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L'Archipel du Goulag

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January

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Bonjour :)

Je reviens avec un texte explosif, écrit par Alexandre Soljénitsyne dans la clandestinité. Ce texte, secrètement sorti d'URSS, suscite lors de sa parution en occident en 1974 une prise de conscience des réalités du régime soviétique.

Avant tout, un petit rappel de l’Histoire :

En 1917, après l'effondrement du tsarisme, les bolcheviks s'emparent du pouvoir en Russie lors de la Révolution d’Octobre. La prise du pouvoir par Lénine donne naissance à la Russie Soviétique, premier régime communiste de l'histoire, autour de laquelle se constitue ensuite l’URSS. Lénine et les bolcheviks parviennent à assurer la survie de leur régime, malgré leur isolement international et un contexte de guerre civile. Ambitionnant d'étendre la révolution au reste du monde, Lénine fonde en 1919 l’Internationale Communiste : il provoque à l'échelle mondiale une scission de la famille politique socialiste et la naissance en tant que courant distinct du mouvement communiste,ce qui contribue à faire de lui l'un des personnages les plus importants de l’Histoire contemporaine.

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Une fois au pouvoir, il use — de façon revendiquée – de laTerreur afin de parvenir à ses fins politiques. Lénine est à l'origine de la Tchéka, police politique soviétique chargée de traquer et d'éliminer tous les ennemis du nouveau régime qu'il met en place. De même, Lénine instaure en 1919 un système de camps de travail forcé, qui précède le Goulag de l'époque stalinienne ; il fait également du nouveau régime une dictature à parti unique.

Dès mars 1923, Lénine est définitivement écarté du jeu politique par la maladie ; il meurt en début d'année suivante.

Vladimir Illitch Lénine, pouraller plus loin : https://fr.wikipedia...tch_L%C3%A9nine

Secrétaire général du Parti communiste soviétique à partir de 1922, Joseph Staline dirige l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) à partir de la fin des années 1920 jusqu'à sa mort.

800px-JStalin_Secretary_general_CCCP_1942_flipped.jpg

Par un jeu patient d'intrigues souterraines et d'alliances successives avec les diverses factions du parti unique bolchevik, et en s'appuyant sur la toute-puissante police politique et sur la bureaucratisation croissante du régime, il impose progressivement un pouvoir personnel absolu et transforme l'URSS en un régime de type totalitaire dont le culte obligatoire rendu à sa propre personne est un des traits les plus marquants.

Il fait nationaliser intégralement les terres, et industrialise l'Union soviétique à marche forcée par des plans quinquennaux, au prix d'un lourd coût humain et social. Son long règne est marqué par un régime de terreur et de délation paroxystique et par la mise à mort ou l'envoi aux camps de travail du Goulag de millions de personnes, notamment au cours de la collectivisation des campagnes et des Grandes Purges de 1937. Il pratique aussi bien des déplacements de population massifs, dont la déportation intégrale d'une quinzaine de minorités nationales, que la sédentarisation forcée non moins désastreuse de nomades d’Asie centrale.

Joseph Staline, pour aller plus loin : https://fr.wikipedia.../Joseph_Staline

Qui est AlexandreSoljénitsyne ?

Alexandre Soljénitsyne est né en 1918 à Kislovodsk. Ses parents (tous deux d’origine paysanne, les premiers leurs familles respectives à avoir fait des études) s’étaient mariés en 1917 sur le front où le père de Soljénitsyne était artilleur, sous-lieutenant dans la brigade des grenadiers.En 1914 il avait quitté l’université de Moscou pour s’engager comme volontaire dans la guerre contre l’Allemagne. En 1918, il revient à Kouban où il meurt d’un accident de chasse six mois avant la naissance de son fils.

Alexandre Soljénitsyne et sa mère mènent alors une vie de misère, logeant dans des masures froides et délabrées, se chauffant au charbon, obligés d’aller loin chercher de l’eau qu’ils rapportent dans des seaux.

