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Meurtres à T** (2/3)


Criterium

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Partie 1

18 octobre 2017. C'est au cours du dernier mois que cette peur a progressivement paralysé la ville; car deux choses se sont produites depuis fin août. La première, c'est que certains détails secrets, qui liaient les précédentes affaires — meurtres et profanation — ont été révélés par inadvertance au public. Et c'est pourtant à cause de l'affaire mineure — tapage nocturne — que cela s'est passé: très impressionné par cette nuit d'hallucinations collectives, un policier s'est confié le soir-même à sa femme. "Nous avons des nuits vraiment étranges..." - y compris le mystère des lettres qui revenaient, comme une signature diabolique. Celle-ci faisant partie de ces personnes aux vies calmes et routinières dont le péché mignon est de se donner des frissons en se racontant les histoires des autres, rapidement le bruit se répéta, jusqu'à arriver au moment où la presse en eut fait et le mit par écrit — en l'occurrence un petit journal d'investigation d'ex-anars, dont les enquêtes étaient parfois des gribouillis, et parfois d'excellentes pièces bien renseignées.

La seconde, c'est que le matin du 21 septembre, un nouveau meurtre s'était produit. La veille, une jeune adolescente n'était pas rentrée chez elle; comme elle venait de se disputer avec sa famille - qui n'approuvait ni son choix de petit ami ni celui de garder l'enfant qu'elle se rendit compte porter de lui - l'hypothèse de la fugue paraissait privilégiée. Sa meilleure amie témoigna par la suite l'avoir rencontrée en début de soirée, et, après une vaine tentative de la dissuader de partir, lui avait confié un peu d'argent pour son billet de train. Cependant elle n'avait jamais pu embarquer - on découvrit le corps sans vie en périphérie de la ville, là où la zone résidentielle longeait de petits bois. La morte était allongée sur le dos, sur un tapis de mousses; ses vêtements abîmés avaient été partiellement relevés comme pour les enlever - pantalon au niveau des genoux, débardeur au niveau du buste. La scène suggérait à première vue un viol - cependant les sous-vêtements étaient intacts, et une ultérieure vérification du médecin légiste réfuta cette thèse. La cause de la mort était attribuable à une profonde perforation de l'artère sous-clavière, derrière la clavicule; la peau était livide, le corps exsangue. Aucune trace de sang aux alentours; les faits se seraient donc produits ailleurs. Néanmoins, le tronc d'arbre situé immédiatement par-delà portait une inscription, apparemment à la craie blanche: une suite incohérente de nombres et de lettres, majuscules et minuscules, comme un long mot de passe. Coïncidence ou pas, en commençant par la quatrième lettre et en sautant un caractère à chaque fois, l'on lisait AZJAZ, ce que fit remarquer l'un des gendarmes.

Celui-ci avait appris les liens entre les différentes affaires pour la première fois en lisant le journal d'investigation précédemment mentionné. Après avoir été maintenant directement impliqué dans le dernier volet de ce qui ressemblait à des meurtres en série, il avait pu interroger policiers et collègues et acquérir une bonne vue d'ensemble des faits.

— Ce mystère le fascinait. Il y avait plusieurs raisons à cela; d'une part, il aimait à s'imaginer comme un homme complet, à la fois homme d'action et investigateur naturellement doué; d'autre part, en notant la régularité des dates - à peu près tous les mois - il ressentait une responsabilité envers la société, celle de devoir élucider les événements avant qu'il ne soit à nouveau trop tard.

