Aller au contenu

L'Archipel du Goulag

Noter ce sujet


January

Messages recommandés

Membre, Posté(e)
tison2feu Membre 3 032 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)

@tison2feu en pensant à arendt je me demande si l'idéologie est si nécessaire que celà .

Je pense par exemple aux fonctionnaires de Cecil Rhodes qui auraient sans doute fait de bon tauliers . C'est un peu loin , il faudrait sans doute que je m'y replonge .

Par ailleurs l'idéologie sans le pur et l'impur n'est sans doute pas à même de conduire à l'horreur , il faut dans l'idéologie un élément de polarisation permettant de scinder l'humanité en deux .

@DroitDeRéponse

Selon Arendt, l'idéologie est consubstantielle au totalitarisme.

L'idéologue agit dans l'illusion, mais sans le savoir, et prétend ériger en vérité universelle son propre point de vue en ne faisant au final que défendre ses propres intérêts personnels ; l'important pour lui, en tant que pur et dur, c'est de faire taire par tous les moyens et d'éliminer massivement tous ceux qui s'opposent à son point de vue.

Je trouve stupéfiant qu'aujourd'hui encore il y ait des idéologues staliniens pour continuer leur sale boulot : faire taire et salir le précieux témoignage de l'auteur de l'Archipel du Goulag. Je réagirais aussi vivement si quelque idéologue négationniste intervenait pour faire taire la parole des survivants de la Shoah.

Modifié par tison2feu
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre, Forumeur confit, Posté(e)
Enchantant Membre 15 620 messages
Forumeur confit,
Posté(e)

Merci à January qui nous fait partager sa découverte et ses lectures d'Alexandre Soljénitsyne.

Cet homme russe,grand écrivain, était aussi d'une honnêteté intellectuelle incontestable et d'une liberté de jugement impressionnante.Quelques extraits de son discours depuis Harvard en 1978.

Alexandre Soljénitsyne Le déclin du courage

Le 8 juin 1978 A.Soljénitsyne disait aux étudiants de l'uni­versité de Harvard:

" « Non, je ne peux pas recommander votre société comme

idéal pour la transformation de la nôtre. »

( ... )

« Nous avions placé trop d'espoirs dans les transformations

politico-sociales,et il se révèle qu'on nous enlève ce que nous

avons de plus précieux: notre vie intérieure.

A l'Est, c'est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l'Ouest la

foire du Commerce:ce qui est effrayant, ce n'est même pas

le fait du monde éclaté, c'est que les principaux morceaux

en soient atteints d'une maladie analogue. »

Modifié par Enchantant
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 799 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
Posté(e)

@DroitDeRéponse

Selon Arendt, l'idéologie est consubstantielle au totalitarisme.

L'idéologue agit dans l'illusion, mais sans le savoir, et prétend ériger en vérité universelle son propre point de vue en ne faisant au final que défendre ses propres intérêts personnels ; l'important pour lui, en tant que pur et dur, c'est de faire taire par tous les moyens et d'éliminer massivement tous ceux qui s'opposent à son point de vue.

Je trouve stupéfiant qu'aujourd'hui encore il y ait des idéologues staliniens pour continuer leur sale boulot : faire taire et salir le précieux témoignage de l'auteur de l'Archipel du Goulag. Je réagirais aussi vivement si quelque idéologue négationniste intervenait pour faire taire le témoignage des survivants de la Shoah (par exemple Le Journal d'Anne Frank).

Bonjour tison

Dans les origines du totalitarisme Cecil Rhodes est un technicien pas un idéologue, pourtant la déshumanisation est à l'œuvre . Je n'ai pas ressenti cette consubstantialité . Je note cependant "le pur" dans votre reponse .

Pour le reste, nous sommes d'accord c'est consternant .

