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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 17 468 messages
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Bonjour,

Les Chinois connaissent bien cette légende relatant l'apparition de l'écriture chez eux :

L'évènement aurait eu lieu en 1715 avant J.C. : Le roi des Han* appela son devin Yinshao pour lui parler de ses prévisions de pluie. Celui-ci expliqua qu'il n'avait fait que regarder ce qui était inscrit sur une carapace de tortue qu'il avait exposée au feu afin d'y faire apparaître des symboles.

Le souverain fut surpris d'entendre qu'il pouvait interpréter des signes sur les carapace des tortues de même qu'il le faisait en observant le ciel et les courbures du sol. Il craignit que son devin ne se fût moqué de lui et se mit en colère. Yinshao jura qu'il avait bien vu de l'eau sur la carapace noircie, ajoutant que le dessinateur de la cour -qui s'appelait Fong- pourrait lui-même le confirmer. Et de faire venir Fong, lequel confirma que le dessin du mot "eau" (shui) était formé à plusieurs endroits de la carapace par les craquelures produites par la flamme. Le roi fut bien content de l'apprendre, et nomma ses deux sujets scribes royaux. Les intéressés ne comprirent pas tout de suite pourquoi leur souverain voulait faire d'eux des scribes. En fait, le roi venait de décider que les craquelures interprétées comme symboles divinatoires étaient une unique et même chose : l'écriture du peuple Han* !

* Han : La plus grande partie de la population chinoise (dite de la Chine intérieure -bordée à l'est par la façade maritime et s'étendant vers l'ouest jusqu'à une ligne reliant Chengdu, au Sichuan, à Langzhou, au Gansu- par comparaison avec les autres ethnies composant la Chine extérieure) est celle des Han.

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Ce récit n'est que pure fiction, mais j'ai tenu à le rapporter en ce qu'il se rapproche assez de la réalité. Tous les témoignages archéologiques en ce sens ont en effet permis de déterminer que la langue graphique codifiée existait déjà en Chine dès le deuxième millénaire avant J.C.

Cette langue écrite initiale avait un caractère essentiellement divinatoire au tout début : elle était utilisée par les devins pour annoter les craquelures des ossements et carapaces chauffés sur le feu. Ces craquelures (jiagu wen) étaient considérées comme des signes écrits déchiffrables, susceptibles de prédire l'avenir. C'est à partir de cette langue divinatoire que se constitua la langue graphique chinoise. Les premiers signes sont des dessins représentant l'objet signifié : un petit bonhomme pour l'homme, un reptile à grosse tête pour le dragon, etc. Ils étaient extrêmement précis et codifiés, et leurs origines divinatoires leur conféraient un caractère particulièrement sacré. De divinatoires, ils devinrent peu à peu indispensables aux rituels : les artisans les inscrivaient sur d'extraordinaires vase de bronze à usage cultuel qu'ils réussir à fondre plusieurs milliers d'années avant notre ère, et ce en usant de techniques que les Occidentaux n'ont maîtrisées qu'à la fin du Moyen-Âge. Ces vases étaient en quelque sorte des supports d'écriture pour les scribes. Ils étaient gravés aux noms des ancêtres dédicataires, ou faisaient état de stipulations diverses, d'ordre juridique ou religieux, etc.

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Au fil du temps, la prononciation de ces dessins n'eut plus pour fonction que de désigner leurs graphies, ce qui permit de les utiliser comme des signes à part entière, signifiant autre chose que l'objet représenté. La langue comme moyen d'expression, et non plus de simple description, était née.

C'est à compter du VIII° siècle avant J.C. que la langue graphique parvint à son stade de maturité avec un type de graphie particulier (da zhuan) commode à déchiffrer. Les caractères commencent à être assemblés les uns aux autres, dans des combinaisons infinies, et les graphies sont reportées sur des lattes de bambou encordées : la langue classique chinoise et le livre chinois étaient nés.

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La calligraphie chinoise :

Des origines rituelles de cette écriture résultent l'importance de l'acte d'écrire et la place essentielle de la calligraphie dans la culture chinoise. C'est une véritable discipline du corps tout entier ainsi que de l'esprit, promue au rang d'art majeur.

Peinture, poésie et calligraphie sont inextricablement mêlées. Aussi, les poètes les plus grands furent toujours d'éminents calligraphes.

