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AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton

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Marc Galan

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Il y avait ses guerriers. Ils avaient, eux, épousé la querelle de leur ancien roi. Ils la poursuivraient au-delà de sa mort. Ils ne lui étaient en outre guère favorables. Ils le disaient veule, porté au compromis, toujours d'accord avec celui qui avait parlé en dernier. Ils en attendaient, pour lui témoigner autre chose qu'une déférence polie et révocable, qu'il surenchérisse sur leur méfiance et leur haine. Il était lucide. Cette démarche, au-delà de l'opinion sur Kleworegs, était suicidaire pour tous les participants au Printemps Sacré. Plus lucide encore... Il doutait de sa capacité à le représenter aux siens, encore plus à le faire accepter. Elle était, pourtant, nécessaire. Il ne pouvait être question de montrer une ouverte et continuelle réserve envers lui, et de se couper du reste des clans installés sur les nouvelles terres. Il ne leur présenterait pas la situation de ce point de vue. Il leur dirait ce qu'ils attendaient, qui répugnait à son esprit ennemi de la cautèle : Autant profiter des bonnes dispositions des dieux le temps qu'elles dureraient. Ils sont d'humeur changeante. Leur bienveillance pouvait se transformer en indifférence, voire en hostilité. Qu'alors nul ne puisse lui reprocher, non plus qu'à eux, de lui avoir marchandé sa confiance, du moins tant qu'il les avait eus avec lui. Non, il convenait de se réconcilier avec lui, sans être dupe. Des «Pourvu que ça dure ! » lancés à bon escient par des hommes zélés auraient mille fois plus d'effet qu'un sabotage larvé. Les catastrophes qui ne manqueraient pas de s'abattre ne pourraient leur être reprochées. Il ne raterait pas l'occasion, alors, de revendiquer les anciens succès et de réclamer le pouvoir pour lui, descendant de la plus vaillante tribu de tout Aryana.

Aurait-il la force d'expliquer ce projet, destiné à les calmer et à obtenir leur approbation, à ses conseillers les plus proches, tout en se tenant à la ligne de loyauté qu'il avait résolu de suivre ? Il en ferait se récrier une bonne partie. Ils étaient plus habitués à l'action qu'aux longues et tortueuses intrigues. La patience n'était pas leur fort. Il lui faudrait des trésors d'argutie pour le leur faire accepter. Pourvu que quelques-uns, au moins, soient convaincus par ses arguments et parlent en dernier. Il aurait alors la force de l'imposer... La coexistence forcée et la fausse amitié, ensuite, deviendraient peut-être avec le temps une estime véritable, une alliance forte, une fidélité sans nuages. Mais comment y parvenir si, pour garder l'estime de ses hommes, il devait cultiver leur morgue envers les autres et leur hostilité envers celui que, seul de son clan, il ne haïssait pas ?

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Membre, 63ans Posté(e)
Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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« Je suis trop influençable ! » Méritait-il d'être roi s'il ne considérait un projet comme réalisable que lorsqu'un autre le soutenait et parlait le dernier en sa faveur ? Il ne pourrait mener à bien son projet qu'avec le soutien des siens. Etre ainsi prisonnier de ses hommes ou, pire, de celui de ses conseillers qui parlerait le plus fort ! Il en voyait tous les inconvénients. Cette faiblesse l'exposait à la surenchère. Il suivrait le plus véhément, le plus ardent, le moins sage. Peut-être même, de peur anticipée, se livrerait-il à des gestes fous, ou élèverait-il des prétentions démesurées, pour prouver aux siens qu'il méritait d'être leur roi. Il paierait sa volonté de réconciliation en montrant envers Kleworegs, au moindre signe d'insuccès, une haine qu'il ne ressentait pas. Chaque geste aimable du haut roi se heurterait à une attitude hautaine. Il accepterait son amitié, mais en la faisant payer au plus haut. Peut-être, alors, voyant Kleworegs humilié par lui comme un vieillard malpropre par une servante rusée, ses hommes l'admireraient et, satisfaits d'avoir été les plus forts, ne haïraient plus leur haut roi... Comme si le mépris valait mieux que la haine. Faire l'union de tous était une belle résolution... La tiendrait-il, et à quel prix ?

Il s'endormit. Il rêverait que les dieux lui donnaient ce caractère qui lui manquait. Il pria que le rêve se réalise. S'ils avertissent les hommes et leur dictent le bon chemin, pourquoi n'auraient-ils pas la vertu de modeler qui les reçoit ? Il n'y aurait rien d'étonnant à ce nouveau pouvoir.

Hormis les sentinelles s'enivrant aux parfums de la nuit, le sommeil vint coucher tous ceux du Printemps Sacré. Influencés par les douces fragrances, les rêves furent emplis de visions idylliques, avant-goût du monde que ceux qui ont bien vécu sont admis à fouler dans l'au-delà. Au matin, chacun se réveilla, le c¿ur léger. Les ennemis de Kleworegs eux-mêmes semblaient apaisés, assagis. Ils en arrivaient presque à sourire aux hommes des autres clans. Plusieurs de ses guerriers vinrent lui rapporter le fait. Il ne douta plus, dès lors, que son projet serait bien reçu par le successeur de Thonronsis. Il prit sa plus belle fourrure, ses torques de cou et de poignets les plus lourds. Il se dirigea vers son camp, saluant ses hommes abasourdis par sa venue. Il se fit annoncer au jeune roi.