Dès l’âge de huit-neuf ans, Alexandre lit beaucoup et pense devenir écrivain. Il passe son enfance et sa jeunesse à Rostov. C’est là qu’il fera des études secondaires, puis supérieures, à la faculté de physique-mathématiques de l’université de Rostov, tout en suivant par correspondance les cours de la faculté de littérature du MIFLI (l’Institut d’Histoire,de philosophie et de littérature de Moscou). La guerre le surprend à Moscou pendant les examens de la session d’été.

Evstafiev-solzhenitsyn.jpg

(Soljénitsyne en 1994)

Ayant commencé la guerre comme simple soldat, il entre à l’école d’artillerie et en 1942 il commande une batterie de repérage par le son avec le grade de Lieutenant. Plusieurs fois décoré, il ne quittera pas le front jusqu’à ce jour de février 1945 où, alors qu’il se trouve en Prusse-Orientale avec le grade de Capitaine, il est arrêté pour avoir échangé avec un ami d’enfance une correspondance que la censure a interceptée. Correspondance où il qualifie Staline du nom de Caïd : « parce-qu’il avait trahi la cause de la révolution, pour sa fourberie et sa cruauté ».

Inéluctablement, il va devoir le payer…

Alexandre Soljénitsyne, pour aller plus loin : https://fr.wikipedia...re_Soljenitsyne

Le Goulag, qu’est ce que c’est ?

Nous commettons souvent un abus de langage qui consiste à qualifier le « goulag » de camp de travail forcé. C’est faux. Le Goulag est l’organisme central qui gère tous les camps de travail forcé. Cette administration principale des camps a été créée en 1934 lors de la réorganisation de la Guépéou (Police d’état de l’URSS) et de son rattachement au NKVD nouvellement créée (Police politique de l’URSS).

Le Goulag, les principaux camps du Goulag, pour aller plus loin : https://fr.wikipedia.org/wiki/Goulag

A présent, commençons notre lecture…

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MembreN, 123ans Posté(e)
Dan229 MembreN 12 047 messages
Baby Forumeur‚ 123ans‚
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J'ai vu une émission sur Staline cette semaine et ses camps de la mort.

Epoque de terreur.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Commençons.

Première partie - L'industrie pénitentiaire

Chapitre 1 - L'arrestation - Extraits choisis

Des dizaines d'années durant, les arrestations politiques ont consisté chez nous - et c'était là leur trait distinctif - à embarquer des gens qui n'avaient commis aucune faute et que rien, partant, ne prédisposait à la résistance. D'où le fatalisme général qui s'empara des esprits, avec l'idée (assez juste, du reste, étant donné notre système de passeport intérieur) qu'il était impossible d'échapper au Guépéou-NKVD. Le pouvoir ne demandait pas autre chose. A mouton docile, loup glouton.

[...]

La majorité s'engourdit dans le mirage de l'espoir. Puisque vous êtes innocent, quelle raison peuvent-ils avoir de vous cueillir ? C'est une erreur ! On vous entraîne déjà par le collet que vous en êtes encore à essayer de conjurer le sort : "C'est une erreur ! Les choses tirées au clair, on me libérera !".

A quoi rimerait-il, dans ce cas, de prendre la fuite ? Et comment pourriez-vous, dans ces conditions, opposer la moindre résistance ?... Vous ne feriez qu'aggraver votre cas, empêcher de tirer l'erreur au clair. Bien loin de faire la mauvaise tête, vous allez jusqu'à descendre l'escalier sur la pointe des pieds, comme on vous l'a ordonné, afin que les voisins n'entendent rien.

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Membre, Forumeur confit, Posté(e)
Enchantant Membre 15 620 messages
Forumeur confit,
Posté(e)

Bonjour January,

L'archipel du goulag et ses 3 tomes font partie de mes lectures du siècle dernier.

Du coup, j'ai lu dans mon élan de cet auteur,

Alexandre Soltjénitsyne :

  • Une journée d'Yvan Dénissovitch
  • Le Pavillon des cancéreux

Ce dernier ouvrage m'a complètement ouvert les yeux et l'esprit sur la condition humaine dans une société totalitaire et vacciner pour toujours du communisme.