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Différents styles d'écriture :

Au fur et à mesure de la centralisation politique, qui aboutira à l'empire, les scribes favorisèrent l'émergence d'un style d'écriture plus facile, et aussi plus adaptée aux contraintes du pinceau remplaçant petit à petit le stylet. Apparut un style calligraphique nouveau : le style des chancelleries (li shu) qui marque un tournant décisif par rapport à l'écriture archaïque et rituelle. C'est de ce style que sont partis les trois grands styles d'écriture encore en usage de nos jours : le style régulier (kai shu), le style semi-cursif (xing shu) plus esthétique, et le style cursif (cao shu) qui est le plus proche du dessin libre et dont la maîtrise suppose une très longue pratique, un grand sens du contrôle de soi et une connaissance intime de la langue.

Les plus grands calligraphes sont ceux qui, tout en respectant les conventions de l'écriture, sont parvenus à s'en affranchir suffisamment pour créer leur style propre, tout en élégance et en équilibre, charmant par leur perfection.

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Des dictionnaires à apprendre par cœur :

À la base de chaque caractère chinois, du plus simple au plus complexe, on trouve six sortes de traits fondamentaux, dont l'association permet de calligraphier les idéogrammes. La codification de la langue écrite, de nature à favoriser son apprentissage et sa transmission, fut l'une des obsessions du pouvoir centralisé chinois. Ce fut le Premier Empereur Qin Shihuangdi qui fut l'instigateur en 221 avant J.C. du premier catalogue officiel des caractères dont l'usage était obligatoire. Un dictionnaire publié en 121 après J.C. comportait 10 516 caractères ; un autre, édité en 1717, en comptait plus de 40.000, et les lettrés n'ont actuellement toujours pas fini d'inventer de nouveaux idéogrammes !

Gutenberg n'a pas inventé l'imprimerie :

Les scribes, amenés à diffuser des textes toujours plus longs, en vinrent à utiliser des lamelles de bambou coupées dans le sens de la hauteur et reliées entre elles par des cordonnets de soie. Ils écrivaient dessus au stylet ou au pinceau de haut en bas, qui est toujours le sens de l'écriture et de la lecture du chinois. Puis l'invention du papier a permis la rédaction de livres manuscrits, en même temps que l'usage de l'estampage grâce à l'application d'une feuille mouillée sur une pierre. C'est le point de départ d'une diffusion à plus grande échelle de l'écrit.

Au VIII° siècle, des moines, désireux de répandre la parole de Bouddha dans toutes les couches sociales, inventèrent l'imprimerie par xylographie : les caractères sont préalablement sculptés à l'envers sur une planche de poirier, de buis ou de robinier. Le Sutra du Diamant fut le premier livre a être xylographié, c'est une sorte de bible bouddhique. Sa première édition, datée de 868, est conservée au British Museum de Londres.

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Ce sont des missionnaires occidentaux qui ont ramené cette méthode d'imprimerie en Europe, avant qu'elle ne soit reprise par Gutenberg, qui n'a dont quant à lui rien inventé !

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Le lettré chinois, tout un mythe !

Derrière l'écrivain, le poète, le calligraphe et le peintre se cache en réalité un seul et même individu : le lettré, dont le pinceau et l'encre sont le principal moyen d'expression. C'est un être à la fois contemplatif et un personnage de pouvoir. Capable de passer des heures à siroter du thé vert sous un pavillon, dans un lieu charmant et donc favorable à la méditation, de retour chez lui il s'enfermera dans sa bibliothèque et déroulera une longue peinture de paysage à savourer en contemplation. Formé aux six arts libéraux confucéens que sont la musique, les rites, le tir à l'arc, la conduite des chars et le calcul, il est apte à aider le Fils du Ciel (l'Empereur) à diriger. Sous les Tang (618 à 907) et plus encore sous les Song (960 à 1279), le lettré-fonctionnaire recruté par concours incarne cette élite si particulière à la Chine, singulier mélange de technocrate rédigeant des règlements administratifs et l'intellectuel féru de poésie.

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Mais l'on gardera à l'esprit qu'en Chine, ce qui est écrit possède une valeur symbolique sans équivalent ailleurs. Et l'écriture y fut un puissant élément fédérateur, car plus d'un dialecte a cours en cet immense pays.

Ci-dessous : dazibao, journal manuscrit destiné à l'affichage dans les rues.

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Source : Il était une fois la Chine, 4500 ans d'histoire, José Frèches, XO éditions.

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