¿ Kleworegs veut me voir ? »

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Membre, 63ans Posté(e)
Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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Belonsis haussa les sourcils de surprise, puis ordonna au messager de le prier d'entrer dans la tente royale. Il avait bien fait de taire ses projets. Sans convoquer aucun conseil, parlant d'homme à homme à son haut roi, il déciderait de leur réconciliation, et mettrait chacun devant le fait accompli. Il serait bon, pour son honneur, de laisser Kleworegs parler en premier... de toute façon, le protocole l'exigeait. Tout était pour le mieux. Kleworegs venait lui faire des avances. Il pourrait jurer aux siens que c'était Kleworegs qui était venu proposer la paix, non lui qui était allé la solliciter. Son autorité s'imposerait sans le moindre effort. Il s'habilla du mieux qu'il pouvait et rejoignit la pièce au sol jonché de peaux de loups où le haut roi l'attendait. Il lui sourit, tout en s'inclinant, puis attendit ses paroles... une formule de politesse ampoulée, sans doute, à qui il répondrait de la même façon obscure et pompeuse. Il se tint fin prêt.

¿ Belonsis reg, pour que toute querelle s'éteigne entre nous, je viens te donner ma fille aînée pour épouse. L'acceptes-tu ?

¿ Oui !

Belonsis regarda Kleworegs. Le haut roi était tout aussi surpris de sa réponse immédiate qu'il l'avait été de sa question inattendue. Le oui flottait entre eux comme les bulles s'exhalant des mares stagnantes, aussi fragile qu'elles. Chacun attendait, au c¿ur la crainte que toute parole, tout geste, le moindre clignement d'¿il, rompît le charme. Ils avançaient les lèvres, comme pour parler, puis les rétractaient et les pinçaient jusqu'à ce que leurs bouches serrées les fassent ressembler à des petites vieilles édentées... Comme s'ils en avaient la même timidité, le même désir de ne pas paraître, de se glisser dans le plus petit trou de souris, de se fondre en néant.

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Membre, 63ans Posté(e)
Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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« Nous n'allons quand même pas rester ainsi, comme des statues ou des maudits pétrifiés par un sorcier ! » Ils partageaient la même pensée, mais chacun attendait que l'autre ouvrît les lèvres en premier. Ce oui les avait surpris l'un et l'autre. Kleworegs s'était imaginé une moue offusquée, un air interrogatif, des cris de protestation. Belonsis avait pensé jouer l'étonné, le méprisant, le condescendant... et il avait dit oui. Un oui qui ne l'engageait à dire vrai guère. Il sous-entendait des propositions qu'il aurait tout loisir de juger inacceptables. Il pouvait, sans que sa fierté en soit atteinte, prendre la parole pour lui demander d'être plus explicite.

¿ Oui, mais qu'as-tu à me proposer ?

¿ Je te l'ai dit, je te propose d'épouser ma fille aînée... Elle a un peu plus de treize ans, et tous s'accordent à dire qu'elle est une beauté.

¿ Je n'en doute pas, mais crois-tu que ce soit très important. Ce serait un bien plus beau gage d'amitié si tu me disais de quels biens tu vas lui faire don... Je crois que...

¿ Je te fais don de l'amitié d'un haut roi. Comptes-tu cela pour rien ?

¿ Certes non ! Mais il est d'usage qu'un haut roi soit généreux avec sa fille, quand il la donne en mariage... On reconnaît même sa haute naissance, ainsi que son désir d'amitié, à l'abondance de ses dons.

¿ Tu ne seras pas déçu !

¿ Et n'oublie pas que si un haut roi veut marier sa fille à un homme de très haute naissance, les dons doivent être encore plus beaux.

¿ Je sais tout cela, figure-toi !

¿ Et le clan des chasseurs de loups des terres au-delà de la grande eau du levant est plus riche de héros que tous les autres. Imagine le nombre de bisons qu'il y a dans une horde qui couvre la steppe, puis considère une goutte d'eau. La horde de bisons, c'est cette goutte, la foule de nos héros, le fleuve qui borde nos terres. Qui peut-en dire autant de son clan ?

¿ Tout guerrier d'Aryana, qu'importe son clan, est un héros... Ne crois pas que je méconnais ton genos.

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Membre, 63ans Posté(e)
Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Certes, mais lequel peut se targuer d'avoir enfanté des êtres au-dessus du reste des hommes comme Nemoklewos qui, attaqué et mordu par un loup furieux, lui enfonça son poing si profond dans la gueule qu'il ressortit de l'autre côté, lui permettant de saisir la queue du monstre et de le retourner comme une vieille peau, à l'épouvante de toute sa horde...

... Comme le premier Belonsis que deux hommes portèrent sur leur dos quand on l'enterra, alors qu'il en fallut cinq, tous forts comme des taureaux, pour porter le glaive avec qui il avait pourfendu plus d'ennemis qu'il est de pierres brillant au firmament...

... Comme Nsisyonemos qui ne pouvait supporter que les chênes soient plus hauts que lui et, dans sa fierté, les enfonçait à coups de poing, jusqu'à les surplomber d'une tête...

... Comme un autre Belonsis qui, d'un seul coup de massue, faisait rentrer sous terre le cheval et le cavalier qui l'attaquaient...

¿ é qui veux-tu faire croire ça ! Jamais, depuis que le monde est monde, nul n'a vu des ennemis d'Aryana se battre à cheval. Nous en sommes nous-mêmes incapables, alors qui le pourrait. Es-tu bien sûr de ce que tu viens de dire ?

¿ Nos chants ne mentent pas !

La discussion allait virer à l'aigre. Kleworegs éluda.

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Membre, 63ans Posté(e)
Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Je n'ai pas dit ça ! Mais pourquoi votre chant ne serait-il pas prophétique. Au lieu de dire ce qui a été, il vous ferait aussi savoir ce qui sera. Dans ce cas, tu m'as apporté une grande révélation. Il est possible de combattre à cheval. Le barde qui a composé votre geste était inspiré, pour l'avoir deviné.

¿ Ce sont nos guerriers qui l'ont bâtie, victoire après victoire. Mais réjouis-toi encore plus. Ta fille, si tu es généreux, va entrer dans une famille où les guerriers sont favorisés, à l'instar des prêtres, voire mieux qu'eux, de visions et de prémonitions... Peut-être suis-je le Belonsis qui fait rentrer ses ennemis sous terre. Ne crois-tu pas qu'avec un tel homme pour gendre et allié, ton Printemps Sacré sera cent fois plus beau et glorieux ?

