Ma dépression, tout ça.
Pendant des années j'ai été comme ça. Dans un état d'asthénie et dans le cirage total.
Même plus capable de savoir si c'était le matin ou l'après midi quand je me réveillais. Si j'avais pris mes médicaments, si j'avais mangé.
Incapable de me concentrer sur quoi que ce soit, même mes livres et films préférés.
Rien que le fait d'aller aux toilettes et de manger quelque chose, ça m'avait vidé pour la journée et je retournais me coucher tel le zombie, me tenant aux murs, incapable de comprendre quoi que ce soit quand on m'adressait la parole.
Les gens qui n'ont pas cette maladie ne peuvent pas comprendre que le moindre geste, il faut se forcer. Se forcer à se forcer à se convaincre de le faire, se forcer à physiquement bouger un corps ralenti qui pèse des tonnes.
Et se retrouver épuisé, vidé de toute substance pour le moindre geste anodin. Qu'il faut un quart d'heure ou deux jours pour récupérer de certaines choses qui sont anodines pour les gens normaux.
Il faut leur expliquer aussi que les 10 minutes que l'on prenait avant pour prendre un bain, on est incapables d'expliquer pourquoi maintenant cela peut nous prendre une demi heure comme une heure. On est incapables d'expliquer ça. On se fait surprendre à chaque fois.
On regarde l'heure, on est persuadé que ça nous a pris 10 minutes, et surprise il s'est passé presque une heure. C'est insupportable.
Et je redormais comme une masse pendant 3 ou 8 heures d'affilée.
J'étais toujours en colère contre moi d'être comme ça et me demandais pourquoi je n'étais pas en pleine forme au boulot comme avant.
Cela fait 10 ans. Ca va mieux. J'ai pu reprendre un travail a mi temps thérapeutique comme un zombie, puis à temps plein.
Mais totalement épuisé en permanence. Je suis en colère contre moi d'être tout le temps épuisé, que les gens me disent 10 trucs et que je n'en percute qu'un, qu'ils fassent 10 choses au boulot dans la journée et que j'arrive tout juste à en faire une ou deux mais totalement épuisé et avec une lenteur pas possible.
C'est déjà considérablement mieux qu'il y a 10 ans mais ça donne envie de se taper la tête contre les murs tellement on s'en veut d'être naze à ce point là.
Mais on finit quand même par se rendre compte qu'au boulot on est arrivé à faire et à participer à des projets pas mal qui ont bien avancé, parfois commencés à partir de rien et bien instaurés à la fin.
Mais les gens ne se rendent pas compte à quel point c'est mille fois plus éprouvant et usant que pour les gens non dépressifs.
Quand même pour s'habiller pour sortir ça prend une demi heure ou une heure à essayer de se convaincre de le faire avec des nausées et envie de vomir, les gens ne se rendent pas compte de ce genre de choses.
Petit à petit, selon les jours, les périodes, ça va plus ou moins bien.
Ma dépression a commencé un jour au boulot.
J'étais aide soignant en gériatrie à l'époque.
Je suis arrivé au travail, pourtant dans un service que je connaissais par coeur, des patients que je connaissais bien, une collègue aide soignante et une collègue infirmière vraiment supers, un bonheur de travailler avec elles.
Et pendant qu'elles me faisaient les transmissions, je me suis senti bizarre.
Je me disais en même temps que je les connaissais bien, et en même temps, mais c'est qui et de quoi elle me parle.
Le cerveau avait fermé les écoutilles.
J'avais perdu toutes notions de tout, même du temps.
Je me suis retrouvé assis dans le poste de soins pendant qu'elles bossaient en me demandant mais qu'est ce qu'elles font, pourquoi elles courent partout comme ça. Qu'est ce que je fais là ? Je suis censé faire quoi ?
J'ai remarqué que j'étais en blouse blanche et que j'avais un badge. J'ai lu le badge. C'est moi ça, c'est mon métier ça ? Et qu'est ce que je fais là en blouse blanche.
