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AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton

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Marc Galan

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Marc Galan Membre 421 messages
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Ce « fils », presque hurlé, était arrivé aux oreilles de Pewortor. Soucieux d'étaler son récent statut, le parvenu caracolait lui aussi en tête de cortège, parmi les neres de la plus haute naissance. Ils n'en étaient guère enchantés. Ils lui faisaient sentir leur mépris de sa basse extraction. Devant lui, ils discutaient de faits et d'événements connus d'eux seuls, ou compréhensibles des rares guerriers au courant de tous les arcanes de leur caste. De temps à autre, l'un d'eux lui demandait son avis. Au pied du mur, il devait avouer son ignorance ou son incompréhension. Ils le toisaient, l'air condescendant, presque apitoyé.

Il n'avait guère apprécié, au départ, leur façon polie, mais en même temps des plus vexantes, de lui signifier qu'il n'était des leurs que par une chance inouïe et injuste. Très vite il avait vu tout le profit à tirer des secrets divulgués par ces innocents dans un but qui l'était si peu. Ce petit jeu commençait à le lasser. Ce mot fils, lui parvenant soudain, était une diversion bienvenue. Il se laissa glisser en arrière du cortège. Il ne devrait pas s'y mêler à des conversations intempestives. Il se plongerait dans la rêverie qui éclosait en lui.

Tout se sait dans un wiks... Y compris les malheurs privés. Le roi n'avait jusqu'alors engendré que des filles. De même, son épouse n'avait donné au prêtre que des mort-nés. Tout de haute caste qu'ils soient, leur semence était viciée. Lui n'avait rien à se reprocher. L'absence de mâle dans sa maison ne pouvait lui être imputée. Elle n'était due qu'à la mort prématurée de ses épouses. Après l'exploit accompli pour Aryana (il n'aurait pu dire en quoi, mais sa promotion prouvait qu'il était grand), Bhagos lui apporterait en signe d'alliance et de récompense cet enfant tant attendu, et épargnerait la mère, au moins jusqu'à l'accouchement. Pour elle, il n'en demandait pas plus. Son futur fils, en revanche, contrepartie de la modestie et de la modération de ses v¿ux la concernant, serait un des plus puissants de la caste à laquelle il venait de le hisser. Ce souhait ne l'empêchait pas de désirer en même temps qu'il devienne grand parmi les forgerons. Pourquoi pas, si les dieux le voulaient.

Un armurier, le voyant pensif, s'approcha. Il était un peu inquiet. N'allait-il pas le méconnaître ? Dérangé dans sa méditation, Pewortor montra un visage peu amène. L'expression de l'autre trahit sa méprise. Non, il n'ignorait pas les siens ! Il s'empressa de lui sourire, et le regarda d'un air encourageant.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il fut rassuré sur les sentiments de son patriarche. Il ne les avait pas reniés. Il s'enquit du sujet de ses réflexions.

¿ Ah, tu penses à ton enfant ! ... Tu espères que ce sera un garçon !

¿ J'en suis sûr (était-ce pour se rassurer, ou avait-il une certitude, à coup sûr d'origine divine ? ). J'ai fait les sacrifices, accompli les rites et les oblations, versé les trois liqueurs sur les feux sacrés. J'ai déjà sacrifié un bélier à Wulkanos, et promis à Pewor et Egnis les dieux-feu de leur en offrir un autre, en sanglant hommage, s'ils me donnaient un fils. Ils me savent de parole. Pourquoi refuseraient-ils un nouveau fidèle ? J'ai mis toutes les chances de mon côté. La mère est la seule fille, et la dernière-née, d'une famille de huit enfants. Tout indique, et laisse espérer, que j'aurai enfin un enfant mâle... Il le faut, sinon je serai obligé d'en faire un à une servante, et de l'adopter... éa ne me sourirait pas du tout.

¿ Tu ne vas pas faire ça ! Ta famille est d'une lignée sans fin de forgerons, depuis que le métal existe. éa fait plus de générations qu'un homme n'en saurait compter, et même concevoir. Aucun de nous n'ira te reprocher ton élévation. Elle nous fait plaisir, au contraire. Elle présage la nôtre, qui viendra bientôt, comme tu nous l'avais prédit quand nous en doutions tous. Adopter un fils fait à une servante serait déchoir. Il doit être issu de deux irréprochables lignées d'hommes du métal. Ce sera le cas si ton épouse accouche d'un garçon. Nous aussi, nous avons sacrifié pour que tu connaisses ce bonheur. Si tu fais porter ton fils à une sans-caste, et même si, de par nos lois, il appartient à la caste de son père, chacun saura où il a germé. Les satiristes en parleront. Il souffrira de cette part mauvaise toute sa vie. Aucun respect pour lui, surtout parmi les neres dont il sera. Non, cela ne sera pas. Je sacrifierai aux dieux d'un nouveau bélier, si tu as un fils.

¿ Merci, frère ! Que pour ce geste de grande piété et d'amitié, Wulkanos favorise ta forge et donne sa vigueur aux armes que tu y ouvres.

¿ As-tu trouvé des captifs pour nous aider ?

¿ Pas des quantités. Il y en a une petite dizaine qui feraient l'affaire.

Ils s'arrêtèrent un instant. Les Muets entravés arrivaient à leur hauteur. Pewortor lui en désigna quelques-uns, à mesure qu'ils passaient.

¿ Que penses-tu du grand sec, là-bas ? Il ne paie pas de mine, mais on dirait ses muscles de pur métal. Et le petit râblé, là ? Il ne serait pas mal non plus ! Oh, celui-là, il nous le faut. Le brun, plus loin, avec son nez épaté. Regarde-moi ce torse de mange-miel, et ces bras comme des cuisses ! D'accord, il est un peu court sur pattes, mais il fera un aide remarquable.

¿ Il faudrait que ton fils soit bâti comme lui... Enfin, pour le haut. Il est trop bas du cul.

¿ S'il est comme ses père et mère, il sera un roc. Pour ça, je ne m'inquiète pas, va !

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Marc Galan Membre 421 messages
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LE TOURNOI

Le soleil était au plus haut. Ils s'arrêtèrent manger. Leur départ prématuré les avait mis très en avance. L'inhumation de leur nouveau frère ne les avait guère retardés. La sieste fut longue ce jour-là.

L'ultime sommeil seul est éternel. Repus, reposés, forces revenues, ils se remirent en route. Chacun, du roi aux captifs ¿ mais qui se souciait de leur avis ? ¿ se sentait bien. Nul ne traîna. Même les Muets, pourtant promis à une proche servitude, avançaient d'un bon pas.

Tout était calme. Ils n'avaient qu'à laisser aller leurs bêtes. Le chef de patrouille revint à la charge auprès de Kleworegs. était-il meilleur moment pour entendre l'histoire de son raid ? Il n'était pas encore disposé à en parler, mais lui dirait la suite de ses débuts, s'il voulait. Il voulait bien. Il n'attendait que ça. Il se racla la gorge. Une voix claire agrémente un récit.

¿ J'avais réussi, tu t'en souviens, à obtenir tout le métal blanc qu'il nous fallait, et au-delà. En même temps, Bhagos avait favorisé notre chasse. Nos réserves de gibier suffiraient pour passer la mauvaise saison. Nous n'en continuions pas moins à amasser de la venaison et à la fumer sitôt nos proies abattues. Pour leur part, Punesnizdos, Pewortor et Egnibhertor leur parent, alors maigre comme une arête de brochet, s'échinaient dans leurs forges. é leurs côtés s'affairait une petite troupe d'aides. Ils semblaient, après des années à cultiver ou paître, avoir tout oublié de leur art. Cet oubli ulcérait Pewortor. Il les abreuvait d'injures, leur faisait honte de leur maladresse... toute provisoire. En une lune, ils retrouvèrent toute leur habileté. Jour après jour, les belles et lourdes épées martelées, identiques à, voire plus belles que celles qui avaient servi à ma démonstration, sortirent de leurs ateliers, fortes, sans défaut...

