tombée. J’ai eu mal. Mais après Papa m’a fait un câlin et un bisou. Paul cours vers moi. Il me prend dans ses bras.

…je me sens bien….

J’en profite un peu. Je le serre fort contre moi. Il m’embrasse, l’air de rien. Je le laisse faire. La grognasse ne sourit plus. Bien fait.

---

Alors c’est ici. Je vais laisser le vélo contre le mur. Les gens vont me prendre pour une folle à rester là sur le trottoir, en plein cagnard. Tant pis, je ne suis plus à ça près. Depuis que Paul a insisté pour que je retourne chez le psy, après la mort de mamy-folle-dingue – si t’es là-haut aussi, mamy, le prend pas mal, mais t’étais quand même mal câblée  -  j’ai eu pleins de flash. Je me suis même rappelée de la voix de mon père et je crois que ça m’a fait remonter plein de sentiments en vrac, en même temps. C’est encore un peu confus. Je suis devenue ingérables, je n’arrête pas de rire et de pleurer pour rien. Le pauvre Paul est perdu. Faut dire que la grossesse n’aide pas. C’est le psy qui m’a conseillée de venir ici. Il m’a dit c’était un peu comme le dernier endroit que j’avais en commun avec mon père. Il m’a dit qu’il était tant que j’ai une discussion avec moi-même à cet endroit et que si je voulais, je pourrais peut être même avoir une petite conversation avec toi. Je ne crois pas trop à ces trucs, mais je suis allé voir maman à la maison de vieux et la fille qui s’occupe d’elle – Christine je crois - m’a dit qu’elle se laissait dépérir depuis qu’elle ne pouvait plus aller au cimetière. Pas certain qu’elle a compris que j’étais enceinte. Hors de question que je finisse comme ça.

Tout va bien avec Paul, on a des bons taffs et je suis sûre que la petite sera heureuse. Le gynéco n’est pas encore sûr, mais moi je le sens, c’est une fille… A chaque fois que je bouffe du chocolat, c’est soirée disco dans mon utérus. Tu penses que tu lui aurais appris à faire du vélo ? … Tu penses que je n’ai pas l’air d’une conne à tailler la bavette avec un trottoir ?... Après tout pourquoi pas.

Si tu veux savoir, Paul est un type bien. On est avocat tous les deux. Son truc à lui, c’est les petites frappes. Il aime bien défendre les jeunes de quartiers qui se sont fait choppés en train de dealer 3 pauv’ barettes de shit derrière la tour de leur cité. Il dit qu’il se sent utile, je n’ai pas encore vraiment compris à quoi. Il voudrait l’appeler Bérénice. Du coup au passage, je sais pas trop si ça se fait, mais si tu croises le grand manitou là-haut, ça m’arrangerai s’il pouvait envoyer une sorte de révélation à Paul pour le faire changer d’avis. Genre je ne sais pas, lui faire voire la vierge… Marie ça me va mieux comme prénom. Moi, mon truc, c’est les affaires familiales. Les divorces, tout ça. J’ai appris à pardonner. A l’évidence je ne tiens pas ça de Maman… J’ai aussi retrouvé la fille qui t’avait vidé un chargeur dessus. Enfin, retrouvée… J’ai juste retrouvé sa trace. Je ne sais pas trop pourquoi j’ai fait ça. Peut-être parce que je cherchais des réponses. J’y ai trouvé beaucoup de tristesse et pas que la mienne. J’aurais peut-être due venir te voir ici, c’est plus apaisant. En plus il fait bon.

Quand j’ai quitté la maison, Maman n’est pas restée longtemps. Elle ne voulait pas être toute seule. Alors on a vidé la maison et elle a déménagé dans un petit appartement d’étudiant pas loin de chez moi. Elle est en maison de retraite maintenant. C’est ironique la vie, tu finis comme tu commences : tu quittes ta grande maison pour aller dans un appart en loc’, puis tu finis chez des sortes de nouveaux parents. Tout l’inverse du début… Finalement tu vois, t’as pas raté grand-chose du film... Une part de mon innocence s’est certainement envolée avec toi, mais pas complètement je crois. En rangeant les affaires de Maman, j’ai retrouvé une petite pochette plastique pleine de gribouillages. Je me suis souvenu de ces dessins, je les avais fait pour toi et je disais que je voulais te les apporter au ciel – tu m’étonnes que Maman voulait que j’aille voir un psy… Maman me répondait alors de les laisser au père noël, c’est drôle, je m’en souviens bien, tous les ans ce petit rituel. Elle me disait qu’il se chargerait de te les apporter. Au début il y avait beaucoup de dessin, puis de moins en moins. Finalement, vers 7-8 ans je pense, je n’en n’ai plus fait 1 par an. Bon, à 25ans, j’étais passé au-dessus de la déception d’apprendre que le père noël ne l’avait pas fait, mais je me suis dit qu’après tout, je pouvais bien te les donner moi-même. Alors je te les laisse, juste là. T’es pas obligé de les encadrer rassures toi. Le dernier, je l’ai fait hier. Je ne dessine pas beaucoup mieux tu verras, mais c’est quand même moins brouillon.

Au sujet du vélo, je ne pourrais bientôt plus en faire pendant un bout de temps… Les joies de la grossesse et pire peut être, celles de l’accouchement. Mais j’y remontrais, promis. Quand ta petite fille apprendra, qu’elle tombera, j’essaierai de faire comme dans mes souvenirs. Tu vois, quelque part, il y a toujours un petit quelque chose de toi dans tout ça. 

Voilà Papa. Je ne pensais pas que ce serait si dur… c’est le moment de te dire adieu. Je ne repasserai plus par ici de sitôt. Tu n’es plus là, tu ne l’as pas été. Je ne t’en veux pas. J’ai trouvé d’autres bras, d’autres mains tendues, et aujourd’hui, je vais bien. Il avait raison le psy. Je ferais bien de l’écouter plus souvent. Peut être que je te repasserai un petit coup de fil un de ces 4 si je tombe. J’espère que toi aussi, tu as un vélo au-dessus des nuages.

3 Commentaires


Commentaires recommandés

Le 03/02/2019 à 20:54, Ines Presso a dit :

Les briquets tempête, ça existe, ce sont les Zippo :p

Certes... Mais elle est du genre à piquer les briquets, pas à les acheter. ^^

Le 27/01/2019 à 10:33, moch niap a dit :

femme, avocate, 30 ans, enceinte, jolie, poète …le genre de personne que je n'ai aucune chance de trouver en face de moi

Vous vous sous estimez, j'en suis certain :mouai:

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