Modifié par DroitDeRéponse
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Avec plaisir :)

J'ai fini tous les tomes depuis un moment, mais j'ai placé des signets en vue du partage pendant ma lecture. Nous irons au bout de l'oeuvre complète.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
tison2feu Membre 3 032 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)

Bonjour tison

Dans les origines du totalitarisme Cecil Rhodes est un technicien pas un idéologue, pourtant la déshumanisation est à l'œuvre . Je n'ai pas ressenti cette consubstantialité . Je note cependant "le pur" dans votre reponse .

Désolé, je ne connais pas Cécil Rhodes, mais c'est enregistré.

Pour l'heure, place au témoignage de Soljenitsyne.

Et merci à Juanary pour sa persévérance.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 799 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
Posté(e)

Avec plaisir :)

J'ai fini tous les tomes depuis un moment, mais j'ai placé des signets en vue du partage pendant ma lecture. Nous irons au bout de l'oeuvre complète.

:clapping:

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Merci tous Smiley-IPB-410.gif

Deuxième partie - Le mouvement perpétuel

Chapitre 4 - D'île en île - Extraits choisis

Il arrive aussi qu'on transporte les zeks d'île en île à travers l'Archipel dans des nacelles individuelles. Cela porte le nom d'escorte spéciale. A moi, au cours de ma carrière de prisonnier, cela est advenu trois fois.

Cette fois-ci, vous échappez aux transfèrements en commun, vous n'aurez pas à mettre les mains derrière le dos, ni à vous déshabiller entièrement, ni à vous asseoir à même le sol, et ne serez même pas fouillé. Bien entendu, vous avertit-on, en cas de tentative de fuite, nous tirons, comme d'habitude. Nos pistolets sont chargés, nous les avons en poche. Toutefois, nous allons voyager normalement, ayez l'air dégagé, ne laissez pas comprendre que vous êtes un détenu.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
Garlaban Membre 7 685 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Pour ceux que le sujet intéresse, je recommande la lecture du livre d'Eric Werth "L'ile au cannibales".

Très bien sourcé par un des auteurs du livre noir du communisme.

Il décrit les dérives d'un système complètement déshumanisé qui déporta dans une région de Sibérie des milliers d'individus de tous ages. L'absence de coordination entre les différents maillons de la chaine répressive aboutira à l'élimination inévitable...Fascinant récit de perte de repères humains lorsque des individus sont soumis à une situation extrême dans un lieu clos.

Tout ceci à la seule fin de "purifier socialement"...

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Merci Garlaban :)

Dans ce chapitre 4, Soljénitsyne raconte qu'un jour, à mi-temps de sa peine, il est convoqué par le répartiteur alors qu'il travaillait dans une brigade de charpentiers. Il ne sait pas à quoi s'attendre. Supplément de peine ? Libération ?

J'avais complètement oublié que six mois auparavant, notre camp avait reçu la visite de je ne sais plus quel type qui nous avait donné des fiches à remplir. La colonne la plus importante était celle intitulée "qualification". Pour se donner du prix, les zeks s'attribuaient les qualifications les plus cotées dans les camps : coiffeur, tailleur, boulanger, magasinier... Pour moi, je plissai les paupières et j'écrivis : "spécialiste de physique nucléaire". De ma vie je n'avais été spécialiste de physique nucléaire, mais comme avant la guerre j'avais suivi quelques cours à l'université et je connaissais le nom des particules et des paramètres de l'atome, je résolus de répondre ainsi. C'était en 1946, il nous fallait à tout prix la bombe atomique.

Il est une légende que, de temps à autre, on entend conter dans les camps, une rumeur sourde qui ne mérite aucune créance et que personne n'a jamais confirmée : quelque part dans l'Archipel, il existerait de minuscules îles du Paradis. Nul ne les a vues, nul n'y a séjourné ou qui l'a fait se tait, bouche cousue. Ces îles, à ce qu'on dit, sont arrosées de fleuves de lait coulant entre deux rives de confiture, la nourriture n'y descend jamais plus bas que la crème et les oeufs ; elles sont, dit-on, tout ce qu'il y a de propre, il y fait toujours chaud, le travail y est de nature intellectuelle et archisecret.

