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AUBE, la saga de l'Europe - le Feuilleton

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Marc Galan

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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¿ S'il faut en passer par là !.. éa va être difficile. Comment l'amener ici en silence, plus, en secret ?

¿ Medhwedmartor avait la solution.

¿ C'est vrai ! Eh bien, vous, là, allez trouver le roi et demandez-lui de vous montrer où il a vaincu ses loups. Ensuite, priez-le de vous faire visiter son domaine. On aura le temps de le récupérer et de l'amener au camp.

¿ C'est ça ! On va s'***** à visiter ce village minable et à écouter sur la chasse aux loups des banalités, et rater le récit de son secret. Nous ne le saurons qu'après, de seconde main. Entendre un exploit de la bouche d'un héros, ou une vilenie de la bouche d'un témoin, te met à sa place. D'autres lèvres, c'est nous servir de la bière recrachée. Toi-même, ne tiens-tu pas à nous conter toutes tes actions afin de faire de nous des guerriers à rivaliser avec toi ?

Kleworegs dévisagea le protestataire. Une des rares sentinelles à avoir su réagir en combattant aguerri le jour où il avait mis à l'épreuve leur vigilance. Il avait apprécié son attitude. Le jeune homme au nez trop long, dos tourné vers l'arbre, corps bien dans l'axe de sa lance, avait scruté par-dessus son bouclier d'où pouvait venir un nouveau coup. Ce serait injuste de le frustrer, lui et ceux chargés de détourner l'attention des villageois, de la révélation.

¿ Tu as raison. Voilà mon plan : Nous rendrons visite ensemble au roi et nous nous ferons montrer où étaient les loups. Après, chacun essaiera de retenir tous ceux qu'il peut autour de lui. Parlez-leur de vos cochonneries de cette nuit, c'est ce qui aura le plus de succès. Pendant ce temps, quelques-uns iront me le chercher et me le ramèneront au camp.

¿ Il vaudrait mieux que ce soit ici, à la maison des hôtes. Nous aurons moins de chemin à faire, et ceux du village ne peuvent y entrer que sur notre invitation. Par contre, pendant les trois jours d'Aryamenos, ils sont comme chez eux dans notre camp. Ils risquent d'y venir et de tout découvrir.

¿ Oui, c'est vrai ! On fait comme ça ! Dis-moi, femme, ils ne vont pas vérifier s'il est chez lui ?

¿ Non, y l'évitent. Vous avez pas à vous inquiéter !

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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La diversion comme le transfert du grabataire devaient se dérouler à l'insu des Loutres. Kleworegs avait gratté là où ça démangeait. Leur roi et ses guerriers s'interrogeaient. Ceux du Cheval ailé avaient-ils remarqué leur gène de la veille ? Si jamais, ils la leur feraient oublier. Montrer où avait eu lieu le combat avec les loups, leur seul exploit depuis des lustres, y contribuerait. Ils s'y appliqueraient tous.

Ils accueillirent sa demande avec enthousiasme. Il n'en manqua pas un pour l'accompagner. Tous firent de longs récits qui les occupèrent la journée entière. Les loups y prenaient des allures de monstres. Les battues y devenaient des actions dignes des épopées célébrant Sek le chasseur. Kleworegs et les siens n'étaient guère amis de la vantardise. Ils n'en montrèrent rien. Elle servait trop bien leurs projets. Au contraire, ils l'encouragèrent. Leurs hôtes savaient raconter. Autant goûter le miel de leur beau récit et oublier l'absinthe de leur fausse parole.

Ceux chargés de s'occuper du guerrier partirent, en compagnie de la vieille, vers sa hutte. L'unique rue du village était vide. Le seul risque d'être remarqué serait une sortie inopinée. Medhwedmartor avait trouvé moyen d'y parer. Il avait interrogé la femme. Il avait pris leur vêtement le plus criard et l'avait passé sur le dos de l'homme dont l'aspect était le plus proche de celui de l'invalide. Si on l'apercevait, on ne se souviendrait que d'une silhouette et d'une tunique.

Ils arrivèrent devant la cahute. Elle se pencha, chuchota vers une forme visible d'elle seule. Elle était de retour avec les gens de Kleworegs. Ils étaient prêts à le soutenir, voire le porter, jusqu'à la maison d'hôtes. Le grabataire l'invita à entrer avec l'un d'eux. Medhwedmartor envoya le guerrier à la tunique voyante. Il savait quoi faire.

Il ne perdit pas un instant. Il ne salua l'estropié que d'un vague signe de tête, invisible dans la pénombre du taudis. D'emblée, il lui dit leur plan. L'homme se redressa, prêt à se revêtir de la défroque. Il l'ôta et la lui tendit. Pourvu qu'elle ait bien estimé leurs corpulences respectives ! Hasard ou savoir, on l'aurait crue taillée pour lui. Ce petit signe amical de Bhagos laissait présager des révélations pleines d'intérêt.

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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Sitôt changé, le grabataire fit signe à ceux qui l'entouraient. Ils le prirent chacun sous une épaule et le soulevèrent. Il n'était pas lourd, mais ses jambes flanchaient à tout moment. Ils n'étaient pas trop de deux pour lui permettre d'avancer sans peine.

é peine sortis, un guerrier de sa taille prit le relais de la femme pour éviter le déséquilibre. Soulagée, elle s'éclipsa, si vite qu'on eût pu douter qu'elle ait existé jamais. Ils continuèrent leur chemin. Parfois, ils sentaient sur eux un regard. Il pouvait être fier ! Se saouler à ce point. Pas étonnant qu'il se soit tordu les chevilles dans les ornières. éa lui apprendrait. La prochaine fois, il n'aurait pas les yeux plus grands que la panse. Il joua le jeu. Les oreilles indiscrètes en eurent pour leur bétail.

Le petit groupe arriva, dans la discrétion voulue, à destination. On le déposa sur une couche. Un guerrier lui apporta de l'hydromel. La longue et pénible marche lui avait arraché force plaintes. Cette liqueur était la bienvenue. Il le fit savoir. La première corne vidée, on la lui remplit. Désaltéré, il releva la tête. Qui d'entre eux était Kleworegs ?

¿ Aucun. Il n'est pas ici. Je vais t'expliquer.