Modifié par Enchantant
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MembreN, 123ans Posté(e)
Dan229 MembreN 12 047 messages
Baby Forumeur‚ 123ans‚
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Erdogan semble suivre cette voie.

Les prisonniers sont souvent torturés.

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Membre, 63ans Posté(e)
S.A.S Membre 3 368 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
Posté(e)

Que vient faire Erdogan ..... et le goulag ? :| ( à part le fait de torturer )....

En plus c'est un sujet ( chaud bouillant ) et complètement d'actualité , qui mériterait une page à lui seul .

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Je suppose que Dan pense aux "purges". Mais la Turquie n'est effectivement pas le sujet.

@ Enchantant : j'ai voulu lire ce livre beaucoup trop jeune, après un quart je l'ai laissé tomber. Bon.. En même temps j'avais douze ans Smiley-IPB-410.gif

Ca faisait longtemps que je voulais y revenir. J'ai lu d'autres ouvrages sur cette période en URSS, mais pas encore ce "monument". La plume de Soljénitsyne est vive et claire, le cursus multiple de l'homme se ressent tout à fait entre littérature, philosophie, réflexions d'une logique mathématique et même quelques métaphores avec la physique.

Je ne l'ai pas mentionné au départ d'ailleurs, mais Alexandre Soljénitsyne (ça y est j'arrive à écrire son nom sans vérifier à chaque fois biggrin.gif) a été prix nobel de littérature (1970).

Continuons avec un nouvel extrait :

Parfois le sentiment dominant de celui que l'on arrête est le soulagement et même... la joie, en particulier lors des grandes épidémies d'arrestations. On arrête, on arrête à tour de bras, autour de vous, des gens pareils à vous, mais votre tour ne vient toujours pas, vous restez là à attendre qu'ils se décident : c'est épuisant, c'est une torture pire que n'importe quelle arrestation, et pas seulement pour une âme faible.

"Il fallait résister ! Quand vous-a-t-on vu résister ?", ainsi ceux qui ont souffert se font-ils aujourd'hui morigéner par ceux qui ont eu de la chance.

Oui, c'est dès la minute de l'arrestation qu'il aurait fallu commencer.

Il aurait fallu.

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Membre, Animal sauvage, Posté(e)
Mr_Fox Membre 18 189 messages
Animal sauvage,
Posté(e)

Je ne l'ai pas mentionné au départ d'ailleurs, mais Alexandre Soljénitsyne (ça y est j'arrive à écrire son nom sans vérifier à chaque fois biggrin.gif) a été prix nobel de littérature (1970).

A l'époque l'ennemi était l'est donc la propagande de l'ouest (le prix nobel) se devait de récompenser les ennemis de ses ennemis.

Aujourd'hui la propagande récompense des essais sur la liberté des transexuels/transgenres, on en conclut donc ce qu'on doit en conclure. Aujourd'hui il serait traité de fasciste. Après tout c'est un conspirationniste.

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Membre, forumeuse acharnée, Posté(e)
querida13 Membre 45 120 messages
forumeuse acharnée,
Posté(e)

En ce temps la collectivisation et les purges staliniennes ont fait 20 millions de morts ;Soljénitsyne est un rescapé qui a réussi à rapporter dans quelle condition atroces ont vécu les déportés politiques en Sibérie.J'ai lu ça en seconde ou première.J'ai toujours été passionnée d'histoire russe:mes meilleures notes à la fac.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

[...] on m'enferma immédiatement non en cellule, mais au cachot. Là, tout de même, impossible de ne pas parler de ce petit cellier de maison paysanne allemande devenu provisoirement cachot.

En longueur : une taille d'homme, en largeur : de quoi s'étendre à trois serrés, à quatre comprimés. Justement, j'étais le quatrième, culbuté à l'intérieur à minuit passé ; à demi réveillés, les trois qui étaient couchés me regardèrent d'un air renfrogné à la lueur du lumignon et s'écartèrent un peu, me permettant d'insérer entre leurs corps une épaule qui resta d'abord suspendue, puis s'enfonça progressivement, grâce à la force de la pesanteur. Alors, sur le sol jonché de paille toute hachée, nous fûmes huit bottes côté porte et quatre capotes. Ils dormaient, je bouillonnais. Plus grande était ma suffisance de Capitaine, une demi-journée auparavant, plus cela me faisait mal, à présent, de me ratatiner au fond de cette niche. Une ou deux fois, les trois gars se réveillèrent, le flanc engourdi, et nous nous retournâmes en choeur.

