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Matérialisme : idéologie ou attitude ?


cl4dou

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Membre, 41ans Posté(e)
cl4dou Membre 20 messages
Baby Forumeur‚ 41ans‚
Posté(e)

Parce qu’on ne peut comprendre les relations interpersonnelles et interstitielles qu’en s’extrapolant de notre vision égocentrée ; parce que le langage est l’outil de communication le plus prisé, ma vision subjective des passions importait peu : c’est celle du plus grand nombre qui donne un sens à l’objet vers lesquel elles tendent. Plus précisément, le concept de matérialisme fut employé au sens commun du terme dans l’article précédent : c’est-à-dire une attitude où la personne en question recherche uniquement des satisfactions matérielles. Vous remarquerez sans doute le trouble qui nous saisit dès la définition encyclopédique : un mot dont le suffixe est en –isme se voit définit comme une attitude, et non plus comme une doctrine ou une idéologie… Nous verrons en quoi il est dangereux que la langue courante ne possède que ce sens si passif, si impuissant face au spiritualisme. Son sens originel est en effet tout autre : elle est cette doctrine qui affirme que la seule réalité fondamentale est la matière et que toute autre réalité y est, d’une façon ou d’une autre, réductible. Nous n’allons pas retracer ici l’histoire du matérialisme mais allons tenter de suivre l’évolution etymologique et philologique du mot avec rigueur pour éviter tout fantasme : le suivie de l’une évitant l’apparition de l’autre.

Le mot apparaît explicitement en Europe vers 1386 bien que, je le répète, les premiers travaux dans ce sens remontent à Héraclite, Démocrite qui, bien qu’admettant l’existence de Dieu, place la « physis », la nature, dans sa primauté par rapport à toute autre chose existante. A la fin du XIVème siècle donc, il définit ce qui s’affère à la matière (« pertaining to matter ») dans la scolastique médiévale et la théologie ou bien appartenant à la matière (« belonging to matter »). Le sens du mot est, à ce moment, encore assez faible et le nom matérialisme est attesté officiellement vers 1556. En 1748, survient l’apogé sémantique du mot puisqu’il parvient enfin à se définir comme une philosophie qui n’accepte rien d’existant hormis la matière et cette nuance prend forme en France là où l’ébulition intellectuelle – entre autre grâce aux lumières – est la plus dense. Enfin, vers 1851, on relève que le mot perd de sa vigueur pour en arriver à définir une façon de vivre basée entièrement sur la consommation de marchandise. Cette vision du matérialisme diffère très largement, vous l’aurez compris, de sa sémantique de départ : on passe d’une idéologie à une attitude, du rejet de l’âme à sa possible existence, d’une posture réflexive à une désintellectualisation…

On observera volontier que le sens le plus faible du mot apparaît vraiment un demi-siècle avant la séparation officielle des Eglises et de l’Etat : on peut y voir là comme une sorte de « bouée de sauvetage » lancée par le Christiannisme pour éviter de perdre complètement la main mise sur ses fidèles. En effet, par ce changement de sens, elle transforme, dans le langage courant, son plus féroce adversaire en le réduisant à une simple attitude : or, une doctrine ne peut être combattue que par une autre doctrine en ce sens qu’elle est une transcendance verticale comme Dieu ou l’Etat et qu’une gestuelle est impuissante face à un « monstre » idéologique… De plus, en tant qu’attitude, le matérialisme commun n’est plus d’aucun danger pour l’existence de l’âme : on peut très bien être passionné de voitures tout en croyant à une vie après la mort là où le matérialisme philosophique exclue toute substance immatérielle. Rajoutez à cela le fait qu’on qualifie de matérialiste uniquement des personnes subjuguées par des biens du type voitures, argent, vêtements de mode… Bref, que des biens éphémères et qui ne demandent pas l’usage de l’entendement : on appelle jamais matérialiste un passionné de littérature ou d’histoire des antiquités en prétextant que l’amoureux de romans use de son imagination pour animer le roman dans son esprit et que l’anticaire imagine les temps passés pour recontextualiser son objet. En réalité, en plus d’être une attitude passive face au spiritualisme, le matérialisme commun est même victime d’une désintellectualisation ; point important de sa mutation…

Enfin, la conséquence philosophique qu’on pourrait observer et celle d’une carence sémantique. En fait, en enlevant la substancialité du mot, on lui enlève son sens : il ne reste alors dans le langage courant plus aucun mot pour qualifier une existence sans âme ; bien sûr il reste l’athéïsme mais on doit bien avouer que cette posture est passive, elle n’affronte en rien le spiritualisme, elle l’accepte et en subit même les conséquences. Evidemment, pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas à la philosophie, le désarmement est total face au guide spirituel. Les limites du langage sont liées à celles de la démocratie : le citoyen doit avoir accès aux informations les plus honnêtes et les plus exhaustives pour pouvoir débattre mais également d’être informés quant aux idéologies qui se font face pour choisir son camp en total connaissance de cause, sans que les mots qu’il prononce soient influencés par les restes d’une idéologie passée…

:snif:

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Membre, Tu n'auras d'autre batracien devant ma face, 108ans Posté(e)
Grenouille Verte Membre 32 822 messages
108ans‚ Tu n'auras d'autre batracien devant ma face,
Posté(e)

Le fait de donner un sens péjoratif au mot "matérialisme" est, en effet, une ruse pour essayer de décrédibiliser ls idées matérialistes.

Le même phénomène a eu lieu avec le manichéisme (qui est avant tout le nom d'une religion qui donne une existence au "bien" et au "mal") ou avec l'Epicurisme (qui a été injustement associés à tous les exces, alors même qu'Epicure prône le contraire !)

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