L'homme lui exposa son plan pour le rencontrer et entendre de sa bouche le secret du wiks. Après une nouvelle corne (« éa me change de leur foutue cervoise ! »), l'estropié reconnut à Kleworegs, en plus de la vaillance, de la ruse et de l'esprit. Il était conquis. Il lui dirait tout. Les dieux l'inspireraient pour punir le village de sa lâcheté et le remettre, si c'était encore possible, sur la voie de l'honneur. Il déclina l'hydromel offert avec libéralité. Il l'attendrait. Il les pria en revanche de raccourcir cette attente en lui narrant ses triomphes.

Leurs <em>neres</em> leur avaient, tout le jour, fait les honneurs de leurs domaines. Comme Kleworegs en avait décidé, ils s'étaient extasiés et récriés d'admiration devant tout ce qu'ils leur montraient, les retenant en se faisant tout commenter. Devant des visiteurs aussi complaisants, ils n'avaient aucun scrupule à ce faire. Ils leur avaient fait découvrir, motifs à s'enthousiasmer à chaque instant, la qualité des champs et des emblavures, la richesse des prés à l'herbe grasse, la beauté du petit bétail représentant l'essentiel de leur cheptel. Le soleil était déjà bas quand ils revinrent. Sa petite équipe avait eu tout le temps de régler le problème de l'estropié. Et nul ne les dérangerait. Les siens avaient saoulé de bon hydromel ceux qui les avaient saoulés de leurs piètres prouesses.

Il était d'excellente humeur. Les Loutres tout autant. Quelques femmes s'étaient étonnées du manège de l'après-midi et leur en avaient fait part. Les ennuyer de broutilles quand ils étaient tout occupés à raconter combien leurs hôtes avaient apprécié leur courage, leurs actions et leur prospérité. Ils les avaient rabrouées avec rudesse ou ne les avaient pas écoutées. Avant de s'écrouler, éméché, sur sa couche, aucun ne conçut le moindre soupçon.

FIN DU CHAPITRE 6

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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LES MORTS VICTORIEUX

Kleworegs leur avait souhaité une bonne nuit. Il se dirigea tout droit, sans perdre un instant, refusant même une dernière cervoise, vers la maison d'hôtes. Son témoin l'y attendait. Il avançait d'un pas vif, faisant tressauter son torque et ses bracelets. é peine entré, il interrogea ses hommes :

¿ Vous l'avez eu ?

Une voix inconnue lui répondit. Il en apprécia d'emblée le ton.

¿ Je suis là, Kleworeg reg e !

Il s'en approcha, l'examina. La lueur des torches accentuait ses traits volontaires et désenchantés. Un héros à qui la gloire s'était refusée, et qui le savait. Il remua à nouveau les lèvres. Il désigna les guerriers à son chevet.

¿ Toute la journée, ils m'ont abreuvé de tes actions d'éclat et de leur joie d'être avec toi. Ma longue attente est finie. Enfin, je peux tout raconter. Vous entendrez. Vous comprendrez. Tu décideras comment laver la honte et rendre l'honneur.

(« Il a raison. C'est la fin de sa longue veille... sans doute, aussi, de sa course. »)

Kleworegs s'arrêta, accablé. L'estropié le suivait des yeux. Il releva la tête.

¿ Parle.

¿ Aidez-moi à m'asseoir.

Sa voix, faible, était très claire. Il irait jusqu'au bout, sans faillir.

¿ Roi, tu as vu hier ces femmes laides, couvertes de joyaux précieux, le regard qu'elles jetaient aux guerriers, et le visage rouge de honte qu'ils arboraient¿ Cette nuit-là, ils se rappellent. Cette honte ne dure pas. Le lendemain, ils l'oublient. Ils n'en donnent pas la raison à ceux qui arrivent à l'âge de combattre. Pire, dans quelques jours ¿ tu seras alors parti ¿ ils se pavaneront, tout fiers de leurs récoltes et du calme. Ni les unes, ni l'autre, ne viennent d'eux. Ils s'en attribueront pourtant le mérite...

... Notre histoire ne se conte qu'en récoltes, bonnes ou mauvaises. Si encore nous étions un wiks où ne vivent qu'un prêtre ignorant et des paysans, ce serait conforme au plan divin. La fierté de ses membres serait légitime. Mais il a toujours eu des deuxième caste...

... Pourtant, depuis que je suis en âge de juger, il n'a été que deux ans, deux ans, pas plus, un clan de guerriers, dont on pouvait être fier d'être. Le reste du temps, mon wiks... J'ai honte de l'appeler ainsi, une gueuserie le mérite plus, a été une tourbe, crachat à la face de Thonros.

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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¿ C'est toi qui craches ! Comment peux-tu parler ainsi ! ?

¿ écoute-moi, et comprends ma colère. Elle bouillonne depuis si longtemps.

¿ Vas-y, je suis tout ouïe !

¿ Il y a neuf ans... dix saisons de combats, ce village était le même. Nous avions le même roi. é l'époque comme aujourd'hui, la même petitesse, la même pauvreté d'ambitions, la même incapacité à voir au-delà du quotidien, plus loin que son ventre, guidaient ses pas...

... Il avait deux fils. Deux fils si différents de lui, bien qu'ils aient eu un peu son allure, que des esprits mal intentionnés, une race qui ne manquait pas et qui ne va pas disparaître, insinuaient qu'ils n'étaient pas de lui. Si quelqu'un avait dégénéré, ce n'étaient pourtant pas eux, vrais fruits de nos branches guerrières, mais celui qui leur avait donné son nom. Il était loin d'être un mauvais père mais était, vice indigne de sa caste, inapte à saisir leurs désirs. Son rêve, ce vers quoi tendaient tous ses efforts, était de leur garantir un joli domaine, des terres bien cultivées, des paysans dociles et soumis. L'idée de risque et d'héroïsme, notre guide, lui était étrangère...

... Notre village allait s'appauvrissant, jarre fêlée qui se vide sans qu'on n'en voie ni qu'on n'y puisse rien. Notre bétail ne se renouvelait pas. Nos terres, à peine effleurées par l'araire, ne donnaient qu'au gré de la bonté, par bonheur grande ces derniers temps, des dieux... Il ne travaillait qu'en demi-mesures. Tout l'effrayait. Chasses, semailles quand il s'en mêlait, hospitalité, tout était mesuré, calculé, congru, souvent, même, trop juste...

¿ C'est vrai, à part la bière, on n'a pas été gâtés. Aujourd'hui, on n'a même pas été invités à banqueter. C'est l'usage, pourtant.

Kleworegs lança un regard noir au perturbateur. Il fit signe au guerrier de reprendre.