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Membre, 64ans Posté(e)
pila Membre 18 571 messages
Baby Forumeur‚ 64ans‚
Posté(e)

Quand les Tsars oppressaient, c'était pas mal non plus.

En fait, la Russie a connu la démocratie quelques mois en 1917; et dans les années 90. Ca fait peu !

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Dans l'article "Comment organiser l'émulation" (7 et 10 janvier 1918), Lénine proclama que le but commun et unique de l'heure était de "nettoyer la terre russe de tous les insectes nuisibles".

[...]

Insectes étaient, bien sûr, les membres des zemstvos. Insectes, les coopérateurs. Tous les propriétaires d'immeuble. Il y avait pas mal d'insectes parmi les professeurs de lycée. Tous les prêtres étaient des insectes et, à plus forte raison, tous les moines et toutes les nonnes. De très nombreux insectes se cachaient sous l'uniforme de cheminot et il était indispensable de les extirper, voir, pour certains, de les buter. Quant à la masse des télégraphistes, c'étaient, on ne sait pourquoi, des insectes invétérés qui ne nourrissaient aucune sympathie à l'égard des Soviets.

Zemstvo : organisme d'auto-administration provinciale (créé en 1864)

Au printemps de 1922, la Commission extraordinaire pour la Lutte contre la contre-révolution et la spéculation, qui venait de prendre le nom de Guépéou, décida de s'immiscer dans les affaires de l'Eglise.

[...]

On se mit donc à harponner, coffrer et exiler toutes ces espèces de moines et de religieuses qui salissaient si fort de leur présence la Russie d'avant la révolution. Et le cercle s'élargissant sans cesse, on se mit bientôt à ratisser parmi les simples fidèles en prenant les vieilles gens : surtout les femmes, dont la foi était plus opiniâtre et qui devaient porter pendant de longues années, dans les prisons de transit et les camps, le surnom de bonnes soeurs.

Officiellement, il est vrai, on les arrêtait et on les jugeait non pour leur foi elle-même, mais pour avoir exprimé leurs convictions à voix haute et élevé leurs enfants dans cet esprit.

Comme l'a écrit Tania Khodkévitch :

Prier librement,

Tu le peux...

Si nul ne t'entend

Que ton Dieu.

Des vers qui lui coûteront dix ans.

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Membre, Forumeur confit, Posté(e)
Enchantant Membre 15 620 messages
Forumeur confit,
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Chronologie de l'instauration d'une dictature : (en 5 ans)

1) Le dictateur emprisonne, élimine, tous les opposants minoritaires.

2) L'économie du pays s'effondre.

3) Le dictateur pour se déculpabiliser du marasme économique, accuse la population entière de saboter le pays.

4) La population sans espoirs tente de fuir le pays.

5) Le dictateur érige des barbelés et des miradors pour contenir les désertions en masse.

Toute similitude avec certains pays voisin ou personnage pouvant se reconnaître sont complètement fortuite. Car ceci est une fiction.

Modifié par Enchantant
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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
107ans‚ ©,
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Première partie - L'industrie pénitentiaire

Chapitre 2 - Histoire de nos canalisations - Extraits choisis

Ainsi coulaient, couraient les eaux bouillonnantes, mais les années 1929-1930 engouffrèrent dans les conduites un flot qui roula par-dessus tous les autres : celui qui emporta, par millions, les paysans dékoulakisés.

[...]

Ce qui distingua ce flot de tous les précédents, ce fut, en outre, l'absence totale de chichis : on ne se donna pas les gants, cette fois, de commencer par arrêter le chef de famille pour voir ensuite ce qu'on allait faire du reste. Au contraire. Cette fois, on porta toujours la torche dans le nid, on embarqua toujours par familles entières et on veilla même avec un soin jaloux à ce qu'aucun des enfants, qu'il eût quatorze , dix ou six ans, ne se tire en douce : tout le monde devait être ratissé et aller au même endroit pour y connaître une extermination commune. Ce fut la première expérience de ce genre, en tout cas dans l'Histoire moderne. Elle sera répétée plus tard par Hitler avec les Juifs, puis à nouveau par Staline avec les nations infidèles ou suspectées de l'être).