Kleworegs l'examina de bas en haut. Où puiserait-il la force nécessaire à son exploit annoncé ? Il était solide et musclé, mais bien trop mou pour jamais l'accomplir. Il renonça à contre-attaquer sur ce point. L'examen fini, il le toisa, l'air tranquille.

¿ Tu m'as dit les prouesses passées et futures de ton clan, mais ses vilenies ? Il a compté parmi les siens le précédent roi des rois, dont le nom ne doit pas être prononcé...

¿ Autant dire, alors, qu'il n'a jamais existé...

¿ ... Et ton prédécesseur, qui a tenté de me faire mourir. J'aurais pu réclamer à ton clan le prix du sang.

¿ Tu n'es pas mort et tu l'as vaincu en duel, puis fait périr. Tu es bien payé.

¿ Et mon guide, et ceux qui devaient aller avertir les miens de mon retour, et que nul n'a plus jamais revus. Ils étaient cinq ou six jeunes fils de rois, et les chants de leurs tribus n'étaient eux aussi qu'actions héroïques.

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Membre, 63ans Posté(e)
Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Nul ne les a revus... Qui te dit qu'ils sont morts ? Oh, tu veux marchander la dot de ta fille. Tu ne crains donc pas que l'on dise, dans encore dix générations, combien sa noce avait été humble, sa dot modique... à peine digne de la fille d'un guerrier errant, qui n'a pour biens qu'un glaive ébréché et une rosse famélique. Veux-tu que l'on garde ce souvenir de son mariage ? Pourquoi l'épouserais-je ? La honte serait autant sur moi d'avoir accepté cette union, que sur toi de l'avoir projetée.

Kleworegs se rembrunit. Il ne s'attendait pas à cette résistance... Et, pour intéressées que soient ces objections, elles étaient justifiées. Il n'était pas question de perdre la face. S'il haussait le ton ? Non, Belonsis, tout veule qu'il était, avait une fierté innée. Elle le ferait se cabrer comme un cheval devant un piètre cavalier. Il se rendrait à ses raisons, mais exigerait beaucoup de lui, à raison même de la splendeur de la dot et de la fête.

¿ Si au moins je pouvais compter sur ta fidélité. J'ai plutôt eu à me plaindre de tes guerriers depuis notre départ.

¿ Ils respecteraient le beau-père de leur roi.

¿ T'engagerais-tu, sur ta vie, à me garantir cette loyauté ?

¿ Tu pourras compter sur eux, tant que les dieux te soutiendront.

¿ Et si, comme Thonronsis, tu décidais qu'ils ont cessé ?

¿ Thon/... Qui s'en soucie encore ? Et aurais-je accepté ton offre d'alliance, sinon. Les dieux, à ma grande surprise, m'ont fait te répondre comme je l'ai fait. Je suivrai leur voie.

¿ Si tu les écoutes, je me fie à toi sans crainte. Tu seras un gendre et un allié tout à fait loyal.

¿ Bien sûr ! Si on parlait de la dot ?

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le soleil avait fait du chemin. Proches et guerriers de Belonsis avaient tous fini par savoir que Kleworegs était en grande discussion avec lui... De quoi pouvaient-ils s'entretenir si longtemps ? Beaucoup auraient voulu entrer sous sa tente et s'y mêler. Les gardes houspillaient ceux qui s'approchaient trop. Chassés et furieux, ils se réunissaient en petits groupes, selon leurs affinités et leurs haines, et commençaient des échanges de vue passionnés. La présence du haut roi ne leur disait rien qui vaille. Ils la commentaient en termes malveillants. Les conseillers de Belonsis, en particulier, s'offusquaient de ne pas être admis à la rencontre. Seul, il gardait son libre arbitre, et décidait de lui-même, pesant avec sagesse le pour et le contre. Ils se désolaient de ne pas être à ses côtés pour l'influencer. Les dieux savent ce qu'il accorderait à Kleworegs. Peu ou beaucoup, ils n'arrivaient pas à l'imaginer, mais toujours trop et rien, à coup sûr, qui aille dans leur sens. Ils levaient la tête. Le soleil était toujours plus avant. Ils se désolaient à mesure de sa progression.

¿ éa ne va pas bientôt finir ? Ils en ont encore pour longtemps ?

Ceux postés devant la tente, depuis le matin frisquet, n'osaient s'éloigner pour aller changer leur fourrure contre un vêtement léger. Ils suaient à grosses gouttes. Ils guettaient, l'inquiétude au c¿ur. Quoi donc mobilisait les deux rois depuis si longtemps ? Ils avaient poussé un grand soupir de soulagement quand ils avaient cru voir s'ouvrir une des portes de la tente... ce n'était qu'un caprice du vent. Ils attendaient, depuis, au bord de la querelle, ou engageant les paris les plus fous.

¿ Ah, enfin, ce coup-ci, c'est le bon !

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Marc Galan Membre 421 messages
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La porte de la tente venait de s'ouvrir en grand. Les deux rois en sortaient, souriants. Les hommes de Belonsis s'entre-regardèrent, aussi mécontents que leur chef semblait satisfait. Ils le virent les examiner, s'attardant sur les plus importants d'entre eux, qui tous avaient des filles ou des s¿urs à marier. Ils seraient déçus, mais il n'en avait cure. Le mariage avec la fille de Kleworegs, s'il allait pour un bref moment tous les fâcher, n'aurait en fin de compte que des avantages. Il aurait été prisonnier de sa belle-famille et aurait eu à souffrir de la jalousie de tous ceux qui avaient vu leur parentèle rejetée. L'union avec cette étrangère au clan lui simplifiait la vie. Mieux valait une colère générale, qui s'éteindrait bien vite, qu'une longue jalousie recuite de tous ceux qui avaient été écartés. Mieux valait une belle-famille qui se mêlerait peu de ses affaires que des beaux-frères qui tenteraient chaque jour de l'influencer au prétexte de leur alliance.

