Journal de Maurice Garçon - 1939-1945

Alors tu vas adorer le "bidet de combat" !!

24 juin 1941

Peut être est-ce de ma part une méchante tournure d'esprit, mais je déteste ces déifications d'un homme vivant. J'y vois comme un signe de faiblesse. Adorer un homme, si le sentiment est sincère, c'est se reconnaître en grande infériorité, se déclarer incapable de se conduire et de penser, c'est montrer une paresse à soi.

[...]

Et ces apologies ont toujours quelque chose de ridicule et d'un peu puéril. A tant le fêter, on rend le personnage un peu ridicule. Tout est bien en lui : il est beau, il est grand, il est sage, il est profond, il est magnifique, il est adorable. Tout ce qu'il dit est marqué par le génie. Quand il n'y en a pas assez, on en invente et, en fin de compte, on le rend idiot.

NB : Maurice Garçon fait cette réflexion alors qu'il découvre une plaquette de René Benjamin, intitulée "Le Maréchal et son peuple".

Magnifique partage.

Merci beaucoup.

Avec plaisir :)

20 juillet 1941

En marge des grands évènements, de singulières puérilités amusent les hommes. Depuis plusieurs mois, les Anglais conseillent d'inscrire des "V" à la craie sur les murs, "V" étant pris comme l'initiale de Victoire. C'est un peu sot. Pourtant, on voit un peu partout s'étaler le signe demandé. Dans le métro, les gens coupent leur billet en forme de "V" et les laissent ainsi tomber à terre. Cette petite agacerie n'est pas bien méchante. Pourtant, elle irrite les Allemands [...]

Les Allemands promulgueront une ordonnance qui obligera les propriétaires et les concierges à effacer les graffitis.

Puis les Anglais ont recommandé de frapper sur les tables des cafés la lettre "V" en alphabet morse. Et ils ont découvert je ne sais quelle symphonie classique qui commence à la cadence du "V" de cet alphabet, et il recommandent de la jouer ou de la siffler dans les rues.

Allez ! Quelle est cette symphonie ? Elle ouvrait l'émission radio de la BBC

5ème de Beethoven..?

C'est bien celle-ci oui la "V"ème, c'était facile

Je suis quasi sûre que ces "singulières puérilités" pouvaient créer un climat de complicité. Et quand on est complice, on est plus fort...

C'est bien celle-ci oui la "V"ème, c'était facile

Je suis quasi sûre que ces "singulières puérilités" pouvaient créer un climat de complicité. Et quand on est complice, on est plus fort...

C'est une bonne réflexion oui. Mais la peur saccage tout, il le relate plusieurs fois dans son journal. On ne sort plus, on ne voit plus personne, tout le monde a peur de tout le monde, la suspicion est partout. Avec un climat pareil, il fallait être gonflé pour laisser tomber parterre son ticket de métro en forme de "V". Autour, il y avait peut être vingt personnes prêtes à dénoncer...

C'est une bonne réflexion oui. Mais la peur saccage tout, il le relate plusieurs fois dans son journal. On ne sort plus, on ne voit plus personne, tout le monde a peur de tout le monde, la suspicion est partout. Avec un climat pareil, il fallait être gonflé pour laisser tomber parterre son ticket de métro en forme de "V". Autour, il y avait peut être vingt personnes prêtes à dénoncer...

Je n'y avais même pas pensé. Quand on le vit pas...

C'est là tout l'intéressant à lire un "journal" de quelqu'un qui est complètement immergé. Tous les documents historiques n'auront pas ce sentiment, cette émotion du moment.

J'en ai tellement lu ! Et pourtant je peux te dire, ce livre de Maurice Garçon restera comme une charnière dans ma façon de penser. Il est tellement imprégné de justice et d'impartialité (de par son métier) qu'il arrive à voir, à exprimer ce que beaucoup dans leur opinions arrêtées n'auraient pas pu dire.

Tu sais j'ai lu des ouvrages où il est dit que l'occupation, les Allemands, ce n'était pas si horrible que ça. Et j'ai fini par me dire, oui, c'est vrai. Avec ce journal que j'ai presque fini, mon opinion est faite, non, c'était une horreur, et pas que dans les petits villages où les Allemands ont exercé une répression impitoyable, ce n'est pas "que ça", la guerre, l'occupation, la collaboration. Maurice Garçon aura réussi à me faire désavouer tous les ouvrages où j'ai lu que "l'occupant était éduqué, courtois et juste en en temps de guerre" etc... Ca en fait des livres que j'ai lu où des gens "du bon côté", s'accommodaient, déniaient, que d'autres puissent le vivre autrement que comme eux.

Dans son journal, quel regard porte-t-il sur lui-même..?