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
107ans‚ ©,
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Il n'est pas nécessaire ici de répéter, sur 1937, tout ce qui a déjà été écrit plus d'une fois et sera encore dit et redit : qu'un coup foudroyant s'abattit alors sur les dirigeants du parti, de l'administration soviétique, du commandement militaire et du Guépéou-NKVD lui-même.

[...]

Un petit tableau de ces années-là :

A la fin d'une conférence du parti, on adopte une motion de fidèle dévouement au camarade Staline.

Bien entendu, tous se lèvent (de même que, tout au long de la conférence, tout le monde a bondi de son siège à chaque mention de son nom). Une "tempête d'applaudissements se transformant en ovation" éclate dans la petite salle. Pendant trois, quatre, cinq minutes, elle continue à faire rage et à se transformer en ovation. Mais déjà les paumes commencent à être douloureuses. Déjà les bras levés s'engourdissent. Déjà les hommes d'un certain âge s'essoufflent. Et même ceux qui adulent sincèrement Staline commencent à trouver cela d'une insupportable stupidité.

Cependant, qui osera s'arrêter le premier ? Car, entre ces murs, parmi ces gens tous debout et qui applaudissent, il y a des membres du NKVD, l'oeil aux aguets : voyons voir qui cessera le premier ! Et dans cette petite salle perdue, perdus pour le Chef, les applaudissements se prolongent pendant six minutes ! sept minutes ! huit minutes !... Ils sont flambés ! Ils sont fichus ! Maintenant qu'ils ne peuvent plus s'arrêter, ils doivent continuer jusqu'à la crise cardiaque ! Le directeur de la fabrique de papier locale, homme solide et indépendant, y est justement sur l'estrade, et, tout en comprenant à quel point la situation est fausse et sans issue, il applaudit ! Pour la neuvième minute consécutive ! Pour la dixième ! Il lance un regard de détresse au secrétaire du Comité de Raïon, mais celui-ci n'ose pas s'arrêter. C'est de la folie ! De la folie collective ! A la onzième minute, le directeur de la fabrique de papier prend l'air de quelqu'un qui a du travail et se rassied à la table de la présidence. Et alors - ô miracle ! - où est donc passé l'indescriptible et irrésistible enthousiasme général ? Tous s'arrêtent comme un seul homme au même claquement de mains et se rassoient à leur tour. Sauvés !

[...]

La nuit même, le directeur de la fabrique est arrêté. On n'a aucun mal à lui coller dix ans pour un tout autre motif. Mais, après la signature du "206" (PV final de l'instruction), le commissaire-instructeur lui rappelle : "Et ne soyez jamais le premier à vous arrêter d'applaudir !"

(Mais que faire ? Il faut bien quand même s'arrêter un jour, non... ?)

Voilà comment on pratique la sélection selon Darwin.

Comment on vient à bout des gens par la bêtise.

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Membre, Forumeur confit, Posté(e)
Enchantant Membre 15 620 messages
Forumeur confit,
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Bonjour January,

En écho avec votre extrait de1937...

Sur nos télévisions en 2011, en Corée du Nord, nous avons été témoins de cette même absurdité apparente et spectaculaire,des généraux, des militaires,des femmes pleurant sans discontinuer à l'inhumation du grand timonier,Kim Jong Il, le père de Kim Jong Un actuel

Mais qui s'explique et se comprend par les recettes employés par tous les régimes politique de terreur, celles de la menace d'emprisonnement, de dénonciation, de liquidation arbitraire en toute discrétion des vies purement et simplement.

Cette peur humaine,révélatrice de la nature politique d'un régime, nous incitant plutôt à plaindre tous ces peuples sous le joug et le pouvoir d'un dictateur.

