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AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton

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Marc Galan

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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Il avait demandé l'impossible. Il l'obtint. Au bout de onze jours, à force de recoupements et de déductions acrobatiques, et avec l'aide de Bhagos qui sentait que la prééminence des guerriers annonçait la désertion de ses autels au profit de ceux de Thonros, on trouva un jeune prêtre qui raconta à un messager que non loin de son village vivait un fou se promenant tout nu en compagnie d'une couleuvre et de putois, ivre du matin au soir, et s'amusant pour effrayer les enfants et les villageois à faire surgir des voix terrifiantes du tronc des arbres creux. L'homme était un première caste, comme l'avaient prouvé les incantations et malédictions, connues d'eux seuls, qu'il avait lancé à ceux qui voulaient, devant ses scandales, lui faire un mauvais parti. Le doute n'était guère permis. Il avait trouvé le chasseur de maléfices. Restait à le ramener. é côté de ce défi, le découvrir risquait de n'avoir été qu'un jeu d'enfants.

Il hésitait entre retourner à bride abattue vers Kerdarya, et persuader le prêtre fou de venir avec lui. Il opta pour la seconde solution. Personne ne lui volerait sa gloire. Il se dirigea vers la clairière où les paysans, moitié crainte sacrée, moitié respect de sa fonction, déposaient tous les jours nourriture et boisson pour le dément, et l'attendit. Au bout de trois ou quatre pas du soleil, la plus punaise créature dont il ait jamais senti les effluves arriva. é côté, ses putois semblaient baignés d'eau de rose. Il le salua bien bas, et se retint de sursauter quand le familier de l'ermite répondit à sa place.

¿ Qu'est ce que tu veux, toi ? Pourquoi viens-tu déranger mon maître ?

Prévenu des dons du prêtre, il ne se démonta pas. Il regarda son véritable interlocuteur. Il fut respectueux, mais sec :

¿ éa va, prêtre, je sais ton don. Je suis là, envoyé par le regs bhlaghmen lui-même, qui te salue, pour te prier de venir à Kerdarya afin de le sauver d'un grand péril.

Le prêtre fou avait commencé à boire. Il s'interrompit, reposa son outre. Il n'avait plus l'air fou, ni égaré.

¿ Parle !

Il expliqua le drame qui avait pris naissance au levant. Le fou ¿ non, il ne méritait pas ce nom ¿ écoutait, interrogeait. Il devint grave, soudain.

¿ J'ai mésusé de mon pouvoir, mais jamais de façon sacrilège, ni pour lutter contre la volonté des dieux. Je suis ton homme... Trouve-moi un cheval, des vêtements, à boire le long du trajet... et laisse venir avec moi un de mes compagnons, celui que j'aime le plus.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le prêtre fou (il persistait à l'appeler ainsi) désigna le putois qui avait parlé. Bien que le messager trouvât l'animal, à qui il manquait une oreille et la moitié des poils sur le flanc droit, répugnant à l'extrême, il fut tout prêt à lui passer ce caprice. Il fallait à tout prix que celui qui faisait parler les bêtes soit au plus tôt devant le premier prêtre. Beaucoup avaient déjà ouï dire que les dieux avaient désigné le meneur du prochain Printemps Sacré. Lui-même y avait cru dur comme roc avant d'avoir été mis au courant de la supercherie. Pourvu qu'ils arrivent à temps pour triompher de la fraude. Le moment était proche où trop de gens seraient convaincus par le sacrilège pour qu'on puisse l'arrêter.

Le prêtre fou était de cet avis. Son opinion se mêlait d'un relent de fureur. S'en voulait-il de ne pas avoir songé à utiliser son don pour parvenir au plus haut de la hiérarchie, ou était-il effaré à l'idée qu'un de ses pairs l'ait utilisé pour trahir les siens ? é peine lavé, couvert d'une vieille tunique et monté sur son cheval, le putois galeux dans une besace, il le pressa pour qu'ils se mettent en route sans délai.

Jour après jour, à mesure qu'ils remontaient vers Kerdarya aux beaux sanctuaires, ils éprouvaient le succès de l'imposture. Ce n'étaient que des : « Il paraît », « é ce qu'on dit », mais ils demandaient trop à devenir des certitudes. Ils assuraient qu'il n'y avait rien de vrai dans tous ces racontars. Ils ne convainquaient qu'à moitié. La contrer devenait une urgence absolue.

L'angoisse s'empara dès lors du messager. Son compagnon serait-il de taille ? Il ne l'avait vu à l'¿uvre qu'une fois, quand il avait fait parler son putois. Le prodige l'avait impressionné. Le temps passant, il commençait à douter d'en avoir été témoin. Dans trois jours se profilerait la polis de Kerdarya, et il n'avait plus eu l'occasion de faire montre de ses pouvoirs... S'il les avait perdus... Si même il ne les avait jamais possédés ?

Cette nuit encore, ils s'arrêtèrent dans un village bruissant de la rumeur de la fausse prophétie. Son premier prêtre semblait encore sceptique, mais le reste du wiks bouillonnait d'enthousiasme à l'idée que l'on avait trouvé le meneur du prochain Printemps Sacré. Le messager avait beau certifier que personne à Kerdarya n'était certain de rien, chacun s'imaginait que c'était plus une de ces précautions des première caste que la marque d'une réelle ignorance. L'imposture était enracinée dans les c¿urs et les esprits. L'en arracher serait rude !

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il regarda de côté celui sur les épaules de qui tout reposait... Serait-il à la hauteur ? Ah, obtenir une preuve décisive, et qui le rassure, avant d'arriver à Kerdarya !

Ils finirent leur repas. Le magicien buvait plus que de raison, mais se tenait bien et faisait bonne figure. Leur échanson était un gnome au regard ironique qui, chaque fois qu'il croyait ne pas être vu, s'emparait d'une lèche de viande ou buvait une furtive gorgée de bière au cruchon qu'il apportait. Le messager le surprit et s'en plaignit à son maître. L'hôte haussa les épaules.

¿ Ah, oui, c'est bien son genre. Je le ferai bastonner pour ça, si vous voulez.

¿ Fous-lui un bon coup de pied dans les fesses, ça sera bien suffisant.

¿ Ah non !

¿ Pourquoi ? C'est très bien pour un serviteur qui chaparde. Ni trop indulgent, ni trop cruel.

¿ Regarde-le un peu ! Il est bête à faire sous lui, et il le fait. Eh toi, simplet, tourne-toi !

Le serviteur leur montra son séant. Sa tunique y était d'un marron sale, maculée comme la croupe des bovins qui s'assoient dans leurs bouses. Le maître raconta combien il était stupide et malpropre, ne comprenant rien aux ordres et faisant devant tout un chacun comme même les chiens ont désappris de le faire. Il écoutait d'un air niais. Sa stupidité jouée lui évitait bien des corvées ; sa malpropreté lui permettait bien des vengeances, mesquines, mais toujours agréables. Ils éclatèrent de rire comme devant un bossu ou un bancroche. Ils échangèrent des paillardises et se moquèrent du pauvre hère, coi. Son statut lui interdisait de répondre. Très vite, il fut l'objet de la risée publique. On l'invita à boire jusqu'à plus soif. Un serviteur ivre conforte le sentiment de supériorité des hommes libres. Rage au c¿ur, plein de mépris pour ses tourmenteurs, il s'exécuta. Sous ces dehors de soumission et même de participation à son avilissement, il voulut néanmoins préserver sa dignité bafouée. é défaut de son maître, il se vengerait des hôtes, cause de son humiliation.

