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Freetown Blues


Mr_Fox

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Membre, Animal sauvage, Posté(e)
Mr_Fox Membre 18 189 messages
Animal sauvage,
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QG des forces gouvernementales Léonaises – Fort Thornton – Freetown 1993

Au dehors la bataille faisait rage. La nuit était tombée et avec elle les rebelles avaient fondu sur la ville comme une nuée de sauterelles. Sans la trahison de ce sale rat opportuniste de Bassa en faveur des rebelles soutenus par le Liberia, les forces gouvernementales auraient pu tenir et repousser l’assaut, et avec l’aide de ses amis Américains, Anglais et Français, Kiwale aurait écrasé ces présomptueux sans difficulté. Maintenant tout était compromis par la seule faute de Bassa, il allait falloir lever le camp et se replier sur des positions gouvernementales plus sures. Dès qu’il en aurait l’occasion il faudrait tuer ce traitre, et pour ça il avait l’homme qu’il fallait.

La première chose à faire était vider les coffres du palais de leurs diamants et les envoyer en lieu sur afin de garantir l’avenir, en second lieu lancer Obo sur les traces de Bassa, et en troisième lieu foutre le camp avant que le palais ne soit réduit en poussière par ces empêcheurs de tourner en rond de rebelles pseudo-révolutionnaires démocrates Libériens, qui voulaient la même chose que tout le monde : le pouvoir et les diamants. Si possible sans élections ni observateurs de l’ONU.

Pour les diamants, mieux valait les confier à la filière habituelle pour plus de sûreté. Le convoyeur aurait simplement un sac plus gros que d’habitude et une paire de gardes du corps chargés de lui mettre une balle dans le dos à la moindre entourloupe. L’un pour le compte de l’acheteur et l’autre pour le compte du futur ex-Président Kiwale. Ils iraient en Libye et seraient mis au coffre, l’ambassade fermerait et le Guide de la Révolution Benghazi se porterait garant de leur sûreté moyennant les trois quarts du butin. Tout était déjà arrangé.

Il fît convoquer Obo qui se présenta quelques minutes plus tard.

- Président, nous avons fort à faire partout en ville pour défendre nos positions contre ces rebelles.

- Obo, mon cher, nos ennemis ont fait une recrue de choix en la personne de votre vieil ami … Bassa.

- Bassa !

- Ses troupes ont coupé leurs galons et rejoint les rangs adverses selon les informations que les services spéciaux viennent de m’apporter. Cette ordure nous a trahis et, alors que son aide nous apportait l’assurance de la victoire, sa défection au profit de l’ennemi nous rapproche chaque minute un peu plus de la défaite. Je veux que vous le trouviez et que vous le tuiez en personne. Vous m’avez bien compris Obo ?

- Parfaitement Monsieur le Président. Ce sera pour moi un honneur de servir la patrie et un plaisir de trancher la gorge de cet animal nuisible. Déclara-t-il avant de quitter la pièce raide comme un piquet.

Kiwale regarda le Général en chef des armées bedonnant quitter la pièce comme à la parade, alors qu’il n’avait probablement plus un jour entier à vivre. Peu importait, du moment qu’il donnait ses instructions aux bons services, Bassa serait traqué et tué malgré les douze prochains coups d’états. De toute façon Obo était un personnage obscène et sadique. S’il réussissait en personne tant mieux, s’il mourrait malencontreusement et qu’une personne prenne la peine de se rendre sur sa tombe, ce serait plus certainement pour commettre des actes de vandalisme profanatoire que pour pleurer le défunt.

Lorsque le coursier se présenta avec un retard important dû plus à la peur qu’aux combats, le Président lui présenta son garde du corps personnel ainsi que l’homme des acheteurs qui serait chargé de les escorter jusqu’à l’ambassade de Tripoli. Le garde du corps s’appelait Prosper N’Doula, et l’homme des acheteurs portait le nom de Jean Valjean, si on en croyait ses faux papiers, bien qu’il préférât qu’on l’appelle Marco. Le Président leur confia les diamants, dans des pochettes à bijoux dans une mallette à code insérée dans un sac en kevlar anti-coupures caché dans un second sac de sport noir étanche.