¿ Ton voisin a donné un exemple parfait de sa mesquinerie. La loi, rien de plus, pas un geste de ner... Encore est-ce la bière des paysans, l'hospitalité à leurs fêtes et sur les couches de leurs servantes, plutôt que les siennes, dont vous avez joui. J'en ai bien d'autres. Pour chasser, il nous ordonnait de prendre des bâtons, bien suffisants contre le gibier rencontré d'habitude, mais on en trouve parfois qui se rit de ces armes trop faibles.

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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Quand il s'agissait de cultiver, et bien qu'il n'eût à s'en mêler, il fallait aussi qu'il intervienne. Il harcelait les paysans pour qu'après avoir semé juste le grain nécessaire à la prochaine récolte, ils transforment le reste en semoule. Il s'en méfiait. Possesseurs de trop de réserves de semences, ils les répandraient sans rigueur et s'y prendraient à trois ou quatre reprises, au gré de leurs caprices ou de la pousse. Au lieu de protester, ils devraient le remercier. Semer une seule et bonne fois les obligerait à faire, d'emblée, des semis parfaits et leur éviterait la fatigue de les répéter en cas d'échec. Il ajoutait, devant leur stupéfaction, qu'il avait appris que la semoule se conservait mieux et attirait moins la souris que le grain, presque toujours sujet à germer, en plus, si le temps se mettait à l'eau. De toute cette sollicitude, ils se moquaient. Loin de l'écouter, ils cachaient leurs céréales et lui témoignaient une noire ingratitude...

... Ce ne sont que fautes mineures. Si seule l'ingéniosité et les ruses des paysans nous sauvèrent à plusieurs occasions de la disette, cela arrive là où les guerriers se mêlent des cultures. Ils doivent obéir aux Jumeaux de la nature plutôt qu'à leur roi. Je compterai pour plus important les deux frères tués par des mange-miel, qui se rirent de leurs gourdins. Mais ce sont les pires fauves, contre qui le glaive n'assure pas la victoire. Non, son grand crime fut tout autre, mais dans la droite ligne de sa crasse, et frappa ses deux fils. Sache d'abord, avant tout, de quelle manière stupide il les traitait. Ici, il les couvrait de beaux vêtements dignes de leur naissance. En dehors, il ne les vêtait que de peaux râpées. Peut-être craignait-il un de ces défis qu'attire souvent une splendide fourrure. Nul ne provoque un loqueteux. Tu devines notre prestige... Peut-être s'en moquait-il...

... Plus stupides encore, criminelles, étaient ses interventions au cours de nos entraînements. S'il supportait de bon c¿ur que nous combattions comme des brutes avec nos armes de bois, pleines de vertus pour se préparer et étudier tous les mouvements de l'assaut, il nous interdisait l'usage des vraies au prétexte que, même protégées par un fourreau ou une gaine pour éviter que nous nous infligions des blessures trop graves, nous risquions de les ébrécher ou les briser. Comme si on lutte bien si on n'a pas senti au bout de son bras le poids du métal ! Nous devions ruser pour nous en servir. Plusieurs fois surpris à les utiliser en cachette, nous reçûmes des corrections à nous coucher un quartier ou plus.

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Marc Galan Membre 421 messages
Baby Forumeur‚ 63ans‚
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C'est en une de ces occasions qu'il expliqua à ses fils, devant nous, que nous n'en aurions, Dieux merci, jamais usage. Les Muets avaient été repoussés et ne reviendraient plus... Quant aux têtes brûlées qui leur courraient sus, tant pis si elles y laissaient la vie. L'avenir du guerrier était de gérer son domaine et de posséder un troupeau et des bois. Ils assurent viande et gibier quotidiens... Le reste n'était que gloriole...

... Vous en restez bouche bée. Certains de nous avaient encore des parents très âgés, les ayant élevés dans la loi de Thonros. Ils réagirent comme vous. Nous continuâmes cependant, tout en en ressentant l'inanité, à nous entraîner. Les deux frères devinrent de puissants guerriers. C'était la meilleure preuve, et même leur père ne put la contester, que l'esprit de Thonros était en eux...

... Vint l'année où l'aîné fut en âge de guerroyer. Bien qu'un père ait autorité sur ses enfants jusqu'à sa mort ou à la renonciation à son pouvoir paternel, il ne peut sans sacrilège les empêcher de partir combattre. Ses exhortations à opter pour la médiocrité où il se complaisait, malgré sa visible répugnance à lui répondre chaque fois qu'il l'entreprenait sur ce raid le laissèrent froid. Il dut le bénir et l'équiper pour l'accomplir et le mener à bonne fin...

... Une dernière fois, il le morigéna. Il serait plus sage de laisser les paysans cultiver la terre et payer leur tribut que d'aller se battre. Devant son indignation, il lui suggéra d'organiser une battue, elle aussi repoussée. é la fin, il céda. Il lui dévolut son titre de chef de guerre. Il aurait toute autorité sur les guerriers dans le cadre et pour la durée de l'expédition. Puis, toujours déterminé à le détourner d'une ambition qui l'effrayait, il lui demanda ce dont il avait besoin, en hommes et en armes...

... Pour un raid chez les Muets, il faut être environ soixante. En dessous, on sort des mains de Thonros pour tomber dans celles de Bhagos. é soixante, on forme une bonne troupe. On peut avoir des malades et commettre les novices à la garde des captifs et du butin. é moins, il faut choisir entre vivre sans rien garder de son butin, ou périr en défendant les fruits de son équipée. é quoi sert une telle expédition, sans objet ni sens ? On se rabat sur le vol de petits troupeaux isolés, en se gardant de ne pas s'éloigner du territoire-sanctuaire d'Aryana. Peut-on tomber plus bas ? Ce butin ne méritera pas le nom de prise de combat, mais de pillage à la mode des brigands. On n'en tirera nulle gloire, que honte et mépris...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Tous deux le savaient. En deçà, une expédition n'est qu'une suite de coups d'osselets. En excluant les lâches et les bancroches, d'esprit ou de corps trop faible, nous étions quatre-vingts. Le fils lui en fit mainte fois la remarque. Il ne lui en accorda que trente. Encore ne fut-ce qu'après des heures, sinon des jours, d'acerbes discussions. Il avait besoin de nombreux guerriers pour nous protéger des Muets. Il ne pouvait lui en laisser que vingt. Comme il se vantait tous les jours du calme exceptionnel, cet argument tomba à plat. Il persista. Nous ne pouvions rester sans défenseurs. Les loups n'avaient pas attaqué, les porcs sauvages n'avaient pas saccagé et dévasté les récoltes, depuis longtemps. Ils viendraient bientôt¿ Ils arrivaient ; ils étaient là ; ils guettaient leur départ. Il devait enfin prévoir des chasses au cas où le raid serait un échec. Pour ces traques et battues, il fallait des guerriers, et nombreux...