Et ce fut précisément dans ces îles paradisiaques (dans la langue des camps, des "bahuts") que je me retrouvai, à mi-temps de ma peine. C'est à elles que je dois d'être resté en vie : dans les camps, je n'aurais jamais duré jusqu'au bout.

A. Soljénitsyne sera transféré aux Boutyrki (prison).

La cellule, prévue pour vingt-cinq, n'était pas bourrée outre mesure : quatre-vingt personnes environ.

[...]

Il se trouva que la cellule était au point de rencontre de deux flux : le flux habituel des condamnés de frais, qu'on dirigeait sur les camps, et, en sens inverse, un flux venant des camps et composé exclusivement de spécialistes : physiciens,chimistes, mathématiciens, ingénieurs-constructeurs, destinés à partir dans des directions inconnues, en tout cas pour de bienheureux instituts de recherche.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Soljénitsyne passera 2 mois dans cette cellule, croisant des scientifiques de renom et autres intellectuels ou musiciens. Il participera aux réunions de l'Association Scientifique et Technique, présidée par Timofeïev Ressovski (détenu lui aussi bien sûr).

Le matin, séance de l'Association scientifique et technique, ensuite échecs, livres (de qualité, trois ou quatre pour quatre-vingt personnes, on fait la queue), vingt minutes de promenade - accord majeur ! Nous ne refusons jamais la promenade, même si elle nous vaut de marcher sous une pluie battante.

[...]

Le soir, il n'y avait pas de disputes, on organisait des conférences ou des concerts. Là encore, Timofeïev Ressovski brillait, consacrant des soirées entières à l'Italie, au Danemark, à la Norvège, à la Suède. Les émigrés parlaient des Balkans, de la France. Quelqu'un faisait un cours sur Le Corbusier, un autre sur les moeurs des abeilles, un troisième sur Gogol. Non, même avant la guerre, alors que je gagnais ma vie en donnant des leçons et m'essayais déjà à écrire, non, même alors je crois n'avoir pas vécu des journées plus pleines, plus déchirantes, plus chargées que cet été-là, dans la cellule 75...

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 1 - Les doigts de l'Aurore - Extraits choisis

Lorsque nos compatriotes eurent appris par la BBC que l'existence des camps de concentration dans notre pays remontait à 1921, beaucoup d'entre nous (beaucoup d'occidentaux aussi) furent sidérés. Si tôt ! Cela se peut-il ? Dès 1921 ! Est-ce possible ?

Bien sûr que non. En 1921 ils fonctionnaient déjà à plein régime, nos camps de concentration (ils étaient même en voie d'achèvement). Il serait bien plus juste de dire que l'Archipel est né au son des canons de l'Aurore.

NB : l'Aurore est le nom du croiseur qui tira les premières salves de la révolution d'Octobre, sur le Palais d'Hiver qui abritait le Gouvernement provisoire.

Soljénitsyne récapitule ensuite les châtiments décrétés par Lénine et explique de quelle façon la législation se durcit de plus en plus. Il explique ensuite d'où vient ce terme de "camp de concentration".

Voilà donc où - dans une lettre de Lénine, puis dans un décret du Sovnarkom - il a été trouvé, pour être immédiatement saisi au vol et adopté, ce terme de "camps de concentration", l'un des termes majeurs du vingtième siècle, promis à un si vaste avenir international !

[...]

Les camps de concentration étaient organisés, sous la compétence de la Tchéka, à l'intention des éléments particulièrement hostiles et des otages. Toute tentative d'évasion multipliait votre temps de peine par dix. Deuxième tentative ? Le poteau.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

A l'époque, les autorités qui installaient les camps avaient une prédilection pour les ex-monastères : murs solides formant enceinte, bâtiments de bonne qualité, et l'ensemble vide d'occupants (les moines, n'est-ce pas, ne sont pas des hommes : dehors, tout ça !).

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Troisième partie - L'extermination par le travail

Chapitre 2 - L'Archipel surgit de la mer - Extraits choisis

Au bord de la mer Blanche, là où six mois durant les nuits sont blanches, la grande île des Solovki dresse, sortant des eaux, ses églises blanches.