Et sans rien comprendre je me suis retrouvé dans le bureau des cadres à raconter n'importe quoi en boucle, pleurant et rigolant, voulant me lever et aller bosser et en même temps plus la moindre force pour me lever. Une partie du cerveau voulait se trouver normal et continuer à bosser comme si de rien n'était et l'autre avait fermé les écoutilles et ne se sentait plus concerné par rien du tout.
Ca fait vraiment bizarre.
Et je me suis retrouvé à rentrer chez moi à minuit alors que les surveillantes m'avaient fait partir à 16h20. Incapable de savoir ce que j'ai fais pendant ces 7 heures, le trou noir.
Ma mère était là en train de faire des mots croisés.
Je lui annonce tout ça, je lui explique.
Rien, pas une réaction, pas une émotion, elle ne bouge pas, elle me demande juste : "donc demain tu ne vas pas travailler ?".
Le sol qui s'effondre sous mes pieds, je comprend qu'il ne me faudra même pas le moindre soutien ou compréhension de la seule personne de ma famille proche.
Le lendemain chez mon médecin de famille qui a eu des réactions comme je ne l'ai jamais vu et qui m'a dit d'aller voir tout de suite un collègue psychiatre.
Et je me suis retrouvé, dans un état bizarre, comme un zombie, chez un psychiatre qui m'a fait mon dossier de longue maladie pour 6 mois, du prozac et du lexomyl et le médecin du travail qui me dit "prenez 2 ou 3 ans s'il le faut mais reposez vous c'est urgent".
Comment ça 2 ou 3 ans ?
Mais dans deux semaines ça va aller je serais au boulot.
Incapable d'accepter que j'étais malade à ce point là.
Me suis retrouvé à la maison, juste à manger et dormir. Le travail qui faisait partie d'une autre planète, qui ne me concernait plus pendant certaines périodes, et d'autres périodes où je me disais mais qu'est ce que je fais là, allez hop au boulot.
Pendant plus de 2 ans.
Une psychologue m'a fait comprendre pourquoi j'en étais arrivé là. Accumulation aussi bien au niveau familial que professionnel de trop de choses trop lourdes pendant 40 ans, sans aides, sans personne à qui parler. Les émotions refoulées qui ont éclaté d'un seul coup et qui ont détruit le cerveau comme une grenade qui explose et détruit toute la cervelle d'un seul coup.
Cela fait 10 ans et pourtant aujourd'hui malgré qu'au boulot j'ai acquis des compétences et que je sois plus énergique et plus lucide, ce ne sera jamais comme avant.
Surtout que je dois gérer aussi un diabète important et des séquelles d'un infarctus qui aurait du me laisser sur le carreau.
Que je dois gérer des médicament contre le diabète qui agissent sur le coeur, des antidépresseurs qui posent des problèmes cardiaques, et bien sur des médicaments qui donnent la nausées, font vomir, donnent mal à la tête, déséquilibrent le diabète et les paramètres cardiaques et donnent la diarrhée.
Et bien sur l'insuline, bien calculer ses doses, ne pas se planter pour faire une hypoglycémie ou un coma diabétique le lendemain, selon ce que j'ai à faire.
Je dois en permanence jongler avec tout ça.
Et ça m'énerve, et ça m'épuise.
Certains jours c'est la routine, les médocs et les examens c'est la routine, d'autres périodes on se demande si on aurait pas du crever le jour de l'infarctus.
La famille de psychopathes qui ne m'a jamais parlé normalement qui se met à me parler des histoires de famille dès les premiers jours de mon infarctus. Ont pas compris pourquoi ça m'a fait péter les plombs et que je leur ai dit que c'était trop tard, qu'ils auraient du me parler de tout ça quand j'avais 20 ans. Que j'ai du apprendre à faire le deuil de la vie de famille.
Toujours impossible de me concentrer sur les conversations. J'arrive à écouter une personne sur un sujet pendant une minute au grand maximum.
Et les gens ont du mal avec ça, mais pour que j'arrive à les écouter il faut que je ferme les yeux, sinon, j'entends juste du bla bla sans aucun sens. Pour arriver à me forcer à faire entrer dans mon cerveau ce qu'ils veulent me dire.