... Cet hiver-là nous fut cruel. La chair de nos b¿ufs, fumée pourtant avec grand soin, s'était corrompue. Malgré nos réserves de venaison, nous n'avions à nous mettre sous la dent, à la fin de la saison froide, que des mets de serviteurs. Peut-être, à nous seuls, aurions-nous eu assez de viande, mais les forgerons, je l'avais résolu, mangeraient comme nous. J'avais besoin de leur force. Ils nous avaient tant aidés, et continuaient. Quoique nos inférieurs, ils méritaient certains égards...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Je m'étais inquiété. Ce régime ¿ graines et racines ¿ nous affaiblirait. Les premiers à accepter de s'y prêter s'en étaient fort bien portés. Ils semblaient même plus solides. Je demandai à tous de les imiter, et leur montrai l'exemple. Cette plate nourriture, que seuls des bouts de viande venaient relever, nous profita. Je ne sais toujours pas pourquoi. Une lune durant, nous n'avions mangé que ces rogatons ; les beaux jours revenus, nous nous sentions mieux que jamais. Depuis, en hommage à Bhagos, et malgré nos réserves pleines, nous faisons toujours ainsi... Ne t'inquiète pas ! Nous nous rattrapons le reste du temps...

... Tous les jours, nous nous entraînions avec nos nouvelles armes¿ si dures, si solides ! é mesure qu'elles arrivaient, nous donnions à nos armuriers nos vieux cuivres... D'un cimetière de glaives ils faisaient un berceau. Nous comparions nos lames aux anciennes : Nulle commune mesure ! Leur seul défaut était leur poids. Certains le trouvaient excessif... Nous n'étions pas des mauviettes. Au bout d'une courte lune, elles nous semblèrent roseaux. En duel, mes hommes luttaient maintenant à armes égales. Une nouvelle hiérarchie s'établissait, au profit des plus habiles. Plus tard, les forts reprendraient leur prééminence. Qu'importe, il y aurait une énorme différence entre ce temps et avant. Alors, même nos héros n'espéraient pas étendre leur renom plus loin que notre enclos. Désormais, il se répandrait partout, et d'abord sur nos rivaux en tournoi...

... Un tournoi. Ce serait mon prochain objectif. Avant de choisir nos champions, je fis livrer des assauts à tous mes guerriers. é ma grande joie, toutes les victoires résultèrent de la seule force des hommes, non d'un bris d'arme. Ces duels m'avaient instruit sur la valeur de chacun. Je savais mes lames invincibles. Nous étions fin prêts...

... J'aurais voulu que Pewortor soit des nôtres. Je l'avais invité à nos entraînements. Créateur des glaives, il les connaissait le mieux. Nombre de guerriers s'essaieraient contre lui pour en devenir aussi experts. Cette idée ne tenta personne. De crainte de sa force de mange-miel, de mépris de son moindre statut, nul ne vint lui livrer bataille. Je fus le seul. J'acquis dans ces duels une puissance au combat sans pareille, que je n'aurais sinon jamais eue. Je ne concevais pas qu'un troisième caste vainquît son roi, pas plus qu'il n'admettait de rendre les armes devant moi. J'y allais au bout de mes forces, lui prescrivant bien ¿ avis inutile ¿ de ne pas me ménager. Ces rencontres me donnèrent les moyens de vaincre de vrais colosses. Je ne regrettai ni mes plaies, ni mes bosses...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Tous ces assauts avaient lieu loin des regards. Ils auraient, sinon, scandalisés. Je me déclassais ! Un jour pourtant, je m'exhibai en combat avec lui. é ma grande surprise, je le défis sans peine. Encouragés par sa défaite, quelques guerriers, enfin, le défièrent. Il n'en eut pas plus à les faire plier devant lui. Il m'avait laissé l'emporter aussi vite dans le seul but de les inciter à ces duels où il les avait écrasés, pour sa gloire et la mienne, son seul vainqueur. Quand nous combattions sans témoins, mes victoires n'étaient pas aussi faciles...

... Il fallait pour le vaincre, outre être un athlète, le bien connaître. Sa seule faiblesse était sa façon rigide, peu imaginative, de lutter. Au bout de quelques assauts, il croyait avoir repéré tous vos points faibles. Il fallait alors le surprendre, inventer de nouvelles bottes, imaginer une nouvelle approche. Il perdait pied et se retrouvait en difficulté, sinon vaincu. Il n'eût pas fallu qu'il affrontât en combat réel des ennemis porteurs d'un art de se battre inconnu. Là, on vainc d'entrée, ou l'on est mort... Mais il apprenait vite, et découvrait bientôt les parades. Là aussi, il me força à donner mon meilleur. é la force, j'ajoutai la science. Je l'enseignai aux miens...

... Cette faiblesse, d'ailleurs, ne concernait que les combats au glaive. é la hache, je n'ai vu personne lui tenir tête, beaucoup la perdre. S'il avait pu participer à ce tournoi ! Ce fut impossible. Les règles en sont strictes. Il n'oppose que des seconde caste. Nous gagnerions quand même. Ce ne serait qu'un petit peu moins facile¿

¿ Il nous accompagna malgré tout. Nous en avions besoin pour nos armes et notre entraînement. Cette dernière perspective l'émoustilla. Il risquait d'y mettre trop de c¿ur. Je le confinai, sauf avec moi, dans son rôle d'armurier...

... Nous arrivâmes, un beau jour frais et venteux, à la vaste cuvette des combats. Bien commun de tous nos clans, elle est peu profonde et entourée de treize petits talus aux pentes douces, gradins idéaux pour voir se mesurer les champions. Pendant le tournoi, ce petit creux de terrain est notre lieu le plus sacré, ne le cédant en majesté qu'à Kerdarya aux beaux sanctuaires¿

¿ Les prêtres y venaient nombreux. Ils devaient favoriser le triomphe de leurs guerriers et les paris de leurs ouailles. On les courtisait de tous côtés. De tous côtés venaient les offrandes, chiches pour obtenir la faveur de Bhagos ou le remercier de la victoire, plantureuses pour qu'il favorise la défaite d'un adversaire. Des alliances s'y nouaient entre les familles et les clans qui s'étaient distingués. Là aussi se décidaient les mariages et les plus beaux raids. Il était vital d'y paraître et d'y faire la meilleure figure...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Depuis que, d'un accord unanime, on avait fixé des règles afin que nul ne soit ruiné à jamais en un tournoi, il y avait un enjeu maximum. Chacun nous savait pauvres, sans audace. Ils furent tout surpris quand nous engageâmes la plus haute mise. De bonnes âmes nous avertirent, charitables. Nous courrions à la famine en cas de défaite. D'autres se précipitèrent à notre enclos. Ils voulaient s'assurer que nous avions de quoi l'honorer. Ce qu'elles virent les tranquillisa. Nous pourrions payer. On l'accepta...

... Pour que tu saisisses notre tactique, je t'explique plus en détail nos règles...

... Il y a deux séries de combats. Seuls ceux entre villages sont récompensés. Les autres ne sont que parade sans sanction. é l'issue des duels, pour la gloire seule, chacun rend le glaive, marqué au sceau d'un clan, dont il s'est servi. Ils restent, toute la nuit, sous la garde de prêtres de tous les wikos. Au matin, ils reviennent à leur premier maître. Si ses armes sont belles et solides, il les récupère toutes, intactes ou presque. Dans le cas contraire ¿ longtemps le nôtre ¿, il ne reçoit que des bouts de métal tordus ou brisés. Et il doit se battre avec pour éviter la honte et l'opprobre d'un abandon pourtant justifié...