Nous n'existions pas encore que ces îles avaient déjà surgi de la mer, qu'elles s'étaient couvertes de deux cents lacs poissonneux et peuplées de coqs de bruyère, de lièvres, de cerfs, sans jamais toutefois de renards, loups et autres carnassiers.

Les moines Sabbace et Zossime traversèrent la mer nacrée dans une méchante barque et tinrent pour sainte cette île dépourvues de bêtes féroces. C'est d'eux que procéda le monastère des Solovki.

[...]

Beaucoup de labeur fut déployé ici, d'abord par les moines eux-mêmes, puis également les paysans établis sur les terres du monastère. Les lacs furent reliés entre eux par des dizaines de canaux. Des tuyaux de bois conduisirent l'eau des lacs au monastère. Et le plus étonnant : au dix neuvième siècle, une digue fut jetée jusqu'à l'île de Mouksalma, faite de blocs insoulevables, assis tant bien que mal sur les bancs de sable du rivage. Sur les grandes et petits îles de Mouksalma commencèrent à paître de gras troupeaux, les moines aimaient à s'occuper des bêtes, domestiques ou sauvages. La terre des Solovki se révéla non seulement sainte, mais riche aussi, susceptible de nourrir plusieurs milliers de personnes.

[...]

Les siècles et les décennies aidant, les îles eurent leurs propres moulins pour moudre le grain, leurs propres scieries, leur vaisselle sortie de leurs propres ateliers de poterie, fonderie, forge, ateliers de reliure, tannerie, leur charron et même leur usine électrique.

[...]

Impossible de laisser Dieu sait quels moines sans cervelle vivre tout simplement sur une île toute simple.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Oh ! La merveilleuse chose que voilà ; une île avec, dessus, de bons vieux murs de pierre ! Des lieux où mettre à l'ombre les grands criminels ; des gens à qui demander de monter la garde. Faites votre salut, nous n'avons rien à y redire, mais surveillez-nous nos reclus.

[...]

Imaginez un homme de la Russie Tchékovienne et post-tchékovienne, un homme de l'âge d'argent de notre culture, comme on a appelé les années 1910 ; notre homme a été élevé dans cette Russie-là ; d'accord, admettons-le, il a été secoué depuis la guerre civile, mais enfin il est habitué à une certaine manière de se nourrir, de s'habiller, d'adresser la parole à autrui...et le voici qui franchit le portail des Solovki. La première chose qu'il aperçoit dans cet enclos nu et fangeux, c'est la compagnies de quarantaine (les détenus, à cette époque, étaient formé en "compagnies", on n'avait pas encore inventé la "brigade" : elle est vêtue... de sacs ! Oui, de sacs ordinaires : les jambes sortent du bas comme de sous une jupe, pour la tête et les bras sont pratiquées des ouvertures (une invention incroyable, mais de quoi la débrouillardise russe ne viendrait-elle pas à bout !). Ce sac, le nouveau évitera de s'en affubler tant qu'il reste des vêtements à lui, mais avant même d'avoir examiné les sacs comme il convient, il apercevra le légendaire capitaine Kourilko.

Kourilko se porte à la rencontre de la colonne des transférés, vêtu, comme les autres, de la longue capote de tchékiste aux terrifiants parements noirs ; sur le vieux drap d'uniforme du soldat russe, l'effet en est sinistre : on dirait le présage de la mort.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

On prononce devant lui le nom sinistre de la Hache. C'est à dire la montagne de la Hache. Là, dans une collégiale comportant un étage, sont installés les cachots. Voici comme on vous y détient : d'un mur à l'autre sont fixées des perches de la grosseur d'un bras et on ordonne aux prisonniers punis de rester assis la journée durant sur lesdites perches. La hauteur à laquelle sont scellées les perches est calculées de telle façon que les pieds ne puissent toucher terre. Il n'est pas si facile de garder son équilibre, le prisonnier passe toute la journée à s'efforcer de ne pas tomber. S'il bascule, les surveillants bondissent sur lui et le battent. Ou bien : ils l'emmènent dehors jusqu'à un escalier de 365 marches raides (de la collégiale au lac, édifié par les moines) ; ils l'attachent dans le sens de la longueur à un rondin (pour faire du poids), l'allongent sur la dernière marche et le poussent vers le bas (les degrés sont si raides que l'homme et son bois ne s'arrêtent nulle part, même pas sur les deux petits paliers).