Mais je me surprend à leur répondre en souriant des choses totalement automatiques dont je n'ai pas conscience. Et je retourne dans mon bureau, vidé, me demandant de quoi ils m'ont parlé. Mettant un bon quart d'heure à commencer à comprendre de quoi ils me parlaient.
Mon cerveau qui ne veut pas entendre ce qui se passe, mais une autre partie du cerveau qui a gardé des automatismes et des réflexes dont je n'ai pas conscience.
Mes livres et films préférés j'y arrive un peu plus. Mais seulement les jours où je suis en arrêt, quand j'arrive à faire tout un travail sur moi pour oublier le boulot.
99% de ce que disent et de ce qui intéresse les gens dans les conversations, toujours incapable de me sentir concerné et de faire un effort pour m'y concentrer.
Ce n'est plus mon univers.
Mais est ce que cela a été mon univers avant ?
Mon impression est que mon cerveau a passé 40 ans à supporter des gens et des modes de vies que je ne pouvais pas supporter et qu'un jour il a tout simplement saturé. C'est peut être pourquoi quand je vois certains mecs dans la rue je pars en fou rire tellement je ne supporte pas leur mode de vie.
Très souvent en arrêt maladie ou en rtt parce que le cerveau a refermé les écoutilles, saturé par la folie du boulot, les énervés du boulot qui courent et gueulent partout.
Totalement vidé tel le zombie pendant deux ou trois jours, nausées, vomissements, et une semaine après c'est fini je peux reprendre le boulot à mon petit rythme de naze, à condition que la bande de furieux ne soit pas là. Alors là ça va je peux commencer ma journée zen et me concentrer sur mon boulot.
Mais les jours où ils sont là, à gueuler et courir pour n'importe quoi, je fuis. Je vais faire des choses ailleurs dans l'hôpital, m'isoler avec mes docs sur clés usb dans une salle de formation pour avoir le silence pendant la journée et ne pas avoir envie de leur enfoncer un clavier dans la gueule pour les faire taire.
Quand ils n'étaient pas là, avec un collègue nous passions notre temps en interventions, changer des pc, des écrans, des imprimantes, etc. Mais on ne disait rien. On prenait la fiche, on préparait l'écran, on téléphonait à l'utilisateur qu'on arrivait, on allait remplacer l'écran, on revenait mettre le logiciels de base de données du matériel à jour et clore la fiche. Tout ça tranquille, sans courir, sans gueuler, sans s'énerver, etc.
Mais la bande de nouveaux furieux, ils sont à 10 pour faire le travail qu'on faisait à deux. Et pour le moindre écran ou imprimante, ou panne, ça court partout, ça gueule dans tout le service, à tel point que je sors de mon bureau en me demandant ce qu'il se passe.
Et à 17 heures quand ils partent, putain de dieu de soulagement de calme de silence. Tout le monde respire, se détend, on se dit tous "ça y est le calme est revenu".
Il y en a un je l'appelle le kangourou. Il court partout, saute par dessus tout, et quand il débarque dans un bureau c'est en courant et en mettant un grand coup de pieds dans le chambranle de la porte pour s'arrêter !!!
Incapable de supporter qui que ce soit qui m'adresse la parole. D'ailleurs pendant ces jours là on me parle je ne comprend même pas de quoi on me parle, le cerveau totalement saturé des autres. Sauf les collègues calmes qui parlent normalement sans hurler et s'énerver et se mettre en panique pour des riens du tout.
Pourtant, je m'entend leur répondre des choses du boulot, je ne sais pas quoi, en automatique, inconsciemment.
Le matin pour arriver à partir au boulot je dois faire un truc de dingue.
Au lieu de me dire je vais dans un hôpital de merde avec des furieux excités qui font n'importe quoi n'importe comment en gueulant et sans la moindre compréhension du personnel soignant, je me dis que c'est comme il y a 25 ans quand j'allais piloter.
Au lieu d'aller au boulot je vais piloter. Dans ma tête.
Quelques fois je me retrouve au boulot à m'occuper de mes dépannages informatiques mais dans l'état d'esprit du pilote qui prépare son vol pour ne pas penser que je suis au boulot. Dehors je prend mon temps et je regarde les avions et les hélicos, me foutant de la gueule de ceux qui pilotent n'importe comment, admirant des faucon crècerelle, admirant un pilote de Transall qui fait des trucs supers. Je ne suis pas au boulot, je suis en vol, je pense à mes vols en planeurs et avions quand je pilotais.