... Les combats à enjeux commencent, qui favorisent les plus puissants. C'est d'ailleurs pour ça qu'on a décidé d'une mise limite, sinon le jeu serait faussé. On peut s'y présenter avec un enjeu de quatre à trente-deux chevaux. Mais si l'on arrive avec quatre bêtes, comme mon père, il faudra se battre avec des clans aussi pauvres que soi, et les vaincre, pour se mesurer aux plus riches. Les plus démunis (les plus mal armés) livrent trois rudes combats avant de parvenir dans leur cercle étroit. Nous n'y étions encore jamais parvenus. En vérité, aucun n'a une chance sérieuse d'y arriver. Si jamais, leurs guerriers sont déjà recrus de fatigue. Ils ne peuvent tenir contre ceux des grands clans, frais et dispos, qui ont eu le temps, pendant les premiers échanges, de repérer leurs points ou leurs éléments faibles...

... Toute la matinée, devant des spectateurs rares et pour la plupart inattentifs, se sont battus les villages pauvres. Sitôt le repas du midi terminé viennent les combats qui comptent. Les grands clans, d'attaque face aux petits arrivés là à force de coups, vont lutter. Le vainqueur reçoit tous les coursiers mis en jeu. Il en offrira quelques-uns aux plus vaillants. é huit clans, avec chacun trente-deux chevaux, cela fait dans les cinquante mains de bêtes... et trois batailles farouches, contre un adversaire chaque fois plus fort, où il s'agit d'être le meilleur. é lui reviendront toutes les mises, et la responsabilité d'organiser le tournoi suivant. Chacun espère l'emporter. Ce n'est souvent qu'un rêve. Pour nous, c'était une nécessité...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... En arrivant avec trente-deux chevaux, j'avais deux avantages. Je n'aurais, si tout allait bien, à livrer que trois combats, et ne dévoilerais pas ma tactique. é voir notre enjeu, certains auraient pu se méfier et nous imaginer plus forts qu'avant. Je préférais qu'ils aient ce soupçon fugitif, que rien d'autre n'étayait, à fatiguer en vain les miens et à les désigner, par leurs premières victoires, comme ennemi à abattre. Je courais le risque, si mon plan échouait, de nous voir réduits à l'état des villages frappés par le mal. Que faire d'autre ? ! Il était le seul à nous donner une chance de gagner et de ramener un splendide troupeau, base de notre prospérité et de notre renom à venir...

... Le premier jour était consacré aux joutes individuelles, avec des glaives tirés au hasard. Je demandai à mes champions de noter la provenance de leurs armes, d'en évaluer les qualités, et d'en rendre compte à Pewortor. Cela me donnerait de sérieuses indications sur l'armement de ceux que nous affronterions. Je leur ordonnai aussi de prêter attention à la manière d'attaquer et de se défendre de leurs adversaires, et j'étendis cet ordre à tous ceux de mon wiks. J'en affectai la grande majorité à l'observation des combattants des villages les plus riches, sans négliger les plus petits. Certains, y compris chez ceux qui seraient battus dès le départ, pouvaient connaître des bottes secrètes...

... Ces premières épreuves se passèrent bien. Suivant mes conseils, mes champions menèrent tous une tactique de pure défensive. Elle leur permit d'étudier leurs antagonistes de près, et de mieux voir leurs façons de combattre. Elle laissa aussi à penser à ceux qui nous observaient que nous n'en connaissions pas d'autre. Même ceux qui avaient hérité de leurs propres armes, parmi les nôtres, firent en sorte, servis par Bhagos qui leur avait donné des adversaires moins musclés, de vaincre par la force pure et l'art de la lutte¿

¿ Nous offrîmes une série de beaux combats, mais chacun, tant nous avions semblé menu fretin, nous voyait éliminés à l'issue de la première joute sérieuse. Nous apparaissions un peu moins forts que l'année précédente, et on savait nos glaives à peine bons à fendre l'eau sans s'ébrécher. J'en eus confirmation en passant au temple de Bhagos...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... C'est une tradition de parier sur un clan devant les autels du Borgne. Chacun vient déposer entre les mains de ses servants qui une balle de peaux, qui un porc, qui un taureau (seuls les chevaux, réservés aux vainqueurs, en sont exclus), et leur désigne son favori. On peut miser du premier jour des duels, aux premières lueurs de l'aube, jusqu'au signal du début des grands combats. J'avais demandé aux miens de ne parier qu'à partir du lendemain matin. Ce soir-là, à deux ou trois exceptions, personne n'avait encore misé sur nous. Encore ces audacieux, aux dires du prêtre de permanence, jouaient-ils toujours en faveur des délaissés dans l'espoir de gains démesurés par rapport à leurs mises. Ah, si tous étaient comme eux ! Ces mises sur les éliminés aux premiers combats revenaient aux prêtres. Ceux du village organisateur, dont il était, en avaient un tiers, ceux du vainqueur, dont il espérait être, un autre. Le reste se partageait entre ceux des clans à trente-deux chevaux. Hélas, ils étaient rares ! ...

... J'étais satisfait. Notre arrivée avec tant d'animaux n'avait mis la puce à l'oreille de personne. Ceux qui avaient tenu nos glaives n'avaient rien remarqué ou n'avaient pas songé à vérifier leur provenance. Y aurait-il demain des paris inattendus en notre faveur ? J'en doutais. J'essaierais en ce cas de savoir quel clan nous jugeait bons. Cela nous serait utile...

... Je me réveillai bien reposé, comme mes champions, grâce aux tisanes du guérisseur. Je me précipitai au sanctuaire où nos armes étaient entreposées. Leur garde est assurée par des prêtres tirés au sort installés, le tournoi durant, sur une tribune isolée sans aucun contact avec les spectateurs. Bien protégée contre vent et intempéries, c'est l'endroit d'où l'on voit le mieux, et cet isolement ne pèse guère. Ce poste est même recherché par mauvais temps...

... Ils nous remirent nos armes. Quel plaisir ! Aucune n'était brisée, ni même ébréchée à ne pouvoir servir. Mieux encore, nous seuls les revoyions toutes intactes. Les trois clans les mieux pourvus après nous en avaient une en moins. Ils nous opposeraient au pire, si nous les rencontrions en premier, dix-neuf guerriers équipés face à notre effectif intact. Les autres avaient déjà perdu de deux à cinq armes. Pourvu que ce détail n'entraîne une vague de paris en notre faveur ! Ce fut moins qu'une vaguelette. Ils ne l'avaient remarqué ou étaient habitués à nous voir vaincus. Il leur parut sans importance. Il pesa moins que duvet...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Tout le matin, nous suivîmes les épreuves où s'illustraient, souvent avec vaillance, les clans pauvres. De temps à autre, un des nôtres allait prendre un porc ou des fourrures et les déposait auprès des autels. Un prêtre lui demandait pour qui il misait et traçait dans sa paume, avec un jus indélébile, un signe indiquant son choix. Il ne s'effacerait qu'au bout d'un quartier. Grâce à lui, ils verraient qui avait deviné le vainqueur. Dès qu'il aurait touché ses gains, ils la couvriraient, en guise de reçu, de la même teinture. Les inspirés se partageaient l'ensemble des mises, moins la part des prêtres. Ils partaient, brandissant leur paume bleuie en signe de victoire et de liesse. Certains proclamaient partout leur don de devin, surtout quand un clan délaissé, pour qui ils avaient été les seuls à miser, avait gagné. Ils ne se la lavaient plus jusqu'à ce que les marques soient parties d'elles-mêmes. C'était si bon d'entendre les gens s'extasier de leur prescience ! D'autres en profitaient même pour prophétiser. Ils se prétendaient éclairés par le Borgne divin, capables de voir l'avenir...