Il leur fit un grand sourire. Il le voulait plein d'ironie. Ils y virent l'annonce d'une heureuse nouvelle... Mais quelle bonne nouvelle pouvait sortir d'une entrevue avec Kleworegs ? La réflexion, après coup, vint assombrir leur belle humeur. Tous levèrent la tête comme pour l'interroger. Il ne les fit pas languir.

¿ Chasseurs de loups, voilà ce que Kleworegs et moi avons décidé. J'ai résolu, sur sa proposition, de prendre sa fille pour épouse.

Un grondement monta de la foule. Chacun espérait qu'il épousât un jour sa fille et sa s¿ur. Il les décevait tous. Même si la raison leur dictait qu'il n'aurait pu prendre qu'une seule épouse, tous avaient espéré qu'elle serait de leur famille. Seuls les plus sages avaient été effleurés par l'idée qu'il aurait pu, pour des raisons d'alliance, se lier avec celle d'un roi ou haut roi d'une autre tribu... De là à épouser la fille de celui qui avait usurpé la place de leur précédent roi...

Il fut désarçonné par leur réaction. Il se tourna vers Kleworegs. Son calme rejaillit sur lui. Il éleva le ton, leur imposa silence.

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Je ne voulais pas favoriser un seul d'entre vous au détriment de tous les autres... Et je voulais pour notre tribu une alliance profitable. Kleworegs est haut roi, et il n'y a que trois mains de hauts rois en Aryana. Bien sûr, si l'un d'entre vous a mieux à me proposer... mais je crains qu'il ne soit trop tard. Nous avons échangé des serments. Et il m'a accordé tout ce que je lui demandais.

Il continua. Kleworegs l'écouta sans grand plaisir, ne lui prêta plus qu'une oreille distraite. Ne le citer que par son nom, omettre avec soin ses titres, n'avait rien d'amical... Peut-être devait-il cette impolitesse à son auditoire. Il n'aimait pas plus ses derniers mots. Ils puaient le mensonge éhonté... à moins que Belonsis n'ait su, dès le début, ce qu'il voulait. Il avait poussé ses premières exigences très haut dans le seul but de parvenir au résultat présent. Il n'empêchait... Alors que tous les autres clans se fondraient en une seule tribu, ceux des terres au-delà du fleuve du levant garderaient leur indépendance. Ils seraient, au rebours de tous les autres, une tribu dans la sienne... Ce que Thonronsis aurait voulu, son alliance en plus. Même s'il comptait lier son gendre dans tout un filet d'obligations, il avait, pour le moment, gagné.

Il observa ses hommes. Quelques-uns, les plus vieux ou les plus sages, chuchotaient à l'oreille de leurs voisins. La houle de colère s'apaisait à mesure que leurs paroles passaient. Il y avait même des sourires, des airs réjouis, des amorces de ricanements quand leurs regards rassurés croisaient le sien... Il avait raté une réflexion de son futur parent. Quelles étaient ses dernières paroles ? Il avait parlé du soutien des dieux, et de leur versatilité. Où avaient-ils trouvé motif à rire ? Il l'écouta, plus attentif... Mais non, rien. Ce n'était plus que des phrases vides. Il avait manqué quelque chose d'important, qui ne repasserait pas. Tant pis. Il se résignerait à lui faire confiance. Une fois tous leurs serments échangés, il serait lié à lui et devrait lui être fidèle, sauf à encourir l'ire des dieux... (« Et il y aura toujours ma fille pour l'influencer. Entière, obstinée, elle le man¿uvrera... comme moi, quand l'envie l'en prend. »)

Il avait encore affaire. Sa présence était désormais inutile. Belonsis, à voir l'attitude de ses guerriers, les avait gagnés à sa cause... pour de bonnes ou mauvaises raisons, il serait toujours temps de le savoir.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il prit congé, sans un mot. Il ferait connaître par son héraut le moment et l'ordonnance des cérémonies. Mêlant les festivités de l'arrivée dans les terres nouvelles et du mariage, elles réconcilieraient chacun autour de lui et du nouveau couple, en associant les plus réticents à la joie de la fête. Nul ne saurait pour quoi les participants à la ripaille s'étaient réjouis. Tous ceux qui festoieraient en cette proche journée reconnaîtraient par là sa légitimité. Il y gagnerait tout autant que Belonsis.

Il arriva en vue des tentes et chariots de son clan. Il s'arrêta un bref instant, se saisit le menton :

¿ Maintenant, il faudrait peut-être que j'annonce à ma fille que j'ai décidé de la marier, et à qui.

¿ Je ne suis pas une servante, qu'on vend comme ça au premier passant pour faire une affaire!

¿ Calme-toi! Belonsis est un très beau parti, beau garçon, en plus. Des milliers de filles t'envieraient, et toi...

¿ Oui, moi...

¿ Et toi, tu fais la fine bouche, tu décides que celui que je t'ai choisi n'est pas assez bien pour toi. Qui voulais-tu donc pour époux ? Le fils aîné du roi des rois ? Remarque bien que ça ne m'aurait pas déplu, mais il a une femme, et tous ses frères avec lui.

¿ J'aurais voulu que tu ne me maries pas à un ennemi. J'en ai entendu de belles sur Thonronsis et sa bande. Tu me livres à des loups. Je ne serai pas une épouse, mais un otage. Et tu prétendais m'aimer.

¿ Belonsis n'est pas un loup. C'est un garçon de valeur, guère plus âgé que toi... Tu n'aurais quand même pas voulu d'un vieillard ?

¿ Ta femme n'est pas beaucoup plus âgée que moi !

¿ Tu veux dire... moi, un vieillard ! Mais amène-moi tous les jeunots que tu veux, et je te les casse en deux... Et puis qu'est-ce que tout ça a à voir avec ton mariage. Tu serais mon fils, tu aurais vu, si on discute mes décisions.