L'heure du sommeil arrivait. Les brimades cessèrent. Pendant que les voyageurs se dirigeaient vers la maison des hôtes, le putois du plus âgé de ceux qu'il estimait cause de son tourment vint lui flairer les jambes. Il n'avait rien contre l'animal, même si son maître le respectait plus que lui, mais il paierait la honte subie. Qu'il ait un instant l'occasion de pouvoir, sans risque, s'en prendre à lui !

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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Le serviteur fielleux se dirigea vers la hutte où il dormait, avec quelques bestiaux et la volaille. C'était pour le putois, même si on l'avait gavé à le transformer en boule, un but de visite d'un rare intérêt. Il ne manqua pas de s'y rendre au plus haut d'une Brillante ronde à souhait. L'astre joufflu fut son avant-dernière vision. La dernière était l'ombre du fléau qui lui cassa les reins.

Quand les visiteurs se réveillèrent au matin, le magicien s'étonna de ne pas voir son favori. Il l'appela, mais il ne vint pas le rejoindre. Peu après, un paysan, portant son cadavre, arriva. Le visage du magicien se ferma. Il lui demanda où il avait trouvé la dépouille de son ami.

Le paysan l'amena auprès d'un tas de fumier, et lui montra des traces de pas. Sa religion fut vite faite. Le coupable était celui dont on s'était tant gaussé la veille. Quelle punition lui infliger ? Le putois n'était pas son totem, juste son familier. Et s'il est mal considéré de tuer un petit animal, un serviteur doit défendre la basse-cour. Il s'en tirerait avec une simple bastonnade, à peine appuyée... Une perspective insupportable.

Une chèvre arriva, gambadant, guillerette. Que venait-elle les déranger ? Son arrivée détendit l'atmosphère. Elle vint se frotter au serviteur :

¿ Simplet, Simplet, pourquoi n'es-tu pas venu cette nuit, comme d'habitude, faire l'amour avec moi?

Le messager tiqua. C'était mot de prêtre. Une chèvre eût dit *****, bourrer. Qui d'autre s'en soucia, ébloui du prodige ? Les joues du maître se gonflèrent d'un coup. Ses bras se raidirent. Le voyou ! Lui, ça, avec sa chèvre ! Quelle puante infamie ! Il courut prendre un fagot d'épines bien dures. Il commença à l'en bastonner.

¿ Mauvais chien ! Une bête si bonne jusqu'alors. Elle a avorté deux fois cette année ! Je comprends ! Elle n'a pas voulu mettre bas un monstre.

Les autres s'empressèrent d'aller chercher qui des bâtons, qui d'autres fagots. Il fallut que son maître, conscient qu'un serviteur coûte cher, arrêtât de le frapper et criât à ses voisins d'en faire autant, pour que son supplice cessât.

Les deux visiteurs regardaient la scène, sérieux comme à un enterrement. Le prêtre fou avait montré son pouvoir. Le messager avait repris espoir. La chèvre parla à nouveau :

¿ De telles abominations n'ont pu avoir lieu que parce qu'un imposteur prétend mener le Printemps Sacré. La nature, d'horreur, se révolte. Comme aux temps de chaos, les animaux parlent, les espèces se mélangent. Seuls le Premier prêtre ou le grand Oracle sauront vous dire qui en est digne. N'écoutez personne d'autre et chassez qui dirait le contraire !

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Marc Galan Membre 421 messages
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Ils étaient peu, dans ce village, à douter de l'imposteur. Tous ou presque l'auraient suivi, s'il le leur avait demandé... avant la révélation de l'animal voix des dieux. Maintenant, tous, à commencer par ceux qui y croyaient avec le plus de fanatisme, l'auraient mis en pièces, lui et ses complices. Déjà ils parlaient de prévenir tous leurs voisins, et de leur rapporter l'avis divin. Le messager ne doutait plus. Lui et le prêtre partirent sitôt que, à ce qu'il sembla aux villageois, la chèvre eût fini de parler. Il y eut quelques-uns d'entre eux à établir un rapport entre leur présence et les paroles de l'animal. Ce ne fut pas dans le sens du scepticisme. La bête n'avait pu parler que par une faveur de ces voyageurs, dieux sous défroque humaine. Très vite se répandit la légende qu'ils étaient venus en personne se plaindre du sacrilège dont ils avaient été victimes. Les deux héros ne le surent que plus tard... Ils en crevèrent d'orgueil, dit-on.

Le messager jubilait. Les basses man¿uvres des ennemis des prêtres et de leurs complices échoueraient. Son avenir s'annonçait radieux.

Ils arrivèrent à Kerdarya. Le prêtre fut mené sans délai au temple de Dyeus Pater, saisi aux épaules et embrassé par le premier des bhlaghmenes comme un égal. Il lui demanda sans tarder une démonstration. L'autel du dieu du jour parla : l'usurpation serait décapitée et arrachée. Même prévenu, il fut tout surpris. Il regarda derrière. Non, personne ! Il revint vers le magicien, soulagé comme les malheureux à qui on a arraché la dent qui leur élançait. Sa vengeance, et leur triomphe, ne tarderaient plus.

L'arrivant pouvait bien être leur futur sauveur, il puait trop. Il lui dit d'aller se laver et de revêtir sa robe de chasseur de maléfices. Deux pas du soleil après, tout luisant de propreté à en paraître écorché, la barbe et les cheveux bien peignés (Il avait pourtant utilisé pour les lisser, négligeant le peigne d'os qu'on lui avait offert, une simple branche épineuse.), il s'était présenté devant le conseil des prêtres rameuté à la hâte. Il avait, dans sa robe parsemée de fils rouges, une allure décidée et conquérante. Les participants à la réunion, qui se souvenaient de sa description peu flatteuse, hésitèrent à le reconnaître. Il avait à l'appui de ses prétentions le témoignage du messager. Il pouvait certifier ses pouvoirs et les réactions quand il les avait manifestés. L'assemblée écoutait. Il eut tout le loisir de s'expliquer. Le premier prêtre jugea une démonstration plus éloquente que tout discours. Il lui en demanda une. Démangé depuis le début par l'envie de briller devant tous ces prêtres dont il avait longtemps oublié, dans son exil, qu'il était l'égal, il s'exécuta. Il fit dialoguer les autels entre qui il se trouvait. Même si leurs deux voix se ressemblaient, il aurait fallu ne pas être émerveillé par sa prouesse, qui retenait toute l'attention, pour le remarquer. Seul le messager le nota. Il lui en parlerait. Il saurait y remédier.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le messager reçut de nombreux biens. On lui ordonna de partir et de tenir sa langue. Les hauts prêtres s'entretinrent afin de trouver le moyen d'abattre celui qui s'était fait désigner comme le roi du prochain Printemps Sacré. Il avait annoncé sa venue prochaine. Tout serait combiné pour sa chute à son arrivée. Plusieurs auraient préféré abattre sa superbe dans son fief. La majorité refusa. Le bruit de l'usurpation s'étant répandu par tout Aryana, son humiliation serait publique. Elle aurait lieu devant leurs autels sacrés. Nul autre site ne serait plus propice.