... Enfin, chacun marchandant ¿ Je calomnie le fils. Il défendait notre renom ¿, il mit sous sa bannière le tiers des guerriers. Par le nombre, cette troupe était dérisoire. En ne désignant que les plus tendres, retenant, malgré leurs protestations, les vétérans et les meilleurs pisteurs, il voulait en accentuer l'aspect puéril. Ce fut le cas aux yeux des couards, à commencer par les siens¿ Pas de ceux qui auraient voulu les assister et les soutenir. Ils admirèrent du fond du c¿ur, priant Bhagos puisque tout en dépendait, ces trente jeunes pleins de fougue, pour certains à peine sortis de l'adolescence, avides d'aller au combat et d'en ramener butin et trophées. Leur inexpérience ne fut pas sujet de moquerie. Ils portaient notre honneur. Nul ne doit rire de ce qui y touche...

... Des novices, en nombre réduit. Il aurait pu, pour compenser leur impréparation, leur confier de belles armes, légères mais solides. C'était mal le connaître. Même cet effort, il ne le fit pas. Pourtant, à l'époque, nous n'en manquions pas. Notre armurier, mort peu avant, avec ses fils, dans l'incendie de sa forge et sa maison attenante, avait fondu pour le clan de fortes haches, bien que minables à côté des vôtres... Elles sont superbes. C'est un plaisir de les admirer.

¿ Tiens, prends la mienne, regarde-la !

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Marc Galan Membre 421 messages
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Il tendit les mains. Il la prit, précautionneux comme la jeune accouchée avec son enfant. Il la scruta avec la même attention aimante. Il examina son tranchant, l'éprouva, le caressa d'un pouce connaisseur. Enfin, il la saisit par le manche, la fit tournoyer. Malgré la peine que ce geste lui coûtait, malgré la douleur qui l'agrippait, il souriait. Toucher après si longtemps une aussi bonne arme était un bonheur sans pareil. Il eût trouvé une volupté rare à tomber mort, d'un coup, cette masse à la main. La nécessité, l'urgence absolue de faire revivre le souvenir des fils du roi, le retint.

¿ Ah ! Sentir entre ses mains arme aussi noble... et se rappeler les leurs. L'aspect et la qualité des glaives du fils et de ses proches passaient encore, mais le reste avait des cuivres mal dégrossis et à peine terminés. Il s'en justifia. Il serait stupide de confier de bonnes lames à de tout jeunes guerriers. Certains rejetèrent cet argument. Il ajouta qu'il fallait, par piété, garder les meilleures pour orner la tombe de ceux qui viendraient à partir dans l'au-delà. C'était, c'est toujours, son idée fixe. Il veut être inhumé avec beaucoup de belles armes, qu'il garde avec un soin jaloux¿ Sait-il encore s'en servir ? Il croit que Thonros, le voyant arriver ainsi équipé, le prendra pour un très grand guerrier.

¿ Plutôt ton livreur, Pewortor !

¿ Pas de blasphème ! ... Continue, je te prie.

¿ ... Ils partirent. Dix mains d'autres guerriers, dont j'étais, les saluaient, rage au c¿ur. Ils regrettaient de ne pouvoir les accompagner. é moins d'une particulière protection des dieux, ils partaient à l'échec ou à la mort. é peine le dernier hors de vue, notre roi déclara à ses proches (Mais je l'ai entendu, un peu par hasard.) qu'en leur offrant d'aussi mauvaises armes et en les forçant à partir à si peu, il espérait les décourager et les voir revenir sans tarder, mine penaude, pleins de raison, prêts à renoncer à la voie du guerrier héroïque pour celle, plus raisonnable, du seigneur terrien : « En mauvaise posture, quand Thonros n'est pas avec soi, faire retraite n'est point honte. » Son fils partait pour laver une honte. En pareil cas, ce précepte ne s'applique plus...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Il ne revinrent pas. Au début, nous en fûmes fiers. Cela ne signifiait qu'une chose. Ils avaient pénétré chez l'ennemi. Ils y perpétraient des raids sanglants et profitables. Arriva la fin de la canicule. Ils ne revenaient pas. Les moissons s'achevèrent. Ils ne revenaient pas. Les arbres avaient perdu leurs feuilles. Ils n'étaient toujours pas revenus. Nous dûmes, alors, enfin admettre ce que nous avions craint dès les derniers jours du temps des combats. Ils ne reviendraient jamais plus. Si nous nous réjouissions de les savoir chasser avec Thonros, leur perte ne nous en était pas moins pénible. Si nous avions été avec eux, nous serions tous rentrés, porteurs d'un riche butin... Nous avions honte...

... C'est au début de l'hiver que nous eûmes enfin le fin mot, par un guerrier venu troquer, de ce qu'avait été leur fortune. Leur groupe avait pris un butin énorme¿ butin, par son énormité même, disproportionné. Il le handicapait, le faisant tortue ou limaçon. Incapables de se battre et de garder leurs biens en même temps, ils perdraient, assaillis par un fort parti de Muets, et le fruit de leurs raids, et leur vie. Les amis du visiteur le leur avaient dit. Ils avaient pris un sourire contraint et navré. Ils devaient refuser, toute envie qu'ils en aient, de se joindre à leur troupe plus nombreuse. Thonros en eût été offensé...

... Cette rencontre avait eu lieu environ une lune avant la fin de la saison des combats. Notre hôte décrivit la splendeur de leur butin. Il en détailla avec envie les prises : bijoux mal ouvrés, mais superbes, nombreux captifs excédant de dix fois le nombre de nos hommes, gros bétail, chevaux, dont un parmi les plus beaux qu'il ait jamais vus. Son chef avait proposé au fils de notre roi de l'échanger contre deux, puis trois des siens. Il avait refusé. Qu'ils patientent ! S'ils en voulaient toujours, il serait à la saison froide dans les enclos des Loutres...