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Réservés aux non-détenus : lait, crème, viande fraîche, et l'excellent chou du père Père Méthode. Pour les détenus : morue pourrie, qu'elle soit salée ou séchée ; maigre lavure à l'orge perlé ou au millet, sans pommes de terre ; jamais de soupe aux choux ni de borchtch. D'où le scorbut...

[...]

Mais comment s'enfuir des Solovki ? Six mois par an, la mer est prise - qui plus est irrégulièrement, avec des fenêtres d'eau libre - et c'est le déchaînement des blizzards, la morsure du gel, le brouillard et les ténèbres. Au printemps et pendant la majeure partie de l'été, ce sont les nuits blanches, la vue s'étend au loin pour les vedettes qui patrouillent. Ce n'est qu'avec l'allongement des nuits, à la fin de l'été et en automne, qu'arrive la saison favorable. Dans les commandos, ceux qui avaient à la fois du temps et la faculté de se déplacer construisaient quelque part dans la forêt, près de la rive, qui une barque, qui un radeau, et une nuit, ils démarraient à l'aventure (certains même simplement à cheval sur un rondin), avec surtout l'espoir de rencontrer un vapeur étranger.

[...]

A s'évader par la mer, il y eut le groupe de Bessonov.

Et des livres se mirent à paraître en Angleterre, dont certains eurent, semble-t-il, plusieurs éditions. Ainsi, "mes 26 prisons et mon évasion des Solovki" de Bessonov. Ce livre stupéfia l'Europe. Et, bien entendu, fut taxé d'exagération : ouvrage calomniateur, en contradiction avec la documentation existante. La documentation existante ? Descriptions du paradis des Solovki et albums sur les Solovki diffusés par les représentants diplomatiques des Soviets en Europe, papier superbe, photos irréfutables de confortables cellules.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

De la calomnie, bien sûr, mais qui ouvrait une brèche contrariante ! En ce qui concerne l'île, on jugea bon d'y envoyer - non ; de prier de bien vouloir y aller ! le grand écrivain prolétarien Maxime Gorki. Son témoignage à lui serait, oui, la meilleure réfutation de l'immonde faux fabriqué à l'étranger !

[...]

Les autorités étaient en effervescence. Autant que faire se pouvait, on cacha le monstrueux, on fit reluire l'épate. On fait partir transports sur transports en commandos lointains, de façon qu'il reste le moins de monde possible. On désengorge l'infirmerie et on procède à son nettoiement. Et on "plante" un boulevard de sapins, fichés en terre sans leurs racines (ils resteront bien quelques jours sans sécher sur pied), conduisant à la colonie d'enfants dont l'ouverture remonte à trois mois, orgueil de l'Ouslon, dans laquelle tous les gosses sont habillés, où il n'y a pas d'enfants socialement étrangers et où, naturellement, Gorki verra avec intérêt comment on fait l'éducation des plus jeunes et comment on les sauve pour qu'ils vivent plus tard en régime socialiste.

NB : L'Ouslon, c'est la Direction des camps des Solovki à destination spéciale

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Il n'y eut d'anicroche qu'à Kem : des détenus en linge de corps et en sacs étaient en train de charger le "Gleb Boki" lorsque soudain, la suite de Gorki apparut pour embarquer sur le bateau ! Ô inventeurs ! Ô penseurs ! voici un problème digne de vous : une île nue, pas l'ombre d'un buisson, pas le moindre abri et, à trois cents pas, la suite de Gorki qui se pointe : quelle est votre solution ? Où fourrer cet opprobre, ces hommes vêtus de sacs ? Tout le voyage de l'humaniste perdra son sens s'il les voit, là, tout de suite. Bon, c'est entendu, il s'efforcera de ne pas les remarquer, mais aidez-nous voyons ! Faut-il les jeter à la mer ? Ils vont se débattre dans l'eau... Les enterrer ? Pas le temps... Oui, seul un digne fils de l'Archipel est capable de trouver une issue. Commandements du répartiteur : "Cessez le travail ! Rapprochez-vous les uns des autres ! Encore ! Assis par terre ! Restez comme ça !", et on étendit sur eux une bâche. "Le premier qui bouge, je lui fais la peau !".