¿ Tu m'as vendue !

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Ecoute, Permi, tu es fille de haut roi. Tu comprendras. Nous, nous devons aller combattre. J'en sais qui ne le font pas toujours de bon gré, mais qui le font cependant et qui, pour se laver de la première honte qu'ils ont eue, abattent tant d'ennemis qu'ils deviennent enragés quand ils s'aperçoivent que leur glaive n'a plus rien à moissonner. Tu pars comme ces guerriers, mais imagine la joie que tu auras à porter de futurs rois ou hauts rois. La tribu où tu vas entrer est la plus glorieuse d'Aryana. Crois-tu que j'aurais voulu une moindre alliance pour ma fille ?

¿ Le seul époux qui m'aurait convenu est un époux que j'aurais choisi !

¿ Les dieux me coupent les oreilles, d'avoir entendu une telle sottise !

Il resta un bon moment, bouche bée, à regarder sa fille. Le spectre hideux de la folie aurait-il frappé sa descendance ? Il l'examina, cherchant avec attention sur son visage les stigmates de son égarement. Si ses yeux brillaient de l'éclat violent de la colère, souvent semblable à celui de la folie, tout, dans le reste de son attitude, démentait qu'elle ait pu en être frappée. Les pommettes brillantes, la mâchoire lancée en avant, les bras croisés sur sa poitrine qui était déjà celle d'une femme, elle semblait bien plus un guerrier au défi qu'une femme égarée.

« Comme elle me ressemble ! » Il l'admira. Il en avait vanté la beauté à son futur époux, mais avait été au-dessous de la vérité. Il n'avait su lui parler de la force colorant le moindre de ses gestes, transparaissant dans la moindre de ses attitudes... « Peut-être ai-je mieux fait, d'ailleurs. Il n'aurait pas accepté de bon c¿ur pour épouse une femme à ce point capable de le dominer. » Il sentait sa volonté, la puissance de son refus... C'était par sa faute. Il avait chaque jour présenté les Chasseurs de loups comme des brutes frustes et malpropres. Elle avait trop bien compris la leçon. Elle les détestait, et leur roi, qu'elle devait épouser, pour le premier, aussi fort qu'il le lui avait appris. Elle s'en trouvait trahie et avilie. Honte sur lui de l'avoir conduite sur les chemins mêlés du désespoir et de la révolte. Il était trop tard. Il s'était engagé. Il serait beau s'il retournait auprès de Belonsis pour lui expliquer que, tout bien pesé, elle refusait de l'épouser. Qui suivrait un roi des rois qui cède ainsi à une femme ? Il se raidit.

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Je ne reviendrai pas sur ma décision.

Son visage ne se détendit pas. Jamais il n'avait vu une telle haine sur un visage de femme. Il se sentit misérable. Il se voulut implacable. Il haussa le ton.

¿ Je ne changerai pas d'avis. Tu as compris !

Elle garda le même masque impénétrable. Ses paupières étaient gonflées, grosses de larmes que son orgueil ne laisserait jamais couler. Il essaya de se justifier :

¿ Ecoute, dhugter mene, crois-moi. Belonsis fera un époux parfait. Il te plaira, j'en suis sûr. Si ses hommes sont tout ce que je t'ai dit, il n'est pas comme eux. Rends-toi compte ! Il m'a dit qu'il se sentirait honteux si tu avais à te plaindre de lui ne serait-ce qu'un jour. Sont-ce des paroles d'homme mauvais, pour qui sa femme n'est qu'une servante mieux née que les autres. Pourquoi doutes-tu qu'un homme et une femme puissent s'aimer, même si leur mariage a été décidé en dehors de leur volonté... Si encore j'avais discuté de cette alliance avec son père, tu pourrais dire que je n'ai songé qu'au clan... Mais j'ai aussi voulu que tu sois heureuse. Ton mari est aimable, connaît tous les chants de sa tribu, et sera prêt à t'écouter, si tu sais t'en faire aimer... et tu le sauras, car qui pourrait te résister ? Je demanderai à un de nos poètes de célébrer ta beauté. Il n'aura pas assez de mots, ou aucun ne sera assez fort, pour la décrire. Ton mari et toi vous aimerez, j'en suis certain. Et aussi fâchée sois-tu envers moi en ces jours, aussi reconnaissante tu seras quand tu vivras auprès de lui. Tu l'aimeras, te dis-je !

¿ Tu m'as vendue !

¿ Me le reprocheras-tu, si ton mariage est heureux et fécond, et si tu aimes celui que je te destine.

¿ Oui, et prie pour que nous ne tombions pas amoureux l'un de l'autre. Si je suis seule, et qu'il me néglige, je te haïrai de m'avoir vendue, mais je ne pourrai que pleurer. Si nous nous aimons, je saurai le persuader de te haïr autant que moi. Kleworegyo dughter esmi, dughter tewe esmi ! Et tu verras que pour aimer ou pour haïr, ton sang est le plus fort. C'est toi qui m'as faite ainsi. Nous nous mépriserions tous les deux si je te pardonnais.

¿ Permi ! Tu ne penses pas ce que tu dis !

¿ Bien sûr, je le pense. Est-ce qu'une fille de haut roi peut penser autre chose ?

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Tu nous as trahis !

¿ Qu'est-ce que c'est, que cette histoire de mariage !

¿ Il faudra voter pour nous choisir un nouveau roi !

¿ Thonronsis, vois où en est tombé ton successeur !

Belonsis tenta de se justifier.

¿ éa suffit ! C'est pas bientôt fini, ces récriminations ! Ecoutez-moi !

Il avait parlé trop bas. Ils ne l'entendirent même pas. Ils continuèrent à le houspiller.

¿ Explique-toi!... Comme ça, tu vas épouser la fille de Kleworegs. Es-tu fou ?

¿ Que fais-tu de notre honneur ?

¿ La fille de l'assassin de notre ancien roi ! Mes oreilles m'ont trahi !