Nous qui sommes les premiers à brayer dans la rue pour un oui ou pour un non, au nom de notre liberté bien réelle et que nous estimons bafoué !

Entre ces deux extrémités, il faut bien reconnaître que la notre est plus enviable !

Modifié par Enchantant
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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
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Bonjour Enchantant :)

Oh oui je me souviens de ces images incroyables.

C'est sûr qu'il n'y a pas de comparaison possible, mais si on devait absolument en faire une, nous sommes souvent enclins à "gratter nos petites croûtes". Mais nous sommes beaucoup plus avancés et garder nos libertés est le terreau de notre évolution, c'est carrément un autre monde que le nôtre la dictature de Corée du Nord.

En revanche la comparaison est judicieuse entre la Corée du Nord d'aujourd'hui, son régime à la Staline et ce que je relate en ce moment, qui s'est passé il y a... presque 100 ans ! C'est effarant.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
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C'est pendant le conflit avec la Finlande qu'on expérimenta le procédé consistant à juger comme traîtres à la patrie ceux de nos soldats qui avaient été faits prisonniers. La première expérience de ce genre dans l'histoire de l'humanité !

[...]

A la fin de l'été 1941 commença à déferler, pour grossir encore en automne, le flot des encerclés. [...] Ces groupes de combat isolés, encerclés par les Allemands, et qui avaient réussi enfin à sortir de ces poches. Eh bien ces hommes, au lieu de les étreindre fraternellement en se réjouissant de leur retour, au lieu de les laisser se reposer, puis revenir au combat, on les conduisait avec suspicion, avec défiance, en détachements désarmés, privés de tout droit, jusqu'à des centres de contrôle et de triage. Là, des officiers des Sections spéciales commençaient par mettre en doute chacune de leurs paroles et même leur identité.

[...]

En 1943, on vit jaillir un nouveau flot qui devait grossir d'année en année jusqu'en 1946.

L'un civil, fait de gens qui avaient vécu sous l'occupation ou avaient été embarqués par les Allemands ; l'autre militaire, constitué par des prisonniers de guerre.

[....]

Dans le flot des personnes libérées de l'occupation allemande s'écoulèrent l'un après l'autre, compacts et rapides, les flux des nations qui avaient fauté :

- en 1943 les Kalmouks, les Tchétchènes, les Ingouches, les Balkars, les Karatchaï

- en 1944 les Tatars de Crimée

[...]

A partir de la fin de l'année 1944, quand notre armée atteignit l'Europe Centrale, un nouveau flot fut précipité dans les canaux du Goulag, celui des émigrés russes : vieillards partis pendant la révolution et jeunes gens qui avaient grandi là-bas. Un million de citoyens soviétiques qui avaient fui leur pays au cours des années de guerre. C'étaient pour la plupart de simples paysans qui nourrissaient une âpre rancoeur personnelle contre les bolcheviks. On les envoya tous crever sur l'Archipel.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 738 messages
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Les années 1948-1949, qui virent un renforcement des persécutions et de la surveillance policière dans tous les domaines de la vie sociale, furent marquées par la tragi-comédie des "récidivistes", épisode inouï, même dans l'histoire des iniquités staliniennes.

"Récidivistes", tel est le nom que reçurent, dans la langue du Goulag, les malheureux rescapés de 1937 qui, sortis vivants de dix années insupportables, invivables, venaient maintenant, en 1947-1948, épuiser et brisés, de poser un pied timide sur le sol du monde normal, dans l'espoir de finir tranquillement le peu de temps qui leur restait à vivre, mais le Généralissime victorieux, pris d'on ne sait quelle lubie sauvage (hargne opiniâtre ou désir de vengeance inassouvi), ordonna de jeter derechef en prison. Il ne pouvait pourtant rien leur reprocher de nouveau, à ces pauvres estropiés ! Et même d'un point de vue économique et politique, il n'avait aucun avantage à bourrer la gueule de la machine avec les déchets qu'elle avait elle-même rejetés.

Mais c'est néanmoins ce qu'il fit. Il est ainsi des cas où le caprice d'une personnalité de l'Histoire joue un tour à la nécessité historique.

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