Dès qu’ils furent dans la rue, Marco-Jean-Valjean sortit un pistolet 9mm compact Glock 19, abattit les deux autres, s’empara du sac et prit la direction des quais ou l’attendait un bateau de la compagnie qui l’employait. C’était une société dirigée par un homme d’affaire que faisait chanter un syndicat affilié à la lutte indépendantiste Corse, et qui n’était autre qu’une façade pour un cartel mafieux local dont la particularité, outre leur spécialisation dans les suicides par noyade avec chaussures en béton, était le commerce de diamants de guerre ouest-Africains avec certains diamantaires Belges parmi les plus célèbres.

Pendant que le bateau appareillait tranquillement avec la moitié des ressources du pays en diamants, et sans qu’aucun des groupes de combattants de la liberté qui écumaient la ville ne le remarque, le Président prenait place à l’arrière d’un Range Rover d’un noir rutilant aux vitres fumées et quittait le palais à destination de sa retraite dans le sud du pays. A peine eut-il franchi les grilles, que le spectacle insoutenable de ses hommes de main gisant sur le trottoir ensanglanté lui glaça le sang : le sac n’était plus avec eux.

Il fit arrêter la voiture et se précipita sur la portière de la voiture qui le précédait, l’ouvrit, courut jusqu’à la portière de la voiture suivante et l’ouvrit aussi, faisant de même pour toutes les voitures qui formaient le convoi. Il avait l’air hébété mais il cherchait dans un état de panique proche de l’hystérie un de ses hommes, le frère de Prosper N’Doula qui gisait immobile sur le trottoir, pour lui confier immédiatement la mission qui lui incomberait : trouver ceux qui avaient fait ça et récupérer les diamants. Le frère, Herman, était dans la première voiture mais Kiwale ne l’avait pas reconnu dans l’état d’hébétude qui était le sien. En plus de la mort de son frère, Herman avait comme avantage d’avoir déjà rencontré le contact des acheteurs étrangers, un politicien Français nommé David Val Jansen. Grace à lui, Kiwale comptait bien remonter la piste des diamants et récupérer son bien. Herman devait immédiatement quitter le pays sans suivre le convoi et se rendre en France pour trouver Val Jansen.

C’était une mission difficile mais elle permit à Herman de ne pas se trouver à bord du convoi présidentiel lorsque, cinq cent mètre plus loin, une roquette RPG toucha la voiture de tête par un tir frontal provenant de l’étage d’une maison. L’explosion la propulsa à travers un nuage de fumée bleue et grise dans l’habitacle du deuxième véhicule qui s’embrasa instantanément. Des tirs d’armes automatiques se mirent à crépiter dans l’obscurité depuis les fenêtres des immeubles des deux côtés de la rue tandis que les véhicules restant essayaient de se dégager en marche arrière. Herman ne resta pas assister au spectacle et partit en courant en direction du port, dans l’espoir de trouver une embarcation qui quittait le pays pour une destination quelconque.

Après l’explosion et les tirs, Kiwale avait hurlé au chauffeur de faire demi-tour. Les balles rebondissaient sur la carrosserie blindée et s’incrustaient dans les vitres « pare-balles » mais ça ne tiendrait pas indéfiniment et une fuite rapide constituait la seule issue. La voiture filait en marche arrière juste le temps s’éloigner assez pour faire demi-tour, lorsque derrière elle surgirent des ruelles deux pick-up Toyota blancs et boueux avec des hommes armés à l’arrière de celui de droite, tandis que celui de gauche était muni d’une mitrailleuse lourde d’origine soviétique de 14,5mm servie par un homme debout dans la benne. Les hommes de la première voiture sautèrent à terre et prirent position en ligne le long des maisons alors que le mitrailleur debout dans son Toyota braquait son canon sur le Range Rover le plus proche. Il envoya une courte rafale en direction du moteur mais n’atteint sa cible avec la précision voulue et l’habitacle du 4x4 se retrouva perforé par les balles de gros calibre, ses vitres tachées de sang avant de continuer sa route en ligne droite jusqu'à percuter un mur. Il visa avec plus de soin les deux 4x4 restant et parvint à ne toucher que les moteurs qui stoppèrent avec fracas et gerbes d’étincelles. Les hommes du Président sautèrent des voitures arme au poing, et entreprirent d’éliminer les ennemis qui les encerclaient. Leur opération de la dernière chance ne fut pas couronnée de succès et ils furent tous abattus en quelques secondes.