¿ Si une telle infamie se commet, un manieur de cadavres aura le droit de nous regarder de haut !

Il n'y avait aucune raison que la pluie de reproche cessât. Belonsis en avait assez entendu. Il hurla. On l'entendrait, ainsi !

¿ C'est fini ? Laissez-moi parler, je vous l'ai déjà dit, et que pas un seul n'ait le front de m'interrompre... « Sinon je risque bien de suivre son avis, et les dieux savent ce qui adviendra s'il est déraisonnable. »

... Tous ceux qui étaient réveillés ce matin ont vu que c'est Kleworegs qui est venu me voir, pas le contraire. Ne croyez-vous pas que c'était une grande humiliation de sa part de venir me proposer en mariage son aînée, pour qu'il n'y ait enfin plus aucune querelle entre tous ceux qui participent au Printemps Sacré...

... Je sais ce que vous allez me dire, qu'il est au contraire bien prétentieux, pour oser demander d'unir son petit clan sans renom au nôtre, si glorieux. Je suis d'accord avec vous, mais c'est lui qui est haut roi, lui à qui les dieux ont souri, lui qu'ils ont désigné pour mener le Printemps Sacré. Cela me révolte autant que vous. Mais sans doute les dieux ont-ils quelque intention cachée. En m'alliant à son clan, je pourrai mieux la découvrir qu'en m'en tenant éloigné... Peut-être, même, saurai-je quels maléfices il a utilisé pour être désigné par les puissances et bénéficier de leur faveur...

... Quoi qu'il se passe, elle ne sera pas éternelle. Ou elle est donnée de bon gré, donc révocable à tout instant, ou elle est obtenue par fraude, et sitôt que les dieux se seront libérés des liens qui les forcent à l'accorder, il y aura un tel choc en retour que les entreprises de Kleworegs s'effondreront en un instant...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Alors, nous, guerriers Chasseurs de loups des terres au-delà de la grande eau du levant, serons là. Pour avoir suivi Kleworegs avec loyauté aussi longtemps que les divinités le soutenaient, nous serons les mieux placés pour l'abandonner. Les alliances familiales ne sont rien quand les dieux parlent... Mais, entre temps, il nous aura assuré une place privilégiée à son conseil et des fiefs, tout en nous laissant notre liberté. Je ne doute pas que très bientôt, dans ces terres que nous allons conquérir, il y aura plus d'un haut roi... Et entre un ancien haut roi abandonné par les dieux, et un nouveau qui saura les persuader de revenir appuyer leurs fils, ils sauront choisir. C'est ainsi, et je ne veux plus rien entendre.

Il laissa son regard errer sur l'assemblée. Les plus sages et les plus âgés, qui avaient déjà calmé la foule quand Kleworegs était sorti de la tente de leur chef, expliquaient aux autres le fond de ses paroles. Les têtes se levaient, leur expression avait changé. Ils croyaient retrouver Thonronsis, un Thonronsis nouveau, capable de voir loin, d'attendre, de profiter des moindres événements. Les conseillers de l'ancien roi s'étonnaient de sa clairvoyance. Ils l'avaient toujours vu brimé et considéré comme un fantoche par son parent. La royauté l'avait-elle changé ? Ils lui hurlèrent d'une seule voix leur approbation.

Les cris le surprirent. Il ouvrit la bouche pour balbutier un hésitant «Bien sûr, si vous n'êtes pas d'accord...». L'assemblée l'acclamait. Il se tut. Personne, dieux merci, ne l'avait entendu... que lui. S'il avait gagné contre la volonté de ses hommes, il devait encore vaincre sa propre faiblesse.

De retour parmi les siens, Kleworegs n'eut aucun mal à leur faire accepter l'idée de donner sa fille au roi de ses opposants. Personne, non plus, ne s'éleva contre l'énormité de la dot demandée, ni la splendeur de la fête prévue. Fête double, tant cérémonie de mariage que sacrifice et banquet pour remercier les dieux d'être arrivés, chacun y trouva motif de satisfaction. Ce serait de plus la possibilité, à l'occasion de la grande battue qu'il ordonnerait pour capturer tout le gibier des forêts environnantes, de découvrir leur don. Les guerriers se feraient une première idée de leurs futurs fiefs, rencontreraient peut-être leurs premiers sujets... ou leurs premières victimes. Les paysans jugeraient de la fertilité du sol et décideraient des défrichages éventuels. Certains voyageurs avaient raconté que les bois, au septentrion, s'étendaient sur des dizaines de lunes... Mais il n'est pas de forêt interrompue de temps à autre par une clairière. Et si jamais celle-ci contrevenait à la règle, les terres ne manquaient pas, un peu plus vers le midi, où l'on pourrait cultiver et paître sans défrichage préalable.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Sa fête, tous le savaient, serait somptueuse. Celle de Belonsis ne pouvait être moindre. Il en allait du renom de sa tribu. Il voulut organiser une battue, lui aussi. Kleworegs lui représenta qu'elle serait inutile. Il vaudrait mieux que tous participent à la sienne. Il n'en voulut pas démordre. Après un long marchandage où Belonsis concéda qu'une partie des siens ¿ les moins nobles et les moins vaillants, comme il allait s'en apercevoir ¿ prenne part à la battue commune, il se résolut à le laisser mener sa propre chasse. On tira au sort quel secteur de la forêt serait parcouru par ceux qui refusaient de chasser en commun. Sous leur prétexte invoqué, de ne demander à personne la moindre aide pour l'accueil de sa fille dans son nouveau clan, Kleworegs avait compris le défi. Il y avait dans leur esprit non une grande tribu faite de multiples clans, mais la sienne, et celle du Printemps Sacré. Il ne s'en inquiétait pas. Une fois sa fille calmée (et cela finirait par arriver, tout susceptible qu'elle fût), elle expliquerait à son époux combien son attitude était nuisible au bien commun, et combien il risquerait d'en pâtir... Mais elle ne semblait pas répondre à son attente.

