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Du génie et de l'art de rencontrer les idées


Jedino

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Notre héros, homme charmant et intelligent, capable de discerner les traits d'esprit et les âmes qui méritent une quelconque attention. Bref, il appartenait à ces rares qui savent tout avant même de le savoir. Vous l'aurez compris, c'est un génie. Ne vous étonnez donc pas si, par la suite, ses attitudes, réactions et comportements vous échappent. Il faut être d'une espèce tout à fait supérieure pour comprendre que les questions les plus essentielles ne sont jamais les plus existentielles. Voyez plutôt.

Alors qu'il quittait sa modeste demeure, car la modestie est l'essence même du génie, il s'arrêta, estomaqué, alors qu'il s'apprêtait à fermer à clef la serrure de sa porte. Il se sentit transporté, tout d'abord, par l'idée qui le transcendait là : à quoi bon tout fermer, toujours, tout le temps. Et dès lors, insérer la clef dans la serrure l'exaspérait au plus haut point, au degré le plus noble qui soit. Car enfin, à quoi bon se fatiguer chaque jour, plusieurs fois (inutile de vous dire que le geste se fait par paire : ce qui se ferme s'ouvre, et ce qui s'ouvre se ferme), quand il serait possible d'économiser ces gestes vains et lassants? Immédiatement, pour ne pas dire avant même que la question ne se pose consciemment en lui, les raisons les plus diverses, les explications les plus complexes, avait émergé comme si elles avaient toujours été là, attendant le moment pour se montrer. Par décence, je ne les exposerai pas ici. Je me contenterai d'ajouter qu'il décida, à partir de cet instant, de ne plus jamais s'encombrer de ces actions.

J'ignore si vous parvenez à en comprendre et l'origine, et l'intérêt, mais pour ma part, cela m'échappe. Toutefois, si vous êtes en mesure de saisir cela, vous êtes probablement l'un des membres de cette caste si précieuse à notre bonne humanité, et vous trouverez alors ce propos tout à fait ridicule et risible. Excusez-m'en, donc, n'étant qu'un humble parmi les humbles. Mais continuons notre petit voyage. Non, encore un ajout, avant cela : deux mois après sa nouvelle habitude, il rentra un soir pour constater que sa maison avait été réaménagée par de généreux inconnus qui y libérèrent l'espace. Vous n'auriez pas tort si vous songiez, là, qu'il en fût heureux : il voyait en cela l'idéal du partage.

Il rencontra, un beau jour comme ils le sont tous, même ceux semblant laids au commun des mortels, un de ces mortels, précisément. Quel choc! Quelle curiosité! Il crût être tombé sur un chimpanzé ayant sût s'échapper de sa cage tant ce corps qui lui ressemblait en apparence manquait, en réalité, de profondeur. Il tenta vainement de lui parler de quelques sujets dignes d'intérêt, resta perplexe, puis horrifié, face à un tel hermétisme. Lui vînt alors l'image, la fameuse, celle où il se vît à sa place de son interlocuteur, celle où il serait, à son tour, aussi haut qu'un arbuste et intelligible que le discours d'une huître. Il se sentît très mal, de ces maux qui ne sont connus que par les plus grands, de ces maux non véritablement réel mais davantage virulent. Les génies qui liront, s'ils s'abaissent une heure à me lire, comprendront sans aucune difficulté de quoi je veux parler ici, bien que maladroitement. En tous les cas, leur conversation, c'est-à-dire d'un échange de politesses, s'acheva, ô fort gentiment, par le départ de notre cher ami qui ne supportait plus de parler tout seul. C'est qu'un homme de qualité apprécie les discussions qui ont une portée, un sens, ce quelque chose qui donne du poids à l'ensemble.

Bref, quand le commun voyage ailleurs, le génie voyage au milieu des idées. Ne soyez ainsi pas surpris si, dans votre vie, vous croisez la route d'un de ces êtres surplombant, très au-dessus de nous, notre monde. Vous penserez, et ceci est inévitable, qu'il est un pédant. Ce n'est pas de la jalousie, uniquement une réaction logique, très humaine chez nous la masse. Mais nous sommes cependant en train de fauter : parce qu'il est trop sublime, nous ne réussissons pas à voir clair. Ne vous blâmez pas pour autant : nul n'a choisi d'être idiot, et il n'est pas mal de l'être. Seulement, il vous faudra admettre que vous l'êtes, et que le génie, lui, fait le choix de l'être. Ne cherchez pas à trouver la raison qui le justifierait, votre intellect n'est pas assez élevé pour appréhender la réalité d'une liberté si parfaite qu'elle offre le choix d'être autre. Ne cherchez pas à la trouver : cela se fait alors même que vous ne pensez pas encore, quand vos attentes et vos tourments se tournent vers ce qui occupera votre existence, du début jusqu'à la fin. Le génie, lui, pense déjà, en cette période-ci. Il pense avant même de penser, et sait avant même de savoir. Comment donc s'étonner, alors, qu'il sache qu'il lui faut être ce qu'il sera avant même qu'il ne le soit?

Résumons, résumons. N'est pas génie qui veut, mais est génie celui qui veut avant même de vouloir. Si vous y voyez un paradoxe, une contradiction, une ânerie ou un caprice de l'imagination, vous appartenez sûrement aux bonnes gens. Si vous y voyez que clarté, qu'évidence, j'ai le bonheur de vous apprendre ce que vous avez déjà en connaissance : vous êtes l'un d'eux.

10 Commentaires


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Oui mais... Que pense la pensée, que sait le savoir, que peut le pouvoir, que veut le vouloir ? L'ouïe s'entend-t-elle en train d'écouter ? La vision se regarde-t-elle en train d'apercevoir ? Le génie s'ingénie-t-il, en train d'ingénu ?

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Désolé, Tequila, tu n'es donc pas génie! C'est pas grave, hein! Tu t'en sors bien quand même

"Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige : une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie, c’est-à-dire une raison de vivre."

http://chabrieres.pagesperso-orange.fr/pdf/consolation.pdf

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