Kiwale seul, restait assis à l’arrière, sur le cuir de son Range Rover flambant neuf, troué de partout et aux vitres étoilées. Dans un instant les rebelles l’auraient capturé, il ne résisterait pas et serait conduit à leur chef qui lui ferait un procès équitable, sans avocat, à un coin de table, avant de le condamner à mort et de l’exécuter en personne. Il songea à Obo qui avait quitté le palais avant lui et qui traquerait ses ennemis par-delà la mort, à Herman N’Dolé qui allait récupérer ses diamants et les garder pour lui, à Val Jansen et au corse Jean Valjean qui allaient payer leur traitrise, et aussi à toutes ces femmes à qui il avait fait des enfants qu’il ne connaitrait jamais. Un coup de crosse à la tempe le rappela à la cruelle réalité : il n’était pas encore mort, seulement en train de s’évanouir.

A son réveil il était de retour dans le Fort Thornton désormais sous contrôle rebelle. Au total, il avait parcouru moins d’un kilomètre entre le début et la fin de sa fuite. C’était toujours plus que Prosper et le porte-bagage, mais il se sentait pathétique de s’être fait capturer après la fuite la plus courte de l’histoire, après avoir perdu son pays, son pouvoir, ses diamants et ses hommes. Il ne lui restait que l’uniforme qu’il portait sur lui, une montre en or, 3 bagues en or serties de diamants qui seraient arrachés à son cadavre sitôt que son cœur aurait cessé de battre, une paire de boots militaires pointure 42, ses lunettes de soleil d’aviateur. Et sa vie.

Il se redressa et découvrit qu’il avait été allongé sur une table dans la salle de réception, qu’il avait une chose en moins, ses boots, et une en plus, une chaine en acier qui reliait ses mains à un lourd lustre en cristal fixé au plafond. Le garde chargé de le surveiller dit quelque chose dans sa radio et quelques instants plus tard le Général Bassa apparut accompagné de plusieurs hommes dont un plus jeune que lui, de haute stature et en uniforme de général qui dirigeait la marche. Il y avait aussi un garçon d’une quinzaine d’années avec une machette à la ceinture et une casquette kaki qui portait les mêmes boots que celles qu’on lui avait pris durant son sommeil. Kiwale se demanda si c’était aussi lui qui avait attaché ses mains à ce lustre là-haut.

L’homme en uniforme de Général se présenta :

- Je suis le Général Walaki de l’armée révolutionnaire du peuple et j’ai pris le contrôle de la ville, je prends le commandement de l’armée en ce moment même, et d’ici un ou deux jours nous contrôlerons l’ensemble du pays. Désormais il nous appartient de faire table rase du passé pour le bien de ce pays et à commencer par vous. Un tribunal spécial vous a reconnu coupable de crime de haute trahison, et vous a condamné à mort cette nuit même. Gardes, maintenez le contre cette table !

Walaki attendit que les gardes le saisissent par les épaules et le maintiennent contre la table puis avança les mains ouvertes, bras tendus et les resserra contre son cou avec une force étonnante. Kiwale ne pouvait pas croire à une telle parodie. Il allait mourir juste comme ça étranglé par un pseudo révolutionnaire au crane rasé qui avait fait la guerre pour le compte des Libériens. Il essaya de se débattre en agitant la chaine et de donner un coup de tête en avant mais il ne pouvait pas bouger le haut du corps. Il donna un coup de genou dans les parties de son étrangleur qui avait commis la faute de se pencher sur lui, ce qui lui fit lâcher prise et tomber à genou. Kiwale tout maintenu par les gardes qu’il était poussa son avantage et frappa de son pied nu le visage du tout nouveau commandant suprême de la Sierra Léone qui s’effondra sur le sol en marbre de la salle de réception.

Le Général Bassa dit alors quelque chose à l’oreille du garçon qui saisit le manche de sa machette et s’approcha du prisonnier. Kiwale se calma, il savait les dégâts que provoquerait un coup de cette chose sur son corps.

Bassa dit alors à haute voix :

- Les choses ont mal tourné pour toi, et tu vas mourir. Tu ne peux pas choisir comment : Walaki va t’étrangler. Tout ce que tu peux choisir c’est d’avoir encore tes pieds au moment ou il le fera. Que choisis-tu ?

Kiwale garda le silence, terrorisé tandis que le garçon le regardait comme un jouet qu’il aurait eu envie de casser.

Bassa reprit :

- C’est bien ce que je pensais. Conduisez le dehors, attachez le debout, pieds et mains liées et revenez nous prévenir quand ce sera fait.

Après quoi il alla relever le Président Walaki qui allait visiblement arborer une nouvelle blessure de guerre, un cocard à l’œil.

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