... Plus que des dépouilles ou le récit d'un témoin de leur fin, cette simple phrase confirma nos craintes. Ils ne reviendraient pas. Quand notre roi, son père, eut fini d'écouter, il resta immobile, comme saisi, un long moment. Il parut enfin comprendre. Il demanda à la cantonade :

« Pourquoi n'a-t-il pas attaqué que des petits groupes, pourquoi ne s'est-il pas contenté d'un petit butin ? C'eût été tellement plus sage ! »

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Marc Galan Membre 421 messages
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« Et que fais-tu de la gloire d'Aryana ? Crois-tu digne de nous d'attaquer des paysans ou des pasteurs isolés pour leur prendre trois moutons ou quelques jarres de grain ? » ...

... Par courtoisie et pour ne pas violer l'hospitalité, il n'alla pas plus loin. Il ne lui fit plus aucun reproche, ne mit en cause ni son courage, ni le bien-fondé de ses décisions. Aucun de nos vrais guerriers, parmi ceux qui avaient entendu sa réplique, ne lui en tint rigueur. Ils partageaient son indignation. Ils l'auraient volontiers reprise. Ils attendraient la prochaine assemblée. Le plus indigné, si l'on peut étalonner l'intensité du sentiment qui nous accablait tous, était le second fils du roi. é notre commune douleur s'ajoutait son déchirement d'être à la fois le frère d'un héros et le fils d'un homme veule, pusillanime et sot. Cette double parenté lui était un mystère... sans doute Bhagos qui aime à se jouer des mortels l'éprouvait-il.

... Notre visiteur, écourtant son séjour, prit congé. Le second fils sut alors quel était son devoir, sinon son destin...

... La saison froide suivante fut la plus douce que nous ayons connue, sans même un jour de gel¿ Il était tout dans nos c¿urs, et d'autant plus cruel. Le soleil l'en chassa d'un coup lorsque le cadet, arrivé à son tour à l'âge de combattre et diriger un raid en terre ennemie, nous annonça sa décision. Il prendrait la suite de son frère. Il nous conduirait, après lui, sur la glorieuse voie du guerrier...

... Il partirait se battre contre les Muets, comme son aîné, et récolterait un copieux butin. Ensuite, leurs voies divergeraient. Il ne s'en retournerait pas vers les Loutres. Ce nom disait trop de faiblesse, de lâchetés, de honte. Il créerait un nouvel village, aux portes du fief de nos proies. Il en partirait chaque année, avec des hommes vaillants, pour fondre sur elles, les frapper de terreur, les dépouiller. Nous serions ces hommes, flambeaux de notre race, fléaux de ses ennemis. Nous nous associons tous à ses projets, brûlions de le suivre. Tant que son père y régnerait, et il était encore jeune, notre wiks serait de moins en moins celui de la loutre, de plus en plus celui du lièvre, bête lâche s'il en est. Quel guerrier voudrait en devenir roi ? La sagesse, l'honneur, nous imposaient d'en créer un nouveau...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Il cristallisa en nous cette volonté. Il voulut convaincre tous ceux en âge de se battre de venir avec lui. Tous eussent accepté, je ne serais pas ici à te conter notre triste histoire. Bon nombre furent sourds à son appel. Petitesse et peur nous coûtèrent cher. En comptant ces lâches, nous aurions été non loin de soixante. Les moindres éléments eussent au moins fait nombre, qui eût dissuadé nos ennemis. Il nous eût évité d'être exposé à leur assaut... Nous ne fûmes que la moitié.

¿ C'est vrai, à plus de cinquante, on ne risque pas de se faire attaquer, sauf en embuscade. é vingt ou trente, c'est la curée dès qu'on vous aperçoit. Chaque fois que nous avons trouvé un tas de cadavres en rase campagne, où l'on a le temps de voir venir les assaillants et de se préparer à leur assaut, c'était toujours autour de tels chiffres, jamais au-dessus.

¿ ... Aux premiers bourgeons, nous partîmes. Notre équipement était aussi piètre que celui de nos devanciers. Et pour vous dire à quel point nous étions mal engagés, nous n'avions, comme nos prédécesseurs, pas même une prêtre. Revêtus d'une cuirasse d'invincibilité, nous ne serions pas plus partis en vainqueurs. Notre avenir le plus probable sur cette terre était de n'en avoir aucun. Nous nous en moquions. Entre vivre en lièvre furtif et craintif, que le goulpil, la fouine et la martre dévorent, que le hérisson méprise (à preuve sa prière exaucée d'être couvert d'une piquante cotte afin de n'en souffrir la promiscuité), et mourir dans la gloire pour rejoindre aux combats de Thonros nos frères disparus, nul n'avait hésité...

... Nos débuts ne méritent pas le nom d'exploits. Pour commencer, histoire de nous faire la main, nous lançâmes quelques attaques-éclairs sur des camps sans défense. Nous nous livrâmes à un massacre, même pas, un abattage de vieillards paralysés par la surprise, de femmes épuisées par les travaux et les maternités, d'enfants à la mamelle. Encore eûmes-nous, au cours de ces raids sans gloire, un mort dans nos rangs, désarçonné par son cheval. Une femme avait jeté un tison ardent sur les naseaux de sa monture. Il était mal tombé. Il s'était brisé le cou. C'était une triste entrée en matière...

... Ajoutez-y un butin à pleurer : quelques volailles et moutons étiques, ne valant pas, de loin, nos efforts. Vous aurez une idée de notre moral. Cela ne suffisait pas. Une nouvelle calamité nous tomba dessus.

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Marc Galan Membre 421 messages
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Plusieurs de nos chevaux, ceux d'allure la plus solide, furent atteints de morve. Nous n'avions aucune monture de rechange. Nous passions nos journées, entre nos massacres inutiles et désespérés, à nous lamenter sur notre sort. Où nos bêtes, notre seul atout, nous rendant plus prompts à l'attaque que l'ennemi et compensant le handicap de notre faible effectif, l'avaient-elles attrapée ?

Kleworegs et les siens connaissaient ce mal. Ils en craignaient encore plus la contagion. Il frappait tant les animaux que les hommes. Il y a deux ans, il avait perdu ainsi son plus beau cheval. Pewortor s'en souvenait. Son roi avait pleuré ¿ autant que lui quand sa première femme était morte et à coup sûr plus que lorsque ça avait été la deuxième ¿ au moment où il l'avait mené se perdre dans une fondrière. C'était un crève-c¿ur d'abattre un si fidèle ami. Tous avaient compati. Les maladies du bétail étaient leur hantise, plus sans doute que les leurs. Ils se rembrunirent. Ils en avaient tous un mauvais souvenir, leur brûlant la langue. Il les prévint, imposa le silence.