Il allait pourtant la voir tous les jours. Il lui envoyait son épouse, guère plus âgée qu'elle, à qui elle pourrait se confier comme à une amie. Elle n'avait rien à dire. Elle écoutait ses exhortations, le nez de plus en plus baissé, l'air buté ou hargneux selon le moment. Il ne décolérait pas. Il aurait accepté un caprice, pas cette attitude déterminée et sournoise indigne d'une fille de roi. Ce fut bien pire quand elle refusa de s'alimenter. Elle tenait donc à gâcher sa beauté, à lui faire honte. Rien ne semblait venir à bout de son obstination. Il avait dompté des chevaux bien plus rétifs, mais ne savait comment agir avec elle. Sa conscience de ses droits de demospotis lui criait de la contraindre sans se soucier de ses réticences et de ses pleurs. Son sentiment de père lui soufflait de la persuader, de l'amadouer, de lui faire admettre que ce mariage projeté était le plus grand bonheur qui puisse lui arriver. La seule chose à laquelle il ne pouvait renoncer était cette union. Elle devrait le comprendre. Une fille de haut roi n'est pas une servante, qui peut s'accoupler à qui elle veut dans la mesure où cela ne crée aucun désordre.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il s'en voulait. Il comparait sa rigidité de roi et père de son clan, sévère et inflexible, et son indulgence envers elle. Quelle honte ! Pourquoi avait-il pour elle, à l'exclusion de ses autres filles, de telles faiblesses ? Il s'imaginait, en dehors des occasions fixées par les traditions, écoutant les doléances de ses hommes, et réagissant comme il réagissait face à son aînée. Combien de temps lui faudrait-il pour devenir la risée de ses guerriers, voire de ses paysans ou, pire, de ses serviteurs ? Fille de son père et femme de son clan, elle devait lui obéir. « Et si elle se prend à me haïr ? Elle en serait capable. »

Il rejetait très vite l'idée. Son sang le trahirait ? Quelle absurdité ! Il se caparaçonnait de sévérité. Fille aînée ou serviteur, quiconque dépendait de lui lui devait obéissance et soumission. Il lui annonça sa décision. Elle le regarda, yeux flamboyants :

¿ Que je l'aime ou je le haïsse, le mari que tu m'imposes aura au moins mon respect. Il dépend de toi, mais ne t'obéit pas. Je le lui rappelerai.

Il sortit de sous sa tente. Enfin elle acquiesçait à l'union projetée! Quant aux menaces, et à ce qu'elle lui avait dit sur l'indiscipline de Belonsis, il n'en avait rien entendu. Il aurait eu, sinon, trop de questions à se poser, dont il ne souhaitait pas, tout bien considéré, avoir la réponse.

« Avec le temps, tout s'arrangera ! Ne songeons plus qu'à préparer ce mariage ! »

La battue de Kleworegs lui permit de prendre assez de gibier pour que chacun, y compris le plus humble troisième caste, ait son morceau de viande pour fêter l'arrivée dans le nouveau domaine. Celle de Belonsis fut moins réussie. Il devrait, s'il voulait que son mariage soit aussi mémorable qu'il l'avait promis, faire une coupe claire dans le cheptel qu'avait amené sa tribu... un cheptel des plus réduit. A croire que la moitié de son troupeau s'était noyée en traversant le fleuve du couchant, ou avait péri au long de son trajet. Leur troupe était d'ailleurs aussi pauvre en producteurs. Il y avait là une intention. Il devait essayer de la deviner.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il se récita les gestes des précédents Printemps Sacrés... les tout premières. Elles évoquaient l'ancienne tradition, qui offrait aux cadets de fuir la puissance de leur père ou de leurs aînés en les quittant et en partant s'emparer, avec pour tout bagage leur char attelé et leurs armes, de terres où ils deviendraient chefs à leur tour. Mais comme cette fuite rompait les liens familiaux, sacrilège envers les lois des clans, ils dédiaient, pour cette faute, leur entreprise aux dieux, et en faisaient d'une certaine façon leurs complices. Aussi ces hommes jeunes, dont l'ambition et le courage étaient plus forts que leur crainte des divinités, partant seuls et sans aucun bien, étaient autorisés, voire incités, pour que elles sourient à leur aventure, à leur sacrifier tout être vivant qui croiserait leur ruée. Les hommes de Belonsis avaient gardé l'esprit de ces temps féroces, et voulaient en imiter les exploits. Les quelques troupeaux, les rares troisième caste, qui les accompagnaient, n'étaient qu'une concession à l'esprit du temps. Plus que créer des établissements, leur idée était de s'enfoncer loin dans ces terres, d'y détruire toute opposition et d'y prendre femme quand les hommes des tribus indigènes auraient été exterminés par leurs soins. Ainsi avaient agi les héros des premiers Printemps Sacrés, dont nul ne savait plus le destin. Seuls contre l'immensité, ils avaient sans doute fini par être engloutis. Les plus récents avaient été menés avec plus de sagesse, et Aryana s'en était trouvé bien. Elle s'était étendue de toutes parts, et chaque tribu avait gardé au c¿ur le sentiment de son appartenance. Entre cette sagesse et la folie des premiers, il avait choisi. Un raid ne vaut que si l'on revient près des siens, riche de biens. S'il s'agit d'installer un camp et de faire des enfants à quelques étrangères à la feinte soumission, prêtes à leur enseigner la haine de leurs pères, autant jeter des graines dans un fleuve. Il envisageait tout autre chose. Il couvrirait la Terre de vrais fils d'Aryana, non d'enfants dont leur séjour dans le sein de femmes étrangères aurait corrompu le sang. Belonsis l'avait d'ailleurs compris, qui avait pris pour épouse une femme d'Aryana. Une graine pousse d'autant mieux qu'elle germe dans une bonne terre. Les fils de Belonsis et de sa fille ne seraient jamais faits pour la servitude. Il n'en serait pas de même pour ceux nés de l'union de ses guerriers et de leurs servantes. L'exemple de ceux qui n'avaient rien laissé, qu'un brumeux souvenir, était là pour le rappeler.