L'unanimité se fit autour de cette idée. Ils la peaufinèrent les jours suivants. Chacun était prêt quand, accompagné du roi sacrilège, l'homme désigné par fraude pour mener le prochain Printemps Sacré se présenta aux portes de la cité sanctuaire. Ils l'attendaient. Ils avaient inspecté tout le pourtour des autels, au cas où au lieu d'avoir su faire parler les pierres, le prêtre félon aurait eu recours à un complice qui s'y cachait. Il ne recommencerait pas ici. Personne ne s'en approcherait à moins de cinq pas, qui ne soit connu d'eux. Sur la suggestion du chasseur de maléfices, cette distance fut étendue à dix. Une précaution exagérée, de son propre aveu, mais il s'en voudrait toujours si celui qui faisait parler les choses, comme lui, faisait encore illusion à la plus courte distance. é celle qu'il imposait, tout risque était conjuré.

Sans perdre de temps, ils firent annoncer qu'en ce jour favorable, ils feraient un grand sacrifice de réception pour demander aux dieux du serment et de la punition du parjure de se prononcer sur le prodige qui avait fait du mignon du roi des rois le meneur de la prochaine conquête, et de son prêtre le premier servant de la fécondité. Se voyant déjà désigné et accepté à ce poste, le traître aux siens voulut se mêler à ceux de son futur rang, tout près des autels. Il n'en était pas question. En un tel lieu, il lui eût été aisé d'accomplir ses maléfices. Et il était trop tôt pour le faire récuser par l'autel lui-même. Aucun des prêtres opposés à l'usurpation ne tenait à dévoiler leur arme. é la fin, le grand prêtre en personne lui ordonna de rester avec ceux de son clan, jusqu'à ce qu'il l'appelle auprès de la pierre où il sacrifierait. Il consentit à attendre.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il ne s'inquiétait pas. Il accompagnerait le mignon du roi des rois et se tiendrait à ses côtés devant les pierres de sacrifice. Il ferait s'en élever la voix des dieux. Ce tour, un sacrilège de la part de guerriers ou de producteurs, lui apparaissait normal et licite venant de lui, porteur de lin. Il n'avait pas reçu un tel pouvoir sans raison. Il ne faisait que son devoir en tentant de devenir le regs-bhlaghmen, fonction vers quoi le poste auquel il s'était désigné n'était qu'un marchepied. Un jour, il referait parler les autels sacrés. Ils clameraient que lui seul était digne de sacrifier au nom de tout Aryana. Il n'était pas très fier de servir ce roi des rois pour accéder au plus haut rang, mais l'arrogant ne serait pas éternel... et le jeune homme qu'il favorisait était si beau.

La cohorte des usurpateurs se présenta devant les autels. Derrière les pierres sacrées trônaient les prêtres principaux. é part le prêtre roi et le haut prêtre de la fécondité, dardant vers lui un regard tout de férocité et de haine, et le grand Oracle avec son masque, il n'en reconnaissait aucun. Son c¿ur était si égal qu'il ne s'étonna même pas de la présence, au côté du regs-bhlaghmen, d'un répugnant vieux prêtre à la robe blanche couverte de fils rouges. Le premier orant parla :

¿ Je vais sacrifier d'un bélier sur l'autel du maître des serments. Il nous montrera, en acceptant ce sacrifice, s'il reconnaît pour sienne la parole qui t'a désigné pour mener le Printemps Sacré.

Le mignon, interpellé, leva la tête et fit un signe discret à son protecteur et au jeune prêtre. Ils guettaient de tels signes, preuve de leur connivence sacrilège. S'ils avaient, un instant, douté du bien-fondé de leurs contre-mesures, cela leur était, après ces clins d'¿il, bien passé.

Le premier prêtre fit venir un bélier et l'immola sur l'autel. Il récita les routinières prières où il demandait à la divinité, en acceptant l'offrande, de bénir celui au nom de qui il la faisait. Jamais un autel n'avait déclaré qu'un sacrifice lui avait déplu. Aussi longtemps qu'ils ne diraient mot, ils consentiraient et accepteraient les prières des suppliants. Le sang coula sur l'autel, on démembra l'hostie, son corps fut distribué aux guerriers à dix pas. Les viscères consacrés furent mis à cuire, et quand ils furent carbonisés, le premier prêtre demanda au dieu s'il était satisfait. Une voix, sourdant de la pierre sacrée, s'éleva :

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Reg bhlaghmen e ! Pourquoi as-tu sacrifié pour un sacrilège ? Le prêtre qui a dit que Nerghwen devait mener le Printemps Sacré a menti.

Il y eut un instant de stupeur. Des hurlements s'élevèrent. Le seul à réagir fut le prêtre félon. Il se rua vers l'autel. La pierre cria de plus belle :

¿ Arrêtez celui qui est indigne de la robe de lin.

Les prêtres, et quelques guerriers rassurés par la licence de frapper un première caste se précipitèrent et lui bloquèrent la route. L'autel parla à nouveau :

¿ éloignez-le de moi ! éloignez cet impie !

Plusieurs prêtres de confiance ôtèrent le sacrilège des mains de ceux qui lui faisaient un mauvais parti et l'éloignèrent du lieu du sacrifice. Chacun regardait l'autel. Le roi des rois et son mignon avaient compris. C'en était fini de leurs ambitions. Il continua :

¿ Prêtres, guerriers, interrogez-vous et cherchez à savoir à qui aurait profité la fraude. S'ils ne se punissent eux-mêmes, je m'en chargerai vite.

Tous les regards se tournèrent vers le roi des rois et son giton. Il était verdâtre, le roi d'un rouge violacé, veines sur le point d'éclater. Il ne pouvait rien faire. Il regarda son vainqueur, ce prêtre qui n'avait pas hésité à se mutiler pour lui montrer qu'il ne le craignait pas. Dire que jusqu'à ce que l'autel parle, il pensait l'avoir abattu... L'autre triomphait. Il ne lui donnerait pas le plaisir de mourir. Son honneur exigeait qu'il aille combattre dans une bataille dont il savait ne pouvoir sortir que mort. Il n'en était pas question. Que les dieux lui règlent son compte, s'ils l'osent. Il vivr/

Mais quel était ce bruit dans sa tête, pourquoi ce voile rouge, puis noir, devant ses yeux ? Il s'était écroulé. Ses ongles grattaient le sol et il voyait ¿ non, il ne voyait pas, c'était une autre sensation, pour qui il aurait bien voulu trouver un nom, si le chercher ne l'avait fait autant souffrir ¿ un visage furieux. C'était celui du dieu qui châtie les parjures, ou celui de Thonros, mais il avait les traits du regs-bhlaghmen et tout devint noir et il n'y avait plus de visage et il n'entendit ni ne sentit plus rien il n'y avait plus qu'un corps tout bleu et il ne savait même pas que c'était le sien il ne savait plus ri... Il n'était plus personne, qu'un nombre appréciable de livres de chair morte, à la peau bleuie, mal caché sous un manteau soudain trop petit.