... Au plus haut du soleil, tous nos paris avaient été engagés, et tous les petits clans éliminés, sauf un, minuscule, arrivé à quatre chevaux. Il n'irait plus très loin avec ses treize guerriers épuisés. Quelle aubaine pour celui amené à le rencontrer ! Ce fut le mien. L'affaire fut vite réglée. Cette victoire éclair sur le clan de mon ancien beau-père (J'ai eu épousé la fille de leur roi.) nous donna le temps d'aller voir les autres combats et de jauger les forces de nos futurs adversaires. Nous observâmes les trois équipes dominantes. Nous en affronterions, s'il plaisait aux dieux, deux. Les miens m'affirmèrent être de taille à les battre. Si les autres avaient engagé leurs hommes les plus solides, aucun ne présentait d'athlète invincible, comme le vainqueur des deux années précédentes, et tous avaient négligé leurs glaives, se fiant à leur seule vigueur. La nôtre valait la leur, ils étaient meilleurs. Nous vainquîmes...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Cette victoire fut si brillante, si aisée ! ... Ils n'en crurent pas leurs yeux. Nous étions sûrs de l'excellence et de la supériorité de nos armes ; nous n'avions vu chez personne en face un guerrier, roc d'invincibilité, que nous aurions eu les pires peines à défaire. Nous nous en donnâmes à cœur joie. Nos glaives à tout briser faisaient sauter les leurs de leurs mains soudain débiles. Tous ces héros, vainqueurs de nombreux tournois, ne nous reconnaissaient plus. Ils se souvenaient de nous : de bons combattants inaptes, avec leurs pauvres lames, à tenir un vrai assaut. Ils retrouvaient des possédés tous pénétrés de la force de Thonros. Nous avions pourtant le même corps et les mêmes aptitudes qu'avant. La seule différence résidait en nos armes. Peut-être avions-nous aussi plus de flamme et de courage. C'était encore leur effet. Sans elles, jamais notre cœur n'eût été si ferme. Ils baissèrent vite les bras...

... Nous repartîmes avec plus de cinquante mains de chevaux et quantité de fourrures, petits bestiaux et beaux bovins. Seuls trois fous, en dehors des miens, avaient misé sur nos chances. Nous emportions la majorité des paris, moins la part des prêtres qui, je n'ai pas encore deviné comment, en gardaient environ le quart. Trop heureux de notre succès, je ne cherchai pas à en savoir plus. Les dieux nous avaient assez favorisés. Je ne chicanerais pas leurs représentants sur leurs profits...

... Nous revînmes chez nous sans tarder. Nous y fîmes une immense fête. Cela t'étonnera peut-être, je fus le seul à n'y pas participer. Tous festoyaient, chantaient, dansaient autour des grands feux de joie élevés en notre honneur. Je gisais sur mon lit. Un brusque accès de fatigue m'y avait jeté. J'avais sans cesse vécu, depuis la mort de mon père, sur la corde raide. La tension passée, je m'effondrais, vessie gonflée dont l'air fuit. Cela ne dura pas. Peu après, nous partions pour notre premier raid de dévastation et de sac chez les Muets. Pourquoi aurions-nous arrêté sur notre lancée ? Bhagos et Thonros étaient avec nous...

... La suite, tu en verras les résultats, ce sont treize années d'expéditions victorieuses et profitables. Avant, même nos bien-nés étaient maigres. Maintenant, même les chiens mendiant leur pitance y sont gras. Tu n'as fait, m'as-tu dit, qu'y passer. Tu l'as sans doute déjà constaté. Tu pourras l'admirer de long en large pendant ton séjour.

Le chef de patrouille le regarda un long moment. Peu de guerriers le valaient. Il lui parlerait sur le ton qu'il prenait face au premier des rois... Il pouvait l'être un jour.

– Tu m'as raconté tes débuts... Ce n'était que les débuts de tes débuts... Attends-toi à un plus grand destin. Après ta prise, tu n'es qu'aux premiers pas de ton ascension !

– Bhagos et Thonros le veuillent !

Il baissa la tête, plongeant d'un coup dans une silencieuse rêverie. Son fils était peut-être déjà né. Pour lui, il “ le ” voulait, aussi, très fort. Les dieux exauceraient son désir. Ils favoriseraient sa marche vers les sommets. Ils répugnent parfois à répondre aux vœux égoïstes des hommes, jamais à combler ceux qui regardent leur descendance. Ils scruteraient son cœur. Ils verraient les raisons de son souhait.

Il releva le chef d'un coup, comme il l'avait baissé. Une voix intérieure, divine, parlait. Sa volonté, enfin définie, s'accomplirait.

– Oh, dieux, merci pour mon fils !

Et il resta muet, sauf pour donner ses ordres, jusqu'à la halte du soir.

Modifié par Marc Galan
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Marc Galan Membre 421 messages
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Il avançait, appuyé sur son épieu-béquille, courbé sous le poids des deux énormes jambons et du sac de viande à moitié fumés. Il se sentait un peu fatigué, comme on l'est toujours après une longue marche, mais avait bien moins mal qu'il ne l'avait craint quand il s'était mis en route dans la matinée. Il se remémora les journées précédentes, un peu fâché d'avoir quitté si vite son terrain de chasse... Non, c'était la décision la plus sage. Elle n'était pas si loin, sa rude journée de l'avant-veille, où il avait failli mourir.

Il était revenu auprès de la carcasse du sanglier après avoir lavé sa plaie dans l'eau glacée. Pourquoi ce second évanouissement ? Il devait en démêler les causes. Plus que la douleur, c'était la faim. Il avait perdu trop de sang. Seule la bonne viande gorgée de sa vigueur sauvage lui rendrait ses forces. Sortant son frottoir, il avait enflammé un petit bûcher et fait griller un beau morceau juteux avant de le dévorer à moitié cru, tant l'appétit lui tordait les entrailles. Aussitôt après, il s'était endormi, serrant sa proie contre lui comme une femme aimée, laissant le feu s'éteindre.

Au matin, bien restauré, reposé, il avait monté une broche pour y cuire d'abord, y fumer ensuite, les meilleures parts du solitaire. C'était bon de voir sa chair brunir sous l'ardeur du brasier. Le sain en suintait, coulait des cuissots, dégouttait dans les flammes, y brûlait. Son grésillement discret parlait plus au ventre qu'à l'oreille.

Il avait rassemblé près de lui, en un grand tas, les feuilles jonchant le sol. Il avait pris soin d'écarter celles dont la fumée gâcherait la viande. Il n'en avait pas eu assez. Il avait continué à marcher et à en ramasser, jusqu'à être satisfait de la taille de la pile. Il devait soumettre la chair prompte à se corrompre à un fumage rapide. Il l'avait commencé sans tarder. Cette opération l'avait occupé jusqu'au soir. Il était loin d'en être satisfait. Ainsi traitée, elle se conserverait une demi-lune au plus... assez pour retourner au village, et à son ennui. Avec quel plaisir, sinon, serait-il resté jusqu'à la chute des dernières feuilles. Il était allé dormir. Il se lèverait tôt le lendemain si la douleur ne le reprenait, le tenant éveillé une partie de la nuit.

Il n'avait pas souffert. é son réveil, le soleil était déjà haut. Cela faisait un moment qu'il marchait, sifflotant et soliloquant pour se donner du c¿ur au ventre. La seule perspective de revoir son village n'aurait suffi à pousser ses pas.