Y a t-il place pour l'introspection..?

Je vais l'acheter grâce a ton topic, et je te remercie de promouvoir et d'inciter à l'intelligence...

Il décrit surtout ses sentiments, on est vraiment dans l'immédiateté. Il se pose plus de questions sur ce qu'il va faire, que sur ce qu'il est. Néanmoins il pourra dire à certains moments qu'il s'illusionnait à propos de certaines choses, qu'il ne comprend pas certains comportements à son égard, lui qui est comme ceci ou cela. L'homme se pense farouchement juste, éduqué, on sent une certaine supériorité (ce qui ne l'empêche pas de tailler des costards à beaucoup de monde).

1er septembre 1941

Je viens d'assister à la prestation de serment des magistrats. Quelle chambrée ! Tout un auguste parlement vêtu de rouge et couvert d'hermine. Tous ces chats fourrés. Ils sont au moins cent. [...]

Tout le monde est franc et pur, loyal et sain, sûr de son opinion.

Ne va-t-on pas publier un nouveau dictionnaire des girouettes ? Si seulement on pouvait se procurer le dossier de chacun d'eux et les recommandations dont ils sont pleins !

Il décrit surtout ses sentiments, on est vraiment dans l'immédiateté. Il se pose plus de questions sur ce qu'il va faire, que sur ce qu'il est. Néanmoins il pourra dire à certains moments qu'il s'illusionnait à propos de certaines choses, qu'il ne comprend pas certains comportements à son égard, lui qui est comme ceci ou cela. L'homme se pense farouchement juste, éduqué, on sent une certaine supériorité (ce qui ne l'empêche pas de tailler des costards à beaucoup de monde).

Plus que d'Albert Londres, je rapprocherais davantage Maurice Garçon de Chateaubriand et de sa "délectation morose", à la différence que Chateaubriand, s'il montrait le même recul désabusé devant les événements, y prenait lui une part active. Maurice Garçon est un memorialiste passif, qui s'insurge contre personnes ou événements, sans chercher à y prendre part. C'est cette ambivalence qui rend, je pense, sa lecture si intéressante.

J'ai pu lire en ligne l'épisode chez Sacha Guitry, ou il critique avec force détail et non sans talent l'homme et son train de vie, mais seulement après en avoir lui même profité en acceptant son invitation.

C'est tout autant l'ambiguïté du personnage dans ce qu'on devine de lui au travers de son recit qui fait la richesse de ce journal que j'ai hâte de lire grâce à toi...

Merci beaucoup pour ce magnifique partage. Je trouve que c'est toujours intéressant de lire un "journal", c'est plus vivant je trouve à lire qu'un document historique.

Plus que d'Albert Londres, je rapprocherais davantage Maurice Garçon de Chateaubriand et de sa "délectation morose", à la différence que Chateaubriand, s'il montrait le même recul désabusé devant les événements, y prenait lui une part active. Maurice Garçon est un memorialiste passif, qui s'insurge contre personnes ou événements, sans chercher à y prendre part. C'est cette ambivalence qui rend, je pense, sa lecture si intéressante.

J'ai pu lire en ligne l'épisode chez Sacha Guitry, ou il critique avec force détail et non sans talent l'homme et son train de vie, mais seulement après en avoir lui même profité en acceptant son invitation.

C'est tout autant l'ambiguïté du personnage dans ce qu'on devine de lui au travers de son recit qui fait la richesse de ce journal que j'ai hâte de lire grâce à toi...

Très pertinent :)

25 septembre 1941

Si je rentre, je vais, par la force des choses, devenir acteur dans l'atroce tragédie qui se joue. Si je croyais pouvoir être utile, je n'hésiterais pas. Mais je ne puis servir à rien. Le seul service que je puisse rendre provisoirement, c'est d'assurer des défenses. Rien ne serait plus enviable si je n'étais prévenu que les défenses sont de pitoyables parodies. Accepter d'y prendre part, c'est se faire complice du crime ; c'est permettre aux misérables assassins que sont les juges de pouvoir dire que les formes ont été respectées, que les accusés ont eu des garanties ; c'est permettre aux tueurs de se justifier.

Dans cet extrait, il me semble lire la justification de sa passivité. Son argumentaire désabusé l'excuse. Mais on sait, du fait même que de nombreuses personnalités du monde judiciaire etaient résistants, que d'autres moyens d'actions, plus dangereux pour sa personne, étaient possibles. Mais je ne prends pas pour autant Maurice Garçon pour un être mauvais : certes, il n'a pas résisté, mais on peut lui faire justice, il n'a pas collaboré non plus, bien que sa position lui aurait procuré nombre d'avantages en cette période...