Chacun s'éloigna du corps ¿ du cadavre ¿ avec horreur. La voix s'éleva, une dernière fois :

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Ne croyez plus rien qui ne soit avancé par les hauts bhlaghmenes ou les oracles. Eux seuls, en ce qui regarde le Printemps Sacré, sont assez proches du divin pour parler vrai.

C'était une initiative du chasseur de maléfices. é voir les sourires de satisfaction des prêtres, elle était la bienvenue. Ils avaient, en un instant, recouvré une partie de leur pouvoir. Ils venaient de prouver, en un beau coup double, que les dieux ne les avaient jamais abandonnés et qu'un roi impie n'aurait jamais leur aval.

Tremblant de frayeur sacrée, les hauts rois virent le sacrilège et le mignon du premier d'entre eux, nus et recouverts d'une indélébile liqueur noire, chassés de Kerdarya. Que nul ne leur donne eau, nourriture, vêtement ou abri ! Ils étaient devenus animaux, non point loups qu'il faut tuer, mais qui méritent encore le respect, basse vermine dont le simple contact est souillure. Ils disparurent. Les bêtes des forêts à l'entour savent ce qu'ils devinrent.

Dans la foulée du terrible châtiment et de la mort du mauvais roi, on élut un nouveau regs regom. Il était, de tous les grands rois, le plus proche des souhaits des prêtres : Nul n'était plus prêt à leur obéir pour tout ce qui touchait au divin. Dommage qu'il ait une si haute idée de son rang. C'était, au vu de leurs projets, minime inconvénient. Il suivrait leurs directives pour le Printemps Sacré. Aucun risque qu'il soit détourné ou serve à l'élévation d'un de leurs ennemis.

Plusieurs lunes s'écoulèrent. Les signes et prodiges tant espérés ne se manifestaient pas. On murmurait contre les oracles. é quoi bon leur monopole des visions divines et de leur interprétation, s'ils ne voyaient rien ? Quelques porteurs de lin soudoyés et quelques guerriers, fidèles de l'ancien roi dont chacun avait oublié le nom, prétendirent avoir été touchés par l'aile du divin. Les puissances, à ce qu'ils disaient, étaient fâchées que les augures et les premiers servants des autels se soient arrogé le pouvoir de prophétiser, quand il avait de tous temps été accordé à chaque homme libre assez pieux. Ce n'était qu'un vague prurit, de l'énervement que les hauts prêtres affectaient de mépriser, laissant le nouveau roi le réprimer sans pitié. Il pouvait s'enfler, et tout emporter à nouveau. Ils commençaient, en cette saison froide où les hommes, réunis autour des foyers, parlent de tout et échangent des idées que l'oisiveté rend vite subversives, à le voir : L'absence de prophétie pour désigner le meneur du Printemps Sacré pesait. Il y avait eu trop d'espoirs fauchés par la chute des impies. Après un premier mouvement de colère envers eux, leurs dupes s'en prenaient, en termes voilés, à ceux qui leur avaient ôté leurs illusions. Et si bientôt, frustrées de leurs rêves de conquête, elles regrettaient l'ancien roi ?

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le premier augure le sentait. Qu'y pouvait-il ? Les dieux ne s'appellent pas comme des serviteurs. C'est eux qui se présentent. Il faut être sans cesse à leur affût. Il aurait voulu l'expliquer aux hommes trop impatients, mais allez leur exposer des faits si décevants et démobilisateurs quand ils se morfondent devant l'âtre et rêvassent que, sans vous, ils se battraient et accumuleraient des richesses ! Vint un jour où un guerrier ivre l'insulta. Il était pieux, pourtant, et pas chiche en beau bétail pour les sacrifices. Le temps était venu de forcer les dieux à parler. Il le paierait cher. Qu'importait ! Il était vieux et son successeur se montrerait digne de son rang.

Il alla le prévenir de son intention. Il le supplia de n'en rien faire. Il n'était pas encore de taille à lui succéder. Il tremblait en pensant au jour où il devrait donner des conseils capables de modifier l'avenir. Le vieil augure le moqua. Ainsi, celui qui avait su indiquer le prochain but de conquête des siens, celui sans qui l'imposture n'aurait pu être dévoilée, craignait d'être un mauvais prophète ! Il en aurait ri, s'il n'avait été convaincu de la solennité des prochaines heures, où il tenterait d'obliger les dieux à parler. Reggnotis voulut encore l'en dissuader. Ils pouvaient prendre la parole ou envoyer une vision sans tarder, sans qu'il soit forcé de les sommer. Il n'en démordit pas. Il devait les appeler. Qu'il le laisse et attende la fin de la transe où il allait se mettre !

Il s'en fut, dans le soir glacial. Le ciel était couvert de nuages de neige. Bientôt, les premiers flocons churent et fondirent sur son front. Elle tomba vite si drue qu'on n'y voyait plus rien. Il fut heureux d'arriver chez lui. Son manteau de loup était devenu blanc, à croire que s'il était resté plus longtemps dehors, elle l'eût enseveli et en eût fait un de ces bonhommes blancs et glacés mourant au soleil comme aiment à en dresser les enfants.

Il s'installa devant le feu. Son maître, dans la pièce la plus glacée du sanctuaire des oracles, préparait la mixture, poison d'épreuve et éveilleur des sens, permettant de percevoir le monde divin. Trop faible il ne verrait rien, trop puissante il mourrait. Seules les dieux lui diraient les proportions exactes, qui donnent accès à leur monde et permettent d'en ressortir... pour peu de temps. Ceux qui y entrent les interroger y retournent vite, soit que l'au-delà leur ait paru si beau qu'ils veulent y revenir à tout prix, soit que les dieux les reprennent, morceau de chair après morceau de chair. Reggnotis serait bientôt grand augure. Pourvu que son maître réussisse son épreuve et y survive, le temps de lui révéler les secrets que doit connaître celui qui dicte les révélations divines ! Qu'il ne lui ait encore rien dit était preuve qu'il était sûr de lui. Il se rassura. Les mois à venir seraient studieux. Il ferma les yeux. Il ne cherchait plus à imaginer ce qu'il faisait. Il l'entendrait bientôt de sa bouche, entre mille autres indicibles secrets qui ne doivent être connus que d'un seul homme. Son détenteur ne les révèle à un disciple choisi que lorsqu'il voit s'ouvrir devant lui les portes des terres où festoient les dieux et leurs fidèles serviteurs.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Reggnotis avait disparu dans la neige qui noyait tout. L'oracle barricada sa porte, et mit à flotter une bande de tissu noir, avis explicite à ne pas approcher. Il alla au plus secret du temple du Borgne, où il entreposait les poisons d'épreuves et autres drogues permettant à leur utilisateur, souvent contre sa vie, de voir l'avenir. Il piocha dans les jarres devant lui, prenant une pincée du contenu de l'une, deux de l'autre, la moitié dans une troisième, et ainsi de suite, hésitant ou en reprenant parfois. Il eut bientôt devant lui un grand nombre de plus ou moins petits tas. Il mit le tout dans une coupe, le mélangea, écrasa ensuite le mélange obtenu au mortier. Tout fut bientôt réduit à l'état d'une poudre semblable, d'aspect et de couleur, à la poussière des chemins. Il la touilla avec une eau lustrale jusqu'à la rendre fluide.