Il ralentit. Quel était son probable avenir ? De ce monde qu'il rêvait de fouler, il ne verrait jamais qu'un petit carré de terres, du puy aux aulnes jusqu'aux bosquets autour de son wiks. En fait de prouesses, ses plus nobles seraient la mise à mort de sangliers ou de vieux loups mités. Rien de digne ne l'attendait ! Il végéterait toute sa vie, comme son clan, sans exploits à accomplir, sans l'espoir d'être un jour célébré, ou honni, mais au moins, dans le bien, dans le mal, que son nom soit grand !

C'était son destin, déjà tout tracé. Il devrait s'y résigner, commencer à s'y habituer. Seul un cataclysme pourrait en briser la ligne.

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Marc Galan Membre 421 messages
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UN HOMME DE PAROLES

Nerswekwos avait justifié la confiance de son chef. Il avait chevauché au plus vite, épuisant sa bête. Elle n'avait eu de répit que lorsqu'il la sentait près de s'effondrer. Parvenu aux portes du Cheval ailé, il s'annonça. Il venait leur parler des héros, du roi, du raid il entra sur-le-champ.

Fier d'avoir en tous points et même au-delà, tant il avait été rapide, rempli son office, il fit signe de prendre le licol de sa monture. Il mit pied à terre. Il demanda du foin pour son cheval, de l'hydromel bien frais pour lui... Il aurait la langue plus déliée pour donner des nouvelles...

Avec quelle facilité on l'avait laissé pénétrer ! Les gardiens des autres wikos, seuls guerriers restés durant la saison des combats, faisaient longtemps patienter les voyageurs... Utile précaution s'ils étaient hostiles, même s'il était de bon ton de dire qu'on se donnait le temps de les bien recevoir. Kleworegs n'aurait-il laissé que des invalides ou des simples ¿ le portier, par exemple, tête à semer des os pour avoir des b¿ufs ¿, paresseux de surcroît ? Fallait-il qu'il ait confiance dans la paix régnant en Aryana ! Il en revint vite. La palissade de l'enclos, d'énormes rondins, était solide ; les veilleurs surveillant l'horizon, presque invisibles, nombreux ; les jeunes seconde caste encore trop tendres pour participer à un raid, bien encadrés par les vétérans, encore mieux armés, et capables de soutenir l'assaut d'un clan frappé de la démence de Mawort. Le nonchaloir exhibé était tout de façade.

Les plus curieux accoururent vers lui. ¿ Les vôtres arrivent, Kleworegs à leur tête, riches de butin. ¿ Ceux qui étaient allés quérir hydromel et foin avaient déjà propagé la nouvelle. Ils revinrent suivis d'une petite foule, s'augmentant à chaque instant, avide de connaître le cours du raid. Bientôt, tout le village fut autour de lui. Il se rafraîchit. Une fois désaltéré, il se dit prêt à répondre à leurs questions. Ils en profitèrent. Elles fusèrent. Devant leur avalanche, tout autre eût été pris au dépourvu. Il ne se laissa pas un instant démonter. Il possédait une rare éloquence. Si les dieux l'avaient fait naître première caste, il eût été un diseur du plus haut renom. Il décrivit avec emphase et vigueur les superbes combats, dont il ignorait tout, et le riche butin, qu'il n'avait qu'entr'aperçu, du roi et des siens.

Son récit était élan, vie, éclat, souffle à entraîner au loin, scories fumantes, doutes et interrogations. Chacun voulut l'entendre chanter les siens. Il avançait en roi. Chaque fois qu'il passait devant une maison, ses maîtres l'interpellaient. Qu'il n'hésite pas à en franchir le seuil ! Il y serait en paix et au calme pour relater les exploits de son chef ou de ses fils. Il s'exécutait, parlait. Ils l'écoutaient, bouche bée, yeux clos. Ils vivaient, plus réel que le réel, les prouesses des leurs. Guerriers trop âgés comme garçons trop jeunes étaient à leurs côtés, à leur place, par la seule force de son verbe.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Qu'on lui dise un nom, ils plongeaient à l'instant au plus fort des batailles où le héros s'était illustré, gagnées presque à lui seul. Son ignorance totale de qui il louait n'y changeait rien. Au contraire son imagination, libre de toute entrave, fulgurait. En entendant ainsi chanter l'héroïsme, parfois nouveau pour eux, de leur parentèle, et pour lui permettre de le chanter encore, ils lui versaient force hydromel. Il l'engloutissait comme de l'eau, mais avec plus grand plaisir. Devant ce plaisir évident, heureux des prouesses des leurs, souhaitant en entendre plus, ils lui en versaient encore. Il ne saurait manquer, ainsi stimulé, de leur en conter de nouvelles.

Un moment, il avait failli rester coi. Un père lui avait demandé si son aîné était mort ou vivant, à peu près intact ou mutilé. Il avait respiré un grand coup. Le seigneur de l'éloquence l'avait secouru. Au summum de son talent de conteur, il avait rétorqué, en l'absence de toute information (soit qu'il en ait tout oublié, soit qu'il ne l'ait jamais eue), qu'il s'était conduit en héros. Son nom et ses exploits, par delà la vie et la mort, vivraient dans l'éternité... et indigne qui chercherait plus loin. Personne n'insista. Seul le renom du clan importait... Emportés par les paroles fleuries, ils ne se souciaient plus de savoir si ses guerriers étaient vivants, blessés, ou chez Thonros.

Corne après corne, il s'était mis à dodeliner. Sous l'ivresse, la belle ordonnance de ses récits s'était déglinguée. Ils avaient perdu toute cohérence, sans pourtant lasser l'admiration. Enfin, pénétrant dans il ne savait plus quelle maison (et après il savait encore moins ¿ mais c'était bien, bien plus ¿ de cornes), il s'affala d'un coup sur le sol en terre battue, après avoir déclaré leur fils un héros héroïque. Ce pléonasme pour seule nouvelle, ses habitants furent enchantés. Que le divulgateur des prouesses de leur clan se soit arrêté chez eux, sur cette révélation, pour y prendre son repos, était un rare honneur.

Leur impression se confirma le lendemain. é l'aube, une foule, avide de connaître le sort des siens, se tenait déjà devant leur seuil. Elle attendait le réveil de l'envoyé. Jusqu'à l'arrivée, plusieurs jours après, de son fils bien vivant et tout heureux malgré quelques profondes entailles aux avant-bras et à l'épaule, le vieux couple n'en sut pas plus. Il eut en revanche un immense prestige pour l'avoir hébergé. Crainte de le fâcher s'il exigeait d'en savoir plus, ou de recevoir de funestes nouvelles ? Il ne voulut pas que cette joie d'être les héros du village, en attendant le retour de ceux qui en méritaient le nom, soit ternie par le malheur éventuel d'avoir perdu son seul garçon restant. Très satisfait de cette discrétion, il honora sa maison jusqu'au retour des guerriers. Tout le clan se souvint d'eux longtemps après leur mort.

Chacun, tout en lui demandant des détails sur la vaillance des siens, les imita. Personne, dégrisé de l'enthousiasme du triomphe annoncé, n'insista pour savoir le sort précis de tel ou tel. La mort n'avait plus la parole. Il serait toujours temps de compter et de pleurer les disparus quand la troupe arriverait.