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Marc Galan Membre 421 messages
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« Que ferai-je de Belonsis et des siens, qui ne pensent que raids et combats ? Peut-être aurai-je à m'en servir, mais tout ce que mes guides m'ont appris sur ces terres m'en dissuade. Il serait indigne de massacrer les hommes pacifiques ou les frères disparus qui y vivent. Mais peut-être, plus loin, rencontrerons-nous des guerriers hostiles, à combattre, ou des tribus riches et arrogantes, à soumettre. Les hommes de Belonsis, sans femmes ni biens, seront là pour ça... Et nos troisième caste seront trop heureux de paître leurs troupeaux, ou de faire pousser leurs récoltes, sur ces terres de conquête. Mêler l'esprit des anciens et des nouveaux Printemps Sacrés nous sera profitable au plus haut point. Conquérir, s'enraciner, garder en nous le sentiment d'Aryana, doit être notre but. Je serai là pour l'accomplir. »

Vint le jour du mariage. Il avait pris son parti de l'hostilité de sa fille, et tenté de reconsidérer son attitude vis-à-vis d'elle. Quelle injustice dans sa passion à son égard, quand la mort d'une de ses s¿urs n'avait entraîné chez lui, au retour d'un raid, qu'un furtif « C'est bien malheureux ! ». Autant il avait, à cette occasion, été raisonnable, autant ses inquiétudes, quand elle avait le moindre bobo, ou la plus petite contrariété, étaient ridicules. Il essayait de s'en moquer, sans succès. Il l'avait choyée, l'avait préférée à toutes les autres, et il ne pourrait se défaire de cette prédilection. Il ne se pardonnait plus de l'avoir donné en mariage contre son gré, comme il le devait pourtant. Il aurait dû la laisser choisir son futur époux. Il ricana... Des idées peu ordinaires lui venaient parfois, mais cette extravagance... D'abord, comment aurait-elle su choisir ? Il aurait fallu en avoir la capacité, la sagesse. Les femmes l'auraient-elles jamais ?

Il regarda la porte de la tente où les servantes, sous les ordres de son épouse, la préparaient. Quel masque affectait-elle ? De colère, de résignation ? De fierté, peut-être, si elle avait fini par comprendre combien son union servait son clan ? Cela faisait plusieurs jours, après son éclat, qu'il avait renoncé à passer la voir. Il avait peur de ne pas se conduire à son égard en père, maître de sa famille et de son clan, mais en vieil oncle maternel, indulgent à toutes les foucades, prêt à céder au moindre caprice. Même en ce jour, il ne croiserait pas son regard. Chargé de haine, de résignation, de détresse, il en souffrirait. Heureux, il en serait jaloux. Jaloux du bonheur de sa fille, plus encore de la chance de son époux.

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Marc Galan Membre 421 messages
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« Pas de ça, pas de sentiments, de regrets, de rêves. L'avenir du Printemps Sacré, celui d'Aryana, se jouent à travers ce mariage... Le mien aussi, si mon gendre travaille pour ma gloire. Je ne me conduirais pas ainsi, la sueur au front, si n'importe quelle autre de mes filles se mariait. Permi n'est qu'une d'elles... Et elle au moins, à la différence de sa s¿ur, est vivante, même si ma famille en portera le deuil. »

Il s'éloigna. Il alla vers les siens. Ils avaient entassé le gibier abattu pour le dépecer. L'odeur en était prenante, un peu éc¿urante, mais n'offusquait aucun narine. Ceux qui la humaient y trouvaient plutôt motif à se réjouir. Une odeur annonciatrice de franche ripaille ne peut être qu'un parfum. Ainsi pensaient ceux qui entouraient le charnier. Ils se regardaient, sourire aux lèvres. Un se détacha de la petite foule et vint vers lui.

¿ Ah, Kleworeg, la fête et les sacrifices pour célébrer notre arrivée, c'est pour bientôt ?

¿ Je ne vais pas tarder à les déclarer ouverts. Tu as l'air pressé. Tu veux me demander quelque chose. Parle !

¿ Roi Kleworeg, ma femme vient d'accoucher. Voudras-tu ordonner qu'il soit reçu parmi ceux de sa caste, en ce jour qui marque notre prise de possession de ces terres ?

¿ Est-il solide ?

¿ Je vois à quoi tu penses. Oui, rassure-toi. Les dieux du serment me foudroient si !...

¿ Va voir notre premier prêtre. Il sacrifiera pour voir son avenir, et acceptera peut-être, si les présages sont bons. Alors, tu appelleras ton fils Wesnessunus, le fils du Printemps. Il y a-t-il dans ton clan un guerrier mort dans un combat glorieux, dont l'âme n'a pas encore trouvé d'hôte, pour le féconder ?

¿ Non, mais celles des héros des anciens Printemps Sacrés errent sur ces plaines. Mon fils, si les dieux le veulent, recevra l'esprit de l'un d'eux.

¿ Et tous ceux qui naîtront dans ces terres avec lui. Tu dis juste. Dans leurs vaisseaux coulera la vigueur des premiers héros... Qui sait s'ils ne parleront pas par leur bouche, nous envoyant leurs conseils et leurs avis. Pour penser avec une telle sagesse, tu es le roi de ton clan, n'est-ce pas ?

¿ Non, mais il écoute mes avis, et les suit souvent.

¿ J'en ferai autant. Va voir les prêtres ! Dis leur ce que les esprits des guerriers des anciens Printemps Sacrés t'ont révélé !

¿ Tu crois qu'ils m'écouteront ?

¿ Je suis le haut roi du Printemps Sacré. Les dieux favorisent de visions ceux qui me suivent. Non, va! Fût-il porteur de lin, nul ne s'élevera contre ton haut roi.

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