¿ ... Au bout de quelques quartiers, nous en avions perdu un tiers. Nous devions leur demander de tirer nos chars à demi effectif. Même en alternance, ça leur était pénible. Nous avions d'ores et déjà perdu tout l'avantage que nous donnait leur possession. Nous n'avancions plus qu'à la vitesse d'hommes au pas. Comment courir sus à l'ennemi ? Nous avions assez à faire à songer à nous garder de lui, à l'éviter...

... Dernier coup du sort, le pire sans doute, nous vîmes un jour un camp ennemi. Il nous parut beaucoup trop gros pour nos faibles forces. Loin de songer à l'attaquer, nous l'esquivâmes, soulagés, malgré l'envie et l'insistance de notre chef, seul de nous tous à croire encore à notre succès. Mourir est beau quand Thonros est avec soi. Dans notre état, nous doutions de livrer un digne combat. Nos massacres nous avaient un peu endurcis. Nos malheurs avaient détrempé, comme pourri, l'étoffe de notre courage. Qui sait si, au moment de bien mourir, certains d'entre nous ne se seraient pas enfuis, et notre troupe ne se serait pas égaillée comme une bande de moineaux, préférant une vie de honte et d'opprobre à un glorieux passage vers les terres où Thonros entraîne les héros à sa suite ? Dans notre situation, quoi de surprenant ? Le mal rongeur était dans nos c¿urs et notre sang...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Trois jours après la rencontre, de loin, de ces Muets, nous croisâmes un des nôtres. Sa troupe venait d'attaquer ce rassemblement qui nous avait tant effrayés. Malgré leur satisfaction devant la richesse de leur sac, ils s'étaient sentis frustrés face à l'incroyable facilité de leur victoire. Sur les cent combattants, ou plus, de ce clan, il n'y en avait que vingt encore vivants, la moitié, à peine, en mesure d'offrir un semblant de résistance, quand ils s'étaient précipités, glaive haut, sur le cercle de chariots derrière quoi ils se protégeaient. En dépit du butin splendide, elle avait un arrière-goût de cendres. Elle n'avait pas été obtenue par le combat. Elle leur était tombée dessus comme le fruit blet chu de sa branche. Ils n'iraient pas s'en vanter...

... Cela nous acheva. Il nous demanda la raison de ces visages défaits. Notre chef lui expliqua tout. Il partagea notre peine. Il tenta de nous consoler. Il n'y avait nulle honte dans notre refus d'attaquer ce camp. Nous ne devions pas non plus voir nos malheurs comme une cruauté de Bhagos. Ce n'était qu'épreuves envoyées pour nous affermir. Ces paroles, censées atténuer notre amertume, ne furent pas un baume très efficace. Nous affectâmes de les accueillir sans regrets. En vérité, nous pleurions de rage devant la férocité du Borgne et sa méchante ironie. Il prend si grand plaisir à se jouer des hommes et à leur tendre des pièges ! Il aime tant envoyer des leurres, et donner l'illusion de les favoriser, pour retirer son appui au moment décisif ! Les défauts ne sont pas l'apanage des mortels. Ils sont à la taille des dieux, pour qui nous sommes ce que sont les fourmis à nos yeux.

Il nous reprocha notre impiété. Nous devions cesser de craindre, mais nous réjouir et reprendre espoir. Les dieux sont cruels et imprévisibles. Ils sont surtout inconstants. S'ils se lassent de favoriser un homme, ils se fatiguent tout aussi vite de l'accabler. Nos ennuis finiraient. Le succès nous sourirait bientôt. Nous acquiesçâmes du bout des lèvres... En vérité, nous n'en croyions rien...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Nous étions au désespoir. Nous échangions, loin de ses oreilles, des propos amers et désabusés. Quatre jours passèrent ainsi... Et nous rencontrâmes un petit parti de douze Muets. Au premier abord, nous ne les reconnûmes pas. Ces ennemis du genre humain sont des ignorants. Les chevaux refusent de se soumettre à eux. Ils vont à pied ou se font traîner dans leurs chariots à b¿ufs. Leur fuite nous montra qui ils étaient. Dès qu'ils nous virent, ils fouettèrent les flancs de leurs bêtes. Ils tentèrent un démarrage éclair. Nous réagîmes aussitôt. Leur attitude anormale prouvait à qui nous avions affaire. Nos guerriers en surcharge se jetèrent en roulés-boulés parfaits de leurs chars. Nous nous précipitâmes et les rattrapâmes...

... Ils possédaient un joli butin, volé à d'autres de leur espèce. é la différence des nôtres, leurs clans s'attaquent les uns les autres dès qu'ils voient chez leurs voisins un signe de faiblesse. Ils prennent captifs et serviteurs parmi ceux de leur race. Ils n'ont pas non plus le moindre scrupule à les spolier de leurs biens. Avides comme ils le sont tous dans ce ramassis, ils avaient emporté tous leurs trésors. Voilà pourquoi nous les avons si vite rejoints... é moins que la vue d'une telle proie, si facile, si offerte, après tous ces déboires, nous ait mis un tel baume au c¿ur, une telle vigueur dans les muscles, que nous en ayons réussi à faire voler nos chevaux...

... Sitôt à portée, nous nous jetâmes sur eux sans préparation ni réflexion, persuadés de notre invulnérabilité. Rien ne laissait entrevoir que nous venions d'acquérir ce privilège divin. Notre instinct, précédant notre intelligence, nous en avait averti. En dépit de leurs multiples traits, nous n'eûmes aucune victime à déplorer, quand ils ne purent échapper au fil de nos glaives et au tranchant de nos haches. Ce signe était clair. Bhagos était fatigué, ou avait cessé de trouver drôle, de nous torturer. Après nous avoir mis à l'épreuve, il nous avait jugé dignes de récolter les fruits de notre patience. Je ne voyais pas les choses ainsi, et notre chef, j'en aurais mis ma main au feu, pensait comme moi derrière ses belles paroles. Le Borgne n'a jamais récompensé les mortels. Il s'amuse d'eux et joue leur vie aux osselets...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... é l'issue de cet engagement, qui dura moins qu'une ondée, nous nous retrouvâmes plus riches de dix-huit chevaux. Ils vinrent remplacer les vides que la morve avait créés dans leurs rangs. Ceux qui les avaient perdus retrouvèrent avec plaisir cet ami indispensable, sans qui il se sent seul et démuni. Ceux qui les avaient gardés ne se réjouirent pas moins. Un cheval n'est pas fait pour tirer en permanence, ni même la moitié de la journée, trois, voire quatre cavaliers tout équipés. Cette surcharge les fatiguait... Et nous la ressentions comme un fardeau sur nos épaules. Outre ces dix-huit bêtes, montures ou chevaux de bât, nous eûmes toute une charge de butin. Nous l'inventoriâmes. C'était de magnifiques fourrures, pour la plupart inconnues, douces, brillantes. Elles étaient faites pour couvrir l'échine de rois et de héros. Nous nous en vêtîmes sur-le-champ...