Ils n'attendraient guère. Il y avait des soucis plus pressants. Kleworegs avait fait demander d'inviter tous ses voisins à venir admirer son énorme butin. Il fallait dès à présent expédier des courriers tout à l'entour. Ces obligations détournèrent de leurs angoisses ceux qui auraient encore pu s'inquiéter. Les jours précédant son arrivée furent un temps de furieuse activité, où chacun oublia ses états d'âme.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Les envoyés étaient déjà partis. ¿ Venez, sauf à vouloir rater un marché comme encore jamais vu ! Kleworegs revient, chargé de gloire, de captifs, de butin ! ¿. Tous leur promettaient de venir l'admirer ou d'amener du bétail. Ils le troqueraient contre une des étonnantes raretés qu'il rapportait de chacun de ses raids. Les prêtres avaient commencé les actions de grâces, préludes aux sacrifices que leur faible science du sacré leur interdisait d'accomplir (seuls ceux accompagnant leur roi et le soutenant au sein des bataille avaient, de par leur rang, le droit d'égorger porcs et taureaux sur les autels). En attendant, ils priaient, tant pour remercier Thonros d'avoir permis ce retour triomphal que pour implorer sa bienveillance envers les morts au combat... Pas tout à fait morts. Tombés avec vaillance (pouvaient-il périr d'autre façon ?), devenus esprits, ils restaient avec leur troupe, comme s'ils vivaient encore, et luttaient toujours. Ils venaient fondre leur force avec celle des leurs restés saufs ou leur dévoilaient une faille chez ceux qu'ils combattaient.

Le premier prêtre avait maintes fois expliqué ses succès aux acolytes. Ces esprits le visitaient à la veille de chaque combat. Débarrassés du fardeau de l'enveloppe charnelle, ils évoluent partout à l'insu de l'ennemi et en rapportent les secrets à qui les prie et les honore. Il n'y avait d'autre explication à ses intuitions soudaines face aux Muets, tant pour les assaillir que pour se diriger vers les plus abondantes sources de butin. Tant qu'ils ne sont pas enterrés dans le cimetière de leur clan, les âmes des héros sans sépulture errent sur la steppe. Elles avertissent les guerriers pieux qui leur sacrifient. Elles les préviennent des périls, les détournent des pièges où ils ont péri, leur indiquent les occasions de beaux raids. Ils le savaient pointilleux sur les offrandes à accomplir pour s'attirer leur soutien. Ils l'approuvaient. Sa dévotion à leurs mânes était récompensée. Ils ne s'étaient jamais montrés indifférents à son égard. On ne comptait pas les songes qu'ils lui avaient envoyés, les visions dont ils l'avaient gratifié, les secrets qu'ils lui avaient soufflés à l'oreille. Autre preuve de sa piété, il avait toujours su les interpréter. Les plus tièdes envers les âmes errantes, eux, s'y perdaient.

Guerriers et paysans regardaient Nerswekwos avec déférence. Ses moindres mots leur étaient vérité révélée. Les prêtres, qui organisaient les obsèques des disparus, avaient, eux, percé sa jactance et son ignorance. Ils étaient jaloux d'un seconde caste plus éloquent qu'eux, maîtres de la parole. S'y ajoutait la fureur de ne savoir combien de caveaux préparer.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Ils avaient commencé à creuser dans la terre sacrée, n'hésitant pas, après l'avoir tout juste effleurée, à en faire un champ fouillé par une horde de porcs. La fatigue aidant, la raison prit le pas sur le ressentiment. Il n'y avait pas eu grand pertes parmi les leurs. On avait enterré les morts au combat depuis déjà longtemps, même si les véritables obsèques, où l'on mettrait en terre, en l'absence de leurs corps pourrissants, leurs armes et leurs cuirasses, auraient lieu au village. Kleworegs ne serait pas trop fâché s'ils n'avaient pas préparé assez de fosses. Ils devaient se rappeler le nombre de morts des précédents raids pour tomber juste. Leurs chiffres variaient du simple au double. Ils se chamaillèrent... Pour finir, ils ne creusèrent que quelques trous, à tout juste recevoir un casque.

Le village était tout affairé à ses préparatifs d'accueil. Cela signifiait, pour tous ceux en âge de travailler, diverses corvées plus ou moins rébarbatives. Elles étaient acceptées de bon c¿ur. Chacun souhaitait la réception des héros digne d'eux. Les voisins, avant même d'avoir admiré le butin, seraient sidérés d'admiration. Certains jeunes guerriers étaient partis à la rencontre de leurs aînés, beau prétexte pour couper aux tâches mobilisant tout le village. On n'avait osé leur refuser cette escapade. Trop jeunes pour avoir participé à l'équipée tant vantée, espérant être de la prochaine, ils voulaient, avant tout le monde, fêter ceux auprès de qui ils combattraient bientôt et contempler leur butin. Ils leur feraient ensuite cortège. Accompagnant leur retour triomphal, ils en recueilleraient quelques retombées. L'escorte d'un homme acclamé profite toujours un peu de son triomphe, même s'il ne lui est pas destiné, comme les herbes folles de l'arrosage des plantes qu'elles côtoient en parasites discrets et tolérés.

Le messager trop imaginatif connaissait sa tâche. Il les avait renseignés avec précision. Ils savaient vers où chevaucher, et à quelle distance, s'ils étaient allés à allure normale, se trouvaient leurs aînés. Au bout d'un rapide voyage d'un peu moins de deux jours, ils parvinrent auprès d'eux à l'heure du bivouac du soir. Ils s'attendaient à les rencontrer le lendemain midi. Passée la joie de les saluer un jour plus tôt que prévu, ils se gaussèrent de l'incapacité de l'envoyé. Il les avait quittés il y a si peu, et s'était trompé d'une demi-journée sur la durée de leur trajet !

Le chef de patrouille prit sa défense. Cette bleusaille turbulente et ironique ignorait qu'ils avaient dû quitter au plus vite le village honni. Confus, ils s'excusèrent. Nerswekwos avait estimé au plus juste le rythme de leur marche. Sans cet incident, ils se seraient croisés au moment indiqué.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Leur honte de s'en être moqué à tort raviva encore plus leur foi en lui. Ils racontèrent, avec force gestes, comment l'infaillible messager les avait avertis de leur proche venue et leur avait narré tous leurs exploits. Ils n'en avaient rien oublié. On les célébrerait encore quand les fils de leurs fils seraient chenus.

Ils s'empressaient autour d'eux pour les fêter. Ils apprirent, surpris, combien ils avaient été courageux, merveilleux, géniaux, géants, terribles aux ennemis, féroces au combat, magnanimes dans la victoire, amasseurs de beaux butins, tueurs de rois et de seigneurs, et cent autres qualificatifs dont le moindre était déjà un immense honneur. Ils se découvrirent aussi, au travers de ces récits, une multitude de hauts faits dont ils avaient perdu le souvenir ou qu'ils étaient quasi sûrs de n'avoir jamais accomplis. Ce scepticisme ne dura guère. Ils se savaient guerriers hors pair. Entendre leurs fils leur attribuer ces prouesses ancrait et consolidait cette certitude. Ils n'en doutèrent bientôt plus. Ils ne s'étonnèrent que de les avoir oubliés. Un mauvais sort, sans doute ! Que son jeteur en crève !

é écouter tous ces contes, la nuit était tombée sans qu'ils n'y prennent garde. La fatigue avait eu le dernier mot. Tant les héros accomplis que ceux qui aspiraient à les imiter souhaitaient dormir. Ceux du raid étaient fourbus. Ils avaient apprécié la pluie de louanges. étaient-elles sincères ? Ces jeunes étaient venus à leur rencontre pour échapper à la corvée de décoration... Ils en avaient fait autant avant eux. Sous prétexte de les préparer à leur avenir, ils les chargèrent de surveiller les captifs à la place des gardes. Qu'ils y mettent du zèle, surtout ! Kleworegs réservait aux négligents un sort terrible, à preuve l'histoire ¿ dont ils avaient tu la fin ¿ de Medhwedmartor. Les plus prolixes, aux images les plus terrifiantes, furent ceux contraints, depuis la halte au pied du grand arbre, de veiller toutes les nuits. Leur récit les frappa. Ils ne fermèrent pas l'¿il un instant. C'était le prix des acclamations qui salueraient leur retour mêlés à la troupe. Toute le jour suivant, ils somnolèrent sur leurs chevaux.

