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Marioons blog

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Mal vivre pour des idées


Marioons

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On a intégré comme allant de soi une sorte de norme, de lissage de ce que l’on doit vouloir et être. Le fait par exemple, de se soucier de son prochain avant toute autre chose, « l’humanisme forcené », comme si c’était la chose la plus importante, noble, prioritaire sur tout le reste. Ou de tout faire pour rester en vie et prendre soin de soi, comme si ne pas le faire était une sorte de manque de respect envers la vie. Et si à l’inverse, voir la vie comme un vase en cristal à ne surtout pas briser et ainsi ne la vivre qu’à moitié, en marchant sur des œufs, pouvait être tout autant perçu comme un manque de respect face à cette vie qui s’offre à nous ? A-t-on envisagé ce point de vue ?

Ca paraît inconcevable pour certains de remettre ce genre de choses en question. Il faut être un bon citoyen, aimer son prochain même si notre ressenti nous hurle que c'est le dernier des cons, ne pas faire de vagues et attendre gentiment la mort. Je ne prône pas l’inverse non plus, je ne prône aucun comportement en particulier en fait, car en quoi s’intéresser à son prochain serait plus ou moins « prioritaire » que s’intéresser aux fleurs, aux étoiles, aux idées, aux bactéries, à Francis Lalanne ou à la mort ? Comment a-t-on pu décréter que telle chose est plus valable, plus importante, plus essentielle, plus intéressante qu’une autre ? Et ainsi s’octroyer le droit de juger quel type d’existence et d’expérience est « bonne » ou « mauvaise », comme si nous avions connaissance de l’intégralité du fonctionnement et des buts de l’univers ?

Ainsi, une personne qui reste cloitrée chez elle le nez dans des équations à la recherche d’une théorie du « tout », ne voyant quasi personne et se souciant peu de sa forme physique et de l’entretien d’un réseau social, se verra reprocher de se faire du mal, d’en faire à son entourage, et d’avoir un « problème psychologique ». Mais sur quelles bases se fonde la notion de « problème psychologique » ? Sur des bases subjectives oubliées qui font que l’on prend des hypothèses pour des vérités, des cas particuliers pour des généralités, comme quoi par exemple, pour être « quelqu’un d’équilibré », il faudrait en moyenne tant d’interactions sociales par jour, avoir un contact physique avec quelqu’un de notre espèce pendant au moins tant de minutes, avoir une humeur stable ou dont les extrêmes ne sont pas « trop » extrêmes. Mais ça veut dire quoi ? Equilibré par rapport à quoi ? Pour faire quoi ? Par rapport à quel but ? Figer les choses dans une « perfection » ? Mais comment cela peut-il être parfait si ça ne tient compte que d’UNE vision de ce qui est bien ou mal ? Si ça ne tient pas compte des aspirations profondes, uniques, et changeantes de la personne concernée, et les décrète à sa place ?

Les gens qui « font souffrir » leur entourage, ce n’est pas bien. Mais se pose-t-on la question de pourquoi l’entourage souffre ? N’est-ce pas parce qu’il est esclave d’une vision du monde ? Une vision figée comme quoi « mon enfant doit garder un contact régulier avec moi » ou « je fais un enfant pour qu’il soit heureux, se trouve un conjoint et un métier stables, fasse un enfant lui-même et touche sa retraite, et si ce n’est pas le cas, je ne pourrais qu’être triste » … On se mange un bon conditionnement mental et on s'y accroche jusqu'à indigestion. Et s’il se trouve que cet enfant ressent un besoin irrépressible d’au contraire aller toucher du doigt ses limites, se mettre en danger, explorer les zones « inhabituelles » de la vie, et meurt à 20 ans, on dira que sa vie fut un gâchis, que c’est « triste », « dommage », « pas de chance », « injuste » ? Il ne nous vient même pas à l’esprit que peut-être le bonheur en tant qu’état de béatitude figé et permanent est un non sens, mais que le véritable sentiment d’être sur le chemin de ce pourquoi on se « sent » le plus fait, d’accomplir des choses dont on sent qu’elles donnent un sens à notre vie, quitte à prendre des risques, est autrement plus profond, mystérieux, utile et magnifique ? Et qu’est-ce que ça veut dire « risques » ? Risque de mourir ? Là encore on part du postulat que mourir, c’est grave et irrémédiable, et que ça doit arriver le plus tard possible et en douceur. Mais on pourrait aussi penser que ne pas avoir vraiment vécu, c’est grave. Et alors trouver la prise de risque plus logique que la prudence. Mais encore, c’est accorder trop d’importance et de « définitivité » à la mort, car s’il se trouve qu’au final on a plusieurs vies, que la mort n’est pas une fin en soi, à quoi bon s’empresser de prendre des risques et se mettre la pression pour tout tester, tout vivre le plus vite possible ?