... Certains chevaux avaient subi de légères blessures ou donnaient des signes de lassitude. Nous leur fîmes porter le faix de belles peaux et récupérâmes pour nos chars les plus nobles et les plus frais de notre prise. Qui nous aurait vu la veille, puis en ce moment, aurait dû bien se frotter les yeux avant de nous reconnaître. Cette facile victoire nous avait métamorphosés. La joie était revenue. Nous nous sentions plus forts que si nous avions chacun avalé un b¿uf entier et bu cent cruchons du meilleur hydromel. Nous étions comme des dieux...

... Bien des clans se seraient contentés de ce butin. Huit bâtées de splendides fourrures et dix-huit chevaux récupérés (nous leur en avions hélas, dans la fureur du combat, tué deux, des montures superbes et ardentes), c'était un magnifique résultat pour une expédition aux effectifs aussi squelettiques et mal équipés. C'était un faux calcul. Nous devions laver l'honneur du wiks et venger ceux qui, partis avant nous, avaient péri. Nous marchions tous avec un double invisible. Nous étions en vérité soixante, avec l'obligation d'agir comme tels. é cette aune, notre prise n'était plus un exploit. Elle devenait, sinon dérisoire, tout à fait ordinaire, peu propice à nous rendre le sentiment de notre prestige. Malgré sa splendeur, nous décidâmes de continuer. Elle n'était qu'un échantillon de ce qui nous attendait. Personne n'éleva d'objection. Le lendemain, nous reprîmes notre chemin pour nous enfoncer plus avant en terre hostile...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Les deux lunes suivantes restent le meilleur moment de ma vie. Nous semblions possédés de Thonros... La sagesse m'est venue pendant ces années. En vérité nous avons été les jouets de Mawort, son double fou. Nous étions partis très loin vers le levant. Nous semions la terreur chez les Muets. Chaque camp, chaque hameau, qui avait le malheur de se trouver sur notre route, disparaissait sous notre bronze et notre feu. Tout ce qui ne devenait pas notre butin périssait ou était réduit en cendre et poussière. Ces richesses n'étaient pas prodigieuses. Qu'importait ! Notre troupe de chevaux et de bétail s'accroissait vite, ainsi que notre tas de fourrures. Dommage que nous ne trouvions plus les splendides peaux du début ! Nous ne nous en soucions guère. Notre combat n'était plus pour le profit, même si nous désirions prouver notre capacité à amasser à foison cheptel et biens variés. Il rachetait la bassesse des Loutres et nous lavait dans le sang ennemi des souillures de leur lâcheté...

... Nous étions nés Loutres. Cet ondoiement nous avait changés. Nous étions devenus bronze, feu, sang, enivrés de notre propre gloire. L'idée de prendre le chemin du retour ne nous effleurait plus. Nous nous enfoncions au sein du pays des Muets comme certains s'enfoncent au sein des ténèbres, dans l'espoir ténu de déboucher sur un jour plus clair... dans le sentiment qu'il sera celui qui baigne les lointains champs guerriers où ils lutteront près de Thonros...

... Une nuit, malgré les fourrures dont nous nous entourions pour dormir, nous eûmes grand froid. Nous revînmes à la réalité. Notre chef nous rassembla. Il était temps de rentrer. Nous étions toujours disposés à abandonner les Loutres sans espoir de retour. Nous n'y paraîtrions que pour présenter nos richesses, conter nos exploits, annoncer notre intention de créer notre clan. Les vrais guerriers, désireux de nous imiter, nous suivraient. Aux jeunes appâtés par nos succès viendraient, les dieux aidant, s'ajouter quelques femmes prêtes à partager la vie de héros aux beaux butins. Entre les épouses de mes compagnons et les filles en âge d'accueillir un homme, il serait un vrai village, peuplé des seuls nôtres. Nous n'avions guère envie de rester entre hommes, ni de nous unir à des femelles muettes. Nos fils, selon la loi, auraient eu droit au titre de guerriers, avec ses devoirs et ses privilèges. La réalité eût été autre. La plupart eussent considéré, en premier lieu, leur mauvais sang, ensuite, très loin ensuite, leur statut. Nous ne voulions pas de ce destin. C'était l'unique raison qui nous poussait à revenir dans ce village de honte... notre village, une dernière fois...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Notre retour commença sous les plus riants auspices. Nous croisâmes encore de nombreuses petites bandes ennemies. La saison était tardive. Ils revenaient, âme en paix, chariots remplis... Pendant que nous leur courons sus et mettons à mal leurs camps, ils vont, de leur côté, attaquer les caravanes qui troquent entre les cités et les terres éloignées et gorgées de richesses dont nous ne connaissons que les noms, voire l'ombre des noms... Nous les défîmes tous, l'un après l'autre, ajoutant à nos fourrures et à nos chevaux des objets étranges et nouveaux : poteries comme celles dans lesquelles on vous a servi notre bière, pectoraux, torques, boucles d'oreilles, ceintures tressées tissées dans des étoffes inconnues. Bientôt, à mesure que nos richesses s'amoncelaient, nous décidâmes de nous encombrer de chariots... Encombrer, je le dis maintenant. Dans l'euphorie du moment, nul n'y songeait. Nous ne voyions que les biens entassés, non la gêne occasionnée à notre troupe trop mince...

... Notre émerveillement devant les butins dont nous les délestions avec tant de facilité nous fit perdre toute mesure, toute réflexion. Pas un de nous ne s'étonna de l'aisance de nos coups de main, ne se demanda pourquoi des groupes aussi minuscules et aussi chargés de richesses avançaient sans méfiance par la plaine. Je le sais, par douloureuse expérience. Nous étions encore en plein c¿ur du territoire contrôlé, en cette tardive saison, par nos ennemis. Ils revenaient en force de leurs raids. Au rebours de nous, ils retournent au plus vite vers leurs camps de saison froide. Ils laissent l'intendance et le butin suivre loin derrière...