Ils veillèrent encore le jour suivant. On fut plus indulgent pour eux la nuit d'après. Au milieu de leur veille attentive, des guerriers de l'expédition se levèrent, les invitèrent à aller dormir et les remplacèrent. Il fallait que chacun soit prêt, frais et dispos pour l'arrivée solennelle, le lendemain en fin d'après-midi selon toute vraisemblance. Trop heureux, ils partirent se reposer. Ils dormirent comme des souches. La journée à venir serait, sinon rude, fort animée. Autant l'aborder remis à neuf.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Le village était en vue. Ses discrets mais attentifs guetteurs distinguaient les arrivants, enseignes du clan brandies. Ceux restés comme les guerriers de retour prendraient tout leur temps pour peaufiner qui la réception, qui l'arrivée. Kleworegs ordonna de s'arrêter. Les récits des novices l'avaient frappé. L'imagination débridée du messager l'obligeait à soigner sa rentrée comme jamais. Il tourna et retourna dans sa tête toutes les possibilités de décorum offertes par le butin. Il partit vers l'arrière du cortège. Invitant les charrons à le suivre, il se dirigea vers les chariots bâchés remplis de richesses et d'objets étranges.

Ils eurent un court conciliabule. Le plus maigre lui désigna un des lourds véhicules, tiré par deux b¿ufs au pelage bis. Les autres descendirent de leurs bêtes et y pénétrèrent. Deux en ressortirent, tandis qu'un troisième leur faisait passer des morceaux de bois décorés. Ils les posaient par terre au fur et à mesure, dans un désordre, à voir leurs coups d'¿il à chaque pièce avant, fruit d'une mûre réflexion. Enfin, ils reçurent une paire de roues, et leur compagnon sortit de sa caverne aux trésors itinérante.

La troupe comprit. Leur roi avait décidé de faire son entrée sur le char royal de Shumeru récupéré dans le butin pris aux Muets, bien plus beau et élégant de lignes que le sien, sobre dans sa décoration jusqu'à en paraître mal ouvré. Ce char, sa fierté, était bâti pour le combat. Malgré son plaisir à s'y tenir, celui-ci, gisant devant lui en pièces détachées, tout prêt à être monté, conviendrait mieux pour porter des vainqueurs défilant, diadème au front, sous les acclamations. C'est dessus qu'il pénétrerait dans son village. Ses portes venaient de s'ouvrir, béantes, pour l'accueillir à proportion de ses mérites.Ils étaient tout affairés à monter son char de parade. é mesure qu'il prenait forme, son visage s'allongeait. L'apparente fragilité des roues et de l'essieu le travaillait. La piste menant au village était cahoteuse et pleine d'ornières. Il aurait fière allure s'il se brisait !

Ces véhicules, d'après ce qu'il avait entendu de la bouche de captifs des Muets, parcouraient des ¿ routes ¿ et des ¿ rues ¿, longs rubans de terre aplanie de village à village ou entre les maisons, libres de toute mauvaise pierre, aux ornières comblées. C'était très loin des aléas du vilain chemin. Mais il était si beau, avec ces reliefs sur tous ses panneaux ! Il se tourna vers les charrons. Ils le rassurèrent. Il était plus solide qu'il n'y paraissait.

C'était bien, mais ! ... Autant ne pas tenter Bhagos. Il l'utiliserait sur la plus brève distance, ne l'attelant qu'au tout dernier moment, avançant au pas le plus lent. Il appela de solides captifs pour le porter sur leurs épaules. Il leur fit distribuer, pour les encourager, le reste de venaison. Ils le soulevèrent, sans trop rechigner. Ils avancèrent, poitrine bombée. Pour une fois qu'ils allaient tout en tête ! Arrivés à mille pas de l'entrée, où la route devenait à peu près plate, ils firent halte. Ils reposèrent leur fardeau.

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Marc Galan Membre 421 messages
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é peine ses roues sur le sol, on y attela deux chevaux. Le roi et son prêtre y grimpèrent et tentèrent tant bien que mal (ce fut mal) de s'y installer. Bien qu'il fût prévu pour deux, comme l'indiquaient les poignées où s'accrocher, ils pestaient d'y être autant à l'étroit. Il se seraient moins étonnés de leur gêne s'ils avaient pu interroger leurs captifs les plus sombres. Le couple royal de Shumeru pour qui on l'avait bâti était âgé de douze et neuf ans. Serrés comme grains en jarre, ils eurent une tout autre vision de cette infortune. Son inconfort rappelait que le pouvoir ne va pas sans épines. Ils connaissaient de réputation la richesse et la puissance des maîtres des cités à qui il était destiné. Elles étaient payées d'un prix bien léger.

Ce n'était plus temps d'y penser. Ils venaient de pénétrer dans leur village. Leur gêne s'amenuisa à mesure que s'enflaient les cris d'admiration.

La foule fêtait les deux hommes et leur suite défilant dans un ordre impeccable. Personne ne s'étonna de l'exiguïté du char de triomphe, évidente au premier regard. Si c'était la coutume en Shumeru de faire des chars royaux si petits, c'était une bonne coutume. Ce royaume n'était-il pas, aux dires des voyageurs, le plus riche, le plus puissant, le plus avancé. Une telle supériorité, toute matérielle, ne durerait pas. Le jour viendrait où Shumeru, que ses plus anciens habitants appelaient Kartam, s'inclinerait devant Aryana. Tant qu'elle restait la torche de son temps, ses chars, ses tissus, ses bijoux étaient ce qui se faisait de mieux. Il fallait les admirer ou les imiter. Qu'importait leur inconfort, qu'importait le ridicule éprouvé à s'en servir, on était à l'aise avec eux. C'est sous un tonnerre d'acclamations, peut-être plus pour son char que pour lui, qu'il retrouva, soulagé, son village. Finis les soucis pour cette année !

Flanc fendu, boitant bas, les deux jambons liés autour du cou, le sac empli de viande fumée sur le dos, il arriva au village, son village. Il s'appelait “ le site des Loutres ”. Il était plongé dans l'affliction et la honte.

Où était le frère de sa mère, qui l’accueillait à chacun de ses retours ? ... On lui montra le squelette parmi les cendres.

Il interrogea. On ne lui dit qu'une chose. Tout était arrivé par la faute de Kleworegs, roi du clan du Cheval ailé.

Il voulut en savoir plus sur ce clan. Le prêtre lui fit voir son signe sacré, celui sur le coffret. Il l’avait dessiné à l’envers, pour lui porter malheur. Il cracha dessus. Il n’en éprouva nul soulagement.

Il demanda où était son village. Nul ne le savait. On ne pouvait que lui indiquer la direction qu'il avait prise.

Sa route serait longue… Trop pour un boiteux. Il passa chez le rebouteux. Il eut très mal. Il n’eut pas un cri… Il pouvait partir.

... Et il avait commencé à suivre sa piste. Il avançait, plus fier qu'un roi. Il savait ce que les dieux eux-mêmes ignorent : le moment de sa mort. Nul doute que l'entourage de sa victime ne le massacre sitôt son coup fait.

... Quelle importance ? Son histoire bercerait les générations futures. Un bel acte de vengeance est toujours salué d'un chant. Son auteur vit à jamais.