Il pria Bhagos, qui avait accepté de perdre un ¿il, parti vagabonder dans le monde pour apprendre toutes choses et venant lui rapporter chaque nuit tous les secrets découverts dans ses errances. La mutilation du dieu préfigurait et symbolisait celles des oracles. Eux aussi n'hésitaient pas, dans l'urgence, à se sacrifier si les leurs devaient en être favorisés. Conscient d'être un maillon d'une chaîne de prêtres qui avaient sauvé Aryana en en payant le prix, il prit son souffle, ses prières terminées. Il regarda la mixture qu'il allait avaler, au fond de sa coupe. Il ferma les yeux, l'engloutit d'un coup. Elle était d'une épouvantable amertume. Rien qu'à en sentir le goût sur sa langue, la tête lui tourna. Il se raisonna. Elle ne ferait pas effet tout de suite. Il avait le temps, si elle avait la même période de réaction que les poisons d'épreuve, de réciter dix prières et de sacrifier d'un bélier au divin Borgne. Il s'étendit.

Il était nu sur le sol de pierre. Sa tête bourdonnait, plus d'angoisse que de ses effets. Sa vue s'améliora. Ses pupilles s'élargissaient à lui manger les yeux. La nuit devint plus claire. Bientôt, les visions surgiraient... après un mauvais moment à passer, tout proche.

Déjà un fourmillement, chaque instant plus insupportable, une paralysie douloureuse, envahissaient ses membres. Ses sens s'exacerbaient au prix de sa motricité. Bientôt, les nausées arriveraient, puis les vomissements. Trop importants, il rendrait sa mixture et ne pourrait forcer les secrets des dieux ; simples nausées, il périrait empoisonné et, même favorisé d'une vision, n'aurait le temps de la rapporter... On doit être seul pour être admis auprès des dieux. Ils n'apparaîtraient pas s'il y avait un témoin. Il fut soudain pris de spasmes, crut se vider. Il planait sur un nuage de douleur. Avec lenteur, elle s'atténua, s'effaça, disparut. Il était gai, comme lorsqu'il avait bu trop d'hydromel. Voilà qu'il entendait une voix. Il tendit l'oreille. Il n'en comprenait pas un mot. Il parlait tout seul, en homme ivre. Quoi ! Les dieux ? Employer un langage aussi barbare. Il se mit à crier. Ce n'étaient pas les dieux, mais les forces mauvaises. Il fut pris de convulsions et se roula sur le sol. Ses yeux grands ouverts étaient devenus fixes. Devant lui des langues de feu, comme des glaives, se mêlaient en un furieux combat. Bientôt toutes se fondirent en une seule éblouissante flamme, plus claire que l'éclat de cent soleils. Il entendait une voix, à nouveau, mais intelligible. Il avait vu un combat entre les démons qui lui parlaient et les bonnes puissances venues à sa rescousse. Elles avaient vaincu. Il écouta leur parole : "Lève-toi ! Sors !" Il tenta de se mettre debout.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Ses jambes ne le portaient plus. Il trembla, saisi en même temps d'une irrépressible joie. S'il se levait malgré la douleur, en dépit de la montagne pesant, lourde comme le monde, sur ses épaules, il aurait la révélation que tous attendaient. Soudain, il fut oiseau. Plus rien ne le retenait à la terre. Il avança, comme en un rêve. Il parvint, dans l'indécise lueur du matin, claire pour lui, pupilles dilatées, comme le plein midi, à l'entrée du sanctuaire. De lourds glaçons pendaient à son toit. Il leva la tête vers le soleil. Faisant obstacle entre l'¿il de Dyeus et son regard, un énorme bloc de glace, retenu par un fil d'araignée, était près de tomber à tout instant. La neige avait entraîné la toile. Elle formait, toute bouchonnée, une tache sombre au c¿ur du glaçon immaculé, baigné par les rayons d'un soleil naissant et les réfractant.

é ses yeux éblouis, à ses sens exacerbés, le bloc de glace apparut tout autre. C'était une gemme incandescente, aux mille feux, un signe dont le favorisaient les dieux. Il contemplait ce petit soleil, ne voyait que lui. Il urina soudain, sans s'en rendre compte, dans la neige devant le seuil¿ C'était les rayons de la pierre magique qui la faisaient fondre. Il y vit un signe. Porteurs de ce joyau ou de son esprit, les siens s'enfonceraient sans crainte vers les terres sinistres, si longtemps le royaume du froid, de la neige, du frimas. Les éléments hostiles s'écarteraient devant leurs pas triomphants.

Il avança la main pour saisir le joyau. D'un coup, tout devint noir. Sa vue revint. Le glaçon avait chu. Il ne le chercha pas. é quoi bon ? Les dieux l'avaient envoyé, les dieux l'avaient repris. Eux seuls savaient où il était... Mais ils lui avaient dit qui serait digne de mener le prochain Printemps Sacré : qui le trouverait.

Il tomba. Il ne parlerait que le lendemain.

Reggnotis le retrouva au matin sur son seuil, baignant dans sa pisse et son vomi. Il dormait du sommeil de l'ivrogne... S'il ne se réveillait plus jamais, ou si les dieux lui avaient clos les lèvres ! Quelle pitié de le voir ainsi, transi, visage tout griffé ! Il y avait des traces de peau sous ses ongles ; son épiderme, en certains endroits, était noir violacé, comme si du sang près de sourdre de sa peau s'y était accumulé. Il le prit dans ses bras, avec grand respect, le porta à l'intérieur.

Il le lava. Malgré sa peau arrachée et ses bleus, il reprit figure humaine. Il n'irait encore prévenir personne. Il avait besoin de repos. Il avait forcé la porte de la caverne où les dieux cachent leurs secrets. Ce serait bien temps à son réveil. Il guettait : ("Dans quel état il est... Et moi, peut-être, un jour !" ). Rien, sauf un léger ronflement, ne le distinguait d'un cadavre. Enfin, il remua. Il articula ¿ avec quelle peine ! ¿ quelques mots. Ils frappèrent Reggnotis au c¿ur :

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Qu'il fait noir ! Il y a-t-il quelqu'un à côté de moi ? Je dois annoncer les paroles des dieux.

Reggnotis, à son chevet et aussi bien éclairé que possible par les deux torches autour du lit, gémit. Le vieillard, pour avoir vu ce qu'aucun mortel n'est admis à contempler, avait été frappé de cécité. Il prit sa main. C'était entre ses doigts comme un morceau de bois. Tordue dans une position grotesque, elle ne réagissait à rien, contractée à jamais par une crampe. Son pied gauche et l'autre main étaient eux aussi déformés. Ses yeux étaient morts, ses bleus gonflés. L'oracle le bouscula :

¿ Appelle le premier prêtre, va le chercher, vite. Je peux rester seul un moment.