Ce que disent les autres au boulot, rien à péter royal.
Quelques fois ça marche tellement bien qu'au lieu, en sortant de chez moi, de prendre à gauche pour prendre le bus pour aller bosser, je prend sans m'en rendre compte à droite pour aller prendre le métro et je me retrouve gare Montparnasse à prendre un billet pour Chartres comme si j'allais piloter.
Je me retrouve dans l'état d'esprit quand j'avais entre 16 et 22 ans quand je pilotais et que je passais mes tests pour l'armée de l'air et que je passais mes week end et vacances à piloter à la moindre occasion.
Alors quand la réalité me remonte d'un seul coup dans la cervelle, mes problèmes de famille, tous les drames de la famille qui m'ont traumatisés tellement ils sont énormes, mes problèmes cardiaque, de diabète, de dépression, je suis tellement sonné et épuisé par mes maladies que je m'assois quelque part et au bout de plusieurs heures je commence à me réveiller et je rentre chez moi et je vomis.
Et je me dis pour la 10000 fois de la journée "putain qu'est ce que je fous là pourquoi je suis pas en vol avec les copains ?"
Une collègue aide soignante avec qui j'ai bossé dur pendant des années m'a dit que je vomissais ma vie.
Elle a tout compris.
Conséquence : je ne supporte et ne m'entend bien qu'avec les gens calmes et silencieux, et plus les gens sont
excités, gueulards, bruyants, plus je les fuis et plus j'ai des envies de meurtres.
Je ne vous parlerai pas de ma famille.
Le genre qui a été capable de faire, par leurs comportements épouvantables, que mon grand père paternel se pende dans son jardin, qu'une cousine éloignée trisomique saute par la fenêtre. Le genre qui va habiter, construire son pavillon près du patelin où on a les plus vieilles traces de la famille. Le genre qui se laisse mourir d'un cancer et qui se soigne par les plantes, totalement allergique au système hospitalier, et qui en meurt. Le genre qui a fait 3 infarctus et des avc mais qui continue à fumer et à boire de la bière (mon père) et que je retrouve mort dans son lit le jour de mes 18 ans. Le genre d'oncles et de cousins, on ne s'est pas vu pendant 20 et 30 ans et quand on se voit, rien, pas une émotion, rien, comme si on s'étaient quittés il y a deux heures. Vous je ne sais pas, mais moi ça me rend malade, j'en tremble, j'en ai froid.
Voilà quelques exemples de ma famille que je dois supporter.
Alors normal qu'aujourd'hui, je ne puisse plus les voir et que je ne supporte plus que le calme et le silence.
Si l'administration fait que je puisse me barrer du boulot à 50 ans, alors je vais vivre dans le patelin calme de ma mère et surtout qu'on ne me parle plus d'informatique.
Parce que dans les années 80/90 j'étais fana d'informatique, mais comme cela se passe au boulot ils ont réussi à m'en donner la nausée.
J'ai juste besoin, après ces 40 ans où on ne m'a pas laissé vivre, que mon cerveau respire de l'air frais, c'est urgentissime pour que je ne devienne pas dingue.
Ils nous mettent la retraite à 62 puis à 67 ans.
Mais je ne tiendrai pas le choc jusque là. Pas la peine d'y penser.
Surtout comme cela fonctionne au boulot.
On conçoit, instaure, met au point des choses, des logiciels, des formations, on corrige les bugs, on s'y met à plusieurs, avec des cadres, des formations, mais c'est à peine rentré dans les moeurs des gens que c'est détruit par autre chose, que des gens, on ne sait pas qui mettent la mains dessus et y mettent leur n'importe quoi personnels et provoquent des tonnes de problèmes en traficotant les paramètres en faisant n'importe quoi sans y connaitre rien.
Alors si c'est pour travailler pour que tout ce que l'on fait soit détruit, qu'ils aillent se faire voir.
C'est terminé, je n'ai plus aucun scrupule pour le boulot.
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