POUR CEUX QUI DESIRENT TELECHARGER CES 11 CHAPITRES EN PDF, UNE PETITE VISITE SUR

http://www.leoscheer.com/spip.php?page=man...rc-galan-aube-I

ET DEMAIN, des extraits du livre II : LE PRINTEMPS SACRE

Modifié par Marc Galan
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Marc Galan Membre 421 messages
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Vous pouvez télécharger la première moitié du livre I d'AUBE (la Pierre-Soleil) sur l'URL :

http://www.leoscheer.com/spip.php? [...] lan-aube-I

Et voici le début du IIème livre : LE PRINTEMPS SACRE

INTRODUCTION

Six fois déjà depuis le début du monde, les dieux avaient averti Aryana, assoupie dans sa prospérité et bientôt trop petite pour nourrir tous ses fils, d'envoyer ses cadets à la conquête de terres nouvelles. Six fois ils avaient désigné le but, six fois élu le guide... Et Aryana, chêne vigoureux poussant ses jeunes rameaux au sortir de l'hiver, avait, après chacun de ces Printemps Sacrés, crû et gagné en puissance.

... En ces jours, passé son poids de peines, était arrivé le temps du septième.

PROPHéTIES ET PRODIGES

Sous l'épaisse fourrure, bouclier contre les rigueurs de la nuit d'automne, Reggnotis, prêtre émérite et membre éminent du collège des augures et des oracles, se tournait, se retournait. Il se sentait tout drôle, les tempes lui élançaient. Couvait-il quelque mal ? C'est fréquent en ces fins de saison. Le temps y varie comme l'opinion des femmes et des fous. De brusques bouffées fiévreuses le parcouraient, coulées de lave. Il se tâta sous les lourdes peaux. Pas la moindre chaleur ne s'en exsudait. Il s'était pourtant, surestimant le froid de la nuit, trop couvert. Il se passa la main sur le front. Les habituelles rigoles de sueur de la fièvre n'humectaient pas sa peau. Elle était sèche, presque rêche, trop, même. Elle aurait dû être moite sous le poids des couvertures et l'angoisse au plus profond de lui.

Il l'avait déjà éprouvée, en de rares et fugitives occasions. Elle avait marqué son esprit attentif à tout ce qui manifeste une présence inaccessible aux sens du commun. Les dieux allaient lui parler. Il se concentra, s'ouvrant au message qu'ils enverraient cette nuit. Pour n'en rien perdre, il se ferma à tout ce qui pouvait le brouiller. Il avait longtemps pratiqué l'art de s'abstraire du monde. Il ne fut plus, cette fois encore, qu'une oreille à leur écoute, un ¿il à l'affût de leurs visions.

Très vite, l'extérieur cessa d'exister¿ et c'était bien. Sa halte fourmillait, cette nuit, d'agitation. Il s'y criait, hurlait, aboyait, gémissait, mugissait, piaillait, en une cacophonie à fendre les tympans. Il n'en avait cure. Il était à l'écoute des dieux. Animaux ni hommes ne le sortiraient de sa transe.

¿ Pourtant. En ces heures où la Brillante entamait sa plongée vers le sol, comme pour s'y abîmer, des taureaux, nerfs mis à vif par leurs chaleurs, s'étaient libérés de leurs enclos et se répandaient, en mugissements et beuglements éperdus, par le village. Des paysans ¿ presque tous, à bien y regarder. La solidarité entre producteurs voulait qu'on aidât ses voisins en peine ¿ les poursuivaient, hurlant pour les remettre sur le bon chemin et les ramener à leur pacage. Cette poursuite était toute de mots. Ils n'aimaient pas sortir de nuit. Enfin les bêtes renoncèrent à enfoncer les enclos des vaches, et ne parurent pas vouloir aller divaguer hors du koimos. Ils retournèrent à leurs couches. Les chiens, à leur tour, se calmeraient. L'incident était si commun qu'ils ne se levaient pas toujours. Ils avaient été réveillés auparavant pour y mettre ce c¿ur.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Les chiens ! C'était eux la cause de toute cette agitation. Tout avait commencé par un grand concert d'abois et de hurlements, rauques à déchirer la gorge, stridents à percer les oreilles. Ce sonore tohu-bohu était né du partage, ou plutôt de son refus, de ce qu'un premier molosse avait considéré comme un mets délicat¿ le cadavre d'un bébé né avant terme, abandonné, indigne et inviable, sur le tertre d'exposition. Le chien l'avait repéré et longtemps veillé. Tant qu'il avait vécu et s'était agité, il avait été protégé par son statut d'homme, que les animaux domestiques répugnent à dévorer tant qu'ils sentent en lui la vie et la présence d'une âme. La nuit était venue, le froid avec elle. Ses mouvements s'étaient faits plus rares, plus sporadiques, plus saccadés. La vie s'en était bientôt échappée. Le molosse avait encore attendu, l'explorant de sa truffe. Il le sentait de plus en plus froid... Son âme avait fui. Il n'avait plus voulu perdre un instant. Quel bon repas l'attendait !

Son manège n'était pas passé inaperçu des autres, à moins que l'odeur de la mort n'ait frappé leurs narines toujours en quête de mangeaille. Pendant que le mâtin plus malin, ou plus patient, ou plus prompt avait, enhardi, saisi celui qui n'était plus que chair à déchirer, qu'il avait serré entre ses crocs une de ses cuisses pour le traîner et l'emporter là où il pourrait s'en repaître en toute quiétude et égoïsme, à l'abri des regards et de la convoitise, ils s'étaient déployés tout autour en un cercle lâche, prêts à bondir quand il s'arrêterait pour en profiter.

Peu après, alors qu'il traversait le village, le plus affamé avait perdu patience. Il s'était jeté sur lui, dans l'espoir de le lui arracher. Le molosse, méfiant, avait évité l'attaque. Il avait lâché le bébé et commencé à se battre avec son agresseur, tandis que les autres se précipitaient sur la proie un instant abandonnée. Le bruit ¿ abois, hurlements de douleur quand un croc trouvait sa cible, grondements assourdis et rauques lorsqu'ils se secouaient entre leurs mâchoires serrées à ne jamais se lâcher ¿ avait déclenché l'assaut. Ils étaient autour du petit cadavre à près d'une douzaine, certains essayant de s'en saisir ou de le reprendre à celui qui y avait porté la dent, d'autres se battant entre eux, pour rien, sans plus penser à celui qui roulait sous leurs pattes. Ils n'étaient plus loin, tirant dessus à hue et à dia, de démembrer le corps qu'ils se disputaient et qui ne ferait pour chacun qu'une maigre bouchée.

Leur vacarme avait fini par réveiller les villageois. Les plus hors d'eux, qui vivaient autour de la petite place théâtre de la bataille, se levèrent et sortirent dans leurs enclos. Leur sortie ne troubla pas un instant la bruyante mêlée. Elle se poursuivait de plus belle. Enfin, le plus excédé de ceux qui s'étaient levés ¿ il l'était à juste titre, tout se déroulait sous ses murs ¿ ramassa des pierres arrachées à la terre pour pouvoir la cultiver sans briser son araire, rassemblées pour bâtir un muret. Vite imité par ses voisins, il lapida la meute emmêlée. Malgré l'obscurité à peine percée par une Brillante anémique et quelques étoiles peureuses surgissant de derrière les nuages pour vite y replonger, ils visaient bien. Les chiens, caillassés d'importance, s'enfuirent en jappements plaintifs ou hurlements perçants. Ils abandonnèrent le corps quasi intact malgré les tiraillements subis de tous côtés. Pour parachever le désordre causé par leur voracité, ils allèrent clore leur querelle près de l'enclos des taureaux. Réveillés en sursaut et saisis de l'ardeur du rut, ceux-ci ne tardèrent pas à en défoncer la clôture et à se répandre.

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