Le regs bhlaghmen avait su que le grand Oracle avait tenté d'avoir ¿ et sans doute, au vu de son état, avait eu ¿ une vision. Il attendait à la porte son réveil. Reggnotis n'eut qu'à le faire entrer. L'augure, entendant son élève, le tança. Quoi, pas encore parti ! Le premier prêtre répondit à sa place. Il ne perdit pas un instant :

¿ Reg bhlaghmen e, écoute. Les dieux, jaloux de ce que j'ai osé jeté un regard dans leur domaine, me prendront bientôt. Ils m'ont averti. Seul sera digne de mener le Printemps Sacré le roi de guerre qui trouvera un joyau semblable à de la lumière solide, tenant prisonnier en son sein le mal et la noirceur, et pris de vive force à l'ennemi. Tu en diras moins. Parle d'un signe, d'un joyau encore jamais vu à ce jour, mais dont seuls les prêtres sauront deviner l'origine divine. Parce qu'il sera pris de vive force à l'ennemi, il nous permettra de trouver un héros. Parce qu'il faudra pour le trouver la faveur de Bhagos, ce héros sera pieux et soumis aux dieux et à leurs représentants. Fais-le savoir à tous les messagers, qu'ils le proclament partout. Que chacun, à moins qu'il ne soit déjà parti, le sache avant la saison des combats.

Il avait mis un temps fou. Il se tournait à chaque instant vers eux... Si ses yeux, juste endormis, se réveillaient et les apercevaient ? Il ne pouvait guère l'espérer. Et comment ne trouverait-il pas la terre mesquine ? Dans son séjour par effraction chez les dieux, il avait admiré tant de splendeurs flamboyantes. Qu'ils lui aient ôté la vue était plutôt une faveur. Son seul souci devait être d'enseigner à son successeur certains secrets qu'un seul vivant doit savoir, non de contempler le monde. Cette perte l'aiderait à accomplir ce devoir.

Il fit ainsi. De la fin de cette saison froide à ses derniers jours, il l'avait formé malgré la lèpre sacrée qui le dévorait. Son nez et son visage s'étaient gangrenés ; ses doigts, phalange après phalange, livides, étaient tombés comme fruits trop mûrs. Noirs, tels des branches mortes, et finissant comme elles, ses membres s'étaient détachés de son corps. Reggnotis suivait sa maladie. Les dieux le reprenaient morceau par morceau. Il se plaignait d'être brûlé par un feu dévorant. é raison. Les membres perdus semblaient du bois bien sec et à demi consumé. Enfin, un jour, il avait cessé de respirer. Il s'en souviendrait à jamais. C'était le jour où un messager avait annoncé qu'un guerrier ¿ Kleworegs du Cheval ailé ¿ arrivait avec le Joyau. Il avait pleuré sur son maître. Il n'aurait pas la joie de voir sa prophétie accomplie.

DEMAIN, Livre III, ch I

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Marc Galan Membre 421 messages
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A CHACUN SON BUTIN

INTRODUCTION

Après un périple de plus de trois lunes, l'homme retrouvait son foyer. Il avançait, silhouette de suie, sous la nuée ténèbre. Il arriverait bientôt... A la brune, à la nuit jeune ? Toujours il l'ignorerait. Cette connaissance était l'apanage des Présences brillant, au-delà des frondaisons, au-dessus de la voûte des nuages. Il ne s'élevait pas contre ce privilège... Pas même s'il songeait un instant à l'envier. La supériorité des Présences résidait dans leur savoir, infini face à l'ignorance humaine.

Il avançait. Il serait sous peu parmi les siens. Il se faisait une joie de les revoir. Pourtant, ce n'était pas eux qu'il irait saluer d'abord. Ses premiers mots seraient pour la Vierge Mère de tous, maîtresse du hameau. Elle seule, bien que moins instruite que les Présences, aurait assez de science pour lui dire, et à tous ceux vivant sous sa loi, les mesures à prendre devant ce qu'il allait lui révéler. Il avait vu, sans comprendre, ne pouvant que trembler et s'émerveiller. Il avait vu des êtres à corps d'homme, porteurs cependant de secrets qui en faisaient les égaux des Présences. La Mère de tous saurait qui ils étaient. Lui n'en connaissait que leur nom, qu'ils clamaient à tous les vents : Aryos

Il dirait ce nom à la Mère. Il se le répéta une dernière fois. Oui, il saurait le prononcer comme il convient, avec juste la petite déformation qui ôtait aux mots inconnus leur possible magie.

... Il pénétra dans son village.

ALLIANCES

La Brillante avait à peine entamé sa course. La nuit, pleine encore du souvenir du jour ensoleillé, était tiède. Cette douceur, en ce septentrion que les légendes peignaient sous les mornes couleurs d'un séjour glacé, les avait surpris... séduits. Si la fatigue avait clos les yeux des plus jeunes et des moins aguerris, aucun de ceux qui jouaient quelque rôle au sein du peuple ne trouvait le sommeil.

Douce, tiède, parfumée était la nuit. Loin de leur apporter le repos et le rêve, ce temps, avant-goût de celui des territoires de chasse des élus, les tenait éveillés. En ce moment où tous devaient rester sous la tente, les plus audacieux, oublieux de leur crainte des maléfices rôdant dans l'obscurité, ne se résignaient pas à rentrer dormir. On découvrait la lune, et la clarté tombant de sa ronde face et des pierres de feu qui trouent Akmon. Nulle idée de sacrilège, nulle peur d'une force noire ne venait troubler ces promeneurs. Ils humaient l'odeur de l'herbe écrasée sous les roues des chariots, exhalant un parfum que la tiédeur de la nuit rendait plus subtil et plus précis à la fois. Jamais auparavant ils n'avaient respiré une telle fragrance. Avec quelle volupté ils s'en délectaient !

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Marc Galan Membre 421 messages
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Ils allaient à pas lents, sans bruit. Leur seule peur était de briser la paix de cette première nuit. Un juron, un cri, un début de rixe, son parfum sans pareil deviendrait puanteur, le calme, agitation forsenée de démons. Voilà pourquoi les prêtres avançaient que la nuit n'est pas faite pour l'homme. L'instant était trop parfait, donnait un trop plaisant aperçu des félicités récompensant une vie de beaux combats. On ne peut alors qu'aspirer à périr au plus vite, ou renoncer à toute action, pour ne plus vivre que loin du regard du soleil.

Par mains, ils contemplaient les étoiles et la Brillante en train de croître. Ils ne parlaient pas. Ils regardaient, yeux écarquillés de la splendeur de la voûte céleste. Un souffle divin, celui d'une tendre brise à la caresse d'amante, était sur eux. Cette terre était bien celle désignée par les dieux. Seuls ceux qui dormaient ou se claquemuraient derrière les épaisses parois de cuir de leurs chariots douteraient encore... Nul ne les écouterait plus. Qui a senti l'haleine des dieux, et leur murmure, devient insensible aux récriminations des malveillants... Ils ne peuvent compter que sur l'improbable oubli de ces instants privilégiés.

