To be or to appear that is the question

To be or to appear that is the question.

(Être ou paraître, c'est la question.)

Il y avait un ring comme de boxe au centre de Bercy. Et nous y étions trois pour débattre. Trois intellos de la plus belle eau. Quel était le sujet ? Là n'est pas la question : ce que j'ai dit plus haut ?

Mais le public nombreux était fort enthousiaste. Car applaudissements, bravos et quolibets pleuvaient sur notre dos.

Passons.

A la fin du débat, c'était l'entracte.

Et nous avions le choix des costumes. J'optais pour une robe en mousseline blanche à plusieurs épaisseurs. Un vrai tutu géant ou une crinoline. Par dessus une cape d'un tissus lourd, irisé bleu roi, peut-être rouille... Plus une perruque blonde frisée, façon Marilyn Monroe.

Ce qu'il me fallait impérativement, pour parfaire mon accoutrement, c'était un chapeau haut de forme. Je l'eusse aimé tout noir, bien sûr, mais il n'en restait plus. Les seuls qui restaient dans la salle à costumes à notre disposition étaient gris pâle avec --et c'est heureux-- un ruban large et noir sur le bas du cylindre.

Cela ferait l'affaire.

Alors, je m'envolais. Dans le ciel de Bercy. Tournais autour du ring, en faisant de beaux gestes.

Les spectateurs on crié : "Changez donc les musiques !"

Ce fut le boléro : Pan, pa-pa-pan... Pa-pa-pa-pa-pa-pa-pan, pa-pa-pan!...

Je m'appliquais à mimer la musique avec des mouvements de bras et de mains démonstratifs du rythme et de la mélodie.

Des mouvements suffisamment figés (quelques fractions de secondes) pour qu'on en déchiffre le sens. Des gestes tout pareils à ceux que font les danseuses hindoues...

Sans oublier de déplacer la tête latéralement en la gardant bien verticale, comme si mon cou se déboîtait.

Le boléro, c'était facile. puisque le rythme est bien marqué.

La seconde musique, ce fut l'Aria de Bach.

L'aigu durait, durait : Tiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii.

Et moi je tournais, tournais dans l'air dans ma robe en dentelles...

Pendant ce temps, les notes de l'accompagnement s'échelonnaient, une grave, une aiguë : Pom... Pim... Pom... Pim... Pom... Pim... Pom, puis les aigus reprenaient : pi,pa,pi,pa,pi,pa,piiiiiiiiii, pa, piiiii.

C'était beaucoup plus difficile.

Un mouvement lent et horizontal du bras droit pour le "piii" qui n'en finissait pas et des mouvements saccadés mais à peine suggérés de la main gauche pour les pim, pom, pim pom.

En gardant les doigts toujours bien raides pour l'élégance, cela va sans dire.

Hélas, plus le temps passait, plus je perdais de la hauteur.

Si mes froufrous blancs et ma perruque frisée voletaient bien, mon tourbillon autour du ring qui avait commencé à plus d'une quinzaine de mètres de hauteur, s'est retrouvé à guère plus d'un mètre pour la troisième musique.

C'était la cinquième de Beethoven.

Pom, pom, pom pom !

Et là, je renversais les chaises des premiers rangs avec mes pieds que je n'arrivais plus à faire reprendre de la hauteur :

Pom, pom, pom, pom !

Je n'étais plus du tout le fier aérostat de mes débuts.

Avec le temps je m'étais transformé en tondeuse à gazon.

Il est difficile de se maintenir longtemps en... "élévation".

Être ou paraître, il faut choisir.

Cette nuit, à la fin, ni je n'étais plus rien ni ne paraissais plus.

J’aime bien ce genre de délire bien écrit…

Je ne suis pas certain d’être capable d’en faire autant ?

Ni de raconter mes rêves dont je ne me souviens pas !

Chapeau Blaquière.

Merci : c'est encourageant !

A une époque je me souvenais de plusieurs rêves par nuit, et ça a donné les deux tiers de "Je Humble" dont je mets quelques extraits de temps en temps. Je crois qu'il faut s'y appliquer...

Je mettais une page blanche et un crayon par terre à portée de main, et je griffonnais vite quelques mots au milieu de la nuit, ce qui me permettait de retrouver mon rêve. Je me rendormais aussi sec.

Après ça fait un exercice d'écriture.

On peut "enjoliver" mais l'essentiel a été "vécu" ! C'est l'avantage : "on y était" vraiment !...

Maintenant, de temps en temps, je me souviens d'un.

Quand c'est le cas, il faut essayer de se le raconter le matin pour le fixer.

En général, ça revient assez bien.

Il suffit d'accrocher un truc, en suite on retrouve ce qui s'est passé avant, et après...

Celui-là, s'envoler en robe de mousseline, c'était trop marrant et inattendu pour passer à côté !...

(ça pallie au manque d'imagination ou d'inspiration de l'état de veille, sans doute.)

Ce qui peut être intéressant c'est de chercher l'origine des rêves. Là la veille, j'avais lu un passage de Pascal où il parle de l'opposition entre paraître et être et il va jusqu'à dire que au moment où il écrit, c'est peut-être aussi pour paraître, je me suis posé la même question, et du coup dans mon rêve je faisais le beau en robe de mousseline !

Pascal en mousseline !...

Ce qui permet de mélanger l'origine possible et le rêve lui-même.

Enfin, rien n'est sûr tout de même. J'ai peut-être inventé ce rapprochement après coup.

En tout cas, la lecture de Pascal que j'ai longtemps considéré à tort comme un philosophe de seconde zone, m'a fait penser que le "to be or not to be" de shakespeare que l'on considère toujours comme une grande pensée fondamentale est un peu ridicule.

Bien sûr que l'on peut toujours se poser la question de savoir si la vie vaut ou non d'être vécue.

Et dans le cas de ceux qui optent pour la seconde solution, c'est plus le symptôme d'un état dépressif que d'une grande réflexion philosophique.

La distinction de Pascal "être ou paraître" me semble extraordinairement plus riche et subtile et féconde.

On y retrouve Sartre, "le traître" de Gortz...

(Mince, Gortz, s'est suicidé en 2007... Je savais pas.)

J’aime bien ce genre de délire bien écrit…

Je ne suis pas certain d’être capable d’en faire autant ?

Ni de raconter mes rêves dont je ne me souviens pas !

Chapeau Blaquière.

bien narré, aveclégereté et termes choisis;