Il avait rassemblé les messages laissés par le tueur - s'il s'agissait d'une seule et même personne, ce qui n'était que l'une des possibilités -, ces lettres et ces chiffres formant autant de codes cryptographiques. Malgré de longues nuits à se pencher dessus, essayant divers angles d'attaque, il n'arrivait pas à en trouver la clef. Parfois il invertissait quelques symboles et semblait y apercevoir l'étoffe d'un mot, mais il s'agissait d'autant de fausses pistes. Était-ce même réellement un code? Peut-être que c'était vraiment une suite aléatoire, et que l'on devait bien se moquer de lui quelque part... Ou alors était-ce autre chose, quelque chose de moins linéaire? — Il réfléchit: tout encryptage/décryptage n'est pas forcément symétrique. C'était le cas avec beaucoup d'algorithmes bien connus (par exemple le code de César, remplaçant les lettres par d'autres; ou encore le code de Vigénère, changeant l'alphabet codé en suivant un mot "clef", et encore aujourd'hui dans des formes beaucoup plus élaborées avec le codage AES), mais il existait également des codes asymétriques comme le PGP. - Mais dans ce cas, il devait y avoir une clef quelque part, car sinon pourquoi laisser ces inscriptions et ce mystérieux message téléphonique? ...ou alors il s'agissait d'encore autre chose. Petit à petit il se convainquit qu'il se tenait là en face du résultat alphanumérique d'une fonction de hachage: un mot est encodé tout en perdant de l'information, et le résultat ne peut pas être décodé. C'est comme cela que l'on stocke les mots de passe: l'on compare non pas le mot, mais le résultat du mot - et comme il est impossible de remonter au mot lui-même à partir du résultat, celui-ci peut être communiqué. Il faut des techniques avancées de cryptanalyse, et une bonne idée de la structure de l'algorithme de hachage utilisé, pour pouvoir espérer remonter le fil du problème: c'était au-dessus de ses moyens; peut-être même se trompait-il de toute façon. Il fallait agir autrement.

18 octobre 2017: la date d'aujourd'hui. — Après tant de fausses pistes, il avait presque abandonné. Il avait pensé que le cycle s'avançait, et qu'il serait trop tard pour prévenir un prochain drame. Se promenant en renonçant à réfléchir, au hasard, il errait dans T** et ses secrets. La matinée touchait à sa fin. Le cycle s'avançait. Cycle? Ce mot lui foudroya alors l'esprit. Qu'est-ce qui durait à peu près un mois et revenait ainsi?

Peut-être... la Lune.

Il se rua chez lui — il n'avait pas emporté de portable — pour vérifier sur l'ordinateur si les dates concordaient. L'expectative lui faisait ressentir quelques frissons au thorax; cela ressemblait désormais moins à une fausse piste. En revanche, s'il avait raison, il ne lui restait plus beaucoup de temps... la nouvelle lune revenait demain. Il serait pourtant difficile de protéger la ville d'une quelconque manière supplémentaire; la population était déjà paralysée, terrifiée; des patrouilles importantes circulaient déjà chaque nuit, à la fois pour rassurer et pour dissuader. Lui-même y passait de longues heures avec les collègues. Il décida d'être encore plus particulièrement vigilant demain soir. D'ici-là, il pourrait se préparer, peut-être se munir de quelque chose d'autre – mais quoi? Il avait un revolver; un taser; des menottes; lampe-torche, spray au poivre, couteau-suisse... il y ajouta un passe-partout (une masterkey qu'il avait reçu d'un artisan serrurier, ces clefs non taillées utilisées pour ouvrir, aidées d'un petit coup sec, les serrures à goupilles), un petit carnet de notes sur lequel il avait écrit les codes; un briquet...

19 octobre.

Un sentiment étrange s'était emparé de lui au fur et à mesure qu'il voyait les derniers reflets du soleil disparaître du ciel, colorant l'horizon de teintes rouges puis violacées. C'était ce qu'il imaginait devaient ressentir les soldats se préparant à aller à la bataille, doutant, se demandant si le jour se lèverait pour eux le lendemain. Alors le crépuscule était à la fois lui-même, et un autre, une sorte d'adieu pour toujours; entrait la Nuit, dans toute sa splendeur et son appétit d'âmes... Invitante. Envoûtante. Y a-t-il encore des heures qui sonnent si elle ne finira jamais? — — En patrouille nocturne, ils partirent.