Kleworegs s'était mêlé à eux. Il les écoutait, passant de groupe en groupe, vêtu d'une vieille peau de loup, cachant son éclatante blondeur sous une toque noire. Incognito, il interrogeait, échangeait ses impressions, ses sentiments, faisait le compte de ses fidèles. Tous se félicitaient de sa clairvoyance, de son audace, bénissaient Bhagos d'avoir inspiré aux prêtres le choix d'un tel but et d'un tel chef. Il se rengorgeait à chaque discussion, s'empourprait de plaisir à mesure des éloges. Ses interlocuteurs pouvaient aussi parler de la sagacité des prêtres. Il ne retenait que la pluie de fleur de leurs louanges. « Je suis béni des dieux. Malheur à qui voudrait se mettre en travers de mon destin ! ». Il s'enflait de ses visions d'un avenir radieux. Son corps l'emprisonnait, trop étroit pour contenir ses ambitions surhumaines. Sa peau le gênait comme un vêtement trop ajusté. La sève coulant dans ses veines n'était pas du sang, un feu liquide à la puissante radiance. « Mon corps doit resplendir de toute cette force qui est en moi... Il en resplendit, par les dieux ! » ... Ce n'était que la lueur d'un feu rougissant ses mains. Il en ressentit une vague amertume... Non, c'était aussi la lueur de ces flammes, aussi, pas elle seule ! Les puissances qui tissent le fil de notre destinée ont fait ainsi briller mon corps un seul instant, et en donnant à ce prodige un aspect naturel, pour tout à la fois me montrer leur soutien et me signifier de ne pas céder à l'excès... A moins qu'elles n'aient pas voulu que la révélation en soit publique. Tous me suivraient si les dieux me distinguaient par un signe aveuglant... Seuls ceux dignes d'être mes compagnons le verront, les tièdes, les lâches, les envieux, en seront exclus. Je connaîtrai mes vrais fidèles à ce qu'ils m'appelleront Kleworegs kounos, et en vérité je resplendirai à leurs yeux quand le regard des autres ne rencontrera qu'un être semblable à eux.

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Marc Galan Membre 421 messages
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¿ Salut, Kleworeg e, reg nosom ! Tu resplendis comme Sawel ! Kleworegs salua son interlocuteur avec une cordialité proche de la frénésie. Il lui demanda son nom. Seule l'aura de puissance qui n'apparaissait qu'à ses fidèles lui avait permis de le reconnaître. Le guerrier se présenta. Kleworegs répéta son nom, se lissant le front de la paume. Sa toque était tombée. Il ne s'en était, dans son excitation, pas aperçu. C'était à cela qu'il l'avait reconnu, non à cause d'une émanation mystique perceptible d'une seule élite. Son enthousiasme tomba d'un coup. Il lui souhaita la bonne nuit, d'un ton sec.

¿ Oui, c'est une bonne nuit, mais pas question d'aller dormir. Seuls les rats de Thonronsis préfèrent cacher sous leurs fourrures leur honte d'avoir eu un chef impie. Ceux qui t'ont fait confiance ont reçu le don de ne plus craindre le sommeil du jour et les forces mauvaises débandées qui s'y ébattent. C'est la récompense de leur fidélité.

Son visage lui était inconnu, mais ses paroles lui avaient remis du baume au c¿ur. S'il lui demandait son clan, afin de juger de sa sincérité ?... Il n'en ferait rien. Hormis le sien et celui des troisième caste de Penkakwelya, tous avaient, à un degré plus ou moins élevé, douté de lui... Mais il n'avait pas encore, alors, reçu la marque des dieux.

¿ Tu as raison. Quand le jour sommeillait, il laissait ses cauchemars prendre vie et forme pour nous éprouver. Ici et à partir de ce jour, ses rêves agréables vivront pour nous. La nuit sera notre alliée. La Brillante en personne me l'a révélé. Je te l'apprends à mon tour, toi qui as su me reconnaître, pour que nul ne l'ignore plus d'ici à demain.

¿ Je serai ton messager... Mais toi, tu vas dormir ?

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¿ Crois-tu qu'il soit si aisé d'entendre les dieux ? Interpréter un seul de leurs messages est plus ardu que d'abattre dix hommes forts. Tu peux m'en croire, j'ai fait l'un et l'autre.

¿ Bon sommeil, alors, roi Kleworeg... Puissent-ils t'envoyer des songes heureux !

¿ Profite de la nuit, profitez-en tous, mais pensez malgré tout à dormir. Demain, nous devrons être tous à pied d'¿uvre.

¿ Allons-nous fêter notre arrivée dans les terres du Printemps Sacré ? Tu sais, tous le souhaitent.

¿ Je sais ce que je dois faire. C'est pour le préparer qu'il faut que vous soyez tous dispos demain matin. Vous verrez, ces festivités dépasseront tout ce que vous avez vu, et seront sous le signe de la Fécondité... Je compte vous en faire la surprise, même si, pour l'instant, ce n'est qu'un projet, une idée... Je dois en parler à d'autres rois, auparavant.

¿ éa m'étonnerait beaucoup qu'ils ne soient pas d'accord ! Même la tribu de Thonr/

¿ Ils ont un nouveau roi, souviens-t'en, et oublie le nom de celui qui est mort... Mais je veux l'accord de leur roi à mon projet... Il ne pourra même se faire qu'avec son accord. Je t'en ai assez dit.

¿ A tes yeux, c'est sûr. Mais tu as tes raisons. Je vais faire ce que tu m'as demandé... Puis-je parler de la fête ?

¿ Annonce-la, rien de plus !

Kleworegs retourna à son chariot, s'y glissa pour dormir. A peine étendu, une quinte de toux le saisit. Il se croyait pourtant guéri, certain que ces crises qui le secouaient n'étaient plus qu'un mauvais souvenir... S'il lui arrivait comme à son aïeul, homme solide s'il en fut, mort pourtant dans les douleurs d'un catarrhe incessant et de continuels crachements de sang ? C'était son premier souvenir précis, et un avis à se garder de négliger.

Il s'installa sur sa couche... Il était, jeune enfant, au chevet de son grand-père agonisant. Le vieillard ¿ Qu'avait-il dit ! Il n'était guère plus âgé ¿ était maigre à faire pitié, les lèvres couvertes de sang, les joues d'un rose malsain. Son oncle et son père tentaient de l'empêcher de s'en approcher, mais il parvenait toujours à se glisser près de lui. Voir la maladie le détruire le fascinait. Il l'imaginait, guerrier invisible, portant ses coups, et lui crachant le sang comme ceux pour qui, quoiqu'ils paraissent vierges de toute blessure, il n'est plus aucun espoir. La seule chose qu'il ne comprenait pas était que son aïeul, lui, continuait à vivre. Le guerrier invisible portait des coups sans grand force, ou affaiblis de propos délibéré afin de prolonger son supplice.

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On lui avait dit de ne pas se tenir près du mourant. Il n'en avait guère tenu compte. Deux raisons le poussaient à rester à ses côtés. Il aimait à l'entendre lui conter, entre les quintes qui le secouaient, la gloire de sa lignée et les minuscules événements de sa vie. Plus importante, et devant marquer son entrée dans une carrière de héros, lui semblait l'idée de s'emparer du guerrier invisible qui l'attaquait. A peine capable de tenir un petit glaive et vainqueur du combattant que tous craignaient ! Il ne rêvait pas moins. S'il en parlait aux siens ? On l'éloignerait du champ de bataille... Une telle gloire ne sied qu'aux grands. Non, il aurait sa victoire. L'invisible tomberait devant lui. Il était faible ¿ ses coups répétés n'arrivaient point à achever sa victime ¿ et lâche ¿ il se cachait. Un enfant, fils d'une lignée de héros, en viendrait à bout. Il ne serait pas le premier enfant merveilleux à mettre à mal des ennemis de son clan.