L'illustre écrivain ne remarqua rien et débarqua tranquillement dans la baie de la Prospérité. Il regardera à peine les employés de l'infirmerie vêtus de blouses fraîches, il ne verra aucun surpeuplement dans les cachots propres et sans perchis de la Hache : il verra des détenus, assis sur des bancs, en train de lire le journal !

[...] Aucun n'eut l'audace de se lever et de se plaindre, mais ils avaient inventé quelque chose : tenir les journaux à l'envers. Et Gorki s'approcha de l'un d'eux, et sans mot dire, lui remit le journal à l'endroit. Il a remarqué ! Il a compris ! Il n'en restera pas là ! Il va prendre notre défense !

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

On partit pour la colonie d'enfants. Comme c'est bien installé ! chacun a son petit lit avec matelas. Tous se taisent, intimidés : oui, ils sont contents. Et soudain, un gamin de quatorze ans prend la parole : "Ecoute-moi Gorki ! Tout ce que tu vois, c'est pas la vérité. Tu veux la connaître, la vérité ? Tu veux que je raconte ?" Oui, aquiesça d'un signe de tête l'écrivain. Oui, il voulait connaître la vérité.

[...]

Gorki sortit du baraquement, le visage inondé de larmes. On avança une calèche pour l'emmener déjeuner chez le commandant du camp. Et les gosses de rentrer en trombe dans le baraquement. "Tu lui as parlé des moustiques ? - Oui ! - Et des perchis, tu lui en as parlé ? - Aussi ! - Et des chevaux à titre temporaire ? - Oui - Et des nuits dans la neige ? - Oui - Et des gens qu'on balance du haut de l'escalier ? Et des sacs ?..." Tout, il avait tout dit, tout dit, le gamin avait dit la vérité !

[...]

Gorki laissa les lignes que voici dans le "Livre d'or" spécialement broché pour cette circonstance : "Je ne suis pas en état d'exprimer mes impressions en quelques mots. Je n'ai pas envie et j'aurais honte, de tomber dans les clichés pour louer l'étonnante énergie des hommes qui, tout en étant les gardiens vigilants et infatigables de la révolution, savent en même temps se montrer des créateurs de culture remarquablement audacieux".

Gorki appareille. A peine son bateau a-t-il quitté la rive que le garçon est fusillé.

Ainsi affermit-on dans la jeune génération la foi en la justice.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 627 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

On raconte que quelque part dans les hautes sphères, le patron de notre littérature rechigna, refusant de publier des louanges à l'adresse de l'Ouslon. Comment cela, Alexeï Maximovitch ?... De quoi aurons-nous l'air aux yeux de l'Europe bourgeoise ?

[...] Et il fut imprimé, et réimprimé dans la grande presse libre, la nôtre et l'occidentale, qu'on avait tort de faire une épouvantail des Solovki, que les détenus y vivaient remarquablement bien et se redressaient remarquablement.

[...]

Le régime de détention ? Chose promise, chose due. Il fut amendé : c'était maintenant des semaines entières qu'on restait debout, serrés les uns contre les autres. Et dans la nuit, la porte Sainte, ordinairement fermée, fut ouverte sur le plus court chemin menant au cimetière. On y conduisit groupe après groupe pendant toute la nuit. Les fusilleurs étaient trois freluquets morphinomanes. Ils tiraient ivres, au jugé : au matin la grande fosse, mal comblée, remuait encore.

  • Like 1
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement

×