Au début, il n'y avait qu'une brise; petit à petit, c'était un vent puissant et soutenu qui balayait les rues, parfois bruyant, et parfois plus calme. À certains angles morts, le silence était total — puis ils tournaient dans une avenue principale et alors le bruit irrégulier des bourrasques les empêchait de s'entendre parler, ils devaient crier - ou se taire. Difficiles conditions pour arpenter les quartiers ouest...

— "Tu as entendu?...!", fit son collègue.

Les autres se regardèrent, firent non de la tête. Celui-là reprit: "Là, maintenant... (pause) ... ça s'est arrêté; c'était comme un cri ou un crissement, dans le vent. Vous n'avez vraiment rien entendu?". Mais personne n'avait remarqué.

On pressentit pourtant que c'était peut-être là le début de l'épisode. Le conducteur demanda la direction probable du son — directement contre le vent, il fallait aller un peu plus haut, vers l'avenue Georges B*. La rue montait et il y avait une place au sommet; comme les bâtiments environnants était un peu plus éloignés, le vent était violent là-haut. Le feuillage des arbres était agité.

— "Il y a quelqu'un sur le banc de la place", remarqua l'un des hommes.

Ce parc était minuscule, tout au plus quelques arbres autour d'une statue; sur l'un des deux bancs, on apercevait effectivement une forme noire, comme assise, immobile. C'était étrange. Ils se garèrent, et s'approchèrent de l'endroit. Certains d'entre eux ne l'avaient pas quitté des yeux, comme s'ils étaient vaguement inquiets que la figure disparaisse s'ils devaient détourner le regard. Une fois dans le parc, ils purent distinguer les traits de l'homme. Il était brun, assez fin de traits, et portait une barbe grisonnante. Il portait un trench noir et avait gardé ses mains dans les poches; et, malgré son immobilité, il ne dormait pas et ses yeux étaient ouverts, le regard perdu devant lui. Il ne semblait pas porter attention aux gendarmes. Ceux-ci s'approchèrent et le saluèrent — aucune réaction. L'un agita sa main en face du regard fixe — aucune réaction. C'était comme s'il était en transe. "Vous pensez qu'il nous entend?", fit l'un avant de se pencher plus près et de réitérer ses demandes. Ce n'était pas le vent, car au milieu de la place, protégés par les arbres et la statue, l'on ne ressentait pas les violentes rafales; l'on les devinait plutôt, en voyant les feuilles des arbres bruisser continuellement. Ça ne ressemblait pas non plus à un état de choc. L'un d'eux mit sa main sur l'épaule de l'homme et le secoua légèrement, pour voir s'il pourrait le ramener à la conscience. Sur les traits de celui-ci, cela sembla provoquer quelque chose, à peine une contraction d'un muscle du visage; mais il resta immobile, le regard lointain. L'atmosphère était irréelle. — Ils décidèrent de l'amener au poste. Comme un pantin, le corps n'opposait aucune résistance lorsqu'ils le relevèrent: une fois mis debout, celui-ci gardait l'équilibre et ne bougeait pas. Un homme de chaque côté, ils firent quelques pas vers la direction du véhicule.

— "Hey! Regardez ça, les gars".

À l'arrière du col du trench, on apercevait une petite étiquette brodée, comme certains ajoutent à leur garde-robe pour y indiquer leur nom. Sauf que si c'était le cas, celui-ci s'appellerait AZJAZ.

Par précaution, on lui passa les menottes avant de le mettre à l'arrière du véhicule, coincé entre deux hommes. Personne ne savait s'il s'agissait là du mystérieux tueur ou de l'une de ses victimes — quel satané silence!, mais il s'agissait de prendre toutes les précautions possibles.

1 Commentaire


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Ah ouais ! Je suis fane !!! Je pensais soit à un code hexadécimal, soit une indication à mettre en perspective avec la localisation des meurtres ou suicides d'ailleurs. J'ai relevé les dates 2506 2407 2408 2109 et toutes ces dates correspondent à une nouvelle phase lunaire, serait-ce donc un crime/suicide rituel ? Les victimes ont-elles des liens entres elles ? Ca m'excite critérium lol bon je me calme.

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