Il avait juré de ne parler de son projet à aucun adulte, mais avait besoin, pour venir à bout de son tourmenteur, de la complicité de l'aïeul. Il agripperait le guerrier tandis qu'il le larderait de son épée-jouet. Il lui avait expliqué l'aide qu'il en attendait. Sa proposition n'avait pas eu la suite prévue.

A peine avait-il parlé, l'agonisant avait appelé. Toute la famille était venue. Il leur avait exposé le projet de son petit-fils. Ils avaient écouté, dans un silence de grande taurilie, puis tous avaient voulu dire leur sentiment. Le vieux porteur de glaive se réjouissait. Son descendant avait su deviner la présence de l'invisible guerrier. Il mourrait au combat, en homme de sa fonction. Le reste de sa famille exultait. Compter parmi les siens un héros si précoce, capable de voir au-delà de la trompeuse barrière des sens ! Ils l'avaient proclamé dans tout le village. Ce prodige avait compté dans l'attitude respectueuse de son prêtre envers lui, et dans l'acceptation par ses guerriers de ses exigences les plus folles... Oui, c'était cela, plus que la force des glaives de Pewortor. Elle n'avait fait que l'aider, seul le souvenir de ses dons avait été décisif. Seul il avait poussé les siens à le suivre dans les raids les plus osés, seul il les avait persuadés qu'il les mènerait toujours à bon port. Son don, pas les épées. C'était la source de sa puissance.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Une quinte de toux le reprit. Il réfléchit. Selon son oncle et son père, son aïeul avait commencé à souffrir de ce catarrhe persistant l'année même de sa naissance, celle du grand massacre de loups... et il était mort quatre, ou cinq, ans plus tard, l'année de... du ?.. Celle de la mort de Ekwomregs et de l'arrivée à la tête du clan de Nemoklewos, son oncle. Il n'en était pas plus savant. Il chercha plus avant... L'année de la petite maladie des vaches, où toutes avaient eu les pis couverts de pustules, venues ensuite tourmenter les hommes, son père lui avait dit que cela faisait dix ans que son aïeul était tombé malade, cinq qu'il était mort. Il avait eu peur cette année-là, mais la maladie des vaches, si elle donnait vilain aspect, n'était ni douloureuse, ni mortelle. Elle avait pourtant marqué son esprit, bien plus encore que son corps. C'était l'année de ses dix ans.

Il fit un bref calcul, se rappela le moment des obsèques de son grand-père, et celui où le père de son prêtre, l'air pénétré, avait brisé le bâton où était inscrit le compte des années de celui qu'on enterrait. Il trembla. La toux persistante de son aïeul avait commencé à son âge. Si, comme la sienne, elle durait cinq ans, pour le conduire à la mort sous les coups du guerrier invisible. Il en refusait la perspective. Il apostropha les dieux. Qu'ils lui donnent une longue et glorieuse vie ! Les peines privées seraient pour rien, si sa gloire et sa lignée survivaient.

Il laissa tomber son menton contre sa poitrine. Sur ses épaules pesaient déjà ces malheurs acceptés, revendiqués... S'il avait mal compté ? Comment suivre le cours du temps quand chaque tribu, chaque clan, chaque famille, a son propre comput, auquel même le plus proche voisin est étranger. Il n'y aura qu'une seule façon de compter les années, kwom regs regom esmi... Quand je serai roi des rois. Il s'y voyait déjà. Chacun penserait selon le temps de Kleworegs et de ses successeurs. Maître du temps, il serait maître des hommes. Chaque fois qu'ils diraient le moment, ils diraient son nom. A côté de cette gloire, celle d'un chant serait mesquine, quasi insignifiante... Ce serait sa première décision, une fois roi des rois.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il devait vivre pour réaliser ces ambitions. Vivre, s'assurer des alliés, des appuis, intriguer, sacrifier les hommes comme des pions, trahir ceux qui lui feraient confiance, soutenir des hommes prêts à le trahir pour les lâcher avant qu'ils ne le lâchent. Il avait déjà eu un aperçu de cette vie, l'avait trouvée amère. Pourtant, il goûterait à nouveau à sa coupe... Il goûterait, que disait-il, il l'engloutirait tout entière, en redemanderait dès qu'il la sentirait près de se tarir. N'en avait-il pas prié les dieux, peut-être pour rejeter sur eux les malheurs privés nés de sa requête.

Il ne pouvait plus reculer. Ce que la cohésion de la tribu du Printemps Sacré lui avait semblé exiger devenait encore plus indispensable. Il ne serait pas roi des rois sans alliances profitables, et gratifiantes, avec des chefs de tribus ou de clans prestigieux. Il l'avait retourné cent et mille fois dans sa tête. Il n'y avait pas d'alternative à sa présente décision. Il avait beau être le maître de sa famille, avec tous les droits sur ceux qui vivaient sous son toit, il n'avait jamais joué un despote, donnant des ordres absurdes ou injustes pour le seul plaisir d'étaler sa puissance. Il adopterait pourtant cette conduite dès le point du jour. Ce serait sa première épreuve... qu'il aurait eu tant de plaisir à refuser, mais accepterait, quoi qu'il lui en coûte. Il était trop tard. Pour prix de son ambition, il s'était voué aux dieux. L'abandon des joies de l'homme du commun en était le prix.

« Quelle querelle, au fond, ai-je avec Kleworegs ? Quel mal m'a-t-il fait, quelle force me pousse à lui battre froid, à lui témoigner de la haine ? »

Depuis qu'il était rentré sous son chariot pour dormir, sans se préoccuper de jouir de la douceur de la nuit, Belonsis ne cessait de se poser la question. Il revivait les derniers temps. Il n'avait aucune raison de se plaindre du haut roi, mille de se réjouir de la mort de Thonronsis, son prédécesseur et l'ennemi juré de Kleworegs. Qui, chaque fois qu'ils se croisaient, l'avait salué avec amabilité, si ce n'est lui ? Qui n'avait jamais répugné à lui demander son avis ? Qui lui avait toujours, malgré son jeune âge, témoigné son respect ? Rien à voir avec la morgue de Thonronsis, son arrogance, son mépris. Ce n'est pas Kleworegs qui l'aurait traité de petit imbécile, chaque fois qu'il prétendait exposer son opinion, pas Kleworegs qui lui aurait ordonné de se taire ou, au mieux, après avoir sollicité ses conseils, marqué qu'il était décidé à n'en tenir aucun compte. Non, il n'aimait guère son cousin. Kleworegs avait au moins cette rare vertu de l'en avoir débarrassé, et de lui avoir permis de devenir roi des chasseurs de loups. Tout bien pesé, il l'aurait plutôt, s'il l'avait pu, et s'il avait été libre, remercié. C'est là que le bât blessait.

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