Finalement, fonder tous nos comportements sur des croyances et non sur nos ressentis et nos envies, n’est-ce pas là le risque ultime, si risque il y a ? Et si être libre, c’était avoir compris que nous ne sommes esclaves que de nos croyances, et du fait d’y adhérer aveuglément et durablement ? « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente... » disait Brassens.

7 Commentaires


Commentaires recommandés

Tellement d'accord avec ce que tu dis ... :)

De même qu'aujourd'hui on a plus le droit de ne pas avoir d'ambition professionnelle particulière, a fortiori quand on est une femme, au nom de "celles qui se sont battu pour ça avant nous"...

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D'accord aussi. Je dirais qu'il y a dans notre société une sorte d'attitude paradoxale avec la mort. Dans d'autres lieux ou époques, la mort faisait partie de la vie. Dans notre société, nous avons atteint un tel degré de sécurité que l'on refuse la mort. Quand quelqu'un meurt, on pense que c'est injuste et on cherche des coupables. On a évacué le tragique. Et paradoxalement, le retour du refoulé est une passion morbide pour les histoires glauques, les jeux de destruction.

Apres, la question de bien se comporter, etre bien éduqué est à mon avis un peu différente. C'est peut-etre un apprentissage des situations passées, des conflits que l'on ne veut pas avoir. Si la sensibilité est trop importante, alors le moindre pet de travers et ce serait la fin de la vie en société. Dans le fond, je pense qu'on ne veut pas etre stressé, cela dit je ne pense pas qu'on prenne toujours la question par le bon bout.

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Oui très intéressant :). J'aime bien ta notion d'"évacuer le tragique". Du moins on le laisse dans l'ombre, de côté, de la même façon qu'en voulant faire rentrer la vie dans des cases on en tue la beauté, et un jour ce tragique nous saute à la figure, et là c'est l'incompréhension et l'impuissance.

Et oui, la vie en société, qui se conduit comme un être à part entière, survivant pour lui-même et non plus pour le bien de ses con-citoyens. Cet être "société" ne doit pas s'encombrer de conflits, du moins il doit les garder sous cape et faire exploser uniquement ceux qui lui conviennent et servent à sa propre survie, parce qu'ils instilleront la peur au bon endroit et au bon moment.

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Je trouve ce sujet intéressant aussi.

Je comprends ce que tu veux dire au sujet de la société. Même si j'utilise le mot "société", je ne suis pas convaincu qu'une telle entité existe en tant que telle. La société pour moi n'est pas la société pour toi qui n'est pas la société pour zera, etc. Paradoxalement, la façon dont on se représente la société est assez personnelle. Je dirais qu'elle se base sur nos expériences, nos interprétations, notre sensibilité.

Par exemple, je ne m'y fait pas mais certaines personnes parlent fort, pour elles c'est normal et pour moi cela m'explose les oreilles. Je suis pas non plus naïf, hein, parfois les gens haussent le ton exprès. Cela dit dans une certaine mesure, la communication induit une certaine distorsion parce qu'on a pas les mêmes protocoles, les mêmes habitudes, les mêmes façons de penser.

Il me semble qu'il y a souvent une illusion de comprendre les autres, d'être sur la même longueur d'onde, etc. Chaque personne est un monde à part entière, qui est masqué par des politesses, protocoles, habitudes sociales, etc. Peut-être que la société, c'est ce masque, cette façon que l'on a de présenter une certaine surface de nous-mêmes.

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Je ne sais pas si, parce qu'il y a une infinité de façons de percevoir une chose, cette chose n'a pas d'existence propre. Par exemple, je peux voir un arbre sous pleins d'angles, de près, de loin, m'imaginer que c'est un monstre, le trouver beau, laid, apte à donner du bon bois pour le feu... il n'en reste pas moins que cet arbre existe, et a bel et bien une influence sur son environnement quel que soit l'opinion que l'on s'en fait. Je dirais que c'est pareil pour la société. Même s'il s'agit d'un concept plus abstrait, moins palpable que le concept d'"arbre", il n'en reste pas moins réel, et nous influence, qu'on en ai conscience ou non.

C'est sûr, ce système semble avoir plutôt tendance à nous encourager à garder notre masque, nous connaître seulement en superficie ou de façon distordue. Ainsi, lissés et aptes à rentrer dans une case précise, nous entrons mieux dans ses rouages et avons moins de chance de devenir le petit grain de sable qui perturbera son fonctionnement. Mais elle n'est pas que ce masque, je pense.

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