... Vint une journée où nous croisâmes encore une fois une petite bande chargée de butin. Comme de bien entendu, nous l'assaillîmes. é vingt-quatre (Plusieurs compagnons avaient été tués lors de nos assauts précédents et un autre avait péri, tout en nous évitant de nombreuses pertes, d'une morsure de vipère. Il avait, un soir posé le pied, en descendant de son char, sur un nid de ces vers-démons, nous révélant par sa mort que le lieu où nous comptions faire halte en était infesté), nous en vînmes à bout sans peine. Ils étaient en nombre égal au nôtre. Vaincre est facile à qui ose se lancer sur l'ennemi en laissant son butin à la garde d'un seul, quand il tente de protéger le sien et est plongé aussi profond dans la crainte d'en être dépossédé que nous l'étions dans la rage de tout lui prendre...

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Marc Galan Membre 421 messages
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... Pendant que nous vainquions nos ennemis terrifiés, et admirions leurs dépouilles, un petit fait s'était produit. Plus vigilants, nous serions peut-être tous ici. Bhagos commande. Nous ne remarquâmes rien. éa se passa sans doute ainsi. Un des leurs a dû rester, retardé, un peu en arrière. Il a vu notre fulgurant assaut contre les siens et, plus intéressant à ses yeux, la flagrante disproportion entre notre faible effectif et notre lourd butin. Comment nous a-t-il échappé ? La joie qui suit toute victoire nous a peut-être distraits, à moins que cette maudite ligne de collines, dont les siens ont surgi trois jours plus tard, ne nous l'ait caché. Il est parti, silencieux, a rejoint sa horde à marche forcée, l'a avertie de l'aubaine. Malgré leur répugnance à se porter assistance, elle l'a signalé à d'autres, leur a proposé d'oublier leurs querelles. Devant une telle proie, leurs préventions ont fondu. Ils se sont unis pour nous détruire...

... Peu importe comment ils tombèrent d'accord ¿ j'espère qu'ils se sont bien étripés avant ¿, ils se mirent en route... Et trois jours après ce combat qui avait encore accru notre butin, la série de belles batailles, d'où nous sortions toujours triomphants, cessa... pour toujours, même si, avec l'aide de Thonros et Perkunos, je suis sorti vainqueur de cette ultime rencontre...

... Nos ennemis, vrais loups furieux, déboulèrent en torrent. Je ne les ai pas comptés et, vu la soudaineté de leur assaut, aucun de nous n'en a eu le temps, mais ils nous firent l'effet d'une nuée. En un instant, ils nous entourèrent. N'eût été leur habitude de défier et d'insulter ceux qu'ils vont combattre et, espèrent-ils, massacrer, nous n'aurions même pas eu le temps de nous mettre en cercle tant ils nous avaient surpris. Nous nous voyions déjà percés de flèches et de traits acérés. Ils se réunirent sur un seul rang serré et s'avancèrent sur nous d'un pas ferme, décidé, l'épieu sous le bras pointé pour tuer. Nous ne pourrions nous échapper à moins d'abandonner notre butin et de sacrifier la vie d'une bonne moitié des nôtres. Nous résolûmes de descendre de nos chars et de combattre. Si encore, mais Thonros ne l'a pas permis, nous avions su nous battre à cheval ! Fuir, certains de nous y avaient songé un instant en voyant surgir leur première vague. Il n'en était plus question. Rester sur nos chars et tenter une sortie était une autre absurdité vouée à l'échec, vite rejetée. Ceux qui mourraient au cours de ces tentatives seraient cloués de flèches dans le dos comme il advient aux pleutres et aux fuyards. Ils perdraient leur droit à paraître devant lui et à partager ses chasses et ses combats. Nous avions tenté cette expédition par horreur de la lâcheté. Une telle perspective était à vomir.

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Marc Galan Membre 421 messages
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J'avais, pour vite en revenir, estimé que briser un encerclement n'est pas fuir. Et après ? Ce ne serait qu'un vain sursis. Cela revenait à partir sans butin, poursuivis par une horde qui n'aurait de trêve de nous avoir détruits jusqu'au dernier. Cette issue n'était pas moins épouvantable. Nous nous tînmes prêts à mourir¿ Pas seuls...

... Il n'y avait rien d'autre à faire. Je me battis bien, mes frères mieux encore. Aucun de nous ne mourut sans emporter au moins deux Muets avec lui. Encore ceux qui eurent si maigre viatique furent-ils plus victimes de leur fougue ¿ elle les poussa à se jeter d'emblée sur les épieux ¿ que du courage et de l'habileté adverses...

... Je n'eus pas de chance. Après avoir offert à la mort trois Muets, dont un colosse adipeux, au nez coupé, que j'éventrai d'un seul coup heureux de mon glaive, je reçus un coup vicieux qui me brisa les jambes. On vit ma blessure. On me repoussa au centre de notre cercle de plus en plus étroit. C'était notre pacte. Les plus agiles combattraient à sa périphérie. Les plus lourds et les blessés en formeraient le noyau. Inaptes à nous mouvoir, nous tiendrions quand même nos ennemis à distance par nos moulinets... é quoi bon ! Quoi que nous fassions, ils finiraient par nous anéantir. Nous avions perdu tout espoir... Non, il nous en restait un. Nous offririons chacun à Thonros un dernier assaillant...

... Pendant que nous combattions, et que notre nombre diminuait à chaque instant (nous avons dû tenir bien plus longtemps qu'il ne nous a semblé, bien moins que nous ne l'espérions), le ciel s'était couvert. é mesure que les nôtres périssaient, il était devenu sombre, puis noir. Les éclairs fusaient. Ils étaient de plus en plus près de notre lice...

... Nous restions sept sous le ciel de suie et de flammes. Thonros menait là-haut un beau combat. Des ces sept moi seul, malgré mes jambes brisées, pouvait survivre. Notre chef était encore vivant, juste à côté de moi, mais sa blessure au ventre ne lui laissait aucune chance, et les autres étaient blessés à mort... Belle consolation ! Dans un instant, l'ennemi nous aurait submergés. Il nous achèverait tous...

... Grâces à Thonros et Perkunos aux traits enflammés ! Au moment où le chef des Muets allait lancer l'assaut final, une boule du feu du ciel le frappa et le jeta à terre, désarticulé, brûlé, nu... mort. é ce signe sans équivoque, ils comprirent. Les dieux étaient pris d'une grande fureur devant le massacre de leurs fils. Ils ne toléreraient pas que leurs cadavres soient profanés... Ils s'enfuirent, abandonnant leurs morts et notre butin